Vigouroux – Job 41
Suite de la description de Léviathan.
41 On sera frustré de l’espoir de le prendre, et on sera terrassé à la vue de tous (Voilà que son espoir le trompera, et à la vue de tous il se précipitera). [41.1 Son espoir le trompera ; c’est-à-dire l’espoir de celui qui voudra le prendre sera trompé ; Léviathan, furieux, se précipitera au fond de la mer, à la vue de tout le monde.]2 Je ne l’exciterai pas comme par cruauté. Car qui est-ce qui peut résister à mon visage ? [41.2 Je ne suis, etc. Pour moi (c’est toujours Dieu qui parle) qui connais la force extraordinaire de Léviathan, je ne le susciterai pas contre les hommes par un esprit de cruauté. Je le pourrais, si je voulais ; car qui oserait résister à mon simple regard ?]3 Qui m’a donné le premier, afin que je lui rende ? tout ce qui est sous le ciel est à moi. 4 Je ne l’épargnerai pas, malgré les paroles puissantes (ses discours arrogants) et les prières les plus touchantes (ses paroles suppliantes). [41.4 Si cependant quelqu’un me résiste, je ne l’épargnerai pas, malgré, etc.]5 Qui soulèvera le dessus de son armure (vêtement), et qui entrera au milieu de sa gueule ? [41.5 Qui découvrira, etc. Dieu reprend la description de Léviathan.]6 Qui ouvrira l’entrée de ses mâchoires ? La terreur habite autour de ses dents. [41.6 Les portes de son visage sont l’entrée de ses mâchoires. La gueule du crocodile est si vaste, qu’il dévore et avale aisément un homme. ― Della Valle raconte qu’un crocodile qui n’avait cependant que 25 palmes de long, coupa en deux une pelle de fer qu’on lui mit dans la mâchoire.]7 Son corps est semblable à des boucliers d’airain fondu (jetés en fonte), et couvert d’écailles qui se pressent. 8 L’une est jointe à l’autre, et (pas même) le moindre souffle ne passe pas entre elles. 9 Elles adhèrent l’une à l’autre, et elles se tiennent sans se séparer jamais. 10 Son éternuement fait briller la lumière (l’éclat du feu), et ses yeux sont comme la paupière de l’aurore. [41.10 Ses yeux sont comme les paupières de l’aurore. Les yeux du crocodile sont en égyptien le signe hiéroglyphique qui désigne l’aurore.]11 De sa gueule sortent des lampes, comme des torches ardentes (allumées). [41.11-12 Lorsque le crocodile, après un long séjour dans l’eau reparaît à sa surface, il semble vomir de la fumée et du feu. Bartram raconte dans ses Voyages (Travels through North and South Carolina, Philadelphie, 1791, p. 116), que pendant qu’il remontait l’Alatamaha dans la Floride occidentale, cherchant un soir à terre un endroit commode pour prendre son repas, il aperçut un crocodile qui sortait avec bruit du milieu des roseaux pour se jeter dans un petit lac. « Il enfla son corps monstrueux et agita sa queue dans les airs. Une épaisse fumée s’élança de ses naseaux largement ouverts avec un bruit qui fit presque trembler la terre. » Et plus loin : « D’abord il nage avec la rapidité de l’éclair, mais il ralentit peu à peu sa marche, jusqu’à ce qu’il atteigne le milieu du fleuve. Là il s’arrête, et aspirant tout à la fois l’air et l’eau par sa large gueule, son corps devient énorme et pendant un moment on entend un grand bruit dans son gosier. Puis, tout d’un coup il fait rejaillir avec fracas de sa bouche et de son nez une vapeur qui produit comme un nuage de fumée. »]12 Une fumée sort de ses narines comme d’une chaudière qui bout sur un brasier (pot mis au feu et bouillant). 13 Son haleine allume des charbons, et la flamme sort de sa gueule (bouche). 14 Sa force réside dans son cou, la famine marche devant lui. 15 Ses parties charnues tiennent ensemble ; la foudre tombera sur (Dieu lancera des foudres contre) lui sans qu’elles changent de place. [41.15 Et elles ne se porteront, etc. Les foudres que Dieu lancera sur lui ne manqueront pas de l’atteindre. Tout fort, tout robuste, tout terrible qu’il est, le crocodile ne saurait résister à la main toute-puissante de Dieu.]16 Son cœur est dur comme la pierre, et solide comme l’enclume du forgeron (de marteleur). 