chapitre précédent retour chapitre suivant

Bible de Jérusalem – Job 9

La justice divine domine le droit.

9 Job prit la parole et dit :

2 En vérité, je sais bien qu’il en est ainsi :
l’homme pourrait-il se justifier devant Dieu ?
3 À celui qui se plaît à discuter avec lui,
il ne répond même pas une fois sur mille.
4 Parmi les plus sages et les plus robustes
qui donc lui tiendrait tête impunément ?
5 Il déplace les montagnes à leur insu
et les renverse dans sa colère.
6 Il ébranle la terre de son site
et fait vaciller ses colonnes.s

s La terre repose sur des « colonnes », que Dieu « ébranle » lors des tremblements de terre, Job 38.6 ; Ps 75.4 ; 104.5 ; 1 S 2.8. Les vv. 5-7 rappellent les images eschatologiques courantes, cf. Am 8.9.

7 À sa défense, le soleil ne se lève pas,
il met un sceau sur les étoiles.t

t Pour les empêcher de paraître et de briller. Ba 3.34 mentionne l’ordre contraire.

8 Lui seul a déployé les Cieux
et foulé le dos de la Mer.u

u Des phénomènes physiques actuels, l’auteur remonte aux origines de la création. Dieu alors « foula le dos de la mer », c’est-à-dire lui imposa son empire, la maîtrisa aux origines même expression dans Dt 33.29. Sur la personnification de la mer, cf. Job 7.12.

9 Il a fait l’Ourse et Orion,
les Pléiades et les Chambres du Sud.v

v Grec « celui qui a fait les Pléiades et Vénus et Arcturus et les Chambres du Sud »; Vulg. « Arcturus et Orion et les Hyades et les Chambres du Sud ». — L’identification de ces constellations n’est que probable.

10 Il est l’auteur d’œuvres grandioses et insondables,
de merveilles qu’on ne peut compter.
11 S’il passe sur moi, je ne le vois pas
et il glisse imperceptible.
12 S’il ravit une proie, qui l’en empêchera
et qui osera lui dire : « Que fais-tu ? »
13 Dieu ne renonce pas à sa colère :
sous lui restent prostrés les satellites de Rahab.w

w Rahab, monstre du Chaos, alternant avec Léviathan ou Tânnin, est la personnification mythique des eaux primitives, la Mer (Tiamat). Pour affirmer la maîtrise créatrice de Yahvé, l’imagination populaire et poétique le célébrait comme le vainqueur ou le pourfendeur de Rahab, cf. Job 7.12 et 26.12 ; Ps 89.11 ; Isa 51.9. En contexte historique, Rahab personnifie la mer Rouge, puis l’Égypte, cf. Isa 30.7 ; Ps 87.4.

14 Et moi, je voudrais me défendre,x
je choisirais mes arguments contre lui ?y

x Littéralement « lui répondre », mais ce verbe a souvent un sens judiciaire prendre la parole comme témoin ou pour plaider sa propre cause.

y En face de ce Dieu tout-puissant, à la fois juge et partie, Job ne peut recourir aux formes ordinaires de la procédure humaine. (En d’autres passages du Dialogue se retrouve ce désir d’une justification selon les formes légales.) Job en vient à douter de son innocence, vv. 20-21. Plutôt que la sagesse infinie des jugements de Dieu (que défendra Çophar, 11), il en considère l’arbitraire apparent, cf. v. 24.

15 Même si je suis dans mon droit, je reste sans réponse ;
c’est mon juge qu’il faudrait supplier.
16 Et si, sur mon appel, il daignait me répondre,
je ne puis croire qu’il écouterait ma voix,
17 lui, qui m’écrase pour un cheveu,z
qui multiplie sans raison mes blessures

z « pour un cheveu » syr., Targ. ; « dans un tourbillon » hébr.

18 et ne me laisse même pas reprendre mon souffle,
tant il me rassasie d’amertume !
19 Recourir à la force ? Il l’emporte en vigueur !
Au tribunal ? Mais qui donc l’assignera ?a

a « l’emporte en vigueur », litt. « le vigoureux c’est lui », Targ ; « le vigoureux, voici » hébr. — « l’assignera » grec, syr. ; « m’assignera » hébr.

20 Si je me justifie, sa boucheb peut me condamner ;
si je m’estime parfait, me déclarer pervers.

b « sa bouche » conj. ; « ma bouche » hébr.

21 Mais suis-je parfait ? Je ne le sais plus moi-même,
et je rejette ma vie !
22 Car c’est tout un, et j’ose dire :
il fait périr de même l’homme intègre et le méchant.
23 Quand un fléau mortel s’abat soudain,
il se rit de la détresse des innocents.
24 Dans un pays livré au pouvoir d’un méchant,
il met un voile sur la face des juges.
Si ce n’est pas lui, qui donc alors ?c

c Parce qu’il croit sans restriction à la Providence universelle, Job ne craint pas de rejeter directement sur Dieu la responsabilité de ces faits « scandaleux ».

25 Mes jours passent, plus rapides qu’un coureur,
ils s’enfuient sans voir le bonheur.
26 Ils glissent comme des nacelles de jonc,
comme un aigle fond sur sa proie.
27 Si je décide d’oublier ma plainte,
de changer de mine pour faire gai visage,
28 je redoute tous mes tourments,
car, je le sais, tu ne me tiens pas pour innocent !d

d Éliphaz et Bildad recommandaient à Job la docilité, Job 5.17 ; 8.5-6. Mais Job sait que cette attitude forcée ne peut changer ni son état réel ni les dispositions de Dieu pour lui.

29 Et si j’ai commis le mal,
à quoi bon me fatiguer en vain ?
30 Que je me lave avec de la saponaire,
que je purifie mes mains à la soude ?e

e Dieu seul peut effacer le péché ; le pécheur y est impuissant, mais trouve une issue dans un appel à la miséricorde divine, ainsi Ps 51. Job, qui n’a pas conscience d’un péché, partage ce sentiment d’impuissance sans pouvoir partager cet élan.

31 Tu me plonges alors dans l’ordure,f
et mes vêtements mêmes me prennent en horreur !

f « dans l’ordure » grec, Vulg. ; « dans la fosse » hébr.

32 Car lui n’est pas, comme moi, un homme : impossible de lui
répondre,
de comparaître ensemble en justice.
33 Pas d’arbitre entre nous
pour poser la main sur nous deux,
34 pour écarter de moi ses rigueurs,
chasser l’épouvante de sa terreur !
35 Je parlerai pourtant, sans le craindre,
car je ne suis pas tel à mes yeux !g

g Job ne veut pas reconnaître une culpabilité dont il n’est pas convaincu.

chapitre précédent retour chapitre suivant