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Bible de Jérusalem

2 Maccabées 6.18-7.41

Le martyre d’Éléazar.b

18 Éléazar, un des premiers docteurs de la Loi, homme déjà avancé en âge et du plus noble extérieur, était contraint, tandis qu’on lui ouvrait la bouche de force, de manger de la chair de porc.

b Les Pères de l’Église ont loué en Éléazar un martyr d’avant le Christ.

19 Mais lui, préférant une mort glorieuse à une existence infâme, marchait volontairement au supplice de la roue, 20 non sans avoir craché sa bouchée, comme le doivent faire ceux qui ont le courage de rejeter ce à quoi il n’est pas permis de goûter par amour de la vie. 21 Ceux qui présidaient à ce repas rituel interdit par la Loi le prirent à part, car cet homme était pour eux une vieille connaissance ; ils l’engagèrent à faire apporter des viandes dont il était permis de faire usage, et qu’il aurait lui-même préparées ; il n’avait qu’à feindre de manger des chairs de la victime, comme le roi l’avait ordonné, 22 afin qu’en agissant de la sorte, il fût préservé de la mort et profitât de cette humanité due à la vieille amitié qui les liait. 23 Mais lui, prenant une noble résolution, digne de son âge, de l’autorité de sa vieillesse et de ses vénérables cheveux blanchis dans le labeur, digne d’une conduite parfaite depuis l’enfance et surtout de la sainte législation établie par Dieu même, il fit une réponse en conséquence, disant qu’on l’envoyât sans tarder au séjour des morts.

24 « À notre âge, ajouta-t-il, il ne convient pas de feindre, de peur que nombre de jeunes, persuadés qu’Éléazar aurait embrassé à quatre-vingt-dix ans les mœurs des étrangers, 25 ne s’égarent eux aussi, à cause de moi et de ma dissimulation, et cela pour un tout petit reste de vie. J’attirerais ainsi sur ma vieillesse souillure et déshonneur, 26 et quand j’échapperais pour le présent au châtiment des hommes, je n’éviterai pas, vivant ou mort, les mains du Tout-Puissant. 27 C’est pourquoi, si je quitte maintenant la vie avec courage, je me montrerai digne de ma vieillesse, 28 ayant laissé aux jeunes le noble exemple d’une belle mort, volontaire et généreuse, pour les vénérables et saintes lois. »c
Ayant ainsi parlé, il alla tout droit au supplice de la roue,

c L’expression relève du juridisme hellénique, mais pour l’auteur « les lois » sont essentiellement la Loi, 7.30 ; 10.26 ; 12.40 ; 15.9, identique à l’Alliance, cf. 1 M 2.20, et gage de la bienveillance divine, cf. 7.36 ; 8.15.

29 mais ceux qui l’y conduisaient changèrent en malveillance la bienveillance qu’ils avaient eue pour lui un peu auparavant, à cause du discours qu’il venait de tenir et qui à leur point de vue était de la folie. 30 Lui, de son côté, étant sur le point de mourir sous les coups, dit en soupirant : « Au Seigneur qui a la science sainte, il est manifeste que, pouvant échapper à la mort, j’endure sous les fouets des douleurs cruelles dans mon corps, mais qu’en mon âme je les souffre avec joie à cause de la crainte qu’il m’inspire. »

31 Il quitta donc la vie de cette manière (laissant dans sa mort, non seulement à la jeunesse, mais à la grande majorité de la nation, un exemple de courage et un mémorial de vertu).

Le martyre des sept frères.d

7 Il arriva aussi que sept frères ayant été arrêtés avec leur mère, le roi voulut les contraindre, en leur infligeant les fouets et les nerfs de bœuf, à toucher à la viande de porc (interdite par la Loi).

d Après l’exemple d’un vénérable docteur de la Loi, on nous donne celui d’une mère de famille et de ses fils. La persécution, dont les moyens étaient à l’époque très cruels, s’était en effet étendue jusqu’aux femmes et aux enfants, cf. 1 M 1.60s. Le fond du récit est donc historique et l’élaboration littéraire se traduit surtout par les discours mis dans la bouche des protagonistes. Le culte des « sept frères Maccabées » se répandit jusqu’en Occident où plusieurs églises leur furent dédiées. Le récit appelé « Passion des saints Maccabées » eut une large diffusion et servit de modèle à divers Actes de Martyrs.

