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Vigouroux – 1 Samuel 1

1er Livre de Samuel (1er Livre des Rois)

Introduction aux livres des Rois

(qui comprennent les deux premiers livres de Samuel)

Les livres que nous nommons livres des Rois forment deux ouvrages distincts, quoique étroitement liés entre eux. Ils ont chacun un nom particulier dans la Bible hébraïque. Les deux premiers livres portent le nom de Samuel, et aux deux derniers est réservé le titre de livres des Rois.

Les deux premiers livres des Rois ou livres de Samuel ne formaient primitivement qu’un seul livre, lequel fut partagé en deux par les Septante et par la Vulgate. Ils portent le nom de Samuel, dans le texte hébreu, non parce que ce juge en est l’auteur, mais parce qu’il est le premier personnage qui apparaît sur la scène : c’est son histoire qui nous est d’abord racontée, puis celle des deux rois qu’il a sacrés, Saül et David.

Les deux premiers livres des Rois se divisent en trois grandes sections : 1° Enfance et judicature de Samuel, 1 Rois, du chapitre 1 au chapitre 12 ; 2° Histoire du règne de Saül, du chapitre 13 au chapitre 31 ; 3° Histoire du règne de David, 2 Rois, du chapitre 1 au chapitre 24. La première section nous apprend comment le régime monarchique s’introduisit en Israël ; la seconde nous montre dans Saül ce que ne doit pas être un roi d’Israël, et la troisième nous fait voir dans David l’idéal du roi théocratique. De la naissance de Samuel aux dernières années de David, au moment où s’arrête notre narrateur, il s’écoula probablement un peu plus de cent ans.

Les deux premiers livres des Rois entrent dans de longs détails sur les faits qu’ils racontent, excepté dans quelques passages qui ont la forme abrégée de chroniques ou d’annales ; ils contiennent une véritable biographie des trois personnages que l’auteur nous présente, en se permettant seulement quelques répétitions, comme on en trouve dans Homère et dans tous les écrivains Orientaux.

L’unité de composition est attestée par l’unité de plan et par le langage qui est toujours le même, généralement semblable à celui des écrits antérieurs, mais avec un certain nombre de mots et de locutions nouvelles.

L’auteur des deux premiers livres des Rois n’est pas le même que celui du troisième et du quatrième. Ces deux livres forment un tout complet ; les derniers chapitres du second forment même une sorte d’appendice qui montre que l’auteur était arrivé au terme de son œuvre. ― Le plan des deux écrivains n’est pas le même. Le plus ancien a écrit plutôt des biographies que des annales ; il entre dans une foule de détails circonstanciés et peu importants en apparence ; le plus récent raconte brièvement ; il ne développe pas, il omet beaucoup de faits. ― Le style des troisième et quatrième livres des Rois se distingue enfin de celui du premier et du second par des néologismes et des aramaïsmes particuliers. L’historien de Saül et de David est au contraire un des meilleurs écrivains en prose de l’âge d’or de la littérature hébraïque. Il tient parmi les prosateurs le même rang qu’Isaïe et Joël parmi les prophètes. Il n’a point les archaïsmes du Pentateuque, mais il y a cependant moins de différence entre Moïse et lui qu’entre le poète Lucain et Virgile ; il n’a pas non plus ce qu’on a appelé les provincialismes de l’auteur des Juges, qu’on a supposé avoir vécu dans le nord de la Palestine ; il est supérieur à l’auteur des Paralipomènes, qui appartient à l’âge d’argent, et aussi à l’auteur des troisièmes et quatrièmes livres des Rois, chez qui l’on trouve un certain nom de chaldaïsmes, tandis qu’on n’a pu en découvrir plus de six dans les deux livres de Samuel. Il y a quelques expressions qui lui sont propres ; il est le premier qui appelle Dieu : « Le Seigneur des armées » ou Jéhovah Sabaoth ; mais cette dénomination devient très fréquente à partir de cette époque, et on la retrouve dans les deux derniers livres des Rois, comme dans les autres écrivains de la même époque.

