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Amiot-Tamisier – 1 Rois 1

LE TROISIÈME LIVRE DES ROIS
(I ROIS)

C'est, avec le IVe Livre des Rois, un ouvrage unique, nettement distinct du Livre de Samuel, dont il semble bien cependant avoir détaché ses deux premiers chapitres (qui continuent et couronnent II Rois IX – XX : histoire de David) ; cet ouvrage unique mérite très justement le nom de Livre des Rois qui lui a donné l'hébreu : il raconte, en effet, les événements qui se sont déroulés depuis l'inauguration du règne de Salomon jusqu'à la Captivité ; plus précisément, il donne d'une façon synoptique l'histoire des rois qui se sont succédé, tant en Juda qu'en Israël, durant ces quatre siècles. ♦ Le IIIe Livre des Rois raconte : 1° I – XI : Le règne de Salomon (env. 971-932), le roi glorieux entre tous, dont la postérité devait garder un souvenir mélancolique ; en ce souverain, qui donna à l'œuvre de David tout son essor, l'auteur montre le sage, le constructeur, le commerçant ; mais il ne peut dissimuler les ombres de ce brillant tableau : la conduite personnelle du roi est peu conforme aux exigences de la Loi ; corvées et prestations pèsent lourdement sur les tribus, à l'exception de Juda ; le mécontentement général, habilement entretenu par la diplomatie égyptienne, grandit. ♦ 2° La sécession ou schisme politique (XII) est, en 932, la conséquence directe du règne de Salomon et de l'intransigeance maladroite de Roboam, son fils et successeur : les tribus du Nord se donnent un roi en la personne de Jéroboam Ier ; désormais les deux royaumes auront chacun leur histoire propre, n'entretenant que rarement des relations pacifiques. Mais, fait plus grave, cette sécession s'accompagne d'un schisme religieux : les rois du Nord ne pouvant admettre l'hégémonie religieuse de Jérusalem, organisent un culte et des sanctuaires officiels, surtout Dan et Béthel — leurs « veaux d'or », symbolisant le vrai Dieu, ouvrent néanmoins la voie à toutes les compromissions avec l'idolâtrie. ♦ 3° XIII – XXII : Après de courtes biographies, le récit s'étend plus longuement sur l'histoire d'Achab (874-853) et de sa femme, Jézabel : cette dernière, en effet, prétend imposer, au besoin par la force, le culte des dieux tyriens et de Baal ; le prophète Élie combat avec énergie cette introduction officielle du paganisme dans le royaume du Nord ; son disciple Élisée allait continuer la lutte : mais là se termine, arbitrairement, le IIIe Livre des Rois. ♦ La lecture de l'ouvrage manifeste, dès l'abord, que l'auteur a voulu mettre en parallèle les événements concernant les deux royaumes, selon un schéma déterminé, caractérisé par des formules stéréotypées : celles-ci donnent des indications sur le début et la fin de chaque règne, mais surtout juge chaque roi suivant sa fidélité au monothéisme et au culte légitime, secondairement suivant son respect de l'unité de sanctuaire. Dès lors, on comprend que tous les rois du Nord soient blâmés ; parmi ceux du Sud, cinq seulement sont loués, et seuls parmi eux Ézéchias et Josias, promoteurs de réformes religieuses, sont loués sans réserve. On comprend aussi par là que six notices royales seulement aient été développées : Salomon, le constructeur du Temple ; Jéroboam Ier, fauteur du schisme, et Achab, introducteur de l'idolâtrie officielle, dans III Rois ; et dans IV Rois : les deux réformateurs Ézéchias et Josias, ainsi que Joram qui favorise au contraire l'influence étrangère. ♦ C'est donc une thèse religieuse que l'auteur a entendu illustrer par des faits historiques, empruntés à de nombreux documents, dont plusieurs sont expressément cités (documents officiels ou privés, tous de grande valeur historique) : le bonheur d'Israël a pour condition sa fidélité à l'Alliance et à la monarchie davidique, intermédiaire providentiel entre Dieu et son peuple ; c'est en partie l'écho du Deutéronome, mais on y trouve aussi l'influence de Jérémie, pour qui la pureté monothéiste était beaucoup plus importante que l'unité de sanctuaire. ♦ Cette thèse enfin prend tout son sens dans les conjectures historiques où parut l'ouvrage : les Israélites sont captifs en Babylonie, déconcertés par les événements ; c'est pour provoquer leurs réflexions et animer leur repentir que l'auteur inconnu du VIe siècle leur montre le sens profond du passé, dans une sorte d'examen de conscience national : par là se prépare l'avènement de temps meilleurs et le salut.

