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Vigouroux – Psaumes 1

Les Psaumes

Introduction

On ignore par quel nom les anciens Hébreux désignaient la collection des Psaumes. Aujourd’hui on lui donne, dans la Bible hébraïque, le titre de Thehillîm, louanges. Les Septante intitulèrent leur traduction des Thehillîm, « Psal-moi, » d’où notre mot de Psaumes. Psallein, dans les auteurs grecs, signifie toucher un instrument à cordes, et psalmos, le poème ou l’air qui est ainsi joué avec ou sans accompagnement de la voix.

Le nombre des Psaumes, selon le témoignage constant de tous les anciens auteurs, est de cent cinquante. Il existe d’ailleurs, dans le classement, quelques différences qui proviennent de ce que les divisions n’étaient pas primitivement marquées dans les manuscrits. La version grecque, reproduite par notre Vulgate, joint ensemble les Psaumes 9 et 10, 114 et 115 de l’hébreu ; elle partage le Psaume 117 dont elle fait les Psaumes 114 et 115. Ces variations, qui ne portent que sur la coupure, pour ainsi dire, des poèmes, sont du reste sans importance sérieuse ; elles n’atteignent pas le fond des choses.

La tradition juive, constatée par le texte même de l’Ecriture et par la tradition des Pères, partageait les Psaumes, comme le Pentateuque, en cinq livres. La fin des quatre premiers est indiquée, dans le texte, par une doxologie placée à Psaumes, 40, 14 ; 71, 19 ; 88, 53 et 105, 48. Les versets que nous venons d’indiquer n’ont, (pour) la plupart, aucune liaison avec les Psaumes auxquels ils sont attachées ; ils marquent simplement la fin d’un recueil.

L’Eglise reçut certainement le Psautier des mains des Juifs, non seulement comme une partie de la Bible, mais aussi comme un livre liturgique, dont la synagogue se servait régulièrement dans les assemblées religieuses. Tout le monde en admet l’authenticité, entendue dans ce sens.

Tous les Psaumes, à l’exception de trente-quatre en hébreu (vingt dans la Vulgate), ont un titre qui nous fait connaître soit leur auteur, soit leur nature et la manière dont ils devaient être chantés, soit la circonstance historique dans laquelle ils ont été composés, soit toutes ces choses à la fois. Ce titre n’est pas toujours absolument semblable dans le texte hébreu et dans les Septante ou la Vulgate.

L’autorité des inscriptions placées en tête des Psaumes n’est pas acceptée par tous les critiques. L’absence de titre dans plusieurs psaumes est au moins une présomption en faveur de la valeur des titres qu’on lit en tête des autres, car il faut qu’on ait eu des motifs sérieux d’en donner aux uns, sans en donner à tous.

Quelques Pères ont attribués tous les Psaumes à David, mais le style, le contenu et les titres mêmes de ces chants sacrés nous apprennent qu’ils sont d’auteurs et d’époques diverses, comme le reconnaît expressément le Talmud.

David est le principal et le plus grand poète lyrique d’Israël. Ses chants se distinguent par la douceur, la tendresse, la grâce et la profondeur du sentiment. Sa note est ordinairement plaintive : plusieurs de ses chants commencent par une sombre peinture de sa désolation et de ses souffrances, mais ils se terminent par d’admirables élans de confiance en Dieu. Son amour pour Dieu et pour le tabernacle où il réside éclate en transports qui s’élèvent parfois jusqu’au sublime, comme dans le Psaume 17. Il a composé la moitié des Psaumes que nous possédons et il mérite bien le nom de Psalmiste qui lui est donné par excellence.

Les titres des Psaumes en attribuent douze à Asaph. Quelques-uns d’entre eux sont d’excellents poèmes didactiques. Asaph était un des principaux musiciens de David. Tous les Psaumes qui portent son nom ne sont pas de lui, mais de l’un de ses descendants ou bien d’un autre Psalmiste qui s’appelait comme lui.

Onze des plus beaux psaumes sont attribués aux enfants de Coré. L’auteur n’est pas désigné individuellement, excepté dans le Psaume 87, œuvre d’Héman l’Ezrahite.

Le Psaume 88 a pour auteur Ethan l’Ezrahite, un des chantres de David, comme Héman.

Divers autres auteurs ont également composé des Psaumes.