Du reste, l’auteur des livres de Samuel n’est pas nommé dans la Sainte Ecriture, non plus que dans Josèphe et Mischna. La Ghemara de Babylone, la première, et par suite, quelques Pères, les attribuent à Samuel, quoiqu’on y lise le récit d’événements postérieurs à la mort de ce prophète. Parmi les Juifs et les modernes, quelques-uns ont cru que Samuel était l’auteur des vingt-quatre premiers chapitres du premier livre et que le reste avait été composé par les prophètes Gad et Nathan ; d’autres critiques en ont attribué la composition, les uns à David, les autres à Isaïe, à Jérémie, Ezéchias ou Esdras. Cependant toutes ces hypothèses ne reposent sur aucun fondement solide : nous ignorons quel en est l’auteur, et tout ce qu’il est permis d’affirmer, c’est qu’ils ont été très probablement rédigés peu de temps après la mort de Salomon.

Les 3e et 4e livres des Rois, n’en forment réellement qu’un, partagé en deux par les Septante et par la Vulgate. Ils contiennent l’histoire de 427 ans, selon la chronologie ordinairement reçue, c’est-à-dire depuis l’avènement de Salomon, en 1015, jusqu’à la destruction du temple, en 588. On leur a donné le nom de livres des Rois, parce qu’ils s’occupent principalement de l’histoire des rois depuis la mort de David jusqu’à la captivité. Ils se partagent en trois sections : 1° Règne de Salomon, 3 Rois, du chapitre 1 au chapitre 11 (1015-975) ; 2° Histoire des royaumes séparés de Juda et d’Israël, de 3 Rois, chapitre 12 à 4 Rois, chapitre 17 (975-721) ; 3° Histoire du royaume de Juda depuis la ruine du royaume d’Israël jusqu’à la captivité de Babylone, 4 Rois, du chapitre 18 au chapitre 25 (721-588). Ils commencent là où s’arrêtent les deux livres de Samuel, mais ils forment une œuvre indépendante et complète, comme le prouvent l’unité du plan, la manière particulière de présenter les faits et le style propre de l’écrivain.

Ils nous montrent tour à tour les rois fidèles à Dieu récompensés de leur fidélité et les infidèles punis de leurs péchés, mais non rejetés comme Saül. Les fautes de Salomon sont châtiées en la personne de son fils Roboam qui perd dix tribus, mais conserve Jérusalem et la tribu de Juda. Les successeurs de Roboam portent aussi le poids de leurs iniquités ou sont protégés par le Seigneur, selon qu’ils le méritent. Israël expie par la déportation son incurable idolâtrie ; Juda satisfait à la vengeance divine par la captivité de Babylone.

Pour faire ressortir l’intervention de la Providence dans le gouvernement de son peuple, l’auteur des derniers livres des Rois fait surtout des extraits d’ouvrages antérieurs plus développés, mais en les coordonnant et les disposant selon le plan qu’il s’était tracé, de manière à faire une œuvre pleine d’unité.

La marche qu’il suit est toujours uniforme : il décrit le commencement, le caractère et la fin de chaque règne ; il indique la mort et la sépulture de chaque roi en termes à peu près identiques ; il apprécie les actions des princes d’après la loi de Moïse et marque avec soin la chronologie.

Le Talmud et un grand nombre d’anciens commentateurs ont regardé Jérémie comme l’auteur du troisième et du quatrième livre des Rois. Plusieurs modernes adoptent cette opinion, en se fondant sur la ressemblance de langage et d’idées qu’on remarque entre cet ouvrage et les écrits du prophète. Cette opinion, sans être certaine, est très vraisemblable, car elle a pour elle la tradition en même temps que la similitude du style.

