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Bible de Jérusalem

Matthieu 1-4

L’ÉVANGILE SELON SAINT MATTHIEU

Introduction à l’évangile selon Matthieu

I. Naissance et enfance de Jésus

Ascendance de Jésus.

1 Livre de la genèse de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham :a

a La généalogie de Mt, tout en soulignant des influences étrangères du côté des femmes, vv. 3, 5, 6, se restreint à l’ascendance israélite du Christ. Elle vise à le rattacher aux principaux dépositaires des promesses messianiques, Abraham et David, et aux descendants royaux de ce dernier, 2 S 7.1 ; Isa 7.14. La généalogie de Lc, plus universaliste, remonte à Adam, chef de toute l’humanité. De David à Joseph, les deux listes n’ont en commun que deux noms. Cette divergence peut s’expliquer, soit par le fait que a préféré la succession dynastique à la descendance naturelle, soit par l’équivalence mise entre la descendance légale (loi du lévirat, Dt 25.5) et la descendance naturelle. Le caractère systématique de la généalogie est d’ailleurs souligné, chez Mt, par la répartition des ancêtres du Christ en trois séries de deux fois sept noms, cf. 6.9, ce qui oblige à omettre trois rois entre Joram et Ozias, et à compter Jéchonias, vv. 11-12, pour deux (ce même nom grec pouvant traduire les deux noms hébreux voisins de Joiaqim et Joiakîn). Les deux listes aboutissent à Joseph, qui n’est que le père légal de Jésus c’est qu’aux yeux des anciens la paternité légale (par adoption, lévirat, etc.) suffisait à conférer tous les droits héréditaires, ici ceux de la lignée davidique. Cela n’exclut pas que Marie elle-même ait appartenu à cette lignée, encore que les évangélistes ne le disent pas.

2 Abraham engendra Isaac,
Isaac engendra Jacob,
Jacob engendra Juda et ses frères,
3 Juda engendra Pharès et Zara, de Thamar,
Pharès engendra Esrom,
Esrom engendra Aram,
4 Aram engendra Aminadab,
Aminadab engendra Naasson,
Naasson engendra Salmon,
5 Salmon engendra Booz, de Rahab,
Booz engendra Jobed, de Ruth,
Jobed engendra Jessé,

6 Jessé engendra le roi David.

David engendra Salomon, de la femme d’Urie,
7 Salomon engendra Roboam,
Roboam engendra Abia,
Abia engendra Asa,b

b Var. « Asaph ».

8 Asa engendra Josaphat,
Josaphat engendra Joram,
Joram engendra Ozias,
9 Ozias engendra Joatham,
Joatham engendra Achaz,
Achaz engendra Ézéchias,
10 Ézéchias engendra Manassé,
Manassé engendra Amon,c
Amon engendra Josias,

c Var. « Amos ».

11 Josias engendra Jéchonias et ses frères ;
ce fut alors la déportation à Babylone.
12 Après la déportation à Babylone,
Jéchonias engendra Salathiel,
Salathiel engendra Zorobabel,
13 Zorobabel engendra Abioud,
Abioud engendra Éliakim,
Éliakim engendra Azor,
14 Azor engendra Sadok,
Sadok engendra Akhim,
Akhim engendra Élioud,
15 Élioud engendra Éléazar,
Éléazar engendra Matthan,
Matthan engendra Jacob,
16 Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie,
de laquelle naquit Jésus,d que l’on appelle Christ.

d Plusieurs témoins grecs et latins ont précisé « Joseph, auquel fut fiancée la Vierge Marie qui engendra Jésus »; c’est sans doute de cette leçon mal comprise que résulte la syr. sin. « Joseph, auquel était fiancée la Vierge Marie, engendra Jésus. »

17 Le total des générations est donc : d’Abraham à David, quatorze générations ; de David à la déportation de Babylone, quatorze générations ; de la déportation de Babylone au Christ, quatorze générations.

Joseph assume la paternité légale de Jésus.

