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Louis Segond

Job 4-14

Discours d'Eliphaz à Job.

4 Eliphaz de Théman prit la parole et dit :

2 Si nous osons ouvrir la bouche, en seras-tu peiné ?
Mais qui pourrait garder le silence ?

3 Voici, tu as souvent enseigné les autres,
Tu as fortifié les mains languissantes,

4 Tes paroles ont relevé ceux qui chancelaient,
Tu as affermi les genoux qui pliaient.

5 Et maintenant qu'il s'agit de toi, tu faiblis !
Maintenant que tu es atteint, tu te troubles !

6 Ta crainte de Dieu n'est-elle pas ton soutien ?
Ton espérance, n'est-ce pas ton intégrité ?

7 Cherche dans ton souvenir : quel est l'innocent qui a péri ?
Quels sont les justes qui ont été exterminés ?

8 Pour moi, je l'ai vu, ceux qui labourent l'iniquité
Et qui sèment l'injustice en moissonnent les fruits ;

9 Ils périssent par le souffle de Dieu,
Ils sont consumés par le vent de sa colère,

10 Le rugissement des lions prend fin,
Les dents des lionceaux sont brisées ;

11 Le lion périt faute de proie,
Et les petits de la lionne se dispersent.

12 Une parole est arrivée furtivement jusqu'à moi,
Et mon oreille en a recueilli les sons légers.

13 Au moment où les visions de la nuit agitent la pensée,
Quand les hommes sont livrés à un profond sommeil,

14 Je fus saisi de frayeur et d'épouvante,
Et tous mes os tremblèrent.

15 Un esprit passa près de moi....
Tous mes cheveux se hérissèrent....

16 Une figure d'un aspect inconnu était devant mes yeux,
Et j'entendis une voix qui murmurait doucement :

17 L'homme serait-il juste devant Dieu ?
Serait-il pur devant celui qui l'a fait ?

18 Si Dieu n'a pas confiance en ses serviteurs,
S'il trouve de la folie chez ses anges,

19 Combien plus chez ceux qui habitent des maisons d'argile,
Qui tirent leur origine de la poussière,
Et qui peuvent être écrasés comme un vermisseau !

20 Du matin au soir ils sont brisés,
Ils périssent pour toujours, et nul n'y prend garde ;

21 Le fil de leur vie est coupé,
Ils meurent, et ils n'ont pas acquis la sagesse.

5 Crie maintenant ! Qui te répondra ?
Auquel des saints t'adresseras-tu ?

2 L'insensé périt dans sa colère,
Le fou meurt dans ses emportements.

3 J'ai vu l'insensé prendre racine ;
Puis soudain j'ai maudit sa demeure.

4 Plus de prospérité pour ses fils ;
Ils sont foulés à la porte, et personne qui les délivre !

5 Sa moisson est dévorée par des affamés,
Qui viennent l'enlever jusque dans les épines,
Et ses biens sont engloutis par des hommes altérés.

