7 La première année de Belshatsar, roi de Babylone, Daniel eut un rêve, des visions de son esprit, pendant qu'il était sur son lit. Ensuite il écrivit le rêve. Début du récit : [Les chapitres 7 à 12 de Daniel relèvent du genre apocalyptique, et leur interprétation est difficile. Selon de nombreux commentateurs, ils visent en particulier des événements survenus au IIe s. av. J.-C., à l'époque de la grande persécution menée par Antiochos IV Epiphane (175-164) contre le judaïsme ; les notes qui suivent informent en priorité sur ces événements là où le texte semble y faire allusion. Mais bien d'autres interprétations ont été avancées. – Belshatsar 5.1n. – des visions de son esprit 4.2n. – Début du récit (litt. des paroles, pluriel du terme traduit par message au v. 28) : d'autres comprennent il les résuma ainsi.]
2 Daniel dit : Dans ma vision nocturne, je vis les quatre vents du ciel agiter la grande mer. [vision nocturne 2.19+. – quatre vents : cf. 8.8 ; 11.4 ; Jr 49.36 ; Ez 37.9 ; Za 2.10 ; 6.5 ; Ap 7.1. – la grande mer : cf. Es 17.12s ; 51.10 ; Jr 6.23 ; Ps 29.3 ; 77.17 ; 93.3s ; Jb 7.12+.]
Un lion polychrome (bleu turquoise, jaune, blanc et noir) sur un bas-relief en briques émaillées (hauteur ≈ 1 m) de l’époque de Nabuchodonosor II (650-562 av. J.-C.), à Babylone. Environ 120 lions comme celui-ci ornaient les deux côtés de la rue des processions, qui conduisaient de la porte d’Ishtar à la zone de la ville ou s’élevaient les principaux temples. |
9 Tandis que je regardais,
on installa des trônes,
et un vieillard s'assit.
Son vêtement était blanc comme la neige,
et les cheveux de sa tête purs comme de la laine ;
son trône était comme un feu flamboyant,
et ses roues comme un feu ardent. [des trônes Ap 20.4. – un vieillard : litt. un ancien de jours (formule traditionnellement rendue par l'Ancien des jours), figure du Dieu éternel. – s'assit Ap 20.11s. – neige / laine Ap 1.14 ; cf. Mt 17.2// ; 28.3. – feu flamboyant 10.6 ; Ex 19.18 ; Ps 50.3 ; 97.3 ; Ap 1.14+. – roues : cf. Ez 1.]
10 Un fleuve de feu coulait
et sortait de devant lui.
Mille milliers le servaient,
dix mille fois dix mille se tenaient debout devant lui.
Les juges s'assirent,
et des livres furent ouverts. [fleuve : cf. Ps 18.12s. – le servaient Hé 1.14. – dix mille fois dix mille ou une myriade de myriades, c.-à-d. 100 millions, évocation de l'armée du ciel ; Lc 2.13 ; Ap 5.11. – Les juges : litt. le jugement ou la cour, le tribunal. – s'assirent : sur les trônes du v. 9 ; cf. Mt 19.28 ; 25.31 ; Lc 22.30 ; Jn 5.22 ; 1Co 6.2s. – livres : contenant le souvenir des actions (cf. 10.21 ; Es 65.6s ; Jr 17.1 ; Ps 56.9 ; Ap 20.12) ou la liste des justes (12.1 ; Ex 32.32s ; Es 4.3 ; Ml 3.16 ; Ps 69.29 ; Lc 10.20 ; Ph 4.3 ; Ap 3.5+).]