18 Or telle fut la genèse de Jésus Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph :e or, avant qu’ils eussent mené vie commune, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint.

e Les fiançailles juives étaient un engagement si réel que le fiancé était déjà appelé « mari » et ne pouvait se dégager que par une « répudiation » (v.19).

19 Joseph, son mari, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, résolut de la répudier sans bruit.f

f La justice de Joseph consiste en ce qu’il ne veut pas couvrir de son nom un enfant dont il ignore le père, mais aussi en ce que, par compassion, il refuse de livrer Marie à la procédure rigoureuse de la Loi, la lapidation, Dt 22.20s. « Sans bruit » en contraste avec l’ordalie prescrite en Nb 5.11-31.

20 Alors qu’il avait formé ce dessein, voici que l’Ange du Seigneurg lui apparut en songeh et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme : car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint ;

g L’« Ange du Seigneur », dans les textes anciens, Gn 16.7, représentait primitivement Yahvé lui-même. Distingué davantage de Dieu par les progrès de l’angélologie, cf. Tb 5.4, il reste le type du messager céleste et apparaît souvent à ce titre dans les Évangiles de l’Enfance 1.20, 24 ; 2.13, 19 ; Lc 1.11 ; 2.9 ; cf. encore 28.2 ; Jn 5.4 ; Ac 5.19 ; 8.26 ; 12.7, 23.

h Comme dans l’AT, Si 34.1, il arrive que Dieu fasse connaître son dessein par un songe 2.12, 13, 19, 22 ; 27.19 ; cf. Ac 16.9 ; 18.9 ; 23.11 ; 27.23 ; et les visions parallèles de Ac 9.10s ; 10.3s, 11s.

21 elle enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus car c’est lui qui sauverai son peuple de ses péchés. »

i « Jésus » (hébreu Yehoshú`a) veut dire « Yahvé sauve ».

22 Or tout ceci advint pour que s’accomplît cet oracle prophétique du Seigneur :j

j Cette formule et d’autres qui en sont voisines seront fréquentes chez Mt : 2.15, 17, 23 ; 8.17 ; 12.17 ; 13.35 ; 21.4 ; 26.54, 56 ; 27.9 ; cf. 3.3 ; 11.10 ; 13.14, etc. Mais n’est pas le seul à penser que les Écritures s’accomplissent en Jésus. Jésus lui-même déclare qu’elles parlent de lui, 11.4-6 ; Lc 4.21 ; 18.31 ; 24.4 ; Jn 5.39 ; 8.56 ; 17.12 ; etc. Déjà dans l’AT la réalisation des paroles des prophètes était l’un des critères de leur mission, Dt 18.20-22. Aux yeux de Jésus et de ses disciples, Dieu a annoncé ses desseins, soit par des paroles, soit par des faits, et la foi des chrétiens découvre que l’accomplissement littéral des textes dans la personne de Jésus Christ ou dans la vie de l’Église manifeste l’accomplissement réel des vues de Dieu, Jn 2.22 ; 20.9 ; Ac 2.23 ; 2.31, 34-35 ; 3.24 ; Rm 15.4 ; 1 Co 10.11 ; 15.3-4 ; 2 Co 1.20 ; 3.14-16.

23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils, et on l’appellera du nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous. » 24 Une fois réveillé, Joseph fit comme l’Ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui sa femme ; 25 et il ne la connut pas jusqu’au jour où elle enfanta un fils,k et il l’appela du nom de Jésus.

k Le texte n’envisage pas la période ultérieure, et de soi n’affirme pas la virginité perpétuelle de Marie, mais le reste de l’Évangile ainsi que la tradition de l’Église la supposent. Sur les « frères » de Jésus, cf. 12.46.

La visite des mages.