6 Le malheur ne sort pas de la poussière,
Et la souffrance ne germe pas du sol ;

7 L'homme naît pour souffrir,
Comme l'étincelle pour voler.

8 Pour moi, j'aurais recours à Dieu,
Et c'est à Dieu que j'exposerais ma cause.

9 Il fait des choses grandes et insondables,
Des merveilles sans nombre ;

10 Il répand la pluie sur la terre,
Et envoie l'eau sur les campagnes ;

11 Il relève les humbles,
Et délivre les affligés ;

12 Il anéantit les projets des hommes rusés,
Et leurs mains ne peuvent les accomplir ;

13 Il prend les sages dans leur propre ruse,
Et les desseins des hommes artificieux sont renversés :

14 Ils rencontrent les ténèbres au milieu du jour,
Ils tâtonnent en plein midi comme dans la nuit.

15 Ainsi Dieu protège le faible contre leurs menaces,
Et le sauve de la main des puissants ;

16 Et l'espérance soutient le malheureux,
Mais l'iniquité ferme la bouche.

17 Heureux l'homme que Dieu châtie !
Ne méprise pas la correction du Tout-Puissant.

18 Il fait la plaie, et il la bande ;
Il blesse, et sa main guérit.

19 Six fois il te délivrera de l'angoisse,
Et sept fois le mal ne t'atteindra pas.

20 Il te sauvera de la mort pendant la famine,
Et des coups du glaive pendant la guerre.

21 Tu seras à l'abri du fléau de la langue,
Tu seras sans crainte quand viendra la dévastation.

22 Tu te riras de la dévastation comme de la famine,
Et tu n'auras pas à redouter les bêtes de la terre ;

23 Car tu feras alliance avec les pierres des champs,
Et les bêtes de la terre seront en paix avec toi.

24 Tu jouiras du bonheur sous ta tente,
Tu retrouveras tes troupeaux au complet,

25 Tu verras ta postérité s'accroître,
Et tes rejetons se multiplier comme l'herbe des champs.

26 Tu entreras au sépulcre dans la vieillesse,
Comme on emporte une gerbe en son temps.

27 Voilà ce que nous avons reconnu, voilà ce qui est ;
A toi d'entendre et de mettre à profit.

Réponse de Job à Eliphaz.

6 Job prit la parole et dit :

2 Oh ! s'il était possible de peser ma douleur,
Et si toutes mes calamités étaient sur la balance,

3 Elles seraient plus pesantes que le sable de la mer ;
Voilà pourquoi mes paroles vont jusqu'à la folie !

4 Car les flèches du Tout-Puissant m'ont percé,
Et mon âme en suce le venin ;
Les terreurs de Dieu se rangent en bataille contre moi.

5 L'âne sauvage crie-t-il auprès de l'herbe tendre ?
Le bœuf mugit-il auprès de son fourrage ?

6 Peut-on manger ce qui est fade et sans sel ?
Y a-t-il de la saveur dans le blanc d'un œuf ?

7 Ce que je voudrais ne pas toucher,
C'est là ma nourriture, si dégoûtante soit-elle !

8 Puisse mon vœu s'accomplir,
Et Dieu veuille réaliser mon espérance !

9 Qu'il plaise à Dieu de m'écraser,
Qu'il étende sa main et qu'il m'achève !

10 Il me restera du moins une consolation,
Une joie dans les maux dont il m'accable :
Jamais je n'ai transgressé les ordres du Saint.

11 Pourquoi espérer quand je n'ai plus de force ?
Pourquoi attendre quand ma fin est certaine ?

12 Ma force est-elle une force de pierre ?
Mon corps est-il d'airain ?

13 Ne suis-je pas sans ressource,
Et le salut n'est-il pas loin de moi ?

14 Celui qui souffre a droit à la compassion de son ami,
Même quand il abandonnerait la crainte du Tout-Puissant.

15 Mes frères sont perfides comme un torrent,
Comme le lit des torrents qui disparaissent.

16 Les glaçons en troublent le cours,
La neige s'y précipite ;

17 Viennent les chaleurs, et ils tarissent,
Les feux du soleil, et leur lit demeure à sec.

18 Les caravanes se détournent de leur chemin,
S'enfoncent dans le désert, et périssent.

19 Les caravanes de Théma fixent le regard,
Les voyageurs de Séba sont pleins d'espoir ;

20 Ils sont honteux d'avoir eu confiance,
Ils restent confondus quand ils arrivent.

21 Ainsi, vous êtes comme si vous n'existiez pas ;
Vous voyez mon angoisse, et vous en avez horreur !

22 Vous ai-je dit : Donnez-moi quelque chose,
Faites en ma faveur des présents avec vos biens,

23 Délivrez-moi de la main de l'ennemi,
Rachetez-moi de la main des méchants ?

24 Instruisez-moi, et je me tairai ;
Faites-moi comprendre en quoi j'ai péché.

25 Que les paroles vraies sont persuasives !
Mais que prouvent vos remontrances ?

26 Voulez-vous donc blâmer ce que j'ai dit,
Et ne voir que du vent dans les discours d'un désespéré ?

27 Vous accablez un orphelin,
Vous persécutez votre ami.

28 Regardez-moi, je vous prie !
Vous mentirais-je en face ?

29 Revenez, ne soyez pas injustes ;
Revenez, et reconnaissez mon innocence.

30 Y a-t-il de l'iniquité sur ma langue,
Et ma bouche ne discerne-t-elle pas le mal ?

7 Le sort de l'homme sur la terre est celui d'un soldat,
Et ses jours sont ceux d'un mercenaire.

2 Comme l'esclave soupire après l'ombre,
Comme l'ouvrier attend son salaire,

3 Ainsi j'ai pour partage des mois de douleur,
J'ai pour mon lot des nuits de souffrance.

4 Je me couche, et je dis : Quand me lèverai-je ? quand finira la nuit ?
Et je suis rassasié d'agitations jusqu'au point du jour.

