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Nouvelle Bible Segond – Proverbes 1

Proverbes

Le titre de ce livre correspond traditionnellement au premier mot du texte : Maximes (= « proverbes ») de Salomon... (1.1n). Le mot hébreu mashal, traduit en l’occurrence par « maxime », couvre dans la Bible une gamme étendue de genres littéraires ; c’est lui qui est rendu par « fable » en Ezéchiel 17.2 ; 24.3 ; les allégories, prosopopées, satires, épigrammes sont de son ressort. Il peut s’appliquer à des poèmes d’envergure, tel le plaidoyer de Job (Jb 27.1 ; 29.1) ou les oracles de Balaam (Nb 23.7,18). Mais le mashal le plus courant est la formule brève, parfois imagée, souvent elliptique, qui constitue l’élément de base de la sagesse antique (voir « La littérature de sagesse ») et qui fait l’essentiel du livre des Proverbes.

Une collection de collections

L’ouvrage se présente en effet comme une collection de maximes précédée d’un prologue développé (1–9) où alternent la forme habituelle de l’instruction paternelle ou magistrale (mon fils – expression qui peut aussi s’adresser à l’élève ou au disciple, 1.8-19 ; 2.1–7.27) et celle, plus originale, de l’appel lancé à l’homme par une Sagesse personnifiée (1.20-33 ; 8.1–9.18).

Les premières lignes du livre en indiquent le propos : pour connaître la sagesse... pour comprendre... Elles s’achèvent (1.7) par la première mention du principe fondamental que l’on retrouvera vers la fin du grand prologue (9.10) : la crainte du SEIGNEUR (YHWH) est le commencement de la connaissance.

Les maximes de la grande collection qui s’ouvre au chapitre 10 sont présentées sans ordre apparent. Un certain regroupement par sujet ou par mot-clef apparaît quelquefois (maximes sur la parole en 10.10-21 ; sur YHWH, le SEIGNEUR, en 15.33–16.8 ; aux rois en 16.9-15), mais il n’est jamais que partiel (voir les passages en question). Une présentation bien ordonnée et systématique aurait pu donner l’illusion d’une science qui maîtrise parfaitement le réel ; la présentation actuelle reflète mieux le caractère partiel et empirique de la sagesse des Proverbes.

A la collection principale, d’autres collections plus réduites ont été ajoutées, signalées dans le texte par des titres distincts :

Il est fort probable que les formules de 22.17 et 24.23 signalent aussi des collections distinctes. Ces nouvelles collections ne sont pas seulement constituées de maximes, au sens restreint du terme (sentences brèves) ; on y trouve aussi des instructions plus développées : ainsi les conseils sur la manière de se tenir à table (23.1-8), les propos sur l’ivrognerie (23.29-35), ou la description du paresseux (24.30-33).

Le livre s’achève sur le portrait de la femme de valeur (31.10-31), qui n’a pas l’allure, à première lecture, d’une conclusion définitive à l’enseignement sur la sagesse. Pourtant il couronne l’ouvrage dans sa composition finale. La femme qui craint le SEIGNEUR (31.30n) vient rappeler le principe fondamental de la sagesse selon le prologue (1.7 ; 9.10), principe qui encadre ainsi l’ensemble du livre. Le trait est plus frappant dans l’original hébreu, car la formule correspondant à qui craint le SEIGNEUR a exactement la même forme que celle qui est habituellement rendue par crainte du SEIGNEUR. Alors que le prologue met en garde contre la folie en la présentant sous les traits d’une séductrice et personnifie la Sagesse comme une hôtesse généreuse (9.1-6), la fin du livre ne se contente pas d’illustrer l’éloge du travail et de la compétence. Le grand tableau semble proposer la Sagesse comme l’Epouse par excellence, admirable et sans prix ; il la révèle pour conclure sous son nom principal : crainte du SEIGNEUR.

Sagesse de Salomon et sagesse égyptienne

Les divers titres et sous-titres de l’œuvre renvoient surtout à Salomon, mentionné trois fois (1.1 ; 10.1 ; 25.1) ; ils lui attribuent ainsi la majeure partie de l’ouvrage. La sagesse de Salomon est aussi saluée par le livre des Rois (1R 5.9-14), qui lui prête trois mille maximes (ce chiffre dépasse très largement le nombre de sentences recueillies ici).