11 Je regardais alors, à cause des paroles arrogantes que prononçait la corne ; et, tandis que je regardais, la bête fut tuée ; son corps périt et fut livré au feu pour y être brûlé. [paroles arrogantes v. 8n. – la bête fut tuée Ap 19.19-21. – au feu... : litt. à la brûlure du feu ; cf. Es 66.16 ; Lc 16.24 ; Ap 20.14.]
je vis alors arriver, avec les nuées du ciel,
quelqu'un qui ressemblait à un être humain ;
il s'avança vers le vieillard,
et on le fit approcher de lui. [Sur l'exploitation de ce texte dans le N.T., voir Mt 24.30// ; 26.64// ; Ap 1.7, ; 14.14-16. – avec : LXX sur. – les nuées : cf. Ex 34.5 ; Lv 16.2 ; Nb 11.25. – quelqu'un qui ressemblait à un être humain : litt. comme un Fils d'homme (cf. 10.16,18 ; Ez 1.26-28 ; Mt 8.20n), par opposition aux bêtes de la vision. – on le fit approcher : cf. Jr 30.21n ; Ps 65.5.]
14 On lui donna la domination, l'honneur et la royauté ;
tous les peuples, les nations et les langues se mirent à le servir.
Sa domination durera toujours,
elle ne passera pas,
et son royaume ne sera jamais détruit. [Ap 5.13. – domination... v. 18 ; cf. Mt 28.18 ; Ap 11.15. – les peuples, les nations et les langues 3.4n. – se mirent à le servir : on peut comprendre, ou bien se soumirent à lui, ou bien se mirent à lui rendre un culte ; cf. 2.46n. – domination... toujours 2.44+.]
La Grèce et les GrecsLa Grèce (en grec Hellas, d’où les mots « Hellène », « hellénistique ») est naturellement constituée de deux régions bien distinctes, reliées par une étroite bande de terre, l’isthme de Corinthe : au sud, la péninsule du Péloponnèse avec ses îles nombreuses, à l’ouest dans la mer Ionienne et surtout à l’est dans la mer Egée ; au nord, la Thessalie et les contreforts de la Macédoine balkanique. Mais très tôt la langue et la civilisation grecques se sont étendues bien au-delà : vers l’ouest, dans le sud de l’Italie, longtemps nommé Grande-Grèce, et en Sicile ; vers l’est, en Asie Mineure (Turquie), où tout le littoral est également grec ; et sur bien d’autres rivages de la Méditerranée. Au IVe siècle av. J.-C. la Grèce deviendra, pour peu de temps, le centre d’un empire immense, depuis l’Inde jusqu’aux confins occidentaux de la Méditerranée. C’est cependant par son rayonnement culturel que la Grèce est sans égale. Le monde grec, en effet, a donné l’essentiel de sa forme à ce qui est resté, au moins pour l’Occident, l’Antiquité classique. Là sont nés ou se sont développés à un niveau de référence universelle des savoirs et des arts fort divers : philosophie (Héraclite, Parménide, Socrate, Platon, Aristote, mais aussi Zénon de Cition, dont la doctrine, connue sous le nom de stoïcisme et vulgarisée dans l’Empire romain par Cicéron, Sénèque ou Epictète, est très présente au temps du Nouveau Testament ; voir Jn 1.1n ; Ac 17.18n) ; théorie politique (en particulier le concept et la pratique de la démocratie, bien que ce terme recouvre dans la Grèce antique une réalité sensiblement différente de ce qu’il désigne aujourd’hui) ; littérature (de l’épopée mythologique d’Homère ou d’Hésiode à la tragédie d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, où le sujet individuel accède à la parole face aux dieux et au destin) ; historiographie analytique et critique (Hérodote, Thucydide) ; mais aussi médecine, mathématiques, physique, sculpture et architecture. Les « tribus grecques » d’origines diverses attestées dans la région depuis le troisième millénaire av. J.-C. ne sont pourtant pas parvenues facilement à l’unité politique. Elles ont longtemps formé un réseau de cités-Etats (en grec polis, d’où le mot « politique »), sans cesse bouleversé et remodelé par des conflits récurrents (l’une des rivalités les plus célèbres est celle d’Athènes et de Sparte). L’unification grecque ne se réalisera qu’avec l’empire, à la suite des guerres soutenues depuis le nord par Philippe II de Macédoine. A la mort de ce dernier, en 335 av. J.