5 Mon corps se couvre de vers et d'une croûte terreuse,
Ma peau se crevasse et se dissout.

6 Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand,
Ils s'évanouissent : plus d'espérance !

7 Souviens-toi que ma vie est un souffle !
Mes yeux ne reverront pas le bonheur.

8 L'œil qui me regarde ne me regardera plus ;
Ton œil me cherchera, et je ne serai plus.

9 Comme la nuée se dissipe et s'en va,
Celui qui descend au séjour des morts ne remontera pas ;

10 Il ne reviendra plus dans sa maison,
Et le lieu qu'il habitait ne le connaîtra plus.

11 C'est pourquoi je ne retiendrai point ma bouche,
Je parlerai dans l'angoisse de mon cœur,
Je me plaindrai dans l'amertume de mon âme.

12 Suis-je une mer, ou un monstre marin,
Pour que tu établisses des gardes autour de moi ?

13 Quand je dis : Mon lit me soulagera,
Ma couche calmera mes douleurs,

14 C'est alors que tu m'effraies par des songes,
Que tu m'épouvantes par des visions.

15 Ah ! je voudrais être étranglé !
Je voudrais la mort plutôt que ces os !

16 Je les méprise !... je ne vivrai pas toujours...
Laisse-moi, car ma vie n'est qu'un souffle.

17 Qu'est-ce que l'homme, pour que tu en fasses tant de cas,
Pour que tu daignes prendre garde à lui,

18 Pour que tu le visites tous les matins,
Pour que tu l'éprouves à tous les instants ?

19 Quand cesseras-tu d'avoir le regard sur moi ?
Quand me laisseras-tu le temps d'avaler ma salive ?

20 Si j'ai péché, qu'ai-je pu te faire, gardien des hommes ?
Pourquoi me mettre en butte à tes traits ?
Pourquoi me rendre à charge à moi-même ?

21 Que ne pardonnes-tu mon péché,
Et que n'oublies-tu mon iniquité ?
Car je vais me coucher dans la poussière ;
Tu me chercheras, et je ne serai plus.

Discours de Bildad à Job.

8 Bildad de Schuach prit la parole et dit :

2 Jusqu'à quand veux-tu discourir de la sorte,
Et les paroles de ta bouche seront-elles un vent impétueux ?

3 Dieu renverserait-il le droit ?
Le Tout-Puissant renverserait-il la justice ?

4 Si tes fils ont péché contre lui,
Il les a livrés à leur péché.

5 Mais toi, si tu as recours à Dieu,
Si tu implores le Tout-Puissant ;

6 Si tu es juste et droit,
Certainement alors il veillera sur toi,
Et rendra le bonheur à ton innocente demeure ;

7 Ton ancienne prospérité semblera peu de chose,
Celle qui t'est réservée sera bien plus grande.

8 Interroge ceux des générations passées,
Sois attentif à l'expérience de leurs pères.

9 Car nous sommes d'hier, et nous ne savons rien,
Nos jours sur la terre ne sont qu'une ombre.

10 Ils t'instruiront, ils te parleront,
Ils tireront de leur cœur ces sentences :

11 Le jonc croît-il sans marais ?
Le roseau croît-il sans humidité ?

12 Encore vert et sans qu'on le coupe,
Il sèche plus vite que toutes les herbes.

13 Ainsi arrive-t-il à tous ceux qui oublient Dieu,
Et l'espérance de l'impie périra.

14 Son assurance est brisée,
Son soutien est une toile d'araignée.

15 Il s'appuie sur sa maison, et elle n'est pas ferme ;
Il s'y cramponne, et elle ne résiste pas.

16 Dans toute sa vigueur, en plein soleil,
Il étend ses rameaux sur son jardin,

17 Il entrelace ses racines parmi les pierres,
Il pénètre jusque dans les murailles ;

18 L'arrache-t-on du lieu qu'il occupe,
Ce lieu le renie : Je ne t'ai point connu !

19 Telles sont les délices que ses voies lui procurent.
Puis sur le même sol d'autres s'élèvent après lui.

20 Non, Dieu ne rejette point l'homme intègre,
Et il ne protège point les méchants.

21 Il remplira ta bouche de cris de joie,
Et tes lèvres de chants d'allégresse.

22 Tes ennemis seront couverts de honte ;
La tente des méchants disparaîtra.

Réponse de Job à Bildad.

