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Bible de Jérusalem

Juges 9.1-

D. LA ROYAUTÉ D’ABIMÉLEKn

9 Abimélek, fils de Yerubbaal, s’en vint à Sichem auprès des frères de sa mère et il leur adressa ces paroles, ainsi qu’à tout le clan de la maison paternelle de sa mère

n Ce récit est placé ici parce qu’Abimélek est considéré comme le fils de Gédéon-Yerubbaal. En réalité, ce n’est pas l’histoire d’un juge, ni même celle d’une tribu d’Israël Abimélek est fils d’une Sichémite, il est choisi comme roi par un groupe, les maîtres de Sichem, ceux qui disposent de l’autorité dans la ville. Abimélek s’entoure d’aventuriers et ses seuls exploits sont le massacre de ses frères, sa lutte contre les révoltés de Sichem et l’assaut donné à la ville israélite de Tébeç, où il est tué ignominieusement. Le récit est certainement historique et nous éclaire sur les conditions de l’époque le régime politique que représente la royauté continue la situation que les lettres d’Amarna nous font connaître pour Sichem au XIVe s. av. J.-C. La royauté d’Abimélek est un échec et le récit sert le propos d’un rédacteur défavorable à la royauté. Pour lui la royauté humaine n’a pas fait ses preuves ; elle est même inutile comme le montre la fable de Yotam (vv. 7-15).

2 « Faites donc entendre ceci, je vous prie, aux maîtres de Sichem : Que vaut-il mieux pour vous ? Avoir pour maîtres soixante-dix personnes, tous les fils de Yerubbaal, ou n’en avoir qu’un seul ? Souvenez-vous d’ailleurs que je suis, moi, de vos os et de votre chair ! » 3 Les frères de sa mère parlèrent de lui à tous les maîtres de Sichem dans les mêmes termes, et leur cœur pencha pour Abimélek, car ils se disaient : « C’est notre frère ! » 4 Ils lui donnèrent donc soixante-dix sicles d’argent du temple de Baal-Berit et Abimélek s’en servit pour soudoyer des gens de rien, des aventuriers, qui s’attachèrent à lui. 5 Il se rendit alors à la maison de son père à Ophra et il massacra ses frères, les fils de Yerubbaal, soixante-dix hommes, sur une même pierre. Yotam cependant, le plus jeune fils de Yerubbaal, réchappa, car il s’était caché. 6 Puis tous les maîtres de Sichem et tout Bet-Millo se réunirent et ils proclamèrent roi Abimélek près du chêne de la stèle qui est à Sichem.o

o Bet-Millo est probablement identique au Migdal-Sichem des vv. 46 et 49. — « de la stèle » hammaççebah conj. ; « dressé » muççab hébr.

Apologue de Yotam.p

7 On l’annonça à Yotam. Il vint se poster sur le sommet du mont Garizim et il leur cria à haute voix :

« Écoutez-moi, maîtres de Sichem,
pour que Dieu vous écoute !

p Cet apologue est, dans la Bible, le premier exemple de fable qui mette en scène des plantes ou des animaux, cf. 2 R 14.9 ; Ez 17.3-10 et plusieurs fois dans les Proverbes. Mais ce genre littéraire est universel (Mésopotamie, Égypte, Grèce, etc.). Cette fable a pu avoir une existence indépendante avant d’être utilisée pour illustrer l’histoire de Yerubbaal et d’Abimélek.

8 Un jour les arbres se mirent en chemin pour oindre un roi qui régnerait sur eux.
Ils dirent à l’olivier : « Règne donc sur nous ! »
9 L’olivier leur répondit :
« Faudra-t-il que je renonce à mon huile,
qui rend honneur aux dieux et aux hommes,
pour aller me balancer au-dessus des arbres ? »
10 Alors les arbres dirent au figuier :
« Viens donc, toi, régner sur nous ! »
11 Le figuier leur répondit :
« Faudra-t-il que je renonce à ma douceur
et à mon excellent fruit,
pour aller me balancer au-dessus des arbres ? »
12 Les arbres dirent alors à la vigne :
« Viens donc, toi, régner sur nous ! »
13 La vigne leur répondit :
« Faudra-t-il que je renonce à mon vin,
qui réjouit les dieux et les hommes,
pour aller me balancer au-dessus des arbres ? »
14 Tous les arbres dirent alors au buisson d’épines :
« Viens donc, toi, régner sur nous ! »
15 Et le buisson d’épines répondit aux arbres :
« Si c’est de bonne foi que vous m’oignez comme roi sur vous,
venez vous abriter sous mon ombre.
Sinon un feu sortira du buisson
d’épines
et il dévorera les cèdres du Liban ! » »

16 q « Ainsi donc, si c’est de bonne foi et en toute loyauté que vous avez agi et que vous avez fait roi Abimélek, si vous vous êtes bien conduits envers Yerubbaal et sa maison, si vous l’avez traité selon le mérite de ses actions,r

q Les vv. 16-20 font à la situation créée par la royauté d’Abimélek l’application de la fable qui s’achevait par un appel à la « bonne foi ».

r La phrase, interrompue par une incise, se poursuit au v. 19.