L’exactitude des livres des Rois par rapport aux événements politiques est universellement reconnue, et la découverte des inscriptions assyriennes, dans ces dernières années, l’a confirmée d’une manière éclatante. La seule partie de cette histoire sacrée qui soit attaquée par les ennemis de la foi est celle qui raconte la mission des prophètes, leurs prédictions et leurs miracles : ils les traitent de mythes ou de légendes, mais sans autres motifs que la négation du surnaturel, oubliant ou ne voulant pas admettre que Dieu peut révéler à l’homme un avenir qui pour lui est sans voiles, et commander à la nature dont il est l’auteur.

Elcana et ses deux femmes. Anne obtient du Seigneur un fils qui est nommé Samuel. Elle le consacre au Seigneur.

1 Il y avait un homme de Ramathaïm-Sophim, dans la montagne d’Ephraïm, qui s’appelait Elcana ; il était fils de Jéroam, fils d’Eliu, fils de Thohu, fils de Suph, Ephraïmite (Ephrathéen, note). [1.1 Ephrathéen ; ou de la tribu d’Ephraïm, mais par le domicile seulement, car par la naissance, il était de la tribu de Lévi. Comparer à Ruth, 1, 17. ― Ramathaïm-Sophim que l’on identifie avec Neby-Samouil, au nord de Jérusalem.]2 Il avait deux femmes, dont l’une s’appelait Anne, et la seconde Phénenna. (Or) Phénenna avait (eut) des enfants et Anne n’en avait pas. [1.2 Il avait deux femmes ; ce que la loi tolérait alors pour éviter de plus grands maux.]3 Cet homme allait de sa ville à Silo aux jours ordonnés, pour adorer le Seigneur des armées, et pour lui offrir des sacrifices. Les deux fils d’Héli, Ophni et Phinées, y faisaient la fonction de prêtres du Seigneur. [1.3 Les jours prescrits, ou fixés, déterminés ; c’est-à-dire les jours consacrés aux trois grandes solennités de l’année, Pâques, Pentecôte et la fête des Tabernacles. ― Le Tabernacle était à Silo depuis le temps de Josué. Voir Josué, 18, 1. ― Silo. Voir Josué, 18, 1.]4 Un jour donc, Elcana, ayant offert son sacrifice, donna à Phénenna sa femme, et à tous ses fils et à toutes ses filles leur part de la victime. 5 Il n’en donna qu’une à Anne, tout triste, parce qu’il l’aimait. Mais (Or) le Seigneur l’avait rendue stérile. 6 Phénenna, qui avait de la jalousie contre elle, l’affligeait aussi et la tourmentait extrêmement, jusqu’à l’insulter de ce que le Seigneur l’avait rendue stérile. 7 Elle la traitait ainsi tous les ans lorsque le temps était venu de monter au temple du Seigneur (et la provoquait) ; et Anne se mettait à pleurer, et ne mangeait point. [1.7 Au temple, ou Tabernacle.]8 Elcana, son mari, lui dit donc : Anne, pourquoi pleures-tu ? Pourquoi ne manges-tu pas et pourquoi ton cœur s’afflige-t-il ? Ne suis-je pas pour toi plus que ne te seraient dix enfants ? 9 Après donc qu’Anne eut mangé et bu à Silo, elle se leva, et tandis que le grand prêtre Héli était assis sur son siège devant la porte du temple du Seigneur, 10 Anne, qui avait le cœur plein d’amertume, pria le Seigneur en répandant beaucoup de larmes, 11 et elle fit un vœu en ces termes : Seigneur des armées, si vous daignez regarder l’affliction de votre servante, si vous vous souvenez de moi, si vous n’oubliez point votre servante, et, si vous donnez à votre esclave un enfant mâle, je le donnerai à mon Seigneur pour tous les jours de sa vie, et le rasoir ne passera point sur sa tête. 12 Comme Anne demeurait ainsi longtemps en prière devant le Seigneur, Héli jeta les yeux sur sa bouche. 13 Or Anne parlait dans son cœur, et l’on voyait seulement remuer ses lèvres, sans qu’on entendît aucune parole. Héli crut qu’elle avait bu avec excès ; 14 et il lui dit : Jusqu’à quand seras-tu ivre ? Laisse un peu reposer le vin qui te trouble. 