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Vigouroux – Jude 1

Lettre de saint Jude

Introduction

L’auteur de cette Epître est l’apôtre saint Jude, qu’on appelait aussi Thaddée ou Lebbé. Il se dit lui-même frère de Jacques, ce qu’il faut entendre de saint Jacques le Mineur, l’autre apôtre du même nom, frère de saint Jean, ayant subi le martyre depuis longtemps et étant alors beaucoup moins connu. Saint Jude prend ce titre, plutôt que celui d’apôtre, soit parce qu’un autre apôtre ayant porté son nom, la qualité d’apôtre ne le désignerait pas d’une manière aussi précise, soit parce que sa parenté avec l’évêque de Jérusalem est de nature à le rendre plus cher aux Juifs convertis auxquels il paraît s’adresser. Cette Lettre a toujours fait partie de la version italique. Elle est mentionnée dans le canon de Muratori, comme dans ceux des Conciles de Laodicée (363) et d’Hippone (393). On la trouve citée dès les premiers temps par Tertullien (200), Clément d’Alexandrie (165-200), Origène (186-255), saint Pamphile, etc., et l’on ne la voit rejetée positivement nulle part. Néanmoins, ce qu’elle dit de la lutte de saint Michel contre Satan, verset 9, et de la prophétie d’Hénoch, verset 14, excitait quelque défiance, de sorte qu’elle a été placée par Eusèbe parmi les antilégomènes, et qu’on la compte aujourd’hui au nombre des deutérocanoniques.

Le but de saint Jude, comme celui de saint Pierre, dans sa seconde Epître, est de prémunir les fidèles contre les séductions des docteurs gnostiques. Il part de ce principe, que la foi a été livrée aux saints une fois pour toutes, verset 3, et que c’est pour s’en être écarté, versets 4 à 7, et pour avoir abandonné la société qui en fait profession, que les sectaires sont tombés dans des abîmes d’erreur, d’impiété et d’immoralité. En conséquence, il exhorte les fidèles à se souvenir des vérités qui leur ont été annoncées au commencement par les Apôtres, à s’édifier eux-mêmes sur le fondement de leur très sainte foi, à persévérer dans l’espérance et la charité, et à sauver tous ceux qu’ils pourront soustraire au feu de la vengeance divine, versets 19 à 23.

Les coïncidences de l’Epître de saint Jude avec la seconde de saint Pierre ne peuvent s’expliquer que par une imitation volontaire de la part de l’un ou de l’autre apôtre. Un certain nombre de commentateurs attribuent cette imitation à saint Pierre, en alléguant pour raison que, dans sa première Lettre, il a reproduit pareillement plusieurs pensées de saint Paul. Néanmoins la supposition contraire paraît plus vraisemblable. En effet : ― 1° Il n’y a pas de parité entre les allusions que saint Pierre a pu faire dans sa première Epître à certains passages de saint Paul et un emprunt si littéral et si étendu, qui comprendrait la plus grande partie de l’Epître de saint Jude. ― 2° Saint Pierre n’avait pas d’intérêt à s’approprier la Lettre de saint Jude. Saint Jude, au contraire, trouvait un avantage à citer saint Pierre : il ajoutait à sa considération et à son autorité personnelles celle du Prince des Apôtres et du chef de l’Eglise. ― 3° L’Epître de saint Pierre paraît avoir été écrite la première. Elle parle au futur ; elle prédit les hérésies qui vont bientôt paraître, voir 2 Pierre, 2, 1-3 ; celle de saint Jude parle au passé, elle donne les faits qu’elle décrit pour l’accomplissement des prophètes faites par les Apôtres. Par suite, saint Jude combat les sectaires avec plus de force et les caractérise d’une manière plus précise. ― 4° Le style de saint Jude est meilleur, plus soigné, plus soutenu. On y voit moins de répétitions. ― 5° Saint Jude paraît commenter et expliquer saint Pierre. Au verset 10, il développe et éclaircit ce que saint Pierre avait laissé dans l’ombre, et au verset 9, sa citation du livre de l’Assomption de Moïse semble avoir pour but de confirmer un fait qu’a avancé saint Pierre. L’Epître de saint Jude nous semblerait donc postérieure et d’une date assez rapprochée de la ruine de Jérusalem.