17 alors que mon père a combattu pour vous, qu’il a exposé sa vie, qu’il vous a délivrés de la main de Madiân, 18 vous, aujourd’hui, vous vous êtes levés contre la maison de mon père, vous avez massacré ses fils, soixante-dix hommes sur une même pierre, et vous avez fait roi sur les maîtres de Sichem Abimélek, le fils de son esclave, parce qu’il est votre frère ! — 19 si donc c’est de bonne foi et en toute loyauté qu’aujourd’hui vous avez agi envers Yerubbaal et envers sa maison, alors qu’Abimélek fasse votre joie et vous la sienne ! 20 Sinon, qu’un feu sorte d’Abimélek et qu’il dévore les maîtres de Sichem et de Bet-Millo, et qu’un feu sorte des maîtres de Sichem et Bet-Millo pour dévorer Abimélek ! »

21 Puis Yotam prit la fuite, il se sauva et se rendit à Béer, où il s’établit pour échapper à son frère Abimélek.

Révolte des Sichémites contre Abimélek.

22 Abimélek exerça le pouvoir pendant trois ans sur Israël.s

s Note rédactionnelle. Abimélek n’a pas régné sur « Israël ».

23 Puis Dieu envoya un esprit de discorde entre Abimélek et les maîtres de Sichem, et les maîtres de Sichem trahirent Abimélek. 24 C’était afin que le crime commis contre les soixante-dix fils de Yerubbaal fût vengét et que leur sang retombât sur Abimélek leur frère, qui les avait massacrés, ainsi que sur les maîtres de Sichem qui l’avaient aidé à massacrer ses frères.

t « afin que (le crime...) fût vengé », litt. « pour faire revenir (le crime sur...) », grec. ; « pour que vienne » hébr.

25 Les maîtres de Sichem placèrent donc contre lui des embuscades au sommet des montagnes et ils dévalisaient quiconque passait près d’eux par le chemin. On le fit savoir à Abimélek. 26 Gaal, fils d’Obed,u accompagné de ses frères, vint à passer par Sichem et il gagna la confiance des maîtres de Sichem.

u « fils d’Obed » Vulg. ; « fils d’un esclave » (`ebed) hébr. ; de même aux vv. suivants. C’est un Cananéen, allié aux Sichémites, ou peut-être sichémite lui-même, v. 28. Il soulève les gens de Sichem contre Abimélek qui ne réside pas dans la ville et y est représenté par Zebul.

27 Ceux-ci sortirent dans la campagne pour vendanger leurs vignes, ils foulèrent le raisin, organisèrent des réjouissances et entrèrent dans le temple de leur dieu. Ils y mangèrent et burentv et se moquèrent d’Abimélek.

v Ce repas a lieu lors de la fête d’automne qui était une fête joyeuse, au moment où l’on achevait les dernières récoltes.

28 Alors Gaal, fils d’Obed, disait : « Qui est Abimélek, et qu’est-ce que Sichem, pour que nous lui soyons asservis ? Ne serait-ce pas au fils de Yerubbaal et à Zebul, son lieutenant, de servir les gens de Hamor, père de Sichem ? Pourquoi lui serions-nous asservis, nous ? 29 Qui me confiera ce peuple pour que j’écarte Abimélek ! » Et il disait à Abimélek :w « Renforce ton armée et sors ! »

w Abimélek est ici apostrophé par Gaal, sans que celui-ci soit présent. Les propos tenus par Gaal sont tenus lors du repas de fête.

30 Zebul, gouverneur de la ville, apprit les propos de Gaal, fils d’Obed, et il en fut irrité. 31 Il envoya en secret des messagers vers Abimélek, pour dire « Voici que Gaal, fils d’Obed, avec ses frères, est arrivé à Sichem, et ils excitent la ville contre toi. 32 En conséquence, lève-toi de nuit, toi et les gens que tu as avec toi, et mets-toi en embuscade dans la campagne, 33 puis, le matin, au lever du soleil, tu surgiras et tu t’élanceras contre la ville. Quand Gaal et les gens qui sont avec lui sortiront à ta rencontre, tu les traiteras comme tu pourras. » 34 Abimélek se mit donc en route de nuit avec tous les gens qui étaient avec lui et ils s’embusquèrent en face de Sichem, en quatre groupes. 35 Comme Gaal, fils d’Obed, sortait et faisait halte à l’entrée de la porte de la ville, Abimélek et les gens qui étaient avec lui surgirent de leur embuscade. 36 Gaal vit cette troupe et il dit à Zebul : « Voici des gens qui descendent du sommet des montagnes » — « C’est l’ombre des monts, lui répondit Zebul, et tu la prends pour des hommes. » 37 Gaal reprit encore : « Voici des gens qui descendent du côté du Nombril de la Terre, tandis qu’un autre groupe arrive par le chemin du Chêne des Devins. »x

x Le « Nombril de la Terre », peut-être la montagne sacrée du Garizim ; la même appellation semble appliquée à Jérusalem par Ez 38.12. Le « Chêne des Devins » est à identifier avec le « Chêne de Moré » (c’est-à-dire « chêne de l’instructeur », ou du « devin »), Gn 12.6 ; Dt 11.30.