ABISAG EST CHOISIE POUR RÉCHAUFFER DAVID ♦ ADONIAS FORME UN PARTI POUR ÊTRE ROI ♦ SALOMON EST ÉTABLI SUCCESSEUR DE DAVID

1 Le roi David était vieux, et dans un âge fort avancé ; et quoiqu'on le couvrît beaucoup, il ne pouvait se réchauffer. 2 Ses serviteurs lui dirent donc : Nous chercherons, si vous l'agréez, une jeune fille vierge pour le roi, notre seigneur, afin qu'elle se tienne devant le roi pour le servir, qu'elle le soigne, et que dormant auprès de lui, elle remédie à ce grand froid du roi, notre Seigneur. 3 Ils cherchèrent donc dans toutes les terres d'Israël, une fille qui fût jeune et belle ; et ayant trouvé Abisag, de Sunam, ils l'amenèrent au roi. 4 C'était une fille d'une grande beauté ; elle soignait le roi et elle le servait, mais le roi la laissa toujours vierge. 5 Cependant Adonias, fils d'Haggith, s'élevait, en disant : Ce sera moi qui régnerai. Et il se fit faire des chars, prit des cavaliers et cinquante hommes pour courir devant lui. 6 Jamais son père ne l'en reprit, en lui disant : Pourquoi agissez-vous ainsi ? Il était aussi parfaitement beau, et le second après Absalom. 7 Il s'était lié avec Joab, fils de Sarvia, et avec Abiathar, grand prêtre, qui soutenaient son parti. 8 Mais Sadoc, grand prêtre, Banaïas, fils de Joïada, le prophète Nathan, Séméi et Réi, et les plus vaillants de l'armée de David, n'étaient point pour Adonias. 9 Adonias, ayant donc immolé des béliers, des veaux et toutes sortes de victimes grasses, auprès de la pierre de Zohéleth, qui était près de la fontaine de Rogel, convia à un festin qu'il fit tous ses frères, les fils du roi, et tous ceux de Juda qui étaient au service du roi. 10 Mais il n'y convia point le prophète Nathan, ni Banaïas, ni tous les plus vaillants de l'armée, ni Salomon, son frère.

11 Alors Nathan dit à Bethsabée, mère de Salomon : Savez-vous qu'Adonias, fils d'Haggith, s'est fait roi, sans que David, notre seigneur, le sache ? 12 Venez donc, et suivez le conseil que je vous donne ; sauvez votre vie et celle de votre fils Salomon. 13 Allez vous présenter au roi David, et dites-lui : Ô roi, mon seigneur, ne m'avez-vous pas juré, à moi qui suis votre servante, en me disant : Salomon, votre fils, régnera après moi, et c'est lui qui sera assis sur mon trône ? Pourquoi donc Adonias règne-t-il ? 14 Pendant que vous parlerez encore au roi, je surviendrai après vous, et j'appuierai tout ce que vous aurez dit. 15 Bethsabée alla donc trouver le roi dans sa chambre. Le roi était fort vieux, et Abisag, de Sunam, le servait. 16 Bethsabée se baissa profondément, et se prosterna devant le roi. Le roi lui dit : Que désirez-vous ? 17 Elle lui répondit : Mon seigneur, vous avez juré à votre servante, par le Seigneur votre Dieu, et vous m'avez dit : Salomon, votre fils, régnera après moi, et c'est lui qui sera assis sur mon trône. 18 Cependant, voilà Adonias qui s'est fait roi, sans que vous le sachiez, ô roi, mon seigneur ! 19 Il a immolé des bœufs, des veaux gras et un grand nombre de brebis ; il a convié tous les enfants du roi, le grand prêtre même, Abiathar, et Joab, général de l'armée ; mais il n'a point convié Salomon, votre serviteur. 20 Or, tout Israël a maintenant les yeux sur vous, ô roi, mon seigneur, afin que vous leur déclariez, vous qui êtes mon seigneur et mon roi, qui est celui qui doit être assis après vous sur votre trône. 21 Car, après que le roi, mon seigneur, se sera endormi avec ses pères, nous serons traités comme criminels, moi et mon fils Salomon. 22 Elle parlait encore au roi, lorsque le prophète Nathan arriva. 23 Et l'on dit au roi : Voilà le prophète Nathan. Nathan, s'étant présenté devant le roi, se prosterna devant lui en se baissant profondément jusqu'à terre. 24 Et il lui dit : Ô roi, mon seigneur, avez-vous dit : Qu'Adonias règne après moi, et que ce soit lui qui soit assis sur mon trône ? 25 Car il est descendu aujourd'hui, il a immolé des bœufs, des veaux gras et plusieurs brebis, et il a convié tous les fils du roi, les généraux de l'armée et le grand prêtre Abiathar, qui ont mangé et bu devant lui, en disant : Vive le roi Adonias ! 26 Mais pour moi qui suis votre serviteur, il ne m'a point convié, ni le grand prêtre Sadoc, ni Banaïas, fils de Joïada, non plus que Salomon, votre serviteur. 27 Cet ordre est-il venu de la part du roi, mon seigneur, sans que vous ayez déclaré à vos serviteurs qui était celui qui devait être assis après le roi, mon seigneur, sur son trône ?