17 Lorsqu’il s’avance, les (des) anges craignent, et dans leur frayeur ils se purifient. [41.17 Des anges ; ou plutôt des forts, comme le porte le texte hébreu ; c’est-à-dire des grands, des hommes puissants. Ainsi, lorsque le crocodile paraîtra hors de l’eau, les hommes les plus puissants, les plus considérables du pays, seront saisis de frayeur et d’épouvante. ― Ils se purifieront de leurs péchés, en faisant pénitence.]18 Le glaive qui voudrait le frapper ne résisterait pas, non plus que le dard et la cuirasse ; [41.18-21 « La nature a pourvu à la sûreté des crocodiles en les revêtant d’une armure presque impénétrable ; tout leur corps est couvert d’écailles, excepté le sommet de la tête, où la peau est collée immédiatement sur l’os… Ces écailles carrées ont une très grande dureté et une flexibilité qui les empêche d’être cassantes ; le milieu de ces lames présente une sorte de crête dure qui ajoute à leur solidité. » (LACEPEDE.) Thévenot, compare le dos du crocodile, à cause de ces pointes, à une porte qui serait toute garnie de clous de fer et si dure qu’aucune lance ne pourrait la percer. « Les écailles du crocodile sont à l’épreuve de la balle, à moins que le coup ne soit tiré de très près ou le fusil très chargé. Les nègres s’en font des bonnets, ou plutôt des casques, qui résistent à la hache. » (LABAT.)][41.18 Lorsque le glaive, etc. ; c’est-à-dire, si on veut le percer du glaive, le glaive, la lance, la cuirasse, ne pourront rien contre lui.]19 car il méprise le fer comme de la paille, et l’airain comme du bois pourri. 20 L’archer ne le met pas en fuite ; les pierres de la fronde sont de la paille légère pour lui. 21 Il regarde la massue (le marteau) comme du chaume, et se rit du dard lancé (brandira la lance) contre lui. 22 Sous lui sont les rayons du soleil, et il s’étend sur l’or comme sur la boue. [41.22 Sous lui, etc. Il s’élèvera si fort au-dessus des eaux que les rayons du soleil seront au-dessous de lui. ― Il fera son lit ; c’est le seul sens que puisse comporter la Vulgate, et même le texte hébreu, qu’elle a rendu avec une rigoureuse fidélité. ― Sur l’or comme la boue. Le corps étant couvert d’écailles carrées ou de boucliers osseux, cet animal peut se coucher sur un dur métal comme un sur une terre molle.]23 Il fait bouillir le fond de la mer comme une chaudière (un pot), et il la rend semblable à un vase de parfums (des essences) en ébullition. [41.23 La profonde mer. Le crocodile se tient ordinairement dans les eaux douces ; mais il ne faut pas oublier que le Nil est appelé dans l’Ecriture mer, à cause de sa grandeur et de ses inondations réglées, et qui durent si longtemps, et que dans le style des Hébreux tous les grands amas d’eaux, les lacs, les étangs, portent le nom de mers. ― Plusieurs voyageurs affirment que le crocodile communique aux eaux qu’il habite une forte odeur de musc, et quelques commentateurs pensent que c’est pour ce motif que le fleuve dans lequel il nage est comparé ici à un vase de parfums en ébullition. « Le crocodile, dit Rüppel, à quatre glandes à musc. Elles communiquent à sa chair une odeur désagréable qui a empêché beaucoup d’Européens qui l’ont goûtée d’en manger. Les Berbères se servent de ce musc comme pommade pour les cheveux. »]24 (Un sentier répandra) La lumière brille derrière lui ; on croirait que l’abîme a la chevelure d’un vieillard. [41.24 Derrière lui, etc. La rapidité et le mouvement du crocodile dans l’eau sont tels, qu’il laisse des traces de son passage par un long sillon d’écume et par la blancheur de l’eau semblable aux cheveux blancs d’un vieillard. ― Paraîtra ; sera estimé, regardé ; littéralement et par hébraïsme, estimera, regardera. Voir, sur cet hébraïsme, Job, 40, 19.]25 Il n’y a pas de puissance sur la terre qui puisse lui être comparée, car il a été créé pour ne rien craindre (personne). 26 Il voit avec dédain tout ce qui est élevé (au-dessous de lui) ; c’est lui qui est le roi de tous les fils de l’orgueil. [41.26 Les fils de l’orgueil ; hébraïsme, pour les orgueilleux, les superbes.]