Les deux autres auteurs cités en tête des derniers chapitres (Agour et la mère du roi Lemouel) sont certainement des non-Israélites (30.1n ; 31.1n) ; de plus, on a relevé des ressemblances particulièrement marquantes entre Proverbes 22.17n–24.22 et un texte égyptien (voir aussi 25.23n), probablement antérieur à l’époque de Salomon, l’Instruction d’Aménémopé. La présence d’éléments « importés » à l’intérieur de la Bible hébraïque témoigne d’une certaine universalité de la sagesse. Ils n’y constituent d’ailleurs pas un corps étranger. La révélation affirme encore une fois la souveraineté absolue de Dieu en intégrant et en soumettant à la crainte du SEIGNEUR des apports qui ressortissent aux dons divins répandus sur l’humanité tout entière.

Simplicité sans simplisme

Ouvrage de base de la sagesse, à la différence de Job ou de Qohéleth (l’Ecclésiaste) qui abordent de manière plus critique des problèmes aigus comme celui de la souffrance du juste ou de la condition humaine, le livre des Proverbes a pour mission première d’instruire celui qui manque encore d’expérience, le jeune homme, le naïf (1.4).

Ce souci d’instruction élémentaire conduit à une distinction tranchée entre le bien et le mal qu’accentue la brièveté propre à la maxime, peu propice à l’expression de la nuance. Ce type de sentence, dans sa forme la plus courante (parallélisme antithétique), oppose la bonne et la mauvaise conduite (voir 10.1ss) et associe régulièrement bien et bonheur, mal et malheur (voir 11.3-11). Ce contraste apparaît de manière plus nette encore dans le grand prologue (1–9) où les bienfaits de la sagesse sont opposés aux méfaits des mauvaises compagnies, de la paresse ou du libertinage. Il s’achève sur l’invitation des deux hôtesses, la sagesse qui prolonge la vie (9.11) et la folie dont les invités ne savent pas qu’ils sont dans les vallées du séjour des morts (9.18).

Cette simplicité salutaire de l’enseignement sapiential ne doit pourtant pas être confondue avec une attitude simpliste. Le livre s’adresse aussi au sage : que le sage écoute, et il augmentera son savoir (1.5, faisant suite au v. 4 citant le naïf comme destinataire). L’opposition entre bien et mal n’est pas si évidente, les invités de la folie ne se rendent pas compte qu’ils sont chez les morts (9.18). La droiture n’est pas nécessairement une garantie d’abondance matérielle : mieux vaut peu avec la justice que d’abondants revenus illicites (16.8). Les relations humaines peuvent poser des problèmes quasi insolubles, ainsi qu’en témoignent les deux maximes opposées sur l’attitude à tenir envers l’homme stupide (26.4s). Ainsi, tout en optant résolument pour un choix aussi clair que possible entre bien et mal, sagesse et folie, l’ouvrage tient compte de la complexité d’une réalité que Dieu seul peut gérer parfaitement : C’est le SEIGNEUR qui dirige les pas de l’homme ; l’être humain, comment pourrait-il comprendre sa voie ? (20.24)

En fait, la sagesse des Proverbes est avant tout une science de l’observation (d’où l’importance qu’elle accorde à la perception des sens : il s’agit de regarder et d’écouter pour comprendre ; cf. 20.12). Elle s’efforce d’appréhender l’ordre du monde et de discerner ses causalités : tel acte entraîne normalement des conséquences heureuses pour son auteur et pour son entourage ; tel autre, des conséquences malheureuses. Dieu étant conçu comme garant de cet ordre, l’observation pouvait se figer en une théologie de la rétribution, qui affleure ici et là : Dieu récompense le juste et punit le méchant. C’est à cette doctrine, telle que la défendent les amis de Job, que ce dernier se heurtera. Il n’est toutefois pas sans intérêt de remarquer que les Proverbes eux-mêmes mettaient en garde contre les déductions théologiques hâtives : à sept reprises le juste peut tomber (24.16).

Une crainte faite de respect

Comme nous l’avons vu, la crainte du SEIGNEUR est posée comme principe de base de la sagesse (1.7 ; 9.10) et rappelée discrètement à la fin du livre (31.30).

L’emploi du nom personnel de Dieu, YHWH (le SEIGNEUR), nom caractéristique de sa révélation à Israël (Ex 6.2-3 ; Dt 6.4), au début d’un livre qui présente tant de points communs avec les productions des autres peuples, écarte la tentation d’une sagesse indépendante de la connaissance du vrai Dieu.