28 Le roi David dit : Qu'on me fasse venir Bethsabée. Bethsabée s'étant présentée devant le roi et se tenant devant lui, 29 le roi lui jura, et lui dit : Vive le Seigneur ! qui a délivré mon âme de toutes sortes de périls, 30 ainsi que je vous ai juré par le Seigneur, le Dieu d'Israël, en vous disant : Salomon, votre fils, régnera après moi, et c'est lui qui sera assis à ma place, sur mon trône ; aussi je le ferai et je l'exécuterai dès aujourd'hui. 31 Bethsabée, baissant le visage jusqu'à terre, se prosterna devant le roi, et lui dit : Que David, mon seigneur, vive à jamais ! 32 Le roi David dit encore : Faites-moi venir le grand prêtre Sadoc, le prophète Nathan et Banaïas, fils de Joïada. Lorsqu'ils se furent présentés devant le roi, 33 il leur dit : Prenez avec vous les serviteurs de votre maître ; faites monter sur ma mule mon fils Salomon, et menez-le à la fontaine de Gihon ; 34 et que Sadoc, grand prêtre, et Nathan, prophète, le sacrent en ce lieu, pour être roi d'Israël. Et vous sonnerez aussi de la trompette, et vous crierez : Vive le roi Salomon ! 35 Vous remonterez en le suivant, et il viendra s'asseoir sur mon trône ; il régnera à ma place, et je lui ordonnerai de gouverner Israël et Juda. 36 Banaïas, fils de Joïada, répondit au roi : Qu'il soit ainsi ! Que le Seigneur, le Dieu du roi, mon seigneur, l'ordonne ainsi ! 37 Comme le Seigneur a été avec le roi, mon seigneur, qu'il soit de même avec Salomon, et qu'il élève son trône encore plus que ne l'a été le trône de David, mon roi et seigneur.

38 Alors le grand prêtre Sadoc descendit avec le prophète Nathan, Banaïas, fils de Joïada, les Céréthiens et les Phéléthiens, et ils firent monter Salomon sur la mule du roi David, et le menèrent à Gihon. 39 Et Sadoc, grand prêtre, prit du tabernacle une corne pleine d'huile, et sacra Salomon. Ils sonnèrent de la trompette et tout le monde s'écria : Vive le roi Salomon ! 40 Tout le peuple vint après lui. Plusieurs jouaient de la flûte et donnaient toutes les marques d'une grande joie, et la terre se fendait à leurs acclamations. 41 Adonias et tous ceux qu'il avait conviés entendirent ce bruit, lorsque le festin était déjà achevé ; et Joab, ayant ouï sonner de la trompette, dit : Que veulent dire ces cris et ce tumulte de la ville ? 42 Lorsqu'il parlait encore, Jonathas, fils d'Abiathar, grand prêtre, se présenta, et Adonias lui dit : Entrez, car vous êtes un brave homme, et vous nous apportez de bonnes nouvelles. 43 Jonathas répondit à Adonias : Oui, vraiment ! le roi David, notre seigneur, a établi roi Salomon. 44 Il a envoyé avec lui le grand prêtre Sadoc, le prophète Nathan, Banaïas, fils de Joïada, les Céréthiens et les Phéléthiens, et ils l'ont fait monter sur la mule du roi. 45 Et Sadoc, grand prêtre, et le prophète Nathan l'ont sacré roi à Gihon, d'où ils sont revenus avec des cris de réjouissance qui ont retenti par toute la ville : c'est là le bruit que vous avez entendu. 46 Salomon même est déjà assis sur le trône du royaume. 47 Et les serviteurs du roi sont allés témoigner leur joie au roi David, notre Seigneur, en lui disant : Que Dieu rende le nom de Salomon encore plus illustre que le vôtre, et qu'il élève son trône au-dessus de votre trône ! Et le roi, adorant Dieu sur son lit, 48 a dit : Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, qui m'a fait voir aujourd'hui, de mes propres yeux, mon fils assis sur mon trône !

49 Ceux donc qu'Adonias avait invités à son festin se levèrent tous, saisis de frayeur, et chacun s'en alla de son côté. 50 Adonias, craignant Salomon, se leva de même, sortit au plus tôt et s'en alla embrasser la corne de l'autel. [50-53. Saisir l’une des quatre cornes de l'autel revient à invoquer le droit d'asile, limité d'ailleurs à ceux qui n’ont pas commis de meurtre volontaire (Exode XXI, 14) : dans sa prudence, Salomon ne veut pas s'engager par serment ; il se contente d'inviter son frère à rentrer chez lui.] 51 Alors on vint dire à Salomon : Voilà Adonias qui, craignant le roi Salomon, se tient attaché à la corne de l'autel, et qui dit : Que le roi Salomon me jure aujourd'hui qu'il ne fera point mourir son serviteur par l'épée ! 52 Salomon répondit : S'il se conduit en homme de bien, il ne tombera pas un seul cheveu de sa tête ; mais s'il se conduit mal, il mourra. 53 Le roi Salomon envoya donc vers Adonias, et le fit tirer de l'autel. Et Adonias, s'étant présenté devant le roi Salomon, se prosterna devant lui ; et Salomon lui dit : Allez-vous-en en votre maison.

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