38 Zebul lui dit alors : « Qu’as-tu fait de ta langue ? Toi qui disais : « Qui est Abimélek pour que nous lui soyons asservis ? » Ne sont-ce pas là les gens que tu méprisais ? Sors donc maintenant et livre-lui combat. » 39 Et Gaal sortit à la tête des maîtres de Sichem et il livra combat à Abimélek. 40 Abimélek poursuivit Gaal, qui se sauva devant lui, et beaucoup de gens de celui-ci tombèrent morts avant d’atteindre la porte. 41 Abimélek demeura alors à Aruma, et Zebul, chassant Gaal et ses frères, les empêcha d’habiter à Sichem.

Destruction de Sichem et prise de Migdal-Sichem.y

42 Le lendemain, le peuple sortit dans la campagne et Abimélek en fut informé.

y Il est possible que Migdal-Sichem (la « Tour de Sichem ») soit une localité différente de Sichem (à moins qu’il ne faille l’identifier avec le temple fortifié retrouvé dans les fouilles de l’ancienne Sichem). Ou bien nous avons ici deux traditions juxtaposées, vv. 42-45, 46-49, concernant la destruction de la ville ; ou bien encore le v. 45 est une anticipation, et les vv. 46-49 reprennent un détail du siège.

43 Il prit ses gens, les partagea en trois groupes et se mit en embuscade dans la campagne. Lorsqu’il vit les gens sortir de la ville, il surgit contre eux et les battit. 44 Tandis qu’Abimélek et le groupe qui était avec lui s’élançaient et prenaient position à l’entrée de la porte de la ville, les deux autres groupes se jetèrent contre tous ceux qui étaient dans la campagne et les battirent. 45 Toute la journée Abimélek combattit contre la ville. S’en étant emparé, il en massacra la population, détruisit la ville et y sema du sel.z

z Les fouilles de Sichem témoignent d’une destruction de la ville au cours du XIIe s. av. J.-C.

46 À cette nouvelle, les maîtres de Migdal-Sichem se rendirent tous dans la grotte du temple d’El-Berit.a

a Cette grotte ne peut se trouver dans la ville dont on vient de raconter la destruction, mais doit se situer sur le flanc du mont Ébal, qui ici porte le nom de Calmôn (v. 48).

47 Dès qu’Abimélek eut appris que tous les maîtres de Migdal-Sichem s’y étaient rassemblés, 48 il monta sur le mont Çalmôn, lui et toute sa troupe. Prenant en mains une hache, il coupa une branche d’arbre, qu’il souleva et chargea sur son épaule, en disant aux gens qui l’accompagnaient : « Ce que vous m’avez vu faire, vite, faites-le comme moi. » 49 Tous ses gens se mirent donc à couper chacun une branche, puis ils suivirent Abimélek et, entassant les branches contre la grotte, ils la brûlèrent sur ceux qui s’y trouvaient. Tous les habitants de Migdal-Sichem périrent aussi, environ mille hommes et femmes.

Siège de Tébèç et mort d’Abimélek.

50 Puis Abimélek marcha sur Tébèç,b il l’assiégea et s’en empara.

b Aujourd’hui Tubas, à une quinzaine de km au nord de Sichem.

51 Il y avait là, au milieu de la ville, une tour fortifiée où se réfugièrent tous les hommes et femmes et tous les maîtres de la ville. Après avoir fermé la porte derrière eux, ils montèrent sur la terrasse de la tour. 52 Abimélek parvint jusqu’à la tour et il l’attaqua. Comme il s’approchait de la porte de la tour pour y mettre le feu, 53 une femme lui lança une meule de moulin sur la tête et lui brisa le crâne. 54 Il appela aussitôt le jeune homme qui portait ses armes et lui dit : « Tire ton épée et tue-moi, pour qu’on ne dise pas de moi : C’est une femme qui l’a tué. » Le jeune homme le transperça et il mourut. 55 Quand les hommes d’Israël virent qu’Abimélek était mort, ils s’en retournèrent chacun chez soi.

56 Ainsi Dieu fit retomber sur Abimélek le mal qu’il avait fait à son père en massacrant ses soixante-dix frères. 57 Et Dieu fit aussi retomber sur la tête des gens de Sichem toute leur méchanceté. Ainsi s’accomplit sur eux la malédiction de Yotam, fils de Yerubbaal.