Le plus ancien des Psaumes, le 89e, est de Moïse ; les plus récents sont du temps d’Esdras. La plupart, ayant David pour auteur, datent du XIe siècle avant notre ère. Quelques-uns de ceux qui portent le nom d’Asaph et des enfants de Coré, à plus forte raison les anonymes, sont d’époque incertaine. La plus grande partie des Psaumes graduels, du 119 au 133, sont postérieurs à la captivité. Les Psaumes 146 à 150 ont été probablement composés pour la fête de la restauration des murs de Jérusalem, du temps de Néhémie. Rien ne prouve qu’aucun de nos Psaumes ait été composé après cette date et qu’il en existe du temps des Machabées.

Le premier des cinq livres des Psaumes, qui est exclusivement davidique, a été probablement formé par le saint roi lui-même. Le second, en partie davidique, en partie lévitique, a été compilé, d’après plusieurs critiques, du temps d’Ezéchias. Nous ne pouvons dire à quelle époque ont été faites les collections des chants renfermés dans les livres III et IV, mais c’est certainement avant Esdras. C’est Esdras lui-même qui a vraisemblablement recueilli les Psaumes réunis dans le livre V.

Le sujet ordinaire des Psaumes est Dieu et l’homme en face de Dieu : Dieu dans sa grandeur, sa bonté, sa miséricorde, ses bienfaits, sa justice ; l’homme dans sa faiblesse, sa petitesse, sa misère, ses infidélités et le besoin qu’il a du secours de son Créateur.

Le premier mouvement du Psalmiste le porte toujours vers Dieu. Non seulement Dieu occupe la plus large place dans ces chants ; mais sur cent cinquante qui composent la collection, il n’y en a que dix-sept où il ne soit pas nommé dès le premier verset. L’union habituelle et la plus intime avec Dieu, tel est le caractère le plus saillant des Psaumes.

Après Dieu, c’est de l’homme surtout qu’il est question dans la poésie lyrique des Hébreux, non pas de l’individu en particulier, mais de l’homme en général. David ne parle pas seulement en son nom ; il parle au nom de l’humanité entière, et lorsque l’univers chrétien chante les vers du poète hébreu, comme exprimant ses propres sentiments et ses propres pensées, il ne fait que s’approprier ce qui a été fait pour lui. Quoique l’auteur ait souvent composés ses cantiques à l’occasion d’événements particuliers, il n’en a pas moins franchi les bornes étroites de l’horizon de la Palestine : jusque dans les Psaumes les plus personnels, il a parlé au nom de tous. Quand il célèbre sa victoire sur Goliath, voir Psaume 143, il ne dit point à Dieu :

Que suis-je, ô Seigneur, pour que tu penses à moi ?

Mais s’élevant bien au-dessus de sa personnalité, il s’écrie :

Ô Seigneur ! qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui,
Le fils de l’homme, pour que tu t’occupes de lui ?
L’homme, qui est semblable à un souffle,
Dont les jours sont comme l’ombre qui passe.
Versets 3 et 4.

Cette largeur de conception et de vues est d’autant plus frappante, que la langue dont il se sert plus rebelle aux généralisations. Les idées générales et abstraites semblent ne pas exister pour la langue hébraïque, mais le génie du Psalmiste sait lui donner ce qui lui semble ; il oppose sans cesse dans ses chants la petitesse et la misère de l’homme à la grandeur et à la perfection de Dieu :

Quand je regarde ton ciel, l’œuvre de tes doigts,
La lune et les étoiles que tu as faites,
Qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui,
Le fils de l’homme, pour que tu prennes soin de lui ?
Psaumes, 8, 4-5.

Ces admirables vers, que nous lions dans le Psaume 8, l’un des poèmes les plus achevés et les plus parfaits qui existent dans aucune littérature ancienne ou moderne, nous les retrouvons sous une autre forme dans plusieurs autres passages de nos chants sacrés, où la créature est mise également en contraste avec son Créateur.

Mais le Psalmiste ne se contente pas de parler ainsi de l’homme en général, il étend plus loin ses généralisations. Quand il demande à Dieu de juger et de punir ses ennemis, sa pensée, d’un vol hardi, enveloppe dans sa prière tous les peuples qui font la guerre au Seigneur. Il veut se venger des Philistins, et il réclame de Dieu l’abaissement, non pas seulement des habitants de Geth, mais de tous les Gentils :

Echapperont-ils [au châtiment] de leurs crimes ?
Dans ta colère, ô Dieu, terrasse les Gentils.
Psaumes, 55, 8.

