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Amiot-Tamisier – Ruth 1

LE LIVRE DE RUTH

Qui ne connaît cette gracieuse idylle, aux détails pittoresques, au style plein de fraicheur et de délicatesse ? Ruth, la veuve moabite, abandonne son pays pour suivre à Bethléhem sa belle-mère, veuve également. Au temps de la moisson, elle rencontre un parent de Noémi, Booz, qui l'épouse ; de leur union naît Obed, grand-père de David. ♦ Le mariage de Ruth met en jeu le vieux droit coutumier visant à maintenir dans le clan les biens d'un défunt, à assurer une postérité à celui de ses membres qui meurt sans enfant : ces devoirs incombent au plus proche parent (ici Booz, à défaut de l'anonyme de III, 12) : cette coutume du lévirat, attestées en Israël (Genèse XXXVIII, 1-11), fut réglementée et restreinte (Deutéronome XXV, 5-10) ; il semble que le Livre de Ruth se réfère à un stade plus ancien. ♦ Les personnages sont manifestement historiques (mœurs, climatologie, topographie ; voir aussi I Rois XXII, 3-4) mais la place de l'ouvrage, à la suite du Livre des Juges, est sujette à caution : la Bible hébraïque le situe dans sa dernière partie, parmi les lectures liturgiques de la Synagogue (Meghillôth), le réservant pour la fête de la Pentecôte, à l'époque de la moisson. ♦ D'ailleurs, l'époque des Juges apparaît lointaine (I, 1) ; on éprouve le besoin d'expliquer une coutume d'autrefois (IV, 7) ; l'hébreu semble tardif, contenant quelques aramaïsmes. Il paraît donc que l'ouvrage, utilisant une vieille tradition, sinon même un document royal, ait été rédigé après le retour de l'Exil (536). ♦ Son but et sa doctrine font d'ailleurs penser à une date voisine de 450 avant Jésus-Christ : s'il contient une belle leçon de piété filiale et de vertus domestiques, c'est une femme de Moab, peuple abhorré, qui en est l'héroïne ; envers elle s'exerce cette bonté de Yahweh, qu'avant l'exil on croyait limitée au seul Israël ; la rétribution accordée ici-bas rappelle les chapitres I et XLII de Job : richesses, longue vie, belle postérité ; les unions avec des étrangères, non interdites (Deutéronome VII, 3-4), ne sont proscrites qu'après 450 (Malachie, Néhémias, Esdras) ; or, par son mariage, Ruth la Moabite entre parmi les ancêtres de David, donc du Messie attendu. Ainsi l'on constate que ce petit livre, universaliste à la manière de Job et de Jonas, annonce les vastes horizons du salut messianique : tous les peuples y sont appelés.

ÉLIMÉLECH SE RETIRE DANS LE PAYS DE MOAB À CAUSE DE LA FAMINE QUI SÉVIT EN JUDA ♦ IL Y MEURT ♦ SES FILS S'Y MARIENT ET Y MEURENT ÉGALEMENT ♦ NOÉMI ET RUTH RETOURNENT À BETH-LÉHEM AU MOMENT DE LA MOISSON

1 Dans le temps qu'Israël était gouverné par des juges, il arriva sous le gouvernement de l'un d'eux une famine dans le pays, pendant laquelle un homme de Beth-léhem, ville de Juda, s'en alla avec sa femme et ses deux fils au pays des Moabites, pour y passer quelque temps. 2 Cet homme s'appelait Élimélech, et sa femme Noémi. L'un de ses fils s'appelait Mahalon et l'autre Chélion ; ils étaient d'Éphrata, de Beth-léhem, qui est en Juda. Étant donc venus au pays des Moabites, ils y demeurèrent. 3 Élimélech, mari de Noémi, mourut ensuite, et elle demeura avec ses deux fils. 4 Ils prirent pour femmes des filles de Moab, dont l'une s'appelait Orpha, et l'autre Ruth. Après avoir passé dix ans en ce pays-là, 5 ils moururent tous deux, savoir Mahalon et Chélion ; et Noémi demeura seule, ayant perdu son mari et ses deux enfants. 6 Elle résolut donc de retourner en son pays avec ses deux belles-filles, qui étaient de Moab, parce qu'elle avait appris que le Seigneur avait regardé son peuple, et qu'il leur avait donné de quoi se nourrir.