2 l Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode,m voici que des mages venus d’Orientn arrivèrent à Jérusalem

l Après avoir présenté au chap. 1 la personne de Jésus, fils de David et fils de Dieu, caractérise au chap. 2 sa mission de salut offert aux païens, dont il attire les sages à sa lumière, vv. 1-12, et de souffrance dans son propre peuple, dont il revit les expériences douloureuses le premier exil en Égypte, 13-15, la deuxième captivité, 16-18, le retour humilié du petit « Reste », naçur , 19-23 (cf. v. 23). Ces récits de caractère haggadique enseignent à l’aide d’événements ce que Lc 2.30-34 enseigne par les paroles prophétiques de Syméon, cf. Lc 2.34.

m Vers l’an 5 ou 4 avant l’ère chrétienne, celle-ci commençant par erreur quelques années après la naissance du Christ, cf. Lc 2.2 ; 3.1. Hérode régna de 37 à 4 avant notre ère. Son royaume en vint à comprendre la Judée, l’Idumée, la Samarie, la Galilée, la Pérée, et d’autres régions du côté du Hauran.

n Un tel récit demande qu’on laisse à ce terme le vague d’une désignation très générale la région par excellence des sages astrologues que sont les « mages ». On peut penser à la Perse, à Babylone, ou à l’Arabie du Sud.

2 en disant : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu, en effet, son astre à son levero et sommes venus lui rendre hommage. »

o Autre traduction (Vulg.) « à l’orient ». De même au v. 9.

3 L’ayant appris, le roi Hérode s’émut, et tout Jérusalem avec lui. 4 Il assembla tous les grands prêtres avec les scribes du peuple,p et il s’enquérait auprès d’eux du lieu où devait naître le Christ.

p Appelés aussi « docteurs de la Loi », Lc 5, 17 ; Ac 5, 34, ou « légistes », Lc 7.30 ; 10.25, etc., les « scribes » avaient pour fonction d’interpréter les Écritures, et en particulier la Loi mosaïque, pour en tirer les règles de conduite de la vie juive cf. Esd 7.6, 11 ; Si 39.2. Ce rôle leur valait prestige et influence parmi le peuple. Ils se recrutaient surtout, mais non exclusivement, parmi les Pharisiens, 3.7. Ils étaient membres du Grand Sanhedrin, avec les grands prêtres et les anciens.

5 « À Bethléem de Judée, lui dirent-ils ; ainsi, en effet, est-il écrit par le prophète :

6 Et toi, Bethléem, terre de Juda,
tu n’es nullement le moindre des clans de Juda ;
car de toi sortira un chef
qui sera pasteur de mon peuple Israël. »

7 Alors Hérode manda secrètement les mages, se fit préciser par eux le temps de l’apparition de l’astre, 8 et les envoya à Bethléem en disant : « Allez vous renseigner exactement sur l’enfant ; et quand vous l’aurez trouvé, avisez-moi, afin que j’aille, moi aussi, lui rendre hommage. » 9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à son lever, les précédait jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant.q

q L’évangéliste songe manifestement à un astre miraculeux, dont il est vain de chercher une explication naturelle.

10 À la vue de l’astre ils se réjouirent d’une très grande joie. 11 Entrant alors dans le logis, ils virent l’enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; puis, ouvrant leurs cassettes, ils lui offrirent en présents de l’or, de l’encens et de la myrrhe.r

r Richesses et parfums d’Arabie, Jr 6.20 ; Ez 27.22. Les Pères y ont vu symbolisées la Royauté (or), la Divinité (encens) et la Passion (myrrhe) du Christ. L’adoration des Mages accomplit les oracles messianiques sur l’hommage des nations au Dieu d’Israël, cf. Nb 24.17 ; Isa 49.23 ; 60.5s ; Ps 72.10-15.

12 Après quoi, avertis en songe de ne point retourner chez Hérode, ils prirent une autre route pour rentrer dans leur pays.

Fuite en Égypte et massacre des Innocents.

13 Après leur départ, voici que l’Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte ; et restes-y jusqu’à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » 14 Il se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte ; 15 et il resta là jusqu’à la mort d’Hérode ; pour que s’accomplît cet oracle prophétique du Seigneur :

D’Égypte j’ai appelé mon filss

s Israël, le « fils » du texte prophétique, était donc une figure du Messie.

