chapitre précédent retour chapitre suivant

Nouvelle Bible Segond – Lévitique 1

Lévitique

La grande synthèse cultuelle

Le livre du Lévitique a souvent été éclipsé, dans la tradition chrétienne, par la richesse narrative de ses voisins : d’un côté, la Genèse et l’Exode, qui vont des récits des origines à la sortie d’Egypte et à l’alliance du Sinaï ; de l’autre, les Nombres et le Deutéronome, qui relatent le séjour d’Israël au désert jusqu’au seuil de la Terre promise.

Le Lévitique s’insère pourtant dans le même cadre général : les lois qui le composent auraient été données au Sinaï, dans l’espace d’un mois et vingt jours, au début de la deuxième année à compter de la sortie d’Egypte (comparer Ex 40.2,17 avec Nb 10.11). Le sanctuaire est désormais le lieu habituel de la révélation (Lv 1.1 ; cf. 7.38 ; voir cependant 25.1 ; 26.46 ; 27.34), depuis que la gloire de Dieu, avec la nuée et le feu qui la représentent, a quitté la montagne pour la tente cultuelle (comparer Ex 24.16s et 40.34ss ; cf. Lv 9.6,23s). Le chapitre 8 du Lévitique, récit de l’investiture des prêtres, reprend la description de l’inauguration du sanctuaire là où l’Exode l’avait laissée (cf. Ex 28–29 ; 39–40). Les offrandes des princes, en Nombres 7, se rapportent encore au même événement. Cependant l’action ne redémarrera vraiment qu’au chapitre 10 des Nombres, quand Israël lèvera le camp pour poursuivre ses pérégrinations dans le désert.

Hormis cette insertion d’ensemble dans l’épopée ancestrale et telle ou telle anecdote qui fournit le contexte de lois particulières (chap. 10, le sacrilège et le châtiment de Nadab et Abihou, les deux fils aînés d’Aaron ; 24.10ss, un cas de blasphème), le Lévitique se présente avant tout comme une réglementation minutieuse, qui peut paraître fastidieuse au lecteur moderne. Il expose en effet le système rituel dont le sanctuaire est le centre. Ce texte, sans doute le plus complet de la Bible hébraïque dans son domaine (voir « Plan du Lévitique »), a d’ailleurs été rédigé avec tant de soin qu’il en reste l’un des mieux conservés : les divergences du texte massorétique avec les autres témoins (LXX, Smr, mss de Qumrân) sont ici minimes (voir l’introduction à l’Ancien Testament).

En dépit de son nom usuel qui lui vient, comme pour les autres livres du Pentateuque, de la table des matières de la Septante grecque (LXX) via la Vulgate latine (Vg), le livre du Lévitique ne concerne pas directement les lévites, qui ne sont mentionnés qu’incidemment en 25.32-34 : les obligations et les droits spécifiques de ces derniers, en tant qu’ils sont distingués des prêtres, sont plutôt exposés dans le livre Nombres (des 1.50s ; 3.9ss ; 4 ; 8 ; 18 ; 35). En fait le Lévitique est tout particulièrement consacré, surtout dans sa première partie (chap. 1–16), à l’office des prêtres (également décrit, au milieu d’autres textes, en Ex 28ss et Nb, ainsi que dans le livre d’Ezéchiel [44.15ss] et les Chroniques [p. ex. 1Ch 24]). Ceux-ci sont ici représentés par Aaron et ses fils (1.5ss ; 2.2 ; 3.2 etc.), qui sont ailleurs rattachés à la tribu de Lévi (cf. Ex 4.14 ; Nb 17.18 ; Dt 17.9 etc.). La tradition juive, qui nomme en principe le livre d’après ses premiers mots (en hébreu wayyiqra’, [et il] appela), le désigne également, en particulier dans le Talmud, comme « loi des prêtres » ou « loi des offrandes » ; la traduction syriaque l’intitule « livre des prêtres ».

A l’opposé de la relative désaffection dont il souffre d’ordinaire dans la lecture chrétienne de l’Ancien Testament, le Lévitique occupe une place centrale dans la tradition juive : situé au milieu de la Torah (voir loi), il peut être considéré comme le cœur symbolique de cet ensemble fondamental. L’étude de la Torah débute normalement avec ce livre. Un midrash rend compte de cette coutume en ces termes : « Pourquoi les petits enfants commencent-ils par le manuel des prêtres et non pas par la Genèse ? – Sans doute parce que les petits enfants sont purs et que les sacrifices aussi sont purs ; que les purs viennent donc et s’engagent à l’étude du pur. »

Sainteté et pureté

Un des principaux rôles des prêtres, selon le Lévitique, est de séparer le sacré (ou « le saint ») et le profane, l’impur et le pur (10.10 ; cf. 11.47 ; 20.25 ; Ez 22.26 ; 44.23).