7 Donc, après être sortie avec ses deux belles-filles de cette terre étrangère, et étant déjà en chemin pour retourner au pays de Juda, 8 elle leur dit : Allez en la maison de votre mère ; que le Seigneur use de sa bonté envers vous, comme vous en avez usé envers ceux qui sont morts et envers moi. 9 Qu'il vous fasse trouver votre repos dans la maison des maris que vous prendrez. Elle les baisa ensuite ; et ses deux belles-filles se mirent à pleurer ; et élevant la voix, 10 elles lui dirent : Nous irons avec vous vers ceux de votre peuple. 11 Noémi leur répondit : Retournez, mes filles ; pourquoi venez-vous avez moi ? Ai-je encore des enfants dans mon sein pour vous donner lieu d'attendre de moi des maris ? [11-13. Le grand souci de Noémi est d'assurer une postérité à ses belles-filles ; ses paroles emphatiques ne signifient rien d'autre que sa totale incapacité de leur trouver des maris : qu’elles demeurent en leur pays, il leur sera plus facile de s'y remarier.] 12 Retournez, mes filles, et allez-vous-en, car je suis déjà usée de vieillesse, et hors d'état de rentrer dans les liens du mariage. Quand je pourrais même concevoir cette nuit et mettre au monde des fils, 13 attendriez-vous pour cela jusqu'à ce qu'ils fussent grands ? Vous abstiendriez-vous pour cela de vous remarier ? Non, mes filles, ne faites point cela, je vous prie ; car votre affliction ne fait qu'accroître la mienne, et la main du Seigneur s'est appesantie sur moi. 14 Elles élevèrent donc encore la voix et recommencèrent à pleurer. Orpha baisa sa belle-mère, et s'en retourna ; mais Ruth s'attacha à Noémi sans vouloir la quitter.

15 Noémi lui dit : Voilà votre sœur qui est retournée à son peuple et à ses dieux, allez-vous-en avec elle. 16 Ruth lui répondit : Ne vous opposez point à moi, en me portant à vous quitter et à m'en aller ; car en quelque lieu que vous alliez, j'irai avec vous, et partout où vous demeurerez, j'y demeurerai aussi ; votre peuple sera mon peuple, et votre Dieu sera mon Dieu. 17 La terre où vous mourrez me verra mourir, et je serai ensevelie où vous le serez. Je veux bien que Dieu me traite dans toute sa rigueur, si jamais rien me sépare de vous que la mort seule. 18 Noémi voyant donc Ruth dans une résolution déterminée d'aller avec elle, ne voulut plus s'y opposer, ni lui persuader d'aller retrouver sa famille. 19 Et étant parties ensemble, elles arrivèrent à Beth-léhem. Sitôt qu'elles y furent entrées, le bruit en courut de toutes parts, et les femmes disaient : Voilà cette Noémi. 20 Noémi leur dit : Ne m'appelez plus Noémi [c'est-à-dire belle] ; mais appelez-moi Mara [c'est-à-dire amère] ; parce que le Tout-Puissant m'a toute remplie d'amertume. 21 Je suis sortie d'ici pleine, le Seigneur m'y ramène vide. Pourquoi donc m'appelez-vous Noémi, puisque le Seigneur m'a humiliée, et que le Tout-Puissant m'a comblée d'affliction ? 22 C'est ainsi que Noémi, étant revenue de la terre étrangère où elle avait demeuré avec Ruth, Moabite, sa belle-fille, revint à Beth-léhem, lorsqu'on commençait à couper les orges.

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