4 Éliphaz de Témân prit la parole et dit :
z Cette réponse d’Éliphaz exprime en la durcissant la doctrine traditionnelle de la rétribution : doctrine qui est avant tout une affirmation de foi en la justice providentielle du Dieu de l’Alliance. Doutant de son efficacité dans tous les cas, le poète la rappelle néanmoins avec beaucoup de chaleur.
2 Si on t’adresse la parole,a tu vas perdre patience ?
Mais qui pourrait garder le silence !
a « Si on t’adresse » Aq., Sym., Théod. ; « a-t-on essayé » hébr.
3 Vois, tu faisais la leçon à beaucoup,
tu rendais vigueur aux mains défaillantes ;
4 tes propos redressaient l’homme qui chancelle,
fortifiaient les genoux qui ploient.
5 Et maintenant, ton tour venu, tu perds patience,
atteint toi-même, te voilà tout bouleversé !
6 Ta piété n’est-elle pas ton assurance,
ton espérance, n’est-ce pas une vie intègre ?
7 Souviens-toi : quel est l’innocent qui a péri ?
Où donc des hommes droits sont-ils exterminés ?
8 J’ai bien vu : ceux qui labourent le malheur
et sèment la souffrance, les moissonnent.
9 Sous l’haleine de Dieu ils périssent,
au souffle de sa colère ils sont anéantis.
10 Les rugissements du lion, les cris du fauve,
les crocs des lionceaux sont brisés.
11 Le lion périt faute de proie,
et les petits de la lionne se dispersent.
12 J’ai eu aussi une révélation furtive,b
mon oreille en a perçu le murmure.
b Littéralement « À moi une parole vint furtivement. » Il s’agit d’une parole céleste, proférée par un personnage mystérieux, cf. v. 16, communiquée au milieu d’un sommeil profond (même terme en Gn 2.21 ; 15.12) et visant à provoquer le frisson du sacré. Ce mode de connaissance surnaturel contraste avec le caractère rationnel de la doctrine des sages et atteste une évolution de celle-ci, du moins dans certains cercles. Mais la révélation dont se réclame Éliphaz ne correspond exactement ni à l’expérience habituelle des prophètes, lesquels recevaient ordinairement la Parole à l’état de veille, ni à l’inspiration que revendiquera plus tard le Siracide, Sir 24.31-33 ; 39.6. Elle s’apparente plutôt aux songes ou visions nocturnes, cf. Za 1.8, avec une note terrifiante soulignée volontiers par le genre littéraire apocalyptique, cf. Dn 4.2 ; 5.5-6.
13 À l’heure où les visions nocturnes agitent les pensées,
quand une torpeur tombe sur les humains,
14 un frisson d’épouvante me saisit
et remplit tous mes os d’effroi.
15 Un souffle glissa sur ma face,
hérissa le poil de ma chair.
16 Quelqu’un se dressa... je ne reconnus pas son visage,
mais l’image restait devant mes yeux.
Un silence... puis une voix se fit entendre :
17 « Un mortel est-il juste devant Dieu,
en face de son Auteur, un homme serait-il pur ?
18 À ses serviteurs mêmes, Dieu ne fait pas confiance,
et il convainc ses anges d’égarement.c
c « Serviteurs de Dieu » et anges sont identiques. Si ces êtres qui approchent Dieu gardent pourtant une infirmité radicale, à plus forte raison l’homme charnel et périssable.
19 Que dire des hôtes de ces maisons d’argile,
posées elles-mêmes sur la poussière ?
On les écrase comme une mite ;
20 un jour suffit à les pulvériser.
À jamais ils disparaissent, sans qu’on y prenne garde,
21 Les cordes de leur tente sont arrachées,
et ils meurent dénués de sagesse. »d
d « dénués de sagesse », litt. « et non avec sagesse »; on pourrait aussi comprendre « faute de sagesse » ou « et ce n’est pas la faute de la sagesse ». Mais le contexte immédiat, qui insiste sur la fragilité de l’homme en général et la brièveté de son existence, suggère plutôt l’idée que celui-ci n’a pas ou ne sait pas trouver le temps (cf. Ps 90.12) d’acquérir la sagesse, ou encore que sa science limitée ne peut rien contre la mort.