Ces concepts-clefs du Lévitique méritent d’être définis précisément. La sainteté et la pureté si souvent évoquées dans ses pages sont en effet spontanément comprises du lecteur chrétien ou post-chrétien dans un sens spirituel ou moral, alors qu’elles revêtent ici un sens prioritairement rituel ou cultuel.

Ainsi la sainteté, surtout évoquée dans la seconde partie de l’ouvrage qu’on a parfois appelée « Loi de sainteté » (chap. 17–26), relève davantage du domaine sacral que de l’éthique. C’est la nature même de Dieu (11.45 ; 19.2 ; 20.7s,26 ; 21.6ss,15,23 ; 22.9,16,32 ; cf. Ex 15.11 ; Ez 39.7), de ce qui lui appartient en propre (ce qui est intrinsèquement sacré, à commencer par son nom, 20.3 ; 22.2,32 ; cf. Ez 36.20ss) et de ce qui s’en approche (ce qui est consacré), notamment le sanctuaire, son mobilier et ses ustensiles (6.9,19ss ; Ez 42.13 ; 46.19), les offrandes (3.11 ; 22.12 ; cf. Dt 26.13) et bien sûr les prêtres (cf. 8.9ss,15,30 ; 21.6ss,12,15,23). Outre les personnes et les choses, peuvent être déclarés sacrés des temps particuliers : le sabbat et les fêtes du calendrier annuel (23.1ss), les années sabbatiques et le jubilé (25.10ss). Le sacré ou saint connaît parfois des degrés : dans certains textes un très-sacré ou « sacro-saint » se distingue (2.3+ ; 6.10,20 ; cf. Ex 29.37n ; Ez 41.4) ; l’anathème aussi peut être considéré comme un niveau supérieur de consécration (27.21,28s ; Ez 44.29, voir Dt 2.34n).

Trésor du peuple de l’alliance, la sainteté est pour lui une exigence permanente (cf. le leitmotiv vous serez saints, car je suis saint, 11.44s ; cf. 19.2 ; 20.3,7s,26 ; 21.8,23 ; 22.9,16,32 ; Ex 22.30), voire une menace : on ne s’approche de Dieu que selon des règles rituelles précises, à l’égard desquelles la moindre infraction, même avec les meilleures intentions, constitue une profanation (18.21 ; 19.8,12,29 ; 20.3 ; 21.4ss,12,15,23 ; 22.9s,15,32) ou un sacrilège (5.15n,21 ; 26.40) qui peut entraîner la mort du contrevenant (10.1-3 ; cf. 15.31 ; 1S 6.19s ; voir aussi Jos 7, qui évoque une malédiction collective, et 2Ch 26.16ss, un autre châtiment).

Corollaire mais non point synonyme de la sainteté (les deux concepts sont associés, mais non identifiés, en 11.44s ; 16.19 ; cf. 2Ch 29.15ss), la pureté, à laquelle sont particulièrement consacrés les chapitres 11 à 15, est la condition requise de ceux qui s’approchent de Dieu (les prêtres d’abord, qui ne peuvent exercer leur sacerdoce que dans des conditions de pureté particulièrement strictes ; cf. chap. 8–9 ; 16.4 ; 21.1ss,11s ; 22.3ss ; cf. Ez 44.25ss, mais aussi, de façon plus ponctuelle, ceux qui prennent part au culte, cf. 7.19ss). Dans la seconde partie du livre, elle est régulièrement exigée, dans un sens plus large, de tout le peuple qui vit en relation avec Dieu. Les souillures (impuretés, abominations, horreurs, cf. 7.21 ; 11.10ss ; 18.22ss ; 20.25) qu’elle exclut coïncident quelquefois avec ce que nous pouvons considérer comme des fautes morales ; mais il s’agit plus souvent de choses, d’états ou de phénomènes naturels quoique perçus, à certains égards, comme des anomalies. L’impureté, dans la logique particulière des prêtres, est incompatible avec la sainteté de Dieu : le contact entre l’impur et le sacré est mortel (15.31 ; cf. 7.20s ; 20.25s ; 22.3ss ; voir aussi Es 6.3,5,7). Les interdits relatifs au sacré et à l’impureté, qui présentent de nombreuses analogies avec les textes rituels du Proche-Orient ancien, ont été fréquemment rapprochés de la notion de « tabou », qui joue dans l’histoire des religions un rôle central quoique diversement apprécié.