-C., son fils Alexandre le Grand lui succède. Stratège hors pair, il conquiert rapidement la Perse et l’Egypte et parvient jusqu’à l’Inde. Il « hellénise » les peuples conquis, tout en respectant leurs coutumes et leurs croyances. Cette politique étendra considérablement la zone d’usage de la langue grecque, tout en faisant évoluer celle-ci vers une langue « commune » (en grec koïnè) qui restera pendant des siècles le principal moyen de communication de la culture universelle. Ainsi l’action d’Alexandre aura eu des résultats considérables et durables, que reflétera notamment pendant des siècles la ville d’Alexandrie, en Egypte, fondée en son honneur en 331. Pourtant Alexandre est mort dès 323, à l’âge de 33 ans. Il apparaît vite qu’aucun des successeurs d’Alexandre n’est digne de son héritage. A sa mort, son vaste empire se divise en plusieurs royaumes dits hellénistiques. Les deux plus importants pour l’histoire d’Israël sont celui d’Egypte, au sud, sous la dynastie des Lagides (ou des Ptolémée), et celui de Syrie, au nord, sous la dynastie des Séleucides (cf. Dn 11). A la mort d’Alexandre, ce sont les Lagides d’Egypte qui gouvernent la Palestine. Ceux-ci se montrent généralement respectueux des coutumes et de la religion d’Israël. A Alexandrie même est installée une très importante colonie juive, qui entreprend la traduction en grec de sa littérature sacrée : c’est la version dite des Septante (LXX). A Jérusalem, la vie religieuse prospère autour du temple, qui est plus que jamais le centre symbolique du judaïsme universel, le lieu où s’entretiennent, spirituellement et matériellement, la foi et la pratique des Juifs du monde entier. Mais la dynastie lagide s’affaiblit. Dès 197 av. J.-C., les Séleucides tentent de conquérir le pays d’Israël et finissent par y parvenir. Or la politique des Séleucides est très différente de celle des Lagides. Antiochos IV Epiphane (175-164 av. J.-C.), notamment, s’efforce d’imposer en Israël les coutumes hellénistiques, déclenchant la révolte des Maccabées qui aboutira, au terme d’une longue guérilla, à la formation d’un royaume judéen largement autonome. En 162 Antiochos V signe un traité accordant, entre autres, la liberté religieuse aux Juifs. Son successeur, Démétrios Sôter (« le Sauveur »), avec le concours de quelques Juifs, ravive le conflit en remettant en question les droits acquis. En 142 les Israélites parviennent à se dégager du joug séleucide ; la dynastie des Hasmonéens, directement héritière du royaume des Maccabées, présidera aux destinées du pays pendant près d’un siècle. La domination des royaumes hellénistiques est d’assez courte durée. Entre 192 et 189 l’armée romaine (voir « Rome et les Romains ») met en déroute l’empire séleucide et pénètre en Asie Mineure. En 168 av. J.-C. la Macédoine, qui s’était alliée à Carthage contre Rome, tombe aux mains de Rome. En 146 les Romains détruisent Corinthe, et la plus grande partie de la Grèce est soumise à l’autorité romaine. Il ne faudra que quelques années pour que tombent Pergame (133) et la Syrie (64). En 47 Antoine fait de Cléopâtre VII sa corégente en Egypte ; en 30 av. J.-C. l’Egypte se retrouve dans la dépendance absolue de Rome. La période hellénistique, inaugurée par les conquêtes d’Alexandre, se caractérise par la vigueur et la diversité de la pensée et du sentiment religieux. Malgré les démêlés d’Antiochos IV avec les Juifs, le monde grec tend, en général, à respecter les religions de tous les peuples. Les Occidentaux portent un vif intérêt aux religions orientales et notamment aux cultes à mystères. Le judaïsme lui-même exercera un vif attrait sur les peuples hellénisés, tout en s’acclimatant parfois à l’esprit grec (voir Philon d’Alexandrie). La mentalité hellénistique constituera l’essentiel du fonds culturel et religieux de l’Empire romain où se développeront, parmi beaucoup d’autres, le christianisme tel que nous le connaissons, mais aussi le gnosticisme (voir « La question gnostique »). |
15 Moi, Daniel, je fus troublé au plus profond de moi ; les visions de mon esprit m'épouvantaient. [je fus troublé... : litt. mon esprit (ou mon souffle) fut troublé dans son fourreau ; certains modifient légèrement le texte araméen traditionnel pour lire fut troublé à cause de cela ; cf. 2.1-3. – les visions de mon esprit 2.28n ; 4.2n.]