Quant à la notion de crainte de Dieu, elle dénote, pour la foi, la profondeur du sentiment et des convictions, le sérieux de la pratique, le principe même de l’obéissance. L’objet de la crainte est celui dont tout dépend et auquel tout se rapporte, dont la pensée impressionne et motive plus que toute autre. Craindre Dieu, ce n’est pas s’inquiéter sans cesse des réactions qu’il pourrait avoir. Craindre Dieu signifie que toute autre considération ou toute autre crainte doivent s’effacer devant lui : pas de sagesse, pas d’intelligence, pas de conseil qui tienne devant le SEIGNEUR ! (21.30)

Le but du livre

1 Maximes de Salomon,
fils de David, roi d'Israël, [Maximes : le mot hébreu mashal recouvre des genres littéraires très variés et peut, en conséquence, être traduit de diverses manières (proverbe, 1S 10.12, d'où le titre traditionnel du livre ; mais aussi maxime, 1S 24.14 ; poème, Nb 23.7n ; Ez 14.8n ; Ps 78.2n ; fable, Dt 28.37 ; Jb 17.6) ; LXX le rend ici (et dans le titre du livre) par le mot grec paroïmia (cf. Jn 10.6, discours figuré ; 2P 2.22, proverbe). Vg a traduit par paraboles, ce qui met en valeur l'aspect énigmatique ou pédagogique de certains proverbes. L'essentiel du livre (chap. 10ss) est composé de maximes ou de sentences, populaires (proverbes) ou reflétant l'expérience d'un milieu particulier (de la cour du roi au monde rural), exprimées en un seul vers comportant deux stiques qui mettent souvent en balance deux idées, opposées ou complémentaires. La racine hébraïque d'où vient le mot mashal peut évoquer une comparaison (Es 14.4n ; Ps 28.1, être semblable ; cf. Jb 30.19 ; 41.25n), mais elle peut aussi signifier (par homonymie, ou en vertu d'un rapport de sens ? cf. Es 28.14n) dominer, gouverner, exercer le pouvoir (Pr 6.7 ; 12.24 ; 16.32 ; 17.2 ; 19.10 ; 22.7 ; 23.1 ; 28.15 ; 29.2,12,26 ; voir aussi Gn 1.16n). – Salomon... 1R 5.9-14.]

2 pour connaître la sagesse et l'instruction,
pour comprendre les paroles de l'intelligence, [sagesse : hébreu hokma ; le terme peut désigner le savoir-faire ou l'habileté de l'artisan (Ex 31.2ss ; 35.25s ; 36.8 ; 1R 7.14), du marin (Ps 107.27), du commerçant (Ez 28.4s) ou du paysan (cf. les proverbes ruraux comme 10.5 ; 12.10 ; 20.4 ; 25.14,23 ; 26.1 ; 27.23ss) comme l'aptitude intellectuelle du scribe (Jr 8.8s) ou l'adresse politique des conseillers du roi. La sagesse est habituellement fondée sur l'observation, la réflexion, l'expérience et l'enseignement. – instruction : hébreu mousar ; ce mot peut aussi être traduit par correction (ou corriger, 3.11 ; 7.22 ; 12.1 ; 13.24 ; 15.5,10,32 ; 19.20,27 ; 22.15 ; 23.13 ; 24.32) ; cf. Jr 5.3+. – intelligence : le terme correspondant (bina) évoque peut-être plus spécialement la capacité d'analyse et de discernement ; cependant le texte enfile des quasi-synonymes, pratiquement interchangeables, entre lesquels il serait probablement illusoire de distinguer des nuances trop précises ; voir aussi 2.2n ; 4.1.]

3 pour recevoir l'instruction du bon sens,
— justice, équité et droiture — [équité : hébreu mishpath ; le terme correspondant est souvent traduit par droit, justice ou jugement (Dt 1.17) ; au pluriel, règles (Ex 21.1 ; Dt 4.8). – droiture : même terme en 2.9 ; 8.6 ; 23.16,31 ; autre terme apparenté en 2.13 ; 4.11 ; 11.24 ; 14.2 ; 17.26.]