La pureté se conçoit souvent comme une notion négative, dans la mesure où c’est comme absence d’impureté qu’elle se laisse le plus volontiers définir : elle est à la pureté, dans le domaine rituel, ce que la propreté est à la saleté dans la vie quotidienne (cf. Dt 23.13ss). Mais on l’a aussi pensée de façon positive, comme un ordre sans cesse menacé par un désordre qu’il ne peut intégrer (témoin le rejet des défauts physiques permanents, comparable à celui de l’impureté provisoire, en 21.17nss). La distinction théorique entre pur et impur qui constitue, on l’a vu, l’une des principales responsabilités des prêtres, entraîne dans la pratique la séparation des choses (10.10 ; cf. le rejet plus général des mélanges en 18.23 ; 19.19). L’impureté se caractérise en effet par son pouvoir de contagion, bien plus systématique encore que celui du sacré : tout ce qui entre en contact avec l’impur devient impur à son tour, au moins dans les conditions prévues par la loi (11.32ss ; cf. Ag 2.12ss).

Sont ainsi déclarées impures non seulement les pathologies sexuelles (chap. 15), mais la sexualité elle-même, qu’elle soit ou non conforme aux règles morales et sociales (15.16ss ; cf. 18.20ss ; 20.10,15,18 ; 21.9), et avec elle les règles féminines (15.19ss ; 18.19) et l’accouchement (chap. 12) ; la « lèpre » des personnes, mais aussi des vêtements et des maisons (chap. 13–14 ; cf. 13.2n) ; la consommation de la viande de certains animaux ou le simple contact avec leur cadavre (5.2 ; chap. 11 ; 17.15 ; cf. Dt 14) ; la mort et les rites de deuil (21.1ss ; cf. Nb 19) ; telle ou telle pratique, probablement religieuse ou magique à l’origine (18.21,24ss ; 19.3,31 ; 20.3). Toutes ces impuretés peuvent être considérées, indépendamment de toute faute morale, comme relevant de la catégorie du péché : le terme hébreu correspondant à la fois au péché et au sacrifice pour le péché se trouve associé à des impuretés rituelles parfois inévitables (12.6ss ; 14.10nss ; 16.16,19,30 ; cf. Es 6.5,7 ; Ez 14.11 ; 18.6,11,15 ; 23.49 ; 37.23 ; 39.24), qui appellent une purification (12.7s ; 14.19s,31 ; 15.15,30) plutôt qu’un pardon (4.20,26,31,35 ; 5.10,13). L’impureté atteint le sanctuaire et risque d’en chasser Dieu lui-même (15.31 ; 20.2s ; cf. Nb 19.20 ; Jr 7.30s ; 32.34s ; Ez 5.11 ; 2Ch 36.14). Du coup elle éloigne de Dieu et, concrètement, du sanctuaire, tout ce qui la touche, et elle requiert un cérémoniel de purification adéquat (le plus souvent par l’eau, 11.32,40 ; 13.58 ; 14.8 ; 15.16ss ; 17.15 ; 22.6 ; cf. Nb 19.19 ; 31.23s ; Ez 36.25). Faute de purification, l’impur risque non seulement la mort, mais, chose plus grave encore dans la logique rituelle, le retranchement de la communauté cultuelle (7.20n ; cf. 17.4,9s,14 ; 18.29 ; 19.8 ; 20.3ss,17s).

Les explications éthiques ou hygiéniques souvent avancées pour justifier, aux yeux des modernes, les règles déconcertantes qui en résultent, sont des anachronismes qui passent à côté de la logique propre au Lévitique, dont l’une des caractéristiques littéraires est précisément de ne pas motiver les règles qu’il énonce. Autant dire qu’il faut accepter un total dépaysement pour pénétrer dans ce livre.