2 L’un d’eux se faisant leur porte-parole : « Que vas-tu, dit-il, demander et apprendre de nous ? Nous sommes prêts à mourir plutôt que d’enfreindre les lois de nos pères. » 3 Le roi, hors de lui, fit mettre sur le feu des poêles et des chaudrons. 4 Sitôt qu’ils furent brûlants, il ordonna de couper la langue à celui qui avait été leur porte-parole, de lui enlever la peau de la tête et de lui trancher les extrémités, sous les yeux de ses autres frères et de sa mère. 5 Lorsqu’il fut complètement impotent, il commanda de l’approcher du feu, respirant encore, et de le faire passer à la poêle. Tandis que la vapeur de la poêle se répandait au loin, les autres s’exhortaient mutuellement avec leur mère à mourir avec vaillance : 6 « Le Seigneur Dieu voit, disaient-ils, et il a en vérité compassion de nous selon que Moïse l’a annoncé par le cantique qui proteste ouvertement en ces termes : « Et il aura pitié de ses serviteurs ». »

7 Lorsque le premier eut quitté la vie de cette manière, on amena le second pour le supplice. Après lui avoir arraché la peau de la tête avec les cheveux, on lui demandait : « Veux-tu manger du porc, avant que ton corps ne soit torturé membre par membre ? » 8 Il répondit dans la langue de ses pères :e « Non ! » C’est pourquoi lui aussi fut à son tour soumis aux tourments.

e Cette expression revient aux vv. 21 et 27, et l’auteur semble l’avoir comprise comme faisant allusion à l’hébreu, cf. 12.37 ; 15.29. En fait, la langue de cette femme devait plutôt être l’araméen.

9 Au moment de rendre le dernier soupir : « Scélérat que tu es, dit-il, tu nous exclus de cette vie présente, mais le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle,f nous qui mourons pour ses lois. »

f Littéralement « pour une revivification éternelle de vie ». — La foi en la résurrection des corps, qui ne se dégage pas sûrement d’Isa 26.19 et de Jb 19.26-27 (cf. les notes), est affirmée pour la première fois ici (et cf. vv. 11, 14, 23, 29, 36) et dans le passage de Dn 12.2-3, en relation lui aussi avec la persécution d’Antiochus Épiphane (Dn 11). Cf. encore 12.38-46 ; 14.46. Les martyrs ressusciteront, par un effet de la puissance du Créateur, v. 23, pour la vie, v. 14, cf. Jn 5.29, pour une vie éternelle, vv. 9, 36. On rejoint ainsi la doctrine de l’immortalité, qui sera développée, en milieu grec, et sans référence à la résurrection des corps, par Sg 3.1-5, 16. Mais, pour la pensée hébraïque qui ne distinguait pas entre le corps et l’âme, l’idée d’une survie impliquait la résurrection des corps, on le voit ici. Le texte n’enseigne pas directement la résurrection de tous les hommes, et n’envisage que le cas des justes, cf. v. 14. Dn 12.2-3 est plus clair.

10 Après lui on châtia le troisième. Il présenta aussitôt sa langue comme on le lui demandait et tendit ses mains avec intrépidité ; 11 (il déclara courageusement : « C’est du Ciel que je tiens ces membres, mais à cause de ses lois je les méprise et c’est de lui que j’espère les recouvrer de nouveau. »)g

g Ce v., omis par plusieurs mss latins, est en contradiction avec le précédent la langue tendue a dû être aussitôt coupée, cf. v. 4.

12 Le roi lui-même et son escorte furent frappés du courage de ce jeune homme qui comptait les souffrances pour rien.

13 Ce dernier une fois mort, on soumit le quatrième aux mêmes tourments et tortures. 14 Sur le point d’expirer il s’exprima de la sorte : « Mieux vaut mourir de la main des hommes en tenant de Dieu l’espoir d’être ressuscité par lui, car pour toi il n’y aura pas de résurrection à la vie. »

15 On amena ensuite le cinquième et on le tortura. 16 Mais lui, fixant les yeux sur le roi, lui disait : « Tu as, quoique corruptible, autorité sur les hommes, tu fais ce que tu veux. Ne pense pas cependant que notre race soit abandonnée de Dieu. 17 Pour toi, prends patience et tu verras sa grande puissance, comme il te tourmentera toi et ta race. »

18 Après celui-là ils amenèrent le sixième, qui dit, sur le point de mourir : « Ne te fais pas de vaine illusion, c’est à cause de nous-mêmes que nous souffrons cela, ayant péché envers notre propre Dieu (aussi nous est-il arrivé des choses étonnantes). 19 Mais toi, ne t’imagine pas que tu seras impuni après avoir entrepris de faire la guerre à Dieu. »

