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Amiot-Tamisier – Tobie 1

LE LIVRE DE TOBIE

C'est un récit composé avec art, qui ne nous est parvenu que dans des versions grecques de longueur inégale ; il a été très probablement rédigé en araméen, entre 250 et 150 avant notre ère. ♦ 1° La première partie (I – III, 23) décrit les vertus et les épreuves de Tobie le père, et de Sara, sa future belle-fille. Tobie est un Nephthalite déporté à Ninive, au temps de Salmanasar V (727-722) ; il y vécut la persécution déclenchée contre les Israélites par Sennachérib (705-681) ; il reste cependant fidèle à la Loi, au souvenir de Jérusalem et à la pratique des œuvres de charité. L'épreuve de la cécité l'y atteint, ses proches le tournent en ridicule : il se réfugie dans la prière et demande à Dieu d'être délivré de la vie. Bien loin de là, à Ecbatane, en Médie, Sara est victime du démon Asmodée, qui a fait mourir successivement ses sept époux ; on l'accuse de meurtre, elle se réfugie dans la prière et demande à Dieu de mourir. ♦ 2° III, 24 – XII : Mais la Providence va intervenir pour délivrer ces deux justes éprouvés et les combler de biens matériels. L'occasion en fut le voyage du jeune Tobie à Ecbatane ; son compagnon, l'ange Raphaël, lui indique comment délivrer d'Asmodée Sara, qui devient son épouse, et lui procure le moyen de guérir miraculeusement son père. Puis l'ange Raphaël dévoile son identité et invite la famille à remercier Dieu du bonheur recouvré. ♦ 3° Dans l'épilogue (XIII – XIV), il faut noter le cantique du vieux Tobie, nettement messianique, célébrant la gloire de la future Jérusalem. ♦ C'est une histoire édifiante, dont les principales leçons sont parfois soulignées en de longs discours. Mais est-ce de l'histoire ? Si, d'une part, l'abondance et la précision des détails topographiques, chronologiques et généalogiques inclinent à une réponse affirmative, certains d'entre eux paraissent pourtant inexacts : ainsi, ce ne fut pas Salmanasar V, mais son prédécesseur Téglath-Phalasar III qui déporta les Israélites de la tribu de Nephthali ; les idées religieuses attribuées à des personnages des VIIIe-VIIe siècles sont celles du judaïsme postexilien. De plus, on a beaucoup exploité les ressemblances de ce livre inspiré avec l'Histoire et Sagesse d'Ahikar, datant du VIe ou Ve siècle : c'est un recueil de maximes insérées dans le récit, à noyau probablement historique, de la vie d'Ahikar, sage de Ninive au temps de Sennachérib et d'Assarhaddon, comme Tobie : ce dernier n'y est pourtant jamais nommé. ♦ Il n'y a pas de raisons décisives contre l'historicité des parties essentielles du Livre de Tobie ; cependant on ne peut l'interpréter comme un ouvrage historique au sens strict : « On ne peut déclarer impertinente la question de savoir si notre auteur n'aurait pas voulu proposer son enseignement sous le voile d'une fiction. » (A. Robert, Initiation Biblique, Paris 1939, p. 100). On peut dire, en bref, qu'il y a dans ce livre un fait réel d'histoire familiale, librement utilisé dans un but d'enseignement. ♦ Cet enseignement est d'ailleurs du plus haut intérêt : au premier plan, l'affirmation que le juste qui demeure fidèle dans les épreuves en sera providentiellement récompensé ; la rétribution semble se borner aux biens terrestres, néanmoins IV, 7 et 10-12 laisse entrevoir que la parfaite rétribution dépasse l'horizon d'ici-bas. Sans insister sur les beaux aperçus concernant la valeur de la prière et des œuvres de bienfaisance, sur la notion élevée du mariage, sur l'angélologie, qu'on trouve en ce livre, il convient de souligner sa portée messianique et universaliste, surtout manifeste dans le cantique final (spécialement en XIII, 3-4 et 21-23) : toutes les nations sont appelées à connaître Dieu et à l'adorer au Temple de Jérusalem ; c'est un universalisme qui garde le cadre nationaliste, et voit l'appel des Gentils par le prosélytisme juif (comparer le Livre de Judith) ; remarquons enfin que les héros du livre sont de ces Israélites du Nord que le Chroniste, dans ses ouvrages, entendait ignorer.