Dans les chants de David, le juste et le pécheur, le bon et le méchant, le grand et le petit, le riche et le pauvre deviennent ainsi des caractères généraux, et c’est de la sorte qu’il développe et agrandit le champ de la poésie gnomique qui devait prendre un si grand élan sous son fils Salomon.

Un autre caractère des Psaumes, très important à noter, c’est que l’homme qui est placé en face de Dieu dans ces chants sacrés est très souvent le Dieu-Homme, le Messie, représentant de l’Humanité auprès de son Père ; leur auteur parle presque toujours au nom de Jésus-Christ, ou au moins en termes qu’on peut lui appliquer. Dieu, en faisant du Psalmiste l’interprète des sentiments de l’humanité, l’a fait par là même l’interprète des sentiments de son Fils, qui est le second Adam, l’homme par excellence ; c’est ainsi que le cri de David s’est trouvé tout à fois le cri par excellence du Messie et de la nature humaine.

« Celui qui sait combien il y a de flots dans la mer et combien de larmes dans l’œil de l’homme ; celui qui voit les soupirs du cœur quand ils ne sont pas encore, et qui les entend encore, quand ils ne sont plus ; celui-là seul pourrait dire combien de pieux mouvements, combien de vibrations célestes a produit et produira dans les âmes le retentissement de ces merveilleux accords, de ces cantiques prédestinés, lus, médités, chantés à toutes les heures du jour et de la nuit, sur tous les points de la vallée des larmes. Ces psaumes de David sont comme une harpe mystique suspendue aux murs de la vraie Sion. Sous le souffle de l’esprit de Dieu, elle rend des gémissements infinis, qui, roulant d’écho en écho, d’âme en âme, réveillant dans chacune d’elles un son qui s’unit au chant sacré, se répandent, se prolongent et s’élèvent comme l’universelle voix du repentir. » (Mgr GERBET.)

« [David] est le premier des poètes du sentiment, dit Lamartine ; c’est le roi des lyriques. Jamais la fibre humaine n’a résonné d’accords si intimes, si pénétrants et si graves ! jamais la pensée du poète ne s’est adressée si haut et n’a crié si juste ! jamais l’âme de l’homme ne s’est répandue devant l’homme et devant Dieu en expressions et en sentiments si tendres, si sympathiques et si déchirants ! Tous les gémissements les plus secrets du cœur humain ont trouvé leurs voix et leurs notes sur les lèvres et sur la harpe de cet homme ! et si l’on remonte à l’époque reculée où de tels chants retentissaient sur la terre ; si l’on pense qu’alors la poésie lyrique des nations les plus cultivées ne chantait que le vin, l’amour, le sang, et les victoires des Muses et des coursiers dans les jeux de l’Elide, on est saisi d’un profond étonnement aux accents mystiques du roi-prophète, qui parle au Dieu créateur comme un ami à son ami, qui comprend et loue ses merveilles, qui admire ses justices, qui implore ses miséricordes, et semble un écho anticipé de la poésie évangélique, répétant les douces paroles du Christ avant de les avoir entendues. [Personne ne peut] refuser au poète-roi une inspiration qui ne fut donnée à aucun autre homme ! Lisez de l’Horace ou de Pindare après un psaume ! Pour moi, je ne le peux plus ! »

« David est le prince de la prière et le théologien de l’Ancien Testament, dit Lacordaire. C’est avec ses Psaumes que prie l’Eglise universelle, et elle trouve dans cette prière, outre la tendresse du cœur et la magnificence de la poésie, les enseignements d’une foi qui a tout su du Dieu de la création, et tout prévu du Dieu de la rédemption. Le Psautier était le manuel de la piété de nos pères ; on le voyait sur la table du pauvre comme sur le prie-Dieu des rois. Il est encore aujourd’hui, dans la main du prêtre, le trésor où il puise les aspirations qui le conduisent à l’autel, l’arche qui l’accompagne aux périls du monde, comme au désert de la méditation.