9 Job prit la parole et dit :

2 Je sais bien qu'il en est ainsi ;
Comment l'homme serait-il juste devant Dieu ?

3 S'il voulait contester avec lui,
Sur mille choses il ne pourrait répondre à une seule.

4 A lui la sagesse et la toute-puissance :
Qui lui résisterait impunément ?

5 Il transporte soudain les montagnes,
Il les renverse dans sa colère.

6 Il secoue la terre sur sa base,
Et ses colonnes sont ébranlées.

7 Il commande au soleil, et le soleil ne paraît pas ;
Il met un sceau sur les étoiles.

8 Seul, il étend les cieux,
Il marche sur les hauteurs de la mer.

9 Il a créé la Grande Ourse, l'Orion et les Pléiades,
Et les étoiles des régions australes.

10 Il fait des choses grandes et insondables,
Des merveilles sans nombre.

11 Voici, il passe près de moi, et je ne le vois pas,
Il s'en va, et je ne l'aperçois pas.

12 S'il enlève, qui s'y opposera ?
Qui lui dira : Que fais-tu ?

13 Dieu ne retire point sa colère ;
Sous lui s'inclinent les appuis de l'orgueil.

14 Et moi, comment lui répondre ?
Quelles paroles choisir ?

15 Quand je serais juste, je ne répondrais pas ;
Je ne puis qu'implorer mon juge.

16 Et quand il m'exaucerait, si je l'invoque,
Je ne croirais pas qu'il eût écouté ma voix,

17 Lui qui m'assaille comme par une tempête,
Qui multiplie sans raison mes blessures,

18 Qui ne me laisse pas respirer,
Qui me rassasie d'amertume.

19 Recourir à la force ? Il est tout-puissant.
A la justice ? Qui me fera comparaître ?

20 Suis-je juste, ma bouche me condamnera ;
Suis-je innocent, il me déclarera coupable.

21 Innocent ! Je le suis ; mais je ne tiens pas à la vie,
Je méprise mon existence.

22 Qu'importe après tout ? Car, j'ose le dire,
Il détruit l'innocent comme le coupable.

23 Si du moins le fléau donnait soudain la mort !...
Mais il se rit des épreuves de l'innocent.

24 La terre est livrée aux mains de l'impie ;
Il voile la face des juges.
Si ce n'est pas lui, qui est-ce donc ?

25 Mes jours sont plus rapides qu'un courrier ;
Ils fuient sans avoir vu le bonheur ;

26 Ils passent comme les navires de jonc,
Comme l'aigle qui fond sur sa proie.

27 Si je dis : Je veux oublier mes souffrances,
Laisser ma tristesse, reprendre courage,

28 Je suis effrayé de toutes mes douleurs.
Je sais que tu ne me tiendras pas pour innocent.

29 Je serai jugé coupable ;
Pourquoi me fatiguer en vain ?

30 Quand je me laverais dans la neige,
Quand je purifierais mes mains avec du savon,

31 Tu me plongerais dans la fange,
Et mes vêtements m'auraient en horreur.

32 Il n'est pas un homme comme moi, pour que je lui réponde,
Pour que nous allions ensemble en justice.

33 Il n'y a pas entre nous d'arbitre,
Qui pose sa main sur nous deux.

34 Qu'il retire sa verge de dessus moi,
Que ses terreurs ne me troublent plus ;

35 Alors je parlerai et je ne le craindrai pas.
Autrement, je ne suis point à moi-même.

10 Mon âme est dégoûtée de la vie !
Je donnerai cours à ma plainte,
Je parlerai dans l'amertume de mon âme.

2 Je dis à Dieu : Ne me condamne pas !
Fais-moi savoir pourquoi tu me prends à partie !

3 Te paraît-il bien de maltraiter,
De repousser l'ouvrage de tes mains,
Et de faire briller ta faveur sur le conseil des méchants ?