4 pour donner aux naïfs un esprit avisé,
au jeune homme de la connaissance et de la réflexion. [naïfs v. 22,32 ; 7.7 ; 8.5 ; 9.4,13,16 ; 14.15 ; 19.25 ; 21.11 ; 22.3 ; 27.12 ; on a rapproché ce terme du verbe traduit par duper au v. 10n. – un esprit avisé : cf. 8.5,12 ; 10.5 ; 12.16,23 ; 13.16 ; 14.8,15,18 ; 15.5 ; 19.25 ; 22.3 ; 27.12 ; ce terme peut évoquer une saine prudence ou, en mauvaise part, la ruse (cf. Gn 3.1n ; Jb 5.12s ; 15.5). – réflexion 2.11 ; 3.21 ; 5.2 ; 8.12 ; cf. 12.2n.]

5 Que le sage écoute, et il augmentera son savoir,
et celui qui est intelligent acquerra l'art de diriger ; [Que le sage... 22.17 ; Ec 9.17. – savoir 4.2 ; 7.21 ; 9.9 ; 16.21,23. – acquerra 4.5+. – l'art de diriger : même terme en 11.14 ; 12.5 (stratégie) ; 20.18 ; 24.6 ; Jb 37.12 (diriger).]

6 pour comprendre maximes et sentences,
les paroles des sages et leurs énigmes. [maximes et sentences : autre traduction une maxime (v. 1n) et une sentence (sur le terme correspondant, cf. Ha 2.6n).]

7 La crainte du SEIGNEUR est le commencement de la connaissance ;
la sagesse et l'instruction, voilà ce que les imbéciles méprisent. [crainte du SEIGNEUR v. 29 ; 2.5 ; 8.13 ; 9.10 ; 10.27 ; 14.2 ; 15.16,33 ; 16.6 ; 19.23 ; 22.4 ; 23.17 ; Ps 111.10 ; Jb 28.28 ; Siracide 1.14 : « Le commencement de la sagesse, c'est la crainte du Seigneur, pour les fidèles, elle a été créée avec eux dans le sein maternel. » 25.11 : « La crainte du Seigneur surpasse toute chose : celui qui la possède, à qui peut-on le comparer ? » – imbéciles : cf. 10.14,21 ; 11.29 ; 12.15s ; 14.3,9 ; 15.5 ; 16.22 ; 17.28 ; 20.3 ; 24.7 ; 27.3,22 ; 29.9.]

La littérature de sagesse

L’expression « littérature de sagesse » désigne au premier chef trois livres de la Bible hébraïque : les Proverbes, Job et Qohéleth (ou l’Ecclésiaste). En dépit de différences notables, le Siracide et la Sagesse de Salomon, qui n’ont pas été retenus dans le canon juif, puis protestant (voir l’introduction à l’Ancien Testament), se rattachent à la même catégorie.

Les livres de sagesse ne sont pas sans écho dans le reste de l’Ancien Testament. On en retrouve en effet ici et là les formes spécifiques : maximes ou proverbes (1S 24.14 ; 1R 20.11), énigmes (Jg 14.14), fables (Jg 9.7ss ; 2R 14.9), paraboles (2S 12). En outre, de nombreux récits font une large place aux thèmes de prédilection de la sagesse : ainsi Genèse 2–3 où les motifs de la vie et de la mort, de la connaissance et du travail, rappellent bien des passages des Proverbes, le seul autre livre de la Bible hébraïque où apparaît l’expression « arbre de vie » (Pr 3.18+) ; Genèse 37ss où la sagesse divine de Joseph le hisse à une haute position en Egypte ; 2 Samuel 13ss où l’affrontement des conseillers joue un rôle central dans les péripéties de la succession de David ; et surtout 1 Rois 3–10, où Salomon, à qui se réfèrent les Proverbes (1.1 ; 10.1 ; 25.1) et sans doute Qohéleth (1–2), apparaît comme le « patron » des sages d’Israël. On a également relevé des traits sapientiaux dans plusieurs prières (Ps 1 ; 19 ; 37 ; 49 ; 73 ; 90 ; 91 ; 112 ; 119 ; 127).

Mais la sagesse ne se limite pas à la Bible. Hors d’Israël, une vaste littérature attestée depuis le IIIe millénaire av. J.-C., en Mésopotamie (déjà à Sumer) et en Egypte, mais aussi en Arabie, en Syrie et en Phénicie, offre en effet de nombreuses analogies avec la sagesse biblique (cf. Es 10.13 ; 19.12 ; 47.10 ; Jr 10.7 ; 49.7).