Nul autre que David n’a mieux prié ; nul autre, préparé par plus de malheurs et plus de gloire, par plus de vicissitudes et plus de paix, n’a mieux chanté la foi de tous les âges, et mieux pleuré les fautes de tous les hommes. Il est le père de l’harmonie surnaturelle, le musicien de l’éternité dans les tristesses du temps, et sa voix se prête à qui la veut pour gémir, pour invoquer, pour intercéder, pour louer, pour adorer… Empruntez cette voix dont l’Eglise a fait la sienne, et qui, depuis trois mille ans, porte aux anges les soupirs et la joie des saints… Il n’y a pas dans la vie de l’homme un péril, une joie, une amertume, un abattement, une ardeur, pas un nuage et pas un soleil qui ne soient en David, et que sa harpe n’émeuve pour en faire un don de Dieu et un souffle d’immortalité (Sur le caractère de la poésie hébraïque, voir la note 19 à la fin du volume (appendices)). »

Observations préliminaires

Ces observations ont pour but de nous faire éviter, dans les notes explicatives du texte sacré, une foule de redites qui, sans elles, seraient absolument inévitables, et qui ne pourraient manquer de fatiguer le lecteur.

1° Quand le Psalmiste lance des malédictions et des imprécations contre ses ennemis, quand il demande à Dieu de les punir et de les faire périr avec toute leur postérité, il n’est nullement animé de l’esprit de vengeance ; car : 1° S’il eût été, comme on le suppose un homme haineux, emporté et vindicatif, aurait-il épargne Saül, qui machinait sa perte ? aurait-il vengé et pleuré amèrement sa mort ? aurait-il vengé aussi celle d’Isboseth, et recherché dans tout Israël quelqu'un de la famille de ce prince, son ennemi déclaré, pour le combler de bienfaits ? Aurait-il pardonné si généreusement à Séméi, qui l’avait outragé de la manière la plus atroce ? Ainsi on a toute raison de penser que ces imprécations ne procédaient pas d’un sentiment de vengeance, mais d’un grand zèle pour la gloire de Dieu que ses ennemis outrageaient. Fallût-il une nouvelle preuve de notre assertion, nous la trouverions dans ces deux passages des Psaumes mêmes : « Est-ce que je ne haïssais pas, Seigneur, ceux qui vous haïssent, et à la vue de vos ennemis, ne séchais-je point de douleur ? je les haïssais d’une haine entière (voir Psaumes, 138, 21-22)… Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en avaient fait, que je tombe sans défense devant mes ennemis, je l’ai mérité. Que l’ennemi poursuive mon âme, qu’il l’atteigne, qu’il me foule vivant contre terre et qu’il ensevelisse ma gloire dans la poussière. » (Voir Psaumes, 7, 5-6.)

2° Saint Chrysostome et saint Augustin, suivis de plusieurs interprètes, pensent que ces imprécations ne sont pas réelles, mais qu’elles n’expriment que de simples prophéties énoncées dans la forme imprécatoire. Il est certain que quelques-unes au moins peuvent très bien s’expliquer de cette manière. Un cœur si bon, une âme aussi généreuse, ne peut avoir formé ces désirs de vengeance ; c’est une prédiction que lui suggère l’Esprit-Saint dont il est animé ; le même Dieu qui l’associera un jour à son jugement veut bien avancer à son égard l’exercice de ce pouvoir, en le chargeant d’annoncer de sa part les arrêts de sa justice contre les méchants.

3° Plusieurs de ces imprécations ne sont que conditionnelles, et ne renferment le souhait d’un mal qu’autant que le coupable ne se corrigera pas, mais qu’il persévérera dans son iniquité.

