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Louis Segond

Job 30-31

30 Et maintenant !... je suis la risée de plus jeunes que moi,
De ceux dont je dédaignais de mettre les pères
Parmi les chiens de mon troupeau.

2 Mais à quoi me servirait la force de leurs mains ?
Ils sont incapables d'atteindre la vieillesse.

3 Desséchés par la misère et la faim,
Ils fuient dans les lieux arides,
Depuis longtemps abandonnés et déserts ;

4 Ils arrachent près des arbrisseaux les herbes sauvages,
Et ils n'ont pour pain que la racine des genêts.

5 On les chasse du milieu des hommes,
On crie après eux comme après des voleurs.

6 Ils habitent dans d'affreuses vallées,
Dans les cavernes de la terre et dans les rochers ;

7 Ils hurlent parmi les buissons,
Ils se rassemblent sous les ronces.

8 Êtres vils et méprisés,
On les repousse du pays.

9 Et maintenant, je suis l'objet de leurs chansons,
Je suis en butte à leurs propos.

10 Ils ont horreur de moi, ils se détournent,
Ils me crachent au visage.

11 Ils n'ont plus de retenue et ils m'humilient,
Ils rejettent tout frein devant moi.

12 Ces misérables se lèvent à ma droite et me poussent les pieds,
Ils se fraient contre moi des sentiers pour ma ruine ;

13 Ils détruisent mon propre sentier et travaillent à ma perte,
Eux à qui personne ne viendrait en aide ;

14 Ils arrivent comme par une large brèche,
Ils se précipitent sous les craquements.

15 Les terreurs m'assiègent ;
Ma gloire est emportée comme par le vent,
Mon bonheur a passé comme un nuage.

16 Et maintenant, mon âme s'épanche en mon sein,
Les jours de la souffrance m'ont saisi.

17 La nuit me perce et m'arrache les os,
La douleur qui me ronge ne se donne aucun repos,

18 Par la violence du mal mon vêtement perd sa forme,
Il se colle à mon corps comme ma tunique.

19 Dieu m'a jeté dans la boue,
Et je ressemble à la poussière et à la cendre.

20 Je crie vers toi, et tu ne me réponds pas ;
Je me tiens debout, et tu me lances ton regard.

21 Tu deviens cruel contre moi,
Tu me combats avec la force de ta main.

22 Tu me soulèves, tu me fais voler au-dessus du vent,
Et tu m'anéantis au bruit de la tempête.

23 Car, je le sais, tu me mènes à la mort,
Au rendez-vous de tous les vivants.

24 Mais celui qui va périr n'étend-il pas les mains ?
Celui qui est dans le malheur n'implore-t-il pas du secours ?

25 N'avais-je pas des larmes pour l'infortuné ?
Mon cœur n'avait-il pas pitié de l'indigent ?

26 J'attendais le bonheur, et le malheur est arrivé ;
J'espérais la lumière, et les ténèbres sont venues.

27 Mes entrailles bouillonnent sans relâche,
Les jours de la calamité m'ont surpris.

28 Je marche noirci, mais non par le soleil ;
Je me lève en pleine assemblée, et je crie.

29 Je suis devenu le frère des chacals,
Le compagnon des autruches.

30 Ma peau noircit et tombe,
Mes os brûlent et se dessèchent.

31 Ma harpe n'est plus qu'un instrument de deuil,
Et mon chalumeau ne peut rendre que des sons plaintifs.

31 J'avais fait un pacte avec mes yeux,
Et je n'aurais pas arrêté mes regards sur une vierge.

2 Quelle part Dieu m'eût-il réservée d'en haut ?
Quel héritage le Tout-Puissant m'eût-il envoyé des cieux ?

3 La ruine n'est-elle pas pour le méchant,
Et le malheur pour ceux qui commettent l'iniquité ?

4 Dieu n'a-t-il pas connu mes voies ?
N'a-t-il pas compté tous mes pas ?

5 Si j'ai marché dans le mensonge,
Si mon pied a couru vers la fraude,

6 Que Dieu me pèse dans des balances justes,
Et il reconnaîtra mon intégrité !

7 Si mon pas s'est détourné du droit chemin,
Si mon cœur a suivi mes yeux,
Si quelque souillure s'est attachée à mes mains,