16 Alors Hérode, voyant qu’il avait été joué par les mages,t fut pris d’une violente fureur et envoya mettre à mort, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants de moins de deux ans, d’après le temps qu’il s’était fait préciser par les mages.

t Ce récit a un parallèle, qui est un précédent, dans l’enfance de Moïse racontée par les traditions rabbiniques après que la naissance de l’enfant a été annoncée, soit par des visions, soit par des magiciens, le Pharaon fait massacrer des enfants nouveau-nés.

17 Alors s’accomplit l’oracle du prophète Jérémie :u

u Au sens premier de ce texte, ce sont les hommes d’Éphraïm, Manassé et Benjamin, massacrés ou déportés par les Assyriens, que pleure Rachel leur aïeule. L’application que fait Matthieu a pu lui être suggérée par une tradition qui plaçait le tombeau de Rachel dans le territoire de Bethléem, Gn 35.19s.

18 Une voix dans Rama s’est fait entendre,
pleur et longue plainte :
c’est Rachel pleurant ses enfants ;
et ne veut pas qu’on la console,
car ils ne sont plus.

Retour d’Égypte et établissement à Nazareth.

19 Quand Hérode eut cessé de vivre, voici que l’Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph, en Égypte, 20 et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et mets-toi en route pour la terre d’Israël ; car ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant. » 21 Il se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, et rentra dans la terre d’Israël. 22 Mais, apprenant qu’Archélaüsv régnait sur la Judée à la place d’Hérode son père, il craignit de s’y rendre ; averti en songe, il se retira dans la région de Galiléew

v Ce fils d’Hérode par Malthaké (de même que Hérode Antipas) fut ethnarque de Judée de 4 av. J.-C. à 6 ap. J.-C.

w Domaine d’Hérode Antipas, cf. Lc 3.1.

23 et vint s’établir dans une ville appelée Nazareth ; pour que s’accomplît l’oracle des prophètes :
Il sera appelé Nazôréen.x

x « Nazôréen » (Nazôraios, forme adoptée par Mt, Jn et Ac) et son synonyme « Nazarénien » (Nazarenos, forme adoptée par Mc ; Lc a les deux formes) sont deux transcriptions courantes d’un adjectif araméen (nasraya), lui-même dérivé du nom de ville « Nazareth » (Nasrath). Appliqué à Jésus, dont il caractérisait l’origine, 26.69, 71 puis à ses sectateurs, Ac 24.5, ce terme s’est maintenu dans le monde sémitique pour désigner les disciples de Jésus, tandis que le nom de « chrétien », Ac 11.26, a prévalu dans le monde gréco-romain. — On ne voit pas clairement à quels oracles prophétiques fait ici allusion ; on peut songer au nazîr de Jg 13.5, 7, ou au neçer « rejeton » de Isa 11.1, ou mieux encore à naçar « garder » d’Isa 42.6 ; 49.8, d’où naçur = le Reste.

II. La promulgation du Royaume des Cieux

1. SECTION NARRATIVE

Prédication de Jean-Baptiste.

3 En ces jours-lày arrive Jean le Baptiste, prêchant dans le désert de Judéez

y Expression stéréotypée, qui n’a qu’une valeur de transition.

z Région montagneuse et désolée qui s’étend entre la chaîne centrale de la Palestine et la dépression du Jourdain et de la mer Morte.

2 et disant : « Repentez-vous,a car le Royaume des Cieuxb est tout proche. »

a La metanoia, étym. changement de sentiments, désigne un renoncement au péché, un « repentir ». Ce regret, qui regarde vers le passé, s’accompagne normalement d’une « conversion » (verbe grec epistrephein), par laquelle l’homme se retourne vers Dieu et s’engage dans une vie nouvelle. Ces deux aspects complémentaires d’un même mouvement de l’âme ne se distinguent pas toujours dans le vocabulaire. Cf. Ac 2.38 ; 3.19. Repentir et conversion sont la condition nécessaire pour recevoir le salut qu’apporte le Règne de Dieu. L’appel au repentir lancé par Jean-Baptiste, cf. encore Ac 13.24 ; 19.4, sera repris par Jésus, 4.17 ; Lc 5.32 ; 13.3, 5, par ses disciples, Mc 6.12 ; Lc 24.47, et par Paul, Ac 20.21 ; 26.20.

b Pour « Royaume de Dieu », cf. 4.17 tournure propre à Mt, répondant à la préoccupation juive de remplacer le Nom redoutable par une métaphore.