On aurait cependant tort de croire que la sainteté et la pureté rituelles chères au Lévitique excluent la préoccupation éthique. Celle-ci apparaît dans de nombreuses règles énoncées par le livre. Le chapitre 19 en est sans doute l’exemple le plus remarquable, mêlant sans distinction ni hiérarchie apparentes, et sans autre justification que le refrain je suis le SEIGNEUR (YHWH), des prescriptions que nous n’hésiterions pas à classer dans l’observance rituelle (v. 3-8,19,23-31) et des préceptes que nous qualifierions volontiers de moraux : respect des parents et des personnes âgées (v. 3,19), sollicitude envers les pauvres, les étrangers, les infirmes (v. 9s,13s,33s), interdiction du mensonge et du parjure (v. 11s), exhortation à l’équité judiciaire ou à l’honnêteté commerciale (v. 15s,35s). C’est même dans ce chapitre que se trouve le commandement célèbre tu aimeras ton prochain comme toi-même, qui semble fort éloigné du rituel et qui dépasse aussi les limites habituelles de l’éthique. Cette liste surprenante donne à penser que les commandements du SEIGNEUR si souvent évoqués dans les pages Lévitique (du 4.2,13,22,27 etc.) sont tout autant les préceptes moraux que les prescriptions rituelles. Seulement l’éthique du Lévitique, à l’opposé de celle de l’humanisme, n’est jamais considérée comme autonome : respecter le SEIGNEUR, c’est aussi bien respecter le sabbat ou les interdits alimentaires que les droits des plus démunis.

Les sacrifices

Au cœur du système cultuel du Lévitique, la législation sur les sacrifices occupe toute la première partie du livre (chap. 1–7). Ils y sont répertoriés selon une nomenclature précise (chap. 1–5), qui n’atteint nulle part ailleurs dans la Bible un tel degré de systématisation (holocaustes ou offrandes totales, 1.3nss ; offrandes végétales, 2.1nss ; sacrifices de paix ou de communion, 3.1nss ; sacrifices pour le péché, 4.1ss ; sacrifices de réparation, 5.6n,14ss ; sacrifices de reconnaissance, 7.12n ; voir « Les animaux offerts en sacrifice »).

Dans d’autres textes de l’Ancien Testament, les sacrifices apparaissent surtout comme l’occasion d’une communion joyeuse entre les hommes et avec Dieu. Cette fonction socio-religieuse est bien présente ici : d’une part dans les sacrifices de paix ou de reconnaissance, qui restent l’occasion d’un repas sacré ; d’autre part dans l’odeur agréable ou « apaisante » (pour Dieu) qui constitue l’aboutissement de tous les sacrifices, y compris du sacrifice pour le péché (4.31 ; cf. 1.9n). Cependant le Lévitique met l’accent sur une autre fonction du sacrifice, celle qui consiste à restaurer un ordre sacral sans cesse menacé par les inévitables irruptions de l’impureté et du péché (au sens rituel) dans l’existence du peuple et de chacun de ses membres.

Dans cette perspective, le Lévitique accorde une place importante au rite d’expiation, c’est-à-dire d’absolution ou d’annulation du péché, qui correspond sans doute à un geste accompli par le prêtre au cours du sacrifice (4.20n). L’expiation a naturellement sa place dans le sacrifice pour le péché et le sacrifice de réparation ; mais ici même l’holocauste, où toute la bête est brûlée en signe de sa consécration totale à Dieu, est revêtu d’une valeur expiatoire (1.4). Le sang de la victime, utilisé dans divers rites d’aspersion (voir 1.5n ; 4.6n), est tout particulièrement associé à l’expiation dans le sacrifice pour le péché. C’est lui qui ôte le péché (8.15 ; 14.49,52 ; cf. Ex 29.36 ; Ez 43.20ss ; 45.18 ; voir aussi Nb 8.21 ; 19.9ss ; 31.19ss) ; c’est par lui que le « pécheur » ou l’impur préalablement purifié est rétabli dans une juste relation avec Dieu. Le sang est un symbole particulièrement riche de sens : d’une part il participe du sacré (il est, avec la graisse, la part systématiquement réservée à Dieu dans le sacrifice, cf. 3.17 ; 7.25ss) ; d’autre part il est fréquemment vecteur d’impureté (cf. 12.2ss ; 15.19ss ; 18.19 ; Nb 35.33 ; Es 64.5 ; cf. Ez 16.6,9). Si son efficacité expiatoire paraît automatique, il ne la doit pourtant pas à un pouvoir autonome, mais à une disposition divine : c’est moi qui l’ai placé pour vous sur l’autel, afin de faire l’expiation pour vous (17.11n ; cf. Hé 9.7,12s,22s,25 ; 10.4 ; 13.11).