4 As-tu des yeux de chair,
Vois-tu comme voit un homme ?

5 Tes jours sont-ils comme les jours de l'homme,
Et tes années comme ses années,

6 Pour que tu recherches mon iniquité,
Pour que tu t'enquières de mon péché,

7 Sachant bien que je ne suis pas coupable,
Et que nul ne peut me délivrer de ta main ?

8 Tes mains m'ont formé, elles m'ont créé,
Elles m'ont fait tout entier... Et tu me détruirais !

9 Souviens-toi que tu m'as façonné comme de l'argile ;
Voudrais-tu de nouveau me réduire en poussière ?

10 Ne m'as-tu pas coulé comme du lait ?
Ne m'as-tu pas caillé comme du fromage ?

11 Tu m'as revêtu de peau et de chair,
Tu m'as tissé d'os et de nerfs ;

12 Tu m'as accordé ta grâce avec la vie,
Tu m'as conservé par tes soins et sous ta garde.

13 Voici néanmoins ce que tu cachais dans ton cœur,
Voici, je le sais, ce que tu as résolu en toi-même.

14 Si je pèche, tu m'observes,
Tu ne pardonnes pas mon iniquité.

15 Suis-je coupable, malheur à moi !
Suis-je innocent, je n'ose lever la tête,
Rassasié de honte et absorbé dans ma misère.

16 Et si j'ose la lever, tu me poursuis comme un lion,
Tu me frappes encore par des prodiges.

17 Tu m'opposes de nouveaux témoins,
Tu multiplies tes fureurs contre moi,
Tu m'assailles d'une succession de calamités.

18 Pourquoi m'as-tu fait sortir du sein de ma mère ?
Je serais mort, et aucun œil ne m'aurait vu ;

19 Je serais comme si je n'eusse pas existé,
Et j'aurais passé du ventre de ma mère au sépulcre.

20 Mes jours ne sont-ils pas en petit nombre ? Qu'il me laisse,
Qu'il se retire de moi, et que je respire un peu,

21 Avant que je m'en aille, pour ne plus revenir,
Dans le pays des ténèbres et de l'ombre de la mort,

22 Pays d'une obscurité profonde,
Où règnent l'ombre de la mort et la confusion,
Et où la lumière est semblable aux ténèbres.

Discours de Tsophar à Job.

11 Tsophar de Naama prit la parole et dit :

2 Cette multitude de paroles ne trouvera-t-elle point de réponse,
Et suffira-t-il d'être un discoureur pour avoir raison ?

3 Tes vains propos feront-ils taire les gens ?
Te moqueras-tu, sans que personne te confonde ?

4 Tu dis : Ma manière de voir est juste,
Et je suis pur à tes yeux.

5 Oh ! si Dieu voulait parler,
S'il ouvrait les lèvres pour te répondre,

6 Et s'il te révélait les secrets de sa sagesse,
De son immense sagesse,
Tu verrais alors qu'il ne te traite pas selon ton iniquité.

7 Prétends-tu sonder les pensées de Dieu,
Parvenir à la connaissance parfaite du Tout-Puissant ?

8 Elle est aussi haute que les cieux : que feras-tu ?
Plus profonde que le séjour des morts : que sauras-tu ?

9 La mesure en est plus longue que la terre,
Elle est plus large que la mer.

10 S'il passe, s'il saisit,
S'il traîne à son tribunal, qui s'y opposera ?

11 Car il connaît les vicieux,
Il voit facilement les coupables.

12 L'homme, au contraire, a l'intelligence d'un fou,
Il est né comme le petit d'un âne sauvage.

13 Pour toi, dirige ton cœur vers Dieu,
Etends vers lui tes mains,

14 Eloigne-toi de l'iniquité,
Et ne laisse pas habiter l'injustice sous ta tente.

15 Alors tu lèveras ton front sans tache,
Tu seras ferme et sans crainte ;

16 Tu oublieras tes souffrances,
Tu t'en souviendras comme des eaux écoulées.

17 Tes jours auront plus d'éclat que le soleil à son midi,
Tes ténèbres seront comme la lumière du matin,

18 Tu seras plein de confiance, et ton attente ne sera plus vaine ;
Tu regarderas autour de toi, et tu reposeras en sûreté.