15 Anne lui répondit : Pardonnez-moi (Nullement), mon seigneur, je suis une femme comblée d’affliction ; je n’ai bu ni vin, ni rien qui puisse enivrer ; mais j’ai répandu mon âme en la présence du Seigneur. 16 Ne croyez pas que votre servante soit comme l’une des filles de Bélial ; car il n’y a que l’excès de ma douleur et de mon affliction qui m’ait fait parler jusqu’à cet instant. [1.16 Bélial. Voir Deutéronome, 13, 13.]17 Alors Héli lui dit : Va en paix ; et que le Dieu d’Israël t’accorde la demande que tu lui as faite. 18 (Et) Anne lui répondit : Plaise à Dieu que votre servante trouve grâce devant vos yeux ! Elle s’en alla ensuite, elle mangea, et elle ne changea plus de visage comme auparavant. 19 S’étant ensuite levés dès le matin, ils adorèrent le Seigneur, s’en retournèrent et arrivèrent à leur maison à Ramatha. Or Elcana fut avec sa femme, et le Seigneur se souvint d’elle. [1.19 Ramatha, la même ville que Ramathaïm-Sophim.]20 Quelque temps après (une révolution de jours) elle conçut, et enfanta un fils, qu’elle appela Samuel, parce qu’elle l’avait demandé au Seigneur. [1.20 Une révolution, etc. ; littéralement un cercle de jours ; c’est-à-dire, selon nous, une année. Il est incontestable que le mot jour, mis au pluriel, se prend quelquefois en hébreu pour une année.]21 (Or) Elcana son mari vint ensuite avec toute sa maison, pour immoler au Seigneur la victime accoutumée, et pour lui rendre son vœu. 22 Mais Anne n’y alla point, et elle dit à son mari : Je n’irai pas au sanctuaire jusqu’à ce que l’enfant soit sevré, et je le mènerai afin qu’il soit présenté au Seigneur, et qu’il demeure toujours devant lui. 23 Elcana son mari lui dit : Fais ce qui te semblera bon ; et reste jusqu’à ce que tu aies sevré l’enfant. Je prie le Seigneur d’accomplir sa parole. Anne demeura donc, et elle nourrit son fils de son lait, jusqu’à ce qu’elle l’eut sevré. 24 Et lorsqu’elle l’eut sevré, elle prit avec elle trois veaux, trois boisseaux de farine, et un vase plein (cruche) de vin, et (ainsi) elle amena son fils à Silo dans la maison du Seigneur. Or l’enfant était encore tout petit. [1.24 Trois veaux. La version grecque, et les Pères qui l’ont suivie, de même que le syriaque et l’arabe lisent un veau de trois ans ; et dans la suite de ce chapitre on n’en voit qu’un d’immolé ; d’un autre côté l’Ecriture parle en plusieurs endroits d’animaux de trois ans qu’on choisissait pour les sacrifices. En somme il faudrait un bien léger changement dans le texte original pour obtenir ce sens.]25 Ils le présentèrent à Héli, après avoir immolé un veau. 26 Et Anne lui dit : Je vous en prie, mon seigneur ; aussi vrai que votre âme vit, je suis cette femme que vous avez vu ici prier le Seigneur. 27 Je le suppliais pour cet enfant, et le Seigneur m’a accordé la demande que je lui ai faite. [1.27 C’est pour cet enfant, etc. ; c’est-à-dire c’est pour obtenir cet enfant, que j’ai prié.]28 C’est pourquoi je le lui prête pour tous les jours où il sera prêté au Seigneur. Ils adorèrent donc le Seigneur en ce lieu, et Anne pria en ces termes : [1.28 Je l’ai donné au Seigneur, etc. Je viens de l’offrir au Seigneur avec le désir qu’il lui reste consacré pendant tout le temps pour lequel je le lui ai voué, pendant toute sa vie. Anne parle ainsi, parce que les enfants n’étaient pas tenus d’accomplir ces sortes de vœux faits par leurs parents.]

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