ORIGINE DE TOBIE ♦ SA FIDÉLITÉ À LA LOI ♦ SON MARIAGE ♦ NAISSANCE DE SON FILS ♦ IL DEMEURE FIDÈLE DANS SA CAPTIVITÉ ♦ SITUATION OÙ IL SE TROUVE SOUS SALMANASAR, SOUS SENNACHÉRIB ET SOUS ASAR-HADDON

1 Tobie, de la tribu et de la ville de Nephthali, qui est dans la haute Galilée, au-dessus de Naasson, derrière le chemin qui mène vers l'occident, ayant à sa gauche la ville de Séphet, 2 fut emmené captif au temps de Salmanasar, roi des Assyriens ; et dans sa captivité même, il n'abandonna point la voie de la vérité. [2. D'après IV Rois XV, 20, c'est Téglath-Phalasar III qui déporta les Nephthalites ; il est vrai que tous ne furent pas contraints de quitter leur pays, et qu'ils purent être déportés plus tard, par Salmanasar V (727-722) ou Sargon (722-705).] 3 En sorte qu'il distribuait tous les jours ce qu'il pouvait avoir, à ceux de sa nation, à ses frères qui étaient captifs avec lui. 4 Et quoiqu'il fût le plus jeune de tous ceux de la tribu de Nephthali, sa jeunesse ne paraissait point dans ses actions. 5 Enfin, quoique tous allassent adorer les veaux que Jéroboam, roi d'Israël, avait faits, il fuyait seul la compagnie de tous les autres ; 6 et il allait à Jérusalem au temple du Seigneur, où il adorait le Seigneur, Dieu d'Israël, offrant fidèlement les prémices et les dîmes de tous ses biens. 7 De sorte que, tous les trois ans, il distribuait aux prosélytes et aux étrangers toute sa dîme. 8 Il observait ces choses et d'autres semblables, conformément à la loi de Dieu, lorsqu'il n'était encore qu'un enfant. 9 Mais lorsqu'il fut devenu homme, il épousa une femme de sa tribu, nommée Anne, et en eut un fils auquel il donna son nom. 10 Il lui apprit dès son enfance à craindre Dieu et à s'abstenir de tout péché.

11 Lors donc qu'ayant été emmené captif avec sa femme, son fils et toute sa tribu, il fut arrivé dans la ville de Ninive, 12 quoique tous les autres mangeassent des viandes des gentils, défendues par la loi du Seigneur, il se garda bien de se souiller jamais de leurs viandes. 13 Et parce qu'il se souvint de Dieu de tout son cœur, Dieu lui fit trouver grâce devant le roi Salmanasar, 14 qui lui donna pouvoir d'aller partout où il voudrait, et la liberté de faire ce qu'il lui plairait. 15 Il allait donc vers tous ceux qui étaient captifs, et leur donnait des conseils salutaires.

16 Il vint un jour à Ragès, ville des Mèdes, ayant dix talents d'argent qui venaient des dons qu'il avait reçus du roi ; 17 et parmi le grand nombre de ceux de sa race, voyant que Gabélus, qui était de sa tribu, était dans le besoin, il lui donna, contre une reconnaissance, cette somme d'argent.

18 Mais après beaucoup de temps, le roi Salmanasar étant mort, Sennachérib, son fils, qui régna après lui, avait les enfants d'Israël en haine ; [18. Sennachérib eut pour père Sargon et non point Salmanasar.] 19 or, Tobie, durant cette persécution, allait chaque jour visiter tous ceux de sa parenté, les consolait et distribuait de son bien à chacun d'eux, selon son pouvoir. 20 Il nourrissait ceux qui avaient faim, revêtait ceux qui étaient nus, et avait grand soin d'ensevelir ceux qui étaient morts ou qui avaient été tués. 21 Depuis, le roi Sennachérib s'étant enfui de la Judée, à cause de la plaie dont Dieu l'avait frappé pour ses blasphèmes, et étant revenu, dans une grande colère contre les enfants d'Israël, il en fit tuer beaucoup, dont Tobie ensevelissait les corps. 22 Ce qui ayant été rapporté au roi, il commanda qu'on le tuât, et s'empara de tout son bien. 23 Mais Tobie, dépouillé de tout, s'enfuit avec son fils et sa femme, et demeura caché, parce qu'il était aimé de beaucoup. 2 Quarante-cinq jours après, le roi fut tué par ses fils ; 25 et Tobie revint dans sa maison, et tout son bien lui fut rendu.

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