Quoi qu’il en soit, du reste, la ressemblance si visible qui existe entre ces deux Epîtres est une preuve de leur authenticité. On ne se fait pas faussaire pour le plaisir de transcrire, et l’on n’a pas d’intérêt à s’approprier ce qui est sans autorité. (L. BACUEZ.)

Combattre pour la foi et pour la tradition. Exemples de la justice de Dieu. Faux docteurs caractérisés. Contestation touchant le corps de Moïse. Prophétie d’Hénoch. Foi, prière, confiance, amour de Dieu, haine de la chair.

1 Jude, serviteur de Jésus-Christ et frère de Jacques, à ceux qui sont aimés en Dieu le Père, gardés et appelés par Jésus-Christ. 2 Que la miséricorde, la paix et la charité soient multipliées en vous. 3 Bien-aimés, comme je mettais tout mon zèle à vous écrire au sujet de votre salut commun, je me suis trouvé dans la nécessité de le faire, afin de vous exhorter à combattre pour la foi qui a été une fois pour toutes transmise aux saints. [1.3 Aux saints. Voir Actes des Apôtres, 9, 13.]4 Car il s’est glissé parmi vous certains hommes, depuis longtemps désignés pour la condamnation (pour ce jugement), des impies qui changent la grâce de notre Dieu en dissolution (luxure), et qui renient notre seul Maître et Seigneur Jésus-Christ. 5 (Or) Je veux vous rappeler, quoique vous sachiez fort bien toutes choses, que Jésus, ayant délivré le peuple du pays d’Egypte, fit ensuite périr ceux qui furent incrédules ; [1.5 Voir Nombres, 14, 37.]6 et que les anges qui n’ont pas conservé leur dignité, mais qui ont abandonné leur propre demeure, ont été réservés par lui pour le jugement du grand jour, liés par des chaînes éternelles, dans les ténèbres. [1.6 Voir 2 Pierre, 2, 4. ― Les démons ne peuvent sortir de l’enfer que par la permission de Dieu, et pour tenter les hommes que Dieu veut bien qu’ils tentent. Leur supplice dure depuis le moment de leur révolte ; ils sont déjà jugés, mais leur sentence sera alors prononcé et confirmée pour toute l’éternité.]7 De même, Sodome et Gomorrhe, et les villes voisines, qui se livrèrent comme eux à l’impureté et à des vices contre nature, sont devant nous comme un exemple, subissant la peine du feu éternel. [1.7 Voir Genèse, 19, 24.]8 Pareillement, ces hommes souillent la chair ; de plus, ils méprisent l’autorité, et insultent ceux qui sont élevés en dignité (la majesté). [1.8 Ceux-ci ; c’est-à-dire les faux docteurs contre lesquels l’apôtre cherche à prémunir les fidèles auxquels il écrit.]9 Cependant l’archange Michel, lorsqu’il discutait avec le diable, lui disputant le corps de Moïse, n’osa pas porter contre lui un jugement injurieux ; mais dit : Que le Seigneur te réprime (commande) ! [1.9 Voir Zacharie, 3, 2. ― Que le Seigneur te commande fortement, qu’il te réprimande avec menaces. C’est le vrai sens du texte. Comparer à Matthieu, 8, 26 ; Marc, 4, 39 ; Luc, 8, 24. Ceci n’est pas rapporté dans l’Ecriture ; saint Jude le savait par la tradition.]10 Mais ceux-ci insultent tout ce qu’ils ignorent ; quant à celles qu’ils connaissent naturellement, comme les bêtes brutes (muettes), ils s’y corrompent. 