De fait, dans la Bible hébraïque, les livres de sagesse se caractérisent avant tout par leur universalisme : ils n’hésitent pas à se référer positivement, de façon plus ou moins ouverte, à l’œuvre de penseurs étrangers (Pr 22.17n,20n ; 30.1n ; 31.1n ; Job et ses amis sont présentés comme des non-Israélites et évitent les désignations typiquement israélites de la divinité). Ils ne craignent pas non plus de juxtaposer des vues a priori contradictoires (ainsi, dans les Proverbes, l’exemple classique de 26.4s ; mais aussi 10.2s ; 14.1s ; 18.10s ; 19.20s ; les dialogues de Job et de ses amis ; ou encore Ec 2.14-16 ; 7.1-12 ; 8.5ss où Qohéleth semble corriger les maximes qu’il cite). Des thèmes particularistes comme l’histoire particulière du « peuple élu », la religion et la morale à lui seul « révélées », n’y apparaissent pas clairement. Les paroles des sages ont pour horizon l’humanité et le monde, tels qu’ils peuvent être observés partout et de tout temps. L’objet de leur étude est la création, à condition qu’on n’entende pas seulement par là la formation originelle de l’univers (Pr 3.19s ; 8.22ss), mais l’œuvre mystérieuse (cf. Pr 25.2 ; Ec 3.14) qui fait quotidiennement les événements, l’ordre social et le sort de chacun (cf. Pr 14.31 ; 16.4,33 ; 18.18 ; 22.2 ; 29.13 ; Jb 5.10 ; 38.12ss,25ss).

Ces textes ne sont pas pour autant profanes, comme on l’a quelquefois affirmé en leur appliquant imprudemment des critères d’analyse modernes. Dieu, ou les dieux, font en effet partie intégrante de l’univers des sages de l’Antiquité. Seulement la divinité que ceux-ci révèrent (cf. la référence centrale à la crainte de Dieu ; Jb 1.2 ; 28.28 ; Pr 1.7 ; 9.10 ; Ec 3.14 ; 5.6 ; 12.13) ne semble guère s’engager dans une relation personnelle avec tel individu ou tel peuple en particulier : si elle « voit » ce qui se passe ici-bas (cf. Pr 15.3+), si elle est, en principe (la chose sera contestée par Job et Qohéleth), garante de l’ordre moral comme elle l’est de l’ordre naturel, elle ne se dévoile pas directement. Le sage, à la différence du prophète ou du prêtre, ne compte pas d’abord sur une révélation particulière ; ce qu’il sait du divin, en tant que sage (que ce soit beaucoup, comme dans les Proverbes, ou peu, comme dans Job et a fortiori dans Qohéleth), il le sait avant tout par l’exercice de ses facultés d’observation et de réflexion (Pr 1.4s), qui n’en sont pas moins reconnues comme des dons de Dieu (cf. 20.12). L’expérience ainsi acquise – la sagesse est naturellement associée à l’âge, Jb 12.12 – peut et doit être transmise, peut-être dans des écoles où des maîtres sont chargés d’éduquer les enfants des notables locaux ou les jeunes gens appelés à suivre une carrière administrative (des textes comme Pr 23.1-3 semblent particulièrement adaptés à un tel contexte). L’interpellation mon fils, fréquente dans la première partie des Proverbes (1.8 ; 2.1 ; 3.1 etc.), peut être comprise d’un maître à son disciple.

Certains en ont déduit que les sages – éventuellement identifiés aux anciens ou aux scribes – constituaient une catégorie à part, à côté des prêtres et des prophètes (cf. Jr 18.18), mais ce n’est pas sûr. Les conseillers du roi pouvaient être des prêtres (comme Zaboud, dont le titre d’ami du roi suggère une fonction de conseiller, 1R 4.5), des militaires (comme Joab, qui conseille David en 2S 14ss), voire de jeunes courtisans (1R 12.6,8). Le roi lui-même restant, conformément à l’idéologie commune à tout le Proche-Orient ancien, la référence suprême de la sagesse (cf. 2S 14.20 ; Pr 16.10).