19 Tu te coucheras sans que personne ne te trouble,
Et plusieurs caresseront ton visage.

20 Mais les yeux des méchants seront consumés ;
Pour eux point de refuge ;
La mort, voilà leur espérance !

Réponse de Job à Tsophar.

12 Job prit la parole et dit :

2 On dirait, en vérité, que le genre humain c'est vous,
Et qu'avec vous doit mourir la sagesse.

3 J'ai tout aussi bien que vous de l'intelligence, moi,
Je ne vous suis point inférieur ;
Et qui ne sait les choses que vous dites ?

4 Je suis pour mes amis un objet de raillerie,
Quand j'implore le secours de Dieu ;
Le juste, l'innocent, un objet de raillerie !

5 Au malheur le mépris ! c'est la devise des heureux ;
A celui dont le pied chancelle est réservé le mépris.

6 Il y a paix sous la tente des pillards,
Sécurité pour ceux qui offensent Dieu,
Pour quiconque se fait un dieu de sa force.

7 Interroge les bêtes, elles t'instruiront,
Les oiseaux du ciel, ils te l'apprendront ;

8 Parle à la terre, elle t'instruira ;
Et les poissons de la mer te le raconteront.

9 Qui ne reconnaît chez eux la preuve
Que la main de l'Éternel a fait toutes choses ?

10 Il tient dans sa main l'âme de tout ce qui vit,
Le souffle de toute chair d'homme.

11 L'oreille ne discerne-t-elle pas les paroles,
Comme le palais savoure les aliments ?

12 Dans les vieillards se trouve la sagesse,
Et dans une longue vie l'intelligence.

13 En Dieu résident la sagesse et la puissance.
Le conseil et l'intelligence lui appartiennent.

14 Ce qu'il renverse ne sera point rebâti,
Celui qu'il enferme ne sera point délivré.

15 Il retient les eaux et tout se dessèche ;
Il les lâche, et la terre en est dévastée.

16 Il possède la force et la prudence ;
Il maîtrise celui qui s'égare ou fait égarer les autres.

17 Il emmène captifs les conseillers ;
Il trouble la raison des juges.

18 Il délie la ceinture des rois,
Il met une corde autour de leurs reins.

19 Il emmène captifs les sacrificateurs ;
Il fait tomber les puissants.

20 Il ôte la parole à ceux qui ont de l'assurance ;
Il prive de jugement les vieillards.

21 Il verse le mépris sur les grands ;
Il relâche la ceinture des forts.

22 Il met à découvert ce qui est caché dans les ténèbres,
Il produit à la lumière l'ombre de la mort.

23 Il donne de l'accroissement aux nations, et il les anéantit ;
Il les étend au loin, et il les ramène dans leurs limites.