3 C’est bien lui dont a parlé Isaïe le prophète :

Voix de celui qui crie dans le désert :
Préparez le chemin du Seigneur,
rendez droits ses sentiers.

4 Ce Jean avait son vêtement fait de poils de chameau et un pagne de peau autour de ses reins ; sa nourriture était de sauterelles et de miel sauvage. 5 Alors s’en allaient vers lui Jérusalem, et toute la Judée, et toute la région du Jourdain, 6 et ils se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain, en confessant leurs péchés.c

c Le rite d’immersion, symbole de purification ou de renouveau, était connu des religions anciennes et du judaïsme (baptême des prosélytes, esséniens). Tout en s’inspirant de ces précédents, le baptême de Jean s’en distingue par trois traits principaux il vise une purification non plus rituelle mais morale, 3.2, 6, 8, 11 ; Lc 3.10-14 ; il ne se répète pas et revêt de ce fait l’aspect d’une initiation ; il a une valeur eschatologique, introduisant dans le groupe de ceux qui professent une attente active du Messie prochain et constituent par avance sa communauté, 3.2, 11 ; Jn 1.19-34. Son efficacité est réelle mais non sacramentelle, dépendante qu’elle est du Jugement de Dieu encore à venir en la personne du Messie, dont le feu purifiera ou consumera selon que l’on sera bien ou mal disposé, et qui seul baptisera « dans l’Esprit Saint », 3.7, 10-12 ; Jn 1.33. Ce baptême de Jean sera encore pratiqué par les disciples du Christ, Jn 4.1-2, jusqu’au jour où il sera absorbé dans le rite nouveau institué par le Christ ressuscité, 28.19 ; Ac 1.5 ; Rm 6.4.

7 Comme il voyait beaucoup de Pharisiensd et de Sadducéense venir au baptême, il leur dit : « Engeance de vipères, qui vous a suggéré d’échapper à la Colère prochaine ?f

d Groupe religieux juif. Observateurs zélés de la Loi, les Pharisiens étaient très attachés à la tradition orale de leurs docteurs. L’interprétation différente que Jésus donne de la Loi et sa fréquentation des pécheurs ne pouvaient que susciter chez eux une opposition dont les Évangiles, surtout Mt, ont gardé maints échos ; cf. 9.11 ; 12.2, 14, 24 ; 15.1 ; 16.1, 6 ; 19.3 ; 21.45 ; 22.15, 34, 41 ; 23 :p ; Lc 5.21 ; 6.7 ; 15.2 ; 16.14s ; 18.10s ; Jn 7.32 ; 8.13 ; 9.13s ; 11.47s. La polémique lancée par contre les successeurs des Pharisiens a influencé très négativement le jugement porté sur eux. Jésus a eu cependant des relations amicales avec certains d’entre eux, Lc 7.36 ; Jn 3.1, et les disciples ont trouvé en eux des alliés contre les Sadducéens, Ac 23.6-10. On ne peut nier leur zèle, cf. Rm 10, 2, voire leur droiture, Ac 5.34s. Paul lui-même se vante de son passé pharisien, Ac 23.6 ; 26.5 ; Ph 3.5.

e Ceux-ci, par réaction contre les Pharisiens, rejetaient toute tradition autre que la Loi écrite, cf. Ac 23.8. Moins zélés et plus préoccupés de politique, ils se recrutaient surtout parmi les grandes familles sacerdotales, cf. 21.23. Le parti des grands prêtres était composé surtout des Sadducéens. Ils se sont aussi heurtés à Jésus, 16.1, 6 ; 22.23, et à ses disciples, Ac 4.1 ; 5.17.

f La colère, Nb 11.1, du Jour de Yahvé, Am 5.18, qui devait inaugurer l’ère messianique, cf. Rm 1.18.