Philosophiques au sens premier du terme (le philosophe est étymologiquement l’ami de la sagesse), ces textes se distinguent de la philosophie grecque par leur orientation d’abord pratique plutôt que spéculative : le mot hébreu hokma, couramment traduit par sagesse, désigne aussi bien le savoir-faire de l’artisan (Ex 31.2ss ; 35.25s ; 36.8 ; 1R 7.14), du marin (Ps 107.27), du commerçant (Ez 28.4s) ou du paysan (cf. les proverbes ruraux comme 10.5 ; 12.10 ; 20.4 ; 25.14,23 ; 26.1 ; 27.23ss) que l’aptitude intellectuelle du scribe (Jr 8.8s) ou l’habileté politique des conseillers du roi. De plus, si elle est réaliste, la sagesse n’est pas rationaliste au sens moderne : elle n’exclut pas toujours des méthodes que nous qualifierions volontiers de divinatoires (Gn 41.8 ; Ex 7.11 ; Es 47.10ss ; Dn 1.20 ; voir aussi, à la frontière entre magie et habileté professionnelle, Jr 9.16 ; Ps 58.6).

La sagesse biblique est orientée vers la vie dans un monde qui n’est ni le pire ni le meilleur possible, mais le seul : on notera qu’elle est souvent incarnée par les femmes (cf. Jg 9.53 ; 1S 25 ; 2S 14 ; 1R 17), et que sa personnification, qui n’est pas sans rappeler la Ma’at égyptienne représentant l’ordre du monde, sera féminine (cf. Pr 1.20ss ; 8–9 ; 31.10ss). L’un de ses thèmes de réflexion favoris est la parole humaine et son fascinant pouvoir de nuisance et de guérison (Pr 18.21 ; cf. 11.9,11 ; 12.6,18 ; 13.14,17 ; 15.1,4 ; 16.24 ; 18.7 ; 21.23 ; 25.13,18 ;26.18-19,28 ;27.6 ;30.14) ; à cette parole à la fois destructrice et créatrice, le Dieu du réel ne saurait être étranger (Pr 16.1)...

La sagesse humaine est souvent critiquée par les prophètes (Es 5.21 ; 10.13 ; 19.3ss,11ss ; 29.14ss ; 31.1s ; Jr 50.35 ; cf. la condamnation de Salomon, pécheur par universalisme, en 1R 11). La sagesse biblique est cependant intégrée par de nombreux textes religieux : les idéaux de la sagesse font partie des dons du « messie » royal (voir onction) en Es 11.1ss ; dans le Deutéronome (4.6ss), dans certains psaumes (1 ; 19 ; 119), loi et sagesse sont associées (comparer Esd 7.12 et 25n). Elles seront explicitement identifiées l’une à l’autre par le Siracide et la Sagesse de Salomon. On a souvent vu dans l’apocalyptique (voir l’introduction à Daniel) un mariage original du prophétisme et de la sagesse. Dans le Nouveau Testament, l’enseignement de Jésus, en particulier dans les textes communs à Matthieu et à Luc (voir « Un document caché dans l’Evangile selon Luc »), s’apparente en grande partie à la littérature de sagesse. Et le prologue de l’Evangile selon Jean, présentant le Christ comme la Parole divine préexistante à l’univers, rappelle les traits de la Sagesse personnifée (Pr 8).

Mise en garde contre les mauvais garçons

8 Mon fils, écoute l'instruction de ton père,
et ne délaisse pas l'enseignement de ta mère ; [Mon fils : l'expression peut s'adresser, outre au fils (ou au petit-fils) proprement dit, à l'élève ou au disciple d'un maître. – écoute 2.2 ; 4.1,10 ; 7.24 ; 13.1 ; 19.20 ; 22.17 ; 23.19,22 ; cf. 4.20 ; 5.1 ; 7.1. – l'enseignement : hébreu tora ; hors des Proverbes (voir aussi Jb 22.22n) ce mot est habituellement traduit par loi ; il tire ses différents sens d'une racine verbale qui peut signifier enseigner, éduquer. Cf. 3.1 ; 4.2 ; 6.20,23 ; 7.2 ; 13.14 ; 28.4,7,9 ; 29.18 ; 31.26 ; Ex 12.49n ; Dt 4.44. – ta mère : cf. 4.3 ; 6.20 ; 10.1 ; 15.20 ; 17.25 ; 19.26 ; 20.20 ; 23.22,25 ; 28.24 ; 29.15 ; 30.11,17 ; 31.1.]