4° Les maux que paraît souhaiter le Psalmiste n’ont pas pour objet la ruine personnelle du pécheur, mais se rapportent quelquefois à sa propre correction : « Remplissez leurs faces d’ignominie, et ils chercheront votre nom, Seigneur. » (voir Psaumes, 82, 17.) D’autres fois ils se rapportent au bien général de la religion et de la société. Le prophète, brûlant de zèle pour la gloire de Dieu, craignait que si la prospérité et les persécutions des méchants persévéraient, les justes ne fussent découragés, l’honneur de Dieu ne fût compromis et la religion ne souffrît un notable dommage ; ce qui paraîtra évident à quiconque jettera un simple coup d’œil sur les prophéties de Malachie. Le Psalmiste demande donc à Dieu que par sa puissance il veuille bien réprimer les efforts des méchants. Or, c’est ce que demande l’Eglise chrétienne elle-même, quand elle prie contre ses persécuteurs et quand elle ordonne des prières contre les ennemis de l’Etat. Il faut encore bien remarquer que les ennemis de David ne s’attaquaient pas à lui personnellement, mais à Dieu qui l’avait établi dans sa théocratie, et dont il était le vice-gérant, et à tout le peuple hébreu dont il était le chef. Ainsi, sans faire attention à ses injures particulières, dont il était disposé à pardonner, il considérait dans ses persécutions l’homme de Dieu, dont il tenait la place, et le bien de l’Etat dont il était le roi. Ainsi, ce n’était pas le sentiment d’une vengeance particulière, mais par le zèle de la gloire de Dieu qu’il désirait l’humiliation et l’extermination de ses ennemis.

5° Le prophète ne parle pas en son nom propre, mais au nom de Dieu qui l’inspire et dont il est l’organe. Or répugne-t-il aux attributs de Dieu qu’il souhaite de tirer vengeance de tout homme qui refuse opiniâtrement de se soumettre à sa volonté ? Ce désir n’est-il pas lié avec l’amour de l’ordre et de la justice dont il ne saurait se départir ? Mais, si ces sentiments peuvent se supposer en Dieu, pourquoi paraîtraient-ils choquants dans celui qui n’est que son interprète, qui ne fait que déclarer au dehors ce qu’il lui révèle au-dedans ? N’oublions pas que les saints prophètes eurent aussi les sentiments de Dieu même. Plus ils sont remplis de son amour, plus ils haïssent et détestent tous les crimes qui attaquent sa sainteté infinie ; et Dieu leur découvrant par sa lumière divine l’endurcissement et l’impénitence des méchants, et la résolution infiniment juste où il est de les punir, ils entrent dans les sentiments de sa justice vengeresse, ils les approuvent et désirent la punition des coupables, mais ils désirent comme Dieu lui-même, c’est-à-dire sans passion, sans mouvement de haine, sans emportement de colère, par le seul amour de l’ordre et de la justice éternelle.

6° Enfin, il faut se rappeler que ces imprécations sont exprimés dans un style poétique, style beaucoup plus véhément et plus hyperbolique chez les Orientaux qu’il ne l’est parmi nous, dont l’imagination infiniment plus froide et plus calme ne se permet pas toutes ces exagérations.

II. L’Ecriture, comme l’a remarqué saint Augustin, a une langue particulière, et ceux qui n’en ont as appris les règles, ne pouvant l’entendre qu’avec beaucoup de peine, se trouvent embarrassés quand ils veulent l’expliquer : Scriptura nostra quomodo loquitur, sic intelligenda est : habet linguam suam ; quicumque hanc linguam nescit, turbatur (Tract. X in Joan., c. II). En effet, les écrivains sacrés étant originairement hébreux ou hellénistes, c’est-à-dire Grecs hébraïsants, nous ont transmis les Livres saints avec toutes les locutions et toutes les expressions propres à la langue hébraïque. D’un autre côté, ceux qui les ont traduits de l’hébreu en grec, ou du grec en latin, n’ont presque rien changé à ces idiotismes. De là ces hébraïsmes et ces hellénismes sans nombre, qui arrêtent presque à chaque pas le lecteur étranger à la connaissance de la langue sainte. La Vulgate latine surtout, qui est assez ordinairement imite avec fidélité la concision du texte original, devient souvent par là même inintelligible, principalement dans le livre des Psaumes. Aussi est-ce pour faire mieux comprendre le sens de cette version à ceux de nos lecteurs qui n’ont aucune connaissance de la langue hébraïque, que nous signalons ici les hébraïsmes principaux, les mêmes que saint Augustin regardait comme si nécessaires pour bien entendre l’Ecriture, qu’il exhortait tous ceux qui l’étudiaient, à les apprendre et à se les rendre familiers (De Doct. Christ., lib. III). Par ce moyen d’ailleurs, nous serons dispensés de les expliquer dans les nombreux passages où ils se rencontrent. Or parmi ces idiotismes de la langue sacrée, les uns regardent plus particulièrement les noms, soit substantifs, soit adjectifs, soit pronoms, les autres les verbes, d’autres enfin les particules, c’est-à-dire l’adverbe, la préposition, la conjonction et l’interjection.