Le système sacrificiel culmine dans le jour de l’Expiation (chap. 16) qui, une fois l’an, annule collectivement les péchés de la prêtrise et de tout Israël, ou du moins leurs conséquences, en rétablissant le sanctuaire lui-même, et en particulier l’autel, dans sa fonction (16.16,19ss,33 ; cf. 8.15 ; Ez 43.20,22 ; 45.18). On y trouve, outre l’application la plus large du sacrifice pour le péché, étendu à toutes les fautes possibles des prêtres et du peuple, l’étonnant rituel du « bouc émissaire » ou bouc pour Azazel, chargé de tous les péchés du peuple avant d’être envoyé dans le désert (16.8nss ; à rapprocher du rôle de l’oiseau vivant dans le rite de purification du lépreux en 14.7,53). L’ensemble de la cérémonie vise à restaurer dans son intégrité la relation du peuple avec son Dieu, comme l’indique le rituel des holocaustes, offrandes totales, qui fait suite à l’envoi du bouc (16.23ss).

Livre des prêtres, livre du peuple

S’il intéresse en particulier les prêtres, le Lévitique n’est pas pour autant un manuel d’initiation rédigé à leur seule intention. Dans de nombreux cas, les instructions qu’il renferme sont expressément adressées à tout le peuple d’Israël (1.2 ; 4.2 ; 7.13,29,38 ; 9.3 etc.). Il est tora, terme qui peut désigner la loi dans son ensemble mais qui se réfère d’abord à un enseignement précis (6.2,7,18 ; 11.46 ; 12.7 ; 13.59 ; 14.32,54,57 ; 15.32) que le prêtre doit non seulement appliquer, mais communiquer à ceux qui le consultent (cf. Dt 24.8 ; Ag 2.11). Le Lévitique lui-même souligne la responsabilité d’enseignement qui incombe aux prêtres (10.11 ; cf. Dt 31.9 ; 33.10 ; 2R 12.3 ; 17.27s ; Jr 2.8 ; 18.18 ; Mi 3.11 ; Ml 2.7 ; 2Ch 15.3). On notera que la loi des sacrifices semble d’ailleurs laisser une part importante dans l’accomplissement même du rituel au « laïc » qui offre le sacrifice (1.4ss) : le prêtre ne prend le relais que pour présenter l’offrande sur l’autel. En outre, le service rituel qu’elle propose n’est pas réservé aux Israélites de souche (17.8 ; comparer avec 22.25 ; Ez 44.9 ; cf. Ex 18.12 ; 2R 5.17 ; Jon 1.16)

Si, dans le détail, le code rituel peut apparaître comme un système relativement clos, relevant de sa seule logique propre, il ne faut pas perdre de vue le sens global que lui confère son appartenance à la Torah. De ce point de vue, le service du sanctuaire n’est pas une fin en soi : il est la condition requise pour que s’opère la Rencontre, la relation vivante et vivifiante entre Dieu et son peuple, qui rejaillit sur chacun de ses membres (voir Ex 29.42-46).

De fait, le code du Lévitique est tout entier orienté vers la vie : Vous observerez mes prescriptions et mes règles : celui qui les mettra en pratique vivra par elles (18.5 ; cf. Ez 20.11,13,21). L’une des tâches essentielles du prêtre consiste à bénir le peuple (9.22s ; cf. 26.2ss ; Nb 6.23ss). Tout le rituel, en un sens, est là pour rendre possible cette bénédiction efficace qui permet aux adorateurs de mener heureusement leur existence dans le cadre du peuple saint.

La loi rituelle, dès lors, se veut raisonnable et, si l’on ose dire, humaine. Pour reprendre la parole de Marc 2.27// au sujet du sabbat, c’est elle qui est faite pour l’homme, et non pas l’inverse. Elle distingue les péchés commis par erreur des transgressions délibérées (4.2,13). Elle met en outre le rituel vital à la portée de tous, prévoyant des offrandes de substitution pour les pauvres : ainsi, en 5.7-13, l’expiation peut exceptionnellement être produite par une offrande non sanglante (comparer avec 4.27-35) ; le rituel sur l’offrande végétale a pu être inséré là où il se trouve (2.1ss) parce qu’on le considérait, dans certains cas, comme offrande de substitution pour l’holocauste (chap. 1) ; l’élément économique entre aussi en considération pour les sacrifices accompagnant la purification de la femme qui a accouché (12.8) ou du lépreux guéri (14.21ss). Par ailleurs, l’impureté et son pouvoir de contagion sont clairement circonscrits : ainsi l’âne est impur en ce sens qu’il est impropre à la consommation, mais le contact d’un âne dans les activités quotidiennes ne rend pas impur (11.1ss). La purification des objets entraîne la destruction d’un récipient de terre, mais le simple lavage d’un récipient de bois ou de métal, objet plus rare et plus précieux, surtout pour les foyers les plus modestes (11.32s). L’impureté normalement communiquée à l’eau ne peut s’appliquer à un puits ou à une citerne, ce qui entraînerait une perte trop lourde (11.36s). Si une maison risque d’être déclarée impure, la loi prévoit qu’on la vide de tout ce qu’elle contient avant l’inspection du prêtre, afin que les habitants ne perdent pas tous leurs biens (14.36). Par toutes ces exceptions à la stricte logique rituelle, le Lévitique se distingue aussi d’une conception purement magique du rituel.