20 Éminemment admirable et digne d’une illustre mémoire fut la mère qui, voyant mourir ses sept fils dans l’espace d’un seul jour, le supporta courageusement en vertu des espérances qu’elle plaçait dans le Seigneur. 21 Elle exhortait chacun d’eux, dans la langue de ses pères, et, remplie de nobles sentiments, elle animait d’un mâle courage son raisonnement de femme. Elle leur disait : 22 « Je ne sais comment vous avez apparu dans mes entrailles ; ce n’est pas moi qui vous ai gratifiés de l’esprit et de la vie ; ce n’est pas moi qui ai organisé les éléments qui composent chacun de vous. 23 Aussi bien le Créateur du monde, qui a formé le genre humain et qui est à l’origine de toute chose, vous rendra-t-il, dans sa miséricorde, et l’esprit et la vie, parce que vous vous méprisez maintenant vous-mêmes pour l’amour de ses lois. »

24 Antiochus se crut vilipendé et soupçonna un outrage dans ces paroles. Comme le plus jeune était encore en vie, non seulement il l’exhortait par des paroles, mais il lui donnait par des serments l’assurance de le rendre à la fois riche et très heureux, s’il abandonnait les traditions ancestrales, d’en faire son ami et de lui confier de hauts emplois. 25 Le jeune homme ne prêtant à cela aucune attention, le roi fit approcher la mère et l’engagea à donner à l’adolescent des conseils pour sauver sa vie. 26 Lorsqu’il l’eut longuement exhortée, elle consentit à persuader son fils. 27 Elle se pencha donc vers lui et, mystifiant le tyran cruel, elle s’exprima de la sorte dans la langue de ses pères : « Mon fils, aie pitié de moi qui t’ai porté neuf mois dans mon sein, qui t’ai allaité trois ans, qui t’ai nourri et élevé jusqu’à l’âge où tu es (et pourvu à ton entretien). 28 Je t’en conjure, mon enfant, regarde le ciel et la terre et vois tout ce qui est en eux, et sache que Dieu les a faits de rienh et que la race des hommes est faite de la même manière.

h Littéralement « non des choses qui étaient », première affirmation explicite de la création ex nihilo , mais cf. déjà Isa 44.24 ; voir aussi Jn 1.3 ; Col 1.15s — Quelques mss et le syr. lisent « des choses qui ne sont pas », expression qui pour le philosophe juif Philon désigne la matière inorganisée ; cf. Sg 11.17.

29 Ne crains pas ce bourreau, mais, te montrant digne de tes frères, accepte la mort, afin que je te retrouve avec eux dans la miséricorde. »

30 À peinei achevait-elle de parler que le jeune homme dit : « Qu’attendez-vous ? Je n’obéis pas aux ordres du roi, j’obéis aux ordres de la Loi qui a été donnée à nos pères par Moïse.

i « à peine » arti conj. ; « encore » eti grec.

31 Et toi, qui t’es fait l’inventeur de toute la calamité qui fond sur les Hébreux,j tu n’échapperas pas aux mains de Dieu.

j Terme archaïsant, ici et à 11.13 ; 15.37 ; cf. Jdt 10.12 ; 12.11 ; 14.18. Les LXX en usent rarement en dehors du Pentateuque.

32 (Nous autres, nous souffrons à cause de nos propres péchés.) 33 Si, pour notre châtiment et notre correction, notre Seigneur qui est vivant s’est courroucé un moment contre nous, il se réconciliera de nouveau avec ses serviteurs. Mais toi 34 ô impie et le plus infect de tous les hommes, ne t’élève pas sans raison, te berçant de vains espoirs et levant la main contre ses serviteurs,k

k « ses serviteurs » quelques mss et versions ; « les serviteurs célestes » grec.

35 car tu n’as pas encore échappé au jugement de Dieu qui peut tout et qui voit tout. 36 Quant à nos frères, après avoir supporté une douleur passagère, en vue d’une vie intarissable, ils sont tombés pour l’alliance de Dieu,l tandis que toi, par le jugement de Dieu, tu porteras le juste châtiment de ton orgueil.

l « en vue d’une vie intarissable » mss latins ; « tombés pour » conj., cf. 6.28 ; 1 M 5.20 ; le grec est inintelligible.

37 Pour moi, je livre comme mes frères mon corps et ma vie pour les lois de mes pères, suppliant Dieu d’être bientôt favorable à notre nation et de t’amener par les épreuves et les fléaux à confesser qu’il est le seul Dieu.m

m Antiochus IV se faisait l’égal des dieux, cf. 9.12. — Sur la notion d’un Dieu absolument universel et sans rival possible, cf. 1 Ch 17.20 ; Si 36.4, et déjà Isa 45.14.

38 Puisse enfin s’arrêter sur moi et sur mes frères la colère du Tout-Puissant justement déchaînée sur toute notre race ! »

39 Le roi, hors de lui, sévit contre ce dernier encore plus cruellement que contre les autres, le sarcasme lui étant particulièrement amer. 40 Ainsi trépassa le jeune homme, sans s’être souillé, et avec une parfaite confiance dans le Seigneur. 41 Enfin la mère mourut la dernière, après ses fils.