11 Malheur à eux ! car ils ont suivi la voie de Caïn ; ils se sont jetés (rompu toute digue), pour un salaire, dans l’erreur de Balaam, et ils ont péri dans la rébellion de Coré. [1.11 Voir Genèse, 4, 8 ; Nombres, 22, 23 ; 16, 32.]12 Ils sont des taches (le déshonneur) dans leurs repas de charité, faisant bonne chère sans retenue, se repaissant eux-mêmes ; nuées sans eau, emportées çà et là par les vents ; arbres d’automne, sans fruits, deux fois morts, déracinés ; [1.12 Voir 2 Pierre, 2, 17.]13 vagues furieuses de la mer, qui rejettent l’écume de leurs infamies ; astres errants, auxquels une tempête ténébreuse est réservée pour l’éternité. 14 C’est d’eux qu’a prophétisé Hénoch, le septième patriarche depuis Adam, lorsqu’il a dit : Voici, le Seigneur est venu avec ses saintes myriades, [1.14 Voir Apocalypse, 1, 7. ― Le septième après Adam ; c’est-à-dire le septième patriarche. ― A prophétisé. La prophétie qui est rapportée ici ne se trouve pas dans l’Ecriture ; l’apôtre l’a connue par la tradition ou par une révélation particulière de Dieu.]15 pour exercer un jugement contre tous (les hommes), et pour convaincre tous les impies de toutes les œuvres d’impiété qu’ils ont commises, et de toutes les dures paroles que ces pécheurs impies ont proférées contre lui (Dieu). 16 Ce sont des mécontents qui murmurent (sans cesse), qui marchent suivant leurs convoitises, dont la bouche prononce des paroles hautaines, et qui admirent les gens par intérêt. [1.16 Voir Psaumes, 16, 10.]17 Mais vous, bien-aimés, rappelez-vous les choses qui ont été prédites par les Apôtres de Notre Seigneur Jésus-Christ ; [1.17 Voir 1 Timothée, 4, 1 ; 2 Timothée, 3, 1 ; 2 Pierre, 3, 3.]18 ils vous disaient qu’au dernier temps il viendra des moqueurs (imposteurs), qui marcheront dans l’impiété, suivant leurs convoitises (désirs dans l’impiété). [1.18 Dans l’impiété ; littéralement, dans les impiétés. D’autres, se conformant au grec, qui porte des impiétés, au génitif, comme régime de désirs, traduisent : Selon leurs désirs impies.]19 Ce sont eux qui se séparent eux-mêmes, êtres sensuels (hommes de vie animale), n’ayant pas l’Esprit. [1.19 L’Esprit ; c’est-à-dire l’Esprit de Dieu.]20 Mais vous, bien-aimés, vous élevant vous-mêmes comme un édifice sur le fondement de votre sainte foi, et priant par l’Esprit-Saint, 21 conservez-vous dans l’amour de Dieu, attendant la miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ, pour obtenir la vie éternelle. 22 Reprenez les uns, qui paraissent condamnés (après les avoir convaincus) ; 23 sauvez les autres, en les retirant du feu ; ayez pour les autres une pitié mêlée de crainte, haïssant jusqu’à la tunique souillée par la chair. [1.23 Prenant même en haine, etc. ; c’est-à-dire ayant même horreur. L’apôtre semble faire allusion à ce qui est dit dans la loi mosaïque des vêtements souillées par la lèpre ou d’autres impuretés légales, dont on ne pouvait se purifier qu’en lavant non seulement le corps, mais encore le vêtement. Voir Lévitique, 13, verset 47 et suivants. Il veut donc dire par cette comparaison : Fuyez avec le plus grand soin même les apparences de tout ce qui pourrait souiller vos âmes.]24 A celui qui est puissant pour vous conserver sans péché, et pour vous faire comparaître devant sa gloire irréprochables et dans l’allégresse, lors de l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ, 25 à Dieu seul (au seul Dieu) notre Sauveur, par Jésus-Christ Notre Seigneur, gloire et magnificence, empire et force, avant tous les siècles, et maintenant, et dans tous les siècles des siècles. Amen.

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