8 Produisez donc un fruit digne du repentir 9 et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : « Nous avons pour père Abraham. » Car je vous le dis, Dieu peut, des pierres que voici, faire surgir des enfants à Abraham. 10 Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres ; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu. 11 Pour moi, je vous baptise dans de l’eau en vue du repentir ; mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, dont je ne suis pas digne d’enlever les sandales ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.g

g Le feu, moyen de purification moins matériel et plus efficace que l’eau, symbolise déjà dans l’AT, cf. Isa 1.25 ; Za 13.9 ; Ml 3.2-3 ; Si 2.5, etc., l’intervention souveraine de Dieu et de son Esprit purifiant les consciences.

12 Il tient en sa main la pelle à vanner et va nettoyer son aire ; il recueillera son blé dans le grenier ; quant aux bales, il les consumera au feu qui ne s’éteint pas. »h

h Le feu de la Géhenne, 18.9, qui consume à jamais ce qui n’a pu être purifié, Isa 66.24 ; Jdt 16.17 ; Si 7.17 ; So 1.18 ; Ps 21.10, etc.

Baptême de Jésus.

13 Alors Jésus arrive de la Galilée au Jourdain, vers Jean, pour être baptisé par lui. 14 Celui-ci l’en détournait, en disant : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et toi, tu viens à moi ! » 15 Mais Jésus lui répondit : « Laisse faire pour l’instant : car c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. »i Alors il le laisse faire.j

i L’église naissante fut vite convaincue que Jésus était sans péché, Jn 8.46, He 4.15. On voulait donc expliquer pourquoi Jésus s’était soumis au baptême de Jean (où Jésus reconnaît une démarche voulue de Dieu, cf. Lc 7.29-30, préparation ultime de l’ère messianique, cf. 3.6). Très concis, 3.15 dit (a) que, par son baptême, Jésus a satisfait à la justice salvifique de Dieu qui préside au plan du salut, (b) qu’il était lui-même juste en agissant ainsi, (c) qu’il lui fallait s’identifier avec les pécheurs ; cf. 2 Co 5.21, et (d) qu’il préparait ainsi le baptême futur des chrétiens, 28.19, en se donnant en modèle (à noter le pluriel « nous »).

j Une légende apocryphe s’est glissée ici dans deux mss de la Vet. Lat. « Et tandis qu’il était baptisé, une lumière intense se répandit hors de l’eau, au point que tous les assistants furent saisis de crainte. »

16 Ayant été baptisé, Jésus aussitôt remonta de l’eau ; et voici que les cieux s’ouvrirent :k il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui.l

k Add. « pour lui », c’est-à-dire à ses yeux.

l L’Esprit oint Jésus pour sa mission messianique, Ac 10.38, qu’il va désormais diriger, 4.1 ; Lc 4.14, 18 ; 10.21 ; 12.18, 28 ; en même temps, comme l’ont compris les Pères, il sanctifie l’eau et prépare le baptême chrétien, cf. Ac 1.5.

17 Et voici qu’une voix venue des cieux disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur. »m

m Cette vision interprétative désigne d’abord Jésus comme le vrai Serviteur annoncé par Isaïe. Toutefois, le terme de « Fils » substitué à celui de « Serviteur » (grâce au double sens du terme grec pais) souligne le caractère messianique et proprement filial de sa relation avec le Père, cf. 4.3.

Tentation au désert.n

4 Alors Jésus fut emmené au désert par l’Esprit,o pour être tenté par le diable.p

n Jésus est conduit au désert pour y être tenté durant quarante jours, comme jadis Israël durant quarante ans, Dt 8.2, 4 ; cf. Nb 14.34. Il y connaît trois tentations, soulignées par trois citations reprises de Dt 6-8, chapitres dominés (comme l’éthique de Mt) par le commandement d’aimer Dieu Dt 6.5. Les trois tentations, à première vue énigmatiques, peuvent se comprendre, à la lumière de la tradition juive interprétant Dt 6.5 comme des tentations contre l’amour de Dieu, valeur suprême. a) Ne pas aimer Dieu « de tout ton cœur », c’est-à-dire ne pas soumettre ses désirs intérieurs à Dieu, se rebeller contre la nourriture divine, la manne. b) Ne pas aimer Dieu « de toute ton âme », c’est-à-dire, avec sa vie, son corps physique, jusqu’au martyre si nécessaire. c)‡Ne pas aimer Dieu « de tout ton pouvoir », c’est-à-dire, avec ses richesses, ce que l’on possède, ses biens extérieurs. À la fin, Jésus apparaît comme celui qui aime Dieu parfaitement.