1° Les Hébreux, n’ayant point dans leur langue de genre neutre, le remplacent le plus ordinairement par le féminin. Or l’auteur de la Vulgate se conforme quelquefois à cet hébraïsme. ― Les noms abstraits se mettent très souvent pour les concrets. ― La répétition d’un même substantif au même cas, avec ou sans la conjonction et, indique ordinairement ou l’universalité, ou un grand nombre, une multitude, ou une différence, une diversité dans l’espèce, ou enfin la vivacité du sentiment de celui qui parle. L’ensemble du discours fait distinguer facilement, dans chaque phrase, quel est celui de ces divers sens qui lui est propre. Mais, quand le substantif répété est mis la seconde fois au génitif, il tient lieu de superlatif, comme on va le voir un peu plus bas. ― Les adjectifs sont souvent remplacés par un substantif précédé d’une préposition. ― Les adjectifs qui indiquent une possession, une manière d’être, une habitude, et qui dans nos langues modernes sont pour la plupart dérivés du substantif dont ils indiquent la possession, se trouvent quelquefois remplacés par les mots fils, homme (filius, vir). ― Le positif se met souvent pour le comparatif ; mais alors ce positif est suivi de la particule quàm. ― Le comparatif s’exprime en hébreu par le positif suivi de la particule min, qui signifie plus que (præ) ; mais comme cette particule signifie aussi de (ab, ex), la Vulgate la rend quelquefois dans ce dernier sens, lors même qu’il s’agit d’un comparatif. ― Le superlatif s’exprime ou par les particules beaucoup, excessivement, extrêmement, ajoutées à l’adjectif, ou par un substantif répété et mis, la seconde fois, au génitif, ou enfin par le mot Dieu qu’on joint au substantif ; mais dans ce dernier cas, c’est le superlatif porté à sa plus haute puissance et qui doit se rendre en français par le plus, le plus possible. ― Quant aux nombres, le singulier se met souvent pour le pluriel. ― Les cas se mettent également l’un pour l’autre, sana égard pour la concordance latine. ― Le nominatif se met souvent d’une manière absolue, c’est-à-dire comme détaché de la proposition, quoique son usage propre soit d’en caractériser le sujet. Cet hébraïsme n’est point un pur pléonasme, comme plusieurs l’ont prétendu ; il a pour but d’attirer l’attention principalement sur l’idée exprimée par le nominatif absolu, d’en faire l’objet dominant de la pensée de l’écrivain sacré. Le génitif marque assez souvent ou la fin qu’on se propose, ou l’effet qui est produit, ou le sujet dans lequel ou bien auquel on attribue quelque chose ou enfin la ressemblance. Le datif se met quelquefois pour la préposition contre (adversus, contra), et quelquefois aussi pour de, touchant, au sujet de (de). ― L’accusatif se prend souvent d’une manière adverbiale ; souvent aussi il est remplacé par la préposition dans (in) avec l’ablatif, genre d’hébraïsme qui a pour but de donner l’idée renfermée dans le verbe plus de force et d’énergie. Le vocatif et l’ablatif n’offrant que des idiotismes faciles à comprendre, nous les passons sous silence. ― Tout pronom exprimé, quoiqu’il soit implicitement renfermé dans le verbe, doit être autant que possible rendu dans une traduction, parce qu’il donne au discours une force et une énergie qui disparaîtrait entièrement si on n’en tenait pas compte. Le pronom possessif, qui a le plus ordinairement une signification active, se prend fréquemment dans le sens passif.