On notera enfin que le Lévitique débouche sur un idéal social élevé, particulièrement visible dans la loi relative aux années sabbatiques et au jubilé, qui prévoit, à intervalles réguliers, une remise de toutes les dettes et un affranchissement général des esclaves (chap. 25). C’est dire, à tout le moins, que les tenants de la logique rituelle n’attendent pas de l’éthique individuelle, même articulée à un système sacral, la solution de tous les problèmes.

Le rituel et ses limites

La logique rituelle dont le Lévitique est un sommet a fini par ne plus être comprise du grand nombre, même en Israël. Alors que, dans son principe, elle englobe la morale, les prophètes déjà éprouvent souvent le besoin de lui opposer la morale (Es 1.10+ss). Au seuil de l’ère chrétienne, Philon d’Alexandrie, un juif de langue et de culture grecques, estime nécessaire, pour la rendre actuelle dans le contexte de la culture hellénistique, d’en proposer une lecture allégorique dans laquelle le rituel perd sa valeur propre pour devenir image de concepts philosophiques et moraux. Le pharisaïsme, avec son insistance sur la piété individuelle et familiale, la décentre de son lieu naturel, le temple. La victoire définitive de cette école sur le ritualisme sadducéen, à la faveur de la destruction du temple en 70, marquera la fin du système rituel des sacrifices.

Quant au christianisme, il puisera ici et là dans les codes rituels de l’Ancien Testament une typologie doctrinale (lorsqu’il applique les notions de sacrifice ou d’expiation à la mort du Christ, Rm 3.25 ; 1Co 5.7 ; Ep 5.2 ; 1Jn 2.2 ; et surtout l’épître aux Hébreux, 2.17 etc.), ainsi que des métaphores spirituelles et morales (Rm 12.1s ; Ph 2.17 ; 4.18), mais il abandonnera vite la pratique même du système rituel (Mc 7// ; Col 2.16s). La loi sacrale de l’Ancien Testament apparaîtra essentiellement, pour les chrétiens des générations ultérieures, comme un élément de la pédagogie divine qui devait conduire au Christ (cf. Ga 4.1ss).

Reste que le rituel délaissé ne cesse de faire retour, aussi bien dans les prescriptions domestiques et synagogales du judaïsme pharisien et rabbinique que dans les liturgies chrétiennes. Aux crises du malentendu sanctionnant l’échec d’un ritualisme qui n’a pas réussi à communiquer son sens, et qui dès lors est passé pour vide aux yeux des meilleurs, succède invariablement une soif de rituel. La foi la plus pure, sous peine de verser dans l’abstraction ou le moralisme, demande des symboles, des gestes porteurs de sens, des célébrations communautaires susceptibles d’enrichir un discours théologique et moral qui ne tarde pas à être à son tour perçu comme creux ou inefficace... avant que les retours au rituel ne soient eux-mêmes battus en brèche par de nouveaux prophètes du sens.

Pourquoi donc lire aujourd’hui le Lévitique, alors même que nul ne rêverait ni ne craindrait de le voir concrètement remis en vigueur ? Au moins pour retrouver le contexte originel, si étrange et déroutant soit-il, d’un mystérieux commandement d’amour qui continue de nous défier et de nous échapper dans sa simplicité et son intemporalité apparentes. Quand aimer son prochain comme soi-même serait le seul espace sacré possible dans un monde apparemment dépourvu de toute distinction entre sacré et profane, entre pur et impur, c’est d’abord à l’antique pensée sacerdotale d’Israël qu’il faudrait retourner pour le comprendre comme tel.