8 Que je sème et qu'un autre moissonne,
Et que mes rejetons soient déracinés !

9 Si mon cœur a été séduit par une femme,
Si j'ai fait le guet à la porte de mon prochain,

10 Que ma femme tourne la meule pour un autre,
Et que d'autres la déshonorent !

11 Car c'est un crime,
Un forfait que punissent les juges ;

12 C'est un feu qui dévore jusqu'à la ruine,
Et qui aurait détruit toute ma richesse.

13 Si j'ai méprisé le droit de mon serviteur ou de ma servante
Lorsqu'ils étaient en contestation avec moi,

14 Qu'ai-je à faire, quand Dieu se lève ?
Qu'ai-je à répondre, quand il châtie ?

15 Celui qui m'a créé dans le ventre de ma mère ne l'a-t-il pas créé ?
Le même Dieu ne nous a-t-il pas formés dans le sein maternel ?

16 Si j'ai refusé aux pauvres ce qu'ils demandaient,
Si j'ai fait languir les yeux de la veuve,

17 Si j'ai mangé seul mon pain,
Sans que l'orphelin en ait eu sa part,

18 Moi qui l'ai dès ma jeunesse élevé comme un père,
Moi qui dès ma naissance ai soutenu la veuve ;

19 Si j'ai vu le malheureux manquer de vêtements,
L'indigent n'avoir point de couverture,

20 Sans que ses reins m'aient béni,
Sans qu'il ait été réchauffé par la toison de mes agneaux ;

21 Si j'ai levé la main contre l'orphelin,
Parce que je me sentais un appui dans les juges ;

22 Que mon épaule se détache de sa jointure,
Que mon bras tombe et qu'il se brise !

23 Car les châtiments de Dieu m'épouvantent,
Et je ne puis rien devant sa majesté.

24 Si j'ai mis dans l'or ma confiance,
Si j'ai dit à l'or : Tu es mon espoir ;

25 Si je me suis réjoui de la grandeur de mes biens,
De la quantité des richesses que j'avais acquises ;

26 Si j'ai regardé le soleil quand il brillait,
La lune quand elle s'avançait majestueuse,

27 Et si mon cœur s'est laissé séduire en secret,
Si ma main s'est portée sur ma bouche ;

28 C'est encore un crime que doivent punir les juges,
Et j'aurais renié le Dieu d'en haut !

29 Si j'ai été joyeux du malheur de mon ennemi,
Si j'ai sauté d'allégresse quand les revers l'ont atteint,

30 Moi qui n'ai pas permis à ma langue de pécher,
De demander sa mort avec imprécation ;

31 Si les gens de ma tente ne disaient pas :
Où est celui qui n'a pas été rassasié de sa viande ?

32 Si l'étranger passait la nuit dehors,
Si je n'ouvrais pas ma porte au voyageur ;

33 Si, comme les hommes, j'ai caché mes transgressions,
Et renfermé mes iniquités dans mon sein,

34 Parce que j'avais peur de la multitude,
Parce que je craignais le mépris des familles,
Me tenant à l'écart et n'osant franchir ma porte...

35 Oh ! qui me fera trouver quelqu'un qui m'écoute ?
Voilà ma défense toute signée :
Que le Tout-Puissant me réponde !
Qui me donnera la plainte écrite par mon adversaire ?

36 Je porterai son écrit sur mon épaule,
Je l'attacherai sur mon front comme une couronne ;

37 Je lui rendrai compte de tous mes pas,
Je m'approcherai de lui comme un prince.

38 Si ma terre crie contre moi,
Et que ses sillons versent des larmes ;

39 Si j'en ai mangé le produit sans l'avoir payée,
Et que j'aie attristé l'âme de ses anciens maîtres ;

40 Qu'il y croisse des épines au lieu de froment,
Et de l'ivraie au lieu d'orge !
Fin des paroles de Job.