24 Il enlève l'intelligence aux chefs des peuples,
Il les fait errer dans les déserts sans chemin ;

25 Ils tâtonnent dans les ténèbres, et ne voient pas clair ;
Il les fait errer comme des gens ivres.

13 Voici, mon œil a vu tout cela,
Mon oreille l'a entendu et y a pris garde.

2 Ce que vous savez, je le sais aussi,
Je ne vous suis point inférieur.

3 Mais je veux parler au Tout-Puissant,
Je veux plaider ma cause devant Dieu ;

4 Car vous, vous n'imaginez que des faussetés,
Vous êtes tous des médecins de néant.

5 Que n'avez-vous gardé le silence ?
Vous auriez passé pour avoir de la sagesse.

6 Ecoutez, je vous prie, ma défense,
Et soyez attentifs à la réplique de mes lèvres.

7 Direz-vous en faveur de Dieu ce qui est injuste,
Et pour le soutenir alléguerez-vous des faussetés ?

8 Voulez-vous avoir égard à sa personne ?
Voulez-vous plaider pour Dieu ?

9 S'il vous sonde, vous approuvera-t-il ?
Ou le tromperez-vous comme on trompe un homme ?

10 Certainement il vous condamnera,
Si vous n'agissez en secret que par égard pour sa personne.

11 Sa majesté ne vous épouvantera-t-elle pas ?
Sa terreur ne tombera-t-elle pas sur vous ?

12 Vos sentences sont des sentences de cendre,
Vos retranchements sont des retranchements de boue.

13 Taisez-vous, laissez-moi, je veux parler !
Il m'en arrivera ce qu'il pourra.

14 Pourquoi saisirais-je ma chair entre les dents ?
J'exposerai plutôt ma vie.

15 Voici, il me tuera ; je n'ai rien à espérer ;
Mais devant lui je défendrai ma conduite.

16 Cela même peut servir à mon salut,
Car un impie n'ose paraître en sa présence.

17 Ecoutez, écoutez mes paroles,
Prêtez l'oreille à ce que je vais dire.

18 Me voici prêt à plaider ma cause ;
Je sais que j'ai raison.

19 Quelqu'un disputera-t-il contre moi ?
Alors je me tais, et je veux mourir.

20 Seulement, accorde-moi deux choses
Et je ne me cacherai pas loin de ta face :

21 Retire ta main de dessus moi,
Et que tes terreurs ne me troublent plus.

22 Puis appelle, et je répondrai,
Ou si je parle, réponds-moi !

23 Quel est le nombre de mes iniquités et de mes péchés ?
Fais-moi connaître mes transgressions et mes péchés.

24 Pourquoi caches-tu ton visage,
Et me prends-tu pour ton ennemi ?

25 Veux-tu frapper une feuille agitée ?
Veux-tu poursuivre une paille desséchée ?

26 Pourquoi m'infliger d'amères souffrances,
Me punir pour des fautes de jeunesse ?

27 Pourquoi mettre mes pieds dans les ceps,
Surveiller tous mes mouvements,
Tracer une limite à mes pas,

28 Quand mon corps tombe en pourriture,
Comme un vêtement que dévore la teigne ?

14 L'homme né de la femme !
Sa vie est courte, sans cesse agitée.

2 Il naît, il est coupé comme une fleur ;
Il fuit et disparaît comme une ombre.

3 Et c'est sur lui que tu as l'œil ouvert !
Et tu me fais aller en justice avec toi !

4 Comment d'un être souillé sortira-t-il un homme pur ?
Il n'en peut sortir aucun.

5 Si ses jours sont fixés, si tu as compté ses mois,
Si tu en as marqué le terme qu'il ne saurait franchir,

6 Détourne de lui les regards, et donne-lui du relâche,
Pour qu'il ait au moins la joie du mercenaire à la fin de sa journée.

7 Un arbre a de l'espérance :
Quand on le coupe, il repousse,
Il produit encore des rejetons ;

8 Quand sa racine a vieilli dans la terre,
Quand son tronc meurt dans la poussière,

9 Il reverdit à l'approche de l'eau,
Il pousse des branches comme une jeune plante.

10 Mais l'homme meurt, et il perd sa force ;
L'homme expire, et où est-il ?

11 Les eaux des lacs s'évanouissent,
Les fleuves tarissent et se dessèchent ;

12 Ainsi l'homme se couche et ne se relèvera plus,
Il ne se réveillera pas tant que les cieux subsisteront,
Il ne sortira pas de son sommeil.

13 Oh ! si tu voulais me cacher dans le séjour des morts,
M'y tenir à couvert jusqu'à ce que ta colère fût passée,
Et me fixer un terme auquel tu te souviendras de moi !

14 Si l'homme une fois mort pouvait revivre,
J'aurais de l'espoir tout le temps de mes souffrances,
Jusqu'à ce que mon état vînt à changer.

15 Tu appellerais alors, et je te répondrais,
Tu languirais après l'ouvrage de tes mains.

16 Mais aujourd'hui tu comptes mes pas,
Tu as l'œil sur mes péchés ;

17 Mes transgressions sont scellées en un faisceau,
Et tu imagines des iniquités à ma charge.

18 La montagne s'écroule et périt,
Le rocher disparaît de sa place,

19 La pierre est broyée par les eaux,
Et la terre emportée par leur courant ;
Ainsi tu détruis l'espérance de l'homme.

20 Tu es sans cesse à l'assaillir, et il s'en va ;
Tu le défigures, puis tu le renvoies.

21 Que ses fils soient honorés, il n'en sait rien ;
Qu'ils soient dans l'abaissement, il l'ignore.

22 C'est pour lui seul qu'il éprouve de la douleur en son corps,
C'est pour lui seul qu'il ressent de la tristesse en son âme.