9 car c'est une parure gracieuse pour ta tête,
ce sont des colliers pour ton cou. [parure : autre traduction ruban (cf. 4.9) ; Sagesse 5.16 : « Aussi recevront-ils (les justes) la royauté splendide et le diadème magnifique de la main du Seigneur. » – des colliers : cf. Siracide 6.24-29 : « Mets tes pieds dans ses entraves (celles de la sagesse), et ton cou dans son carcan... Alors ses entraves seront pour toi une protection puissante, et son carcan un vêtement glorieux. »]

10 Mon fils, si des pécheurs veulent te duper,
ne te laisse pas faire. [Voir pécheurs.te duper : autre traduction te séduire ; même verbe en 16.29 ; 20.19 ; 24.28 ; 25.15. – ne te laisse pas faire : litt. ne le veuille pas ; quelques mss portent n'y va pas ; cf. Ps 1.1.]

11 S'ils disent : Viens avec nous,
dressons une embuscade, versons du sang,
tendons sans raison des pièges à l'innocent, [embuscade / pièges v. 18 ; cf. Siracide 11.32 : « Une étincelle allume un brasier, les pièges du pécheur font couler le sang. » – sans raison v. 17n.]

12 engloutissons-les vivants, comme le séjour des morts,
tout entiers, comme ceux qui descendent dans le gouffre ; [le séjour des morts 5.5 ; 7.27 ; 9.18 ; 15.11,24 ; 23.14 ; 27.20 ; 30.16 ; Nb 16.31-33n ; Ps 6.6+ ; 55.16+ ; Jb 7.9n ; Ec 9.10 ; voir aussi Es 14.9. – descendent dans le gouffre Es 38.18 ; Ez 31.14-18 ; cf. Ps 28.1 ; 30.4 ; 88.5 ; 143.7.]

13 nous trouverons toutes sortes de biens précieux,
nous remplirons de butin nos maisons ;

14 tu auras ta part au milieu de nous,
il n'y aura qu'une bourse pour nous tous ! [tu auras ta part : litt. tu feras tomber ton sort ou ton lot, même terme en 16.33 ; 18.18.]

15 Mon fils, ne te mets pas en chemin avec eux,
garde tes pieds de leur sentier ; [ne te mets pas en chemin... Ps 1.1. – tes pieds : litt. ton pied.]

16 car leurs pieds courent au mal,
et ils ont hâte de répandre du sang. [au mal ou au malheur 6.18 ; Es 59.7 ; Rm 3.15.]

17 Car c'est en vain qu'on jette le filet
devant les yeux de tout ce qui a des ailes ; [Texte obscur. Il s'agit sans doute d'une comparaison, qu'on pourrait comprendre ainsi : les oiseaux, quand ils voient poser le piège, l'évitent (mais les mauvais n'ont pas cette intelligence et se tendent un piège à eux-mêmes, v. 18). – en vain : la même expression a été traduite par sans raison au v. 11.]

18 eux, c'est contre leur propre sang qu'ils dressent une embuscade,
c'est à leur propre vie qu'ils tendent des pièges. [Voir sang.]

19 Telles sont les voies de celui qui est avide d'un gain illicite :
il prend la vie de son maître. [les voies : certains modifient le texte hébreu traditionnel pour lire la fin ou l'avenir ; cf. 15.27. – Les termes correspondant à avide et gain illicite sont apparentés en hébreu ; aussi 15.27. – son maître (hébreu ba‘al) : autre traduction celui qui le possède.]

Appel et avertissement de la sagesse

20 La Sagesse crie dans les rues,
sur les places elle fait retentir sa voix ; [La Sagesse : le mot hébreu est ici au pluriel (de même en 9.1 ; 14.1 ; 24.7) ; 8.1-10 ; 9.3 ; Jn 7.37 ; cf. 8.22 ; Jr 5.1,12s ; 7.2 ; Am 6.1 ; 9.10 ; So 1.12.]

21 aux carrefours bruyants elle crie ;
aux portes de la ville elle prononce ses paroles : [bruyants : autre traduction agités, cf. 7.11n ; 20.1. – elle crie... : cf. Sagesse 6.14 : « Quiconque part tôt vers elle (la Sagesse) ne se fatiguera pas : il la trouvera assise à sa porte. » – aux portes... : litt. aux entrées des portes, dans la ville.]