Plan du Lévitique

I. Les sacrifices 1–7
(voir aussi « Les animaux offerts en sacrifice »)
1 l’holocauste
2 l’offrande végétale
3 le sacrifice de paix
4.1–5.13 le sacrifice pour le péché
5.14-26 le sacrifice de réparation
6.1–7.21 la part des prêtres dans les divers sacrifices
7.22-38 la part des non-prêtres
II. Institution du système sacerdotal 8–10 (cf. Ex 40)
8 investiture des prêtres

9
les premiers sacrifices offerts par les prêtres
10 précisions concernant le sacerdoce
III. Lois de pureté 11–18
11 animaux purs et impurs
12 purification de la femme après l’accouchement
13-14 la « lèpre »

15
les impuretés sexuelles
16 le jour de l’Expiation
17 le sang
18 les unions illicites
IV. Lois de sainteté 19–25
19 rituel et éthique
20 peines relatives aux unions illicites
  et à la participation aux cultes étrangers
21 devoirs de pureté des prêtres
22 les prêtres et les offrandes
23 les fêtes
24.1-9 le service du sanctuaire
24.10-23 le nom divin (YHWH)
25 années sabbatiques et jubilé
Rappel de l’alliance : bénédictions et malédictions 26 (cf. Dt 28–29)
Annexe : lois sur les vœux 27

Règles pour les sacrifices : l'holocauste

1 Le SEIGNEUR appela Moïse ; depuis la tente de la Rencontre il lui dit : [appela : c'est le verbe correspondant (wayyiqra'), le premier mot du texte hébreu, qui constitue le titre traditionnel du livre dans la Bible hébraïque. Cf. Ex 25.22 ; 40.34-38 ; Hé 9.1-14.]2 Parle aux Israélites ; tu leur diras :

Lorsque l'un de vous offre une bête en présent au SEIGNEUR, vous offrirez un présent pris sur le gros bétail ou sur le petit bétail.[présent : hébreu qorbân (cf. Mc 7.11n), litt. ce qu'on fait approcher (de l'autel, de Dieu), substantif dérivé en hébreu du verbe traduit ici par offrir, puis par présenter (v. 3ss) ; ce terme s'applique dans Lv et Nb à toute sorte d'offrande ; ailleurs il n'apparaît qu'en Ez 20.28 ; 40.43 ; voir aussi Né 10.35n.]

3 Si son présent est un holocauste pris sur le gros bétail, il présentera un mâle sans défaut ; il le présentera à l'entrée de la tente de la Rencontre, pour qu'il soit agréé devant le SEIGNEUR. [holocauste (v. 3-17) : ce terme d'origine grecque signifie brûlé tout entier (voir cependant 7.8) ; le mot hébreu correspondant est apparenté au verbe habituellement rendu par monter, soit à cause du mouvement de la fumée vers le ciel, soit parce qu'on faisait monter la victime sur l'autel (cf. 2.12n) ; voir 6.1-6 ; cf. Jg 13.16-20n ; Os 6.6 ; Ps 51.18-21 ; Mc 12.33. – sans défaut ou entier, intact, parfait, c.-à-d. sans tare et non castré, cf. Ml 1.8 ; un terme apparenté peut s'appliquer à l'intégrité morale (Jb 1.1+). – pour qu'il soit agréé (le sacrifice, ou bien celui qui l'offre) cf. v. 4 ; 7.18 ; 19.5,7 ; 22.19ss ; 23.11 ; Ex 28.38n ; Es 56.7+ ; Jr 6.20.]4 Il posera la main sur la tête de l'holocauste, et celui-ci sera agréé pour faire l'expiation sur lui. [Il posera la main : par ce geste, celui qui offre le sacrifice atteste vraisemblablement que l'offrande est bien la sienne ; selon certains, il s'identifierait, symboliquement, à l'animal offert 4.4 ; cf. 16.21s ; 24.14. – l'holocauste : c.-à-d. l'animal offert en holocauste. – expiation 4.20 ; 8.34 ; 9.7 ; 14.53 ; 16 ; 17.11 ; Ez 45.15,17 ; 2Ch 29.24.]5 Il immolera le bovin devant le SEIGNEUR ; les fils d'Aaron, les prêtres, présenteront le sang et aspergeront de sang le pourtour de l'autel qui est à l'entrée de la tente de la Rencontre. [Il immolera : LXX porte le pluriel, de même au v. 11 ; cf. 4.15n ; Ez 44.11 ; Esd 8.35 ; 2Ch 29.22-24 ; 35.6. – bovin : cf. v. 3. – Voir prêtres.aspergeront : même verbe au v. 11 ; 3.2,8,13 ; 7.2,14 ; 8.19,24 ; 9.12,18 ; 17.6 ; Ex 24.6,8 ; 29.16,20 ; Nb 18.17 ; 2R 16.13,15 ; Ez 36.25 ; 43.18 ; 2Ch 29.22 ; 30.16 ; 34.11 ; 35.11 ; il signifie jeter (de la suie, de la poussière), en Ex 9.8,10 ; Es 28.25 ; Ez 10.2 ; Jb 2.12 ; 2Ch 34.4. Une aspersion (peut-être selon un rite différent) semble également évoquée par un autre verbe en Lv 4.6n, en ce qui concerne le sacrifice pour le péché. – sang 17.10-14 ; Hé 9.15-28.]6 Il dépouillera l'holocauste et le coupera en morceaux. 7 Les fils d'Aaron, le prêtre, mettront du feu sur l'autel et disposeront du bois sur le feu. 8 Les fils d'Aaron, les prêtres, disposeront les morceaux, la tête et la graisse sur le bois, sur le feu de l'autel. [sur le bois... : litt. sur les bois qui (sont) sur le feu qui (est) sur l'autel, cf. v. 7 ; de même dans la suite.]9 Il lavera avec de l'eau les entrailles et les pattes, et le prêtre fera fumer le tout sur l'autel. C'est un holocauste, une offrande consumée par le feu, une odeur agréable pour le SEIGNEUR. [Il lavera : il s'agit probablement de celui qui offre le sacrifice, plutôt que du prêtre, cf. v. 5 ; comparer avec Ez 44.11 ; 2Ch 29.22ss ; 35.6 ; voir aussi Ez 40.38. – fera fumer : verbe apparenté au terme qui désigne l'encens en 4.7 ; Ex 30.34+, de même dans la suite. – une offrande consumée par le feu : le mot ainsi traduit rappelle le terme hébreu habituellement rendu par feu et désigne toujours un sacrifice (Dt 18.1 ; 1S 2.28). – odeur agréable : autre traduction odeur apaisante : cf. v. 13,17 ; 2.2,9,12 ; 3.5,16 ; 4.31 ; 6.8,14 ; 8.21,28 ; 17.6 ; 23.13,18 ; 26.31 ; voir Gn 8.21n ; Ex 29.18,25,41 ; Ez 6.13.]