o L’Esprit-Saint. « Souffle » et énergie créatrice de Dieu, qui dirigeait les prophètes, Isa 11.2 ; Jg 3.10, il va diriger Jésus lui-même dans l’accomplissement de sa mission, cf. 3.16 ; Lc 4.1, comme plus tard il dirigea les débuts de l’Église, Ac 1.8.

p Ce nom, qui veut dire Accusateur, Calomniateur, a parfois traduit l’hébreu Satan (Adversaire), Jb 1.6 ; cf. Sg 2.24. Le personnage qui le porte, parce qu’il s’applique à mettre les hommes en faute, est tenu pour responsable de tout ce qui contrecarre l’œuvre de Dieu et du Christ : 13.39 ; Jn 8.44 ; 13.2 ; Ac 10.38 ; Ep 6.11 ; 1 Jn 3.8 ; etc. Sa défaite signalera la victoire ultime de Dieu, 25.41 ; He 2.14 ; Ap 12.9, 12 ; 20.2, 10.

2 Il jeûna durant quarante jours et quarante nuits, après quoi il eut faim. 3 Et, s’approchant, le tentateur lui dit : « Si tu es Fils de Dieu,q dis que ces pierres deviennent des pains. »

q Le titre biblique de « Fils de Dieu » n’exprime pas nécessairement une filiation de nature, mais peut comporter simplement une filiation adoptive, résultant d’un choix divin qui établit entre Dieu et sa créature des relations de protection particulière. C’est ainsi que ce titre est attribué aux anges, Jb 1.6, au Peuple élu, Ex 4.22 ; Sg 18.13 ; aux Israélites, Dt 14.1 ; Os 2.1 ; cf. 5.9, 45, etc. ; à leurs chefs, Ps 82.6. Quand donc il est dit du Roi-Messie, 1 Ch 17.13 ; Ps 2.7 ; 89.27, il n’exige pas que celui-ci soit plus qu’humain ; et il n’est pas requis de supposer davantage dans la pensée de Satan, 4.3, 6, des démoniaques, Mc 3.11 ; 5.7 ; Lc 4.41, a fortiori du centurion, Mc 15.39, cf. Lc 23.47. Même la parole du Baptême, 3.17, et de la Transfiguration, 17.5, n’impliquerait pas de soi plus que la faveur spéciale accordée au Messie Serviteur ; et la question du grand prêtre, 26.63, ne dépassait sans doute guère cette signification messianique. Mais le titre de « Fils de Dieu » reste ailleurs ouvert à la valeur plus haute d’une filiation proprement dite, et Jésus l’a clairement suggérée en se désignant comme « le Fils », 21.37, supérieur aux anges, 24.36, ayant Dieu pour « Père » à un titre tout spécial, Jn 20.17 et cf. « mon Père », 7.21, etc., parce qu’il entretient avec lui des relations uniques de connaissance et d’amour, 11.27. Ces déclarations, appuyées par d’autres sur le rang divin du Messie, 22.42-46, et sur l’origine céleste du « Fils de l’homme », 8.20, confirmées enfin par le triomphe de la Résurrection, ont donné à l’expression « Fils de Dieu » le sens proprement divin qui se retrouvera, par exemple, chez saint Jean, Jn 1.18. Si les disciples n’en ont pas pris clairement conscience dès le vivant de Jésus (14.33 ; 16.16, en ajoutant cette expression au texte plus primitif de Mc, reflètent sans doute une foi plus évoluée), la foi qu’ils ont définitivement acquise après Pâques, avec l’aide du Saint-Esprit, ne s’en appuie pas moins réllement sur les paroles historiques du Maître, qui a exprimé autant que pouvaient le porter ses contemporains sa conscience d’être le propre Fils du Père.