22 Jusqu'à quand, naïfs, aimerez-vous la naïveté ?
Jusqu'à quand les insolents se plairont-ils à l'insolence
et les gens stupides détesteront-ils la connaissance ? [Jusqu'à quand : cf. Jr 4.14,21 ; 12.4 ; 31.22 ; 47.5. – naïfs v. 4n. – insolents : traduction traditionnelle moqueurs ; cf. 3.34 ; 9.7s,12 ; 13.1 ; 14.6,9 ; 15.12 ; 19.25,28s ; 20.1 ; 21.11,24 ; 22.10 ; 24.9 ; 29.8 ; cf. Es 28.14,22 ; 29.20. – stupides : même terme au v. 32 ; 3.35 ; 8.5 ; 10.1,18,23 ; 12.23 ; 13.16,19s ; 14.7s,16,24,33 ; 15.2,7,14,20 ; 17.10,12,16,21,24s ; 18.2,6s ; 19.1,10,13,29 ; 21.20 ; 23.9 ; 26.1ss ; 28.26 ; 29.11,20 ; Ps 49.11 ; 92.7 ; 94.8 ; Ec 2.14+.]

23 Revenez à mes avertissements !
Je répandrai sur vous mon souffle,
je vous ferai connaître mes paroles... [avertissements ou réprimandes v. 25,30 ; 3.11 ; 5.12 ; 6.23 ; 10.17 ; 12.1 ; 13.18 ; 15.5,10,31s ; 27.5 ; 29.1,15. Le mot hébreu est aussi traduit par réplique (Ps 38.15), châtiment (ou châtier, Ps 39.12 ; 73.14), défense (Jb 13.6n). – Je répandrai ou je ferai jaillir (cf. 18.4) ; la même forme verbale est traduite par éructer en 15.2,28 ; cf. Ps 19.3n. – mon souffle ou mon esprit : cf. Jb 32.8 ; voir aussi Es 11.1-4 ; Jl 3.]

24 Puisque j'ai appelé et que vous avez résisté,
puisque j'ai tendu la main et que personne n'y a prêté attention, [j'ai appelé Es 65.12 ; 66.4 ; Jr 7.13. – j'ai tendu la main : cf. Es 65.2 ; Ac 26.1.]

25 puisque vous avez rejeté tous mes conseils
et que vous avez fait peu de cas de mes avertissements, [vous avez rejeté : cf. Ps 107.11. – conseils : cf. v. 30 ; 8.14 ; 12.15 ; 19.20 ; 20.18 ; 21.30 ; 27.9.]

26 à mon tour, je rirai, quand la catastrophe s'abattra sur vous,
je me moquerai, quand la frayeur viendra sur vous [je rirai : cf. Dt 28.63 ; Ps 2.4. – quand la catastrophe... : litt. à votre catastrophe. Cf. Jr 11.11 ; 23.19 ; Mi 3.4.]

27 — quand la frayeur viendra sur vous comme une tourmente,
lorsque la catastrophe arrivera sur vous comme un ouragan,
quand la détresse et le désarroi arriveront sur vous.

28 Alors ils m'appelleront et je ne répondrai pas ;
ils me chercheront et ne me trouveront pas. [ils m'appelleront... : cf. Es 1.15 ; Jr 11.11 ; 14.12 ; Ez 8.18 ; Os 5.6 ; Mi 3.4 ; Jn 7.34.]

29 Parce qu'ils ont détesté la connaissance
et qu'ils n'ont pas choisi la crainte du SEIGNEUR, [Cf. Jr 6.19. – crainte du SEIGNEUR : cf. v. 7n.]

30 parce qu'ils n'ont pas voulu de mes conseils
et qu'ils ont méprisé tous mes avertissements, [conseils v. 25n. – avertissements v. 23n.]

31 ils mangeront le fruit de leur voie
et ils seront rassasiés de leurs propres conseils, [ils mangeront... : cf. 18.21 ; 26.27 ; 28.10 ; Ps 7.15-17 ; Sagesse 11.16 : « On est puni par où l'on a péché. » – leur voie : autre traduction leur conduite.]

32 car l'égarement des naïfs les tue,
l'insouciance des gens stupides les perd ; [Cf. 8.36 ; Am 6.1 ; voir aussi Jr 5.12s. – égarement : le terme hébreu est aussi traduit par infidélité (cf. Jr 3.8 ; 5.6).]

33 mais celui qui m'écoute demeurera en sécurité,
il vivra tranquille, sans que le malheur l'effraie.

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