2° Lorsqu’un verbe actif, au lieu de régir l’accusatif, se joint à son complément par l’intermédiaire d’une préposition, il donne à l’action qu’il exprime une nouvelle force et plus d’énergie. ― Plusieurs verbes qui indiquent une chose comme positive, ne signifient réellement que dire, déclarer, publier cette chose. Quand deux verbes de même temps ou de même mode sont joints ensemble par la conjonction et, le second exprime quelquefois le complément du premier et représente l’infinitif. D’autres fois le premier tient lieu d’un adverbe, ce qui arrive principalement quand ce premier verbe est ajouter (addere, adjicere) ou d’autres qui ont une signification analogue. Quand un même verbe est répété plusieurs fois ou qu’il est joint à un nom ayant le même sens que lui, l’action qu’il exprime devient plus forte et plus énergique, et le nom lui-même répond alors à l’idée de tout à fait, entièrement, absolument, etc. Le parfait s’emploie assez souvent pour le présent dans les choses qui ont coutume de se faire, c’est-à-dire dans les propositions générales dont la vérité ne dépend d’aucune circonstance de temps ; pour le futur, soit dans les prédictions et les promesses prophétiques, où les choses prédites et promises sont envisagées par l’écrivain sacré comme déjà accomplies, ou bien se passant sous ses yeux, soit quand il se trouve dans une proposition dépendante d’une première. ― Le futur s’emploie comme le prétérit pour le présent dans les propositions générales dont la vérité est indépendante de toute circonstance de temps ; pour l’imparfait, et lorsque le verbe renferme implicitement les idées de devoir et de coutume. ― Quand un verbe se trouve construit avec un complément qui ne lui convient pas, ce genre de construction indique qu’un autre verbe auquel appartient le complément est sous-entendu et que celui qui est exprimé réunit la signification de ce verbe sous-entendu et la sienne propre. La nature de la proposition, aussi bien que la construction elle-même, suggèrent facilement à l’esprit la signification du verbe sous-entendu.

3° Les particules avant que, jusqu’à, jusqu’à ce que, ne signifient pas toujours que l’action du verbe qui les précède, finit, se termine au moment où commence celle du verbe qui les suit. La négative non jointe à tout (omnis), signifie pas un, aucun (nullus). La préposition de (ab, ex) a quelquefois le sens de plus que, en comparaison de (plusquàm, præ). Voir ce que nous en avons dit au 1°, au sujet du comparatif.

Ce Psaume contient comme un précis de toute la doctrine du psautier et un abrégé de toute la morale. Le Psalmiste y représente que le bonheur de l’homme en cette vie consiste à s’éloigner des maximes et des mœurs des impies, et à s’attacher constamment à la loi de Dieu.

1 Heureux l’homme qui n’a point marché dans le conseil des impies, qui ne s’est pas arrêté dans la voie des pécheurs, et qui ne s’est point assis dans la chaire de pestilence ; [1.1 Ce premier psaume n’a de titre, ni dans l’hébreu, ni dans les Septante ; mais les Pères grecs et latins, de même que les rabbins, l’attribuent communément à David. Il paraît cependant que le nom de David se lisait dans quelques anciens exemplaires des Septante, puisqu’il se trouve dans l’édition d’Alcala et dans celle des Alde. ― Le psaume 1 sert d’introduction générale à toute la collection des chants inspirés.][1.1-3 Bonheur du juste, qui évite le mal et observe la loi, c’est-à-dire pratique le bien.][1.1 ; 1.5 ; 1.6 Dans le style des Hébreux les impies sont ce que nous appelons les méchants en général ; de là vient que chez eux les justes et les impies sont ceux que nous nommons les bons et les méchants.]2 mais qui a ses affections dans la loi du Seigneur, et qui médite cette loi jour et nuit. [1.2 Voir Josué, 1, 8.]3 Il sera comme un arbre planté près d’un cours d’eau, et qui donne(ra) son fruit en son temps, et son feuillage ne tombera pas ; et tout ce qu’il fera réussira (prospérera). [1.3 Voir Jérémie, 17, 8.]4 Il n’en est pas ainsi des impies, (non) il n’en est pas ainsi ; (mais) ils sont comme la poussière que le vent disperse de dessus la surface du sol (de la terre). [1.4-6 Malheur du pécheur.]5 C’est pourquoi les impies ne ressusciteront point dans le jugement, ni les pécheurs dans l’assemblée des justes. 6 Car le Seigneur connaît la voie des justes, et le chemin des impies périra. [1.6 David ne dit pas qu’il n’y a point de résurrection pour les méchants, comme l’ont prétendu quelques incrédules ; il dit simplement qu’ils ne ressusciteront pas pour être admis dans l’assemblée des justes ; il faut faire violence au texte pour lui donner un autre sens. ― Au jugement dernier. C’est ainsi que l’ont entendu la plupart des docteurs juifs après le paraphraste chaldéen. D’ailleurs, comme l’a justement remarqué le savant Aben-Ezra, la présence de l’article déterminatif enlève toute espèce de doute à cet égard.]

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