10 Si son présent est un holocauste pris sur le petit bétail, sur les moutons ou sur les chèvres, il présentera un mâle sans défaut. [son présent : Smr et LXX semblent avoir lu son présent au SEIGNEUR.]11 Il l'immolera à côté de l'autel, au nord, devant le SEIGNEUR ; les fils d'Aaron, les prêtres, aspergeront de son sang le pourtour de l'autel. [au nord : cf. Ez 40.38-43.]12 Il le coupera en morceaux, avec la tête et la graisse, et le prêtre disposera les morceaux sur le bois, sur le feu de l'autel. 13 Il lavera avec de l'eau les entrailles et les pattes. Le prêtre présentera le tout et le fera fumer sur l'autel. C'est un holocauste, une offrande consumée par le feu, une odeur agréable pour le SEIGNEUR.

14 Si le présent qu'il offre au SEIGNEUR est un holocauste d'oiseaux, il présentera des tourterelles ou des colombes. [oiseaux 5.7-10. – colombes ou pigeons ; même terme en Gn 8.8ss etc.]15 Le prêtre présentera l'oiseau sur l'autel, et il lui tordra le cou ; il fera fumer la tête sur l'autel, et il fera couler le sang contre la paroi de l'autel. [présentera l'oiseau : litt. le présentera. – il lui tordra le cou... : litt. il lui pincera la tête et (la) brûlera, cf. 5.8n. – il fera couler ou il fera gicler ; de même en 5.9. Le même verbe signifie faire sortir (l'eau d'une toison mouillée, par essorage) en Jg 6.38 et vider (une coupe, en la buvant) en Es 51.17 ; Ez 23.34 ; Ps 75.9.]16 Il détachera le jabot avec ses plumes et le jettera près de l'autel, vers l'est, dans le lieu où on met les cendres grasses. [ses plumes : autre traduction son ordure (le contenu du jabot ?), cf. v. 9.]17 Il le fendra entre les ailes, sans en séparer les moitiés ; et le prêtre le fera fumer sur l'autel, sur le feu de bois. C'est un holocauste, une offrande consumée par le feu, une odeur agréable pour le SEIGNEUR. [entre les ailes ou par les ailes. – sans en séparer les moitiés : litt. il ne séparera pas ; cf. 5.8 ; Gn 15.10. Selon certains, l'interdiction de séparer en deux les oiseaux irait à l'encontre de rites divinatoires d'origine babylonienne. – sur le feu de bois : litt. sur le bois qui (est) sur le feu, cf. v. 8n.]

chapitre précédent retour chapitre suivant