19 Ensuite je désirai avoir une certitude sur la quatrième bête, qui était différente de toutes les autres, particulièrement terrible, avec des dents de fer et des griffes de bronze, qui mangeait, pulvérisait et foulait aux pieds ce qui restait ; [griffes (ou ongles) de bronze : précision absente du v. 7.]
23 Il me dit : La quatrième bête,
c'est un quatrième royaume
qui sera sur la terre,
différent de tous les royaumes,
et qui dévorera toute la terre,
la foulera et la pulvérisera. [2.40-43.]
24 Les dix cornes,
ce sont dix rois
qui s'élèveront de ce royaume.
Un autre s'élèvera après eux,
différent des premiers,
et il abaissera trois rois. [dix cornes / dix rois v. 7 ; Ap 17.12. – il abaissera (cf. 5.19) trois rois : Antiochos IV Epiphane, délivré par Rome en échange de son neveu Démétrios, accède au trône grâce à l'assassinat de son frère Séleucos IV et attaque traîtreusement son rival Ptolémée VI Philométor ; cf. 11.21,25.]
25 Il prononcera des paroles contre le Très-Haut,
il opprimera les saints du Très-Haut,
il espérera changer les temps et la loi,
et les saints lui seront livrés
pendant un temps, des temps
et la moitié d'un temps. [Très-Haut 3.26+. – les temps : le mot correspondant est traduit par circonstances (ou saisons) en 2.21n. Il désigne ici le calendrier liturgique prescrit par la loi de Moïse ; cf. 1 Maccabées 1.44-49 : « Le roi (Antiochos IV Epiphane) envoya aussi à Jérusalem et aux villes de Juda des lettres... prescrivant de suivre des coutumes étrangères au pays, de bannir du sanctuaire holocaustes, sacrifices et libations, de profaner sabbats et fêtes, de souiller le sanctuaire et les choses saintes, d'élever autels, sanctuaires et temples d'idoles, de sacrifier des porcs et des animaux impurs, de laisser leurs fils incirconcis et de se rendre abominables par toutes sortes d'impuretés et de profanations, oubliant ainsi la Loi et altérant toutes les pratiques. » – un temps (même mot que v. 12n ; 2.21n ; 4.13n), des temps et la moitié d'un temps : de toute évidence, trois ans et demi ; cf. les diverses expressions de la même durée en 9.27 ; 12.7 (voir aussi 8.14 ; 12.11s) ; Ap 11.2 ; 12.14 ; 13.5 (voir aussi Lc 4.25 ; Jc 5.17). L'oppression des Juifs par Antiochos dura un peu plus de 3 ans, de 167 à 164 av. J.-C.]
26 Puis viendra le jugement, et on lui ôtera sa domination,
qui sera anéantie et définitivement perdue. [définitivement : litt. jusqu'à la fin.]
27 La royauté, la domination
et la grandeur de tous les royaumes qui sont sous le ciel
seront données au peuple des saints du Très-Haut.
Son règne durera toujours,
et tous les dominateurs le serviront et l'écouteront. [V. 14,18+. – de tous les royaumes... : litt. des royaumes sous tous les cieux. – tous les dominateurs : litt. toutes les dominations. – l'écouteront : autre traduction lui obéiront.]
28 C'est ici la fin du message. Moi, Daniel, je fus extrêmement épouvanté par mes pensées, je pâlis et je conservai ces paroles dans mon cœur. [je pâlis : litt. mes couleurs changèrent sur moi ; cf. 5.6n. – je conservai... dans mons cœur Lc 2.19,51.]