4 Mais il répondit : « Il est écrit :

Ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme,
mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »;

5 Alors le diable le prend avec lui dans la Ville sainte, et il le plaça sur le pinacle du Temple 6 et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit :

Il donnera pour toi des ordres à ses anges,
et sur leurs mains ils te porteront,
de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre. »

7 Jésus lui dit : « Il est encore écrit :
Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu. »

8 De nouveau le diable le prend avec lui sur une très haute montagne, lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire 9 et lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, te prosternant, tu me rends hommage. » 10 Alors Jésus lui dit : « Retire-toi, Satan ! Car il est écrit :

C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras,
et à Lui seul tu rendras un culte. »

11 Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.

Retour en Galilée.

12 Ayant appris que Jean avait été livré, il se retira en Galilée 13 et, laissant Nazara,r vint s’établir à Capharnaüm, au bord de la mer, sur les confins de Zabulon et de Nephtali,

r « Nazara », forme très rare, attestée par d’excellentes autorités B Z Origène k, cf. Lc 4.16 ; la masse des témoins est revenue à la forme commune « Nazareth ».

14 pour que s’accomplît l’oracle d’Isaïe le prophète :

15 Terre de Zabulon et terre de Nephtali,
Route de la mer, Pays de Transjordane,
Galilée des nations !
16 Le peuple qui demeurait dans les ténèbres
a vu une grande lumière ;
sur ceux qui demeuraient dans la région sombre de la mort,
une lumière s’est levée.

17 Dès lors Jésus se mit à prêcher et à dire : « Repentez-vous, car le Royaume des Cieuxs est tout proche. »

s La Royauté de Dieu sur le peuple élu, et par lui sur le monde, est au centre de la prédication de Jésus, comme elle l’était de l’idéal théocratique de l’AT. Elle comporte un Royaume de « saints » dont Dieu sera vraiment le Roi parce que son règne sera reconnu d’eux dans la connaissance et l’amour. Compromise par la révolte du péché, cette Royauté doit être rétablie par une intervention souveraine de Dieu et de son Messie, Dn 2.28, Dn 7.13-14. C’est cette intervention que Jésus, après Jean-Baptiste, 3.2, annonce comme imminente, 4.17, 23 ; Lc 4.43. Avant sa réalisation eschatologique définitive, où les élus vivront près du Père dans la joie du festin céleste, 8.11 ; 13.43 ; 26.29, le Royaume apparaît avec des débuts humbles, 13.31-33, mystérieux, 13.11, et contredits, 13.24-30, comme une réalité déjà commencée, 12.28 ; Lc 17.20-21, en rapport avec l’Église, 16.18. Prêché dans l’univers par la mission apostolique, 10.7 ; 24.14 ; Ac 1.3, il sera définitivement établi et remis au Père, 1 Co 15.24, par le retour glorieux du Christ, 16.27 ; 25.31, lors du Jugement dernier, 13.37-43, 47-50 ; 25.31-46. En attendant, il se présente comme une grande grâce, 20.1-16 ; 22.9-10 ; Lc 12.32, acceptée par les humbles, 5.3 ; 18.3-4 ; 19.14, 23-24, et les renoncés, 13.44-46 ; 19.12 ; Mc 9.47 ; Lc 9.62 ; 18.29s, rejetée par les superbes et les égoïstes, 21.31-32, 43 ; 22.2-8 ; 23.13. On n’y entre qu’avec la robe nuptiale, 22.11-13, de la vie nouvelle, Jn 3.3, 5 ; il y a des exclus, 8.12 ; 1 Co 6.9-10 ; Ga 5.21. Il faut veiller pour être prêt quand il viendra à l’improviste, 25.1-13.

Appel des quatre premiers disciples.

18 Comme il cheminait sur le bord de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et André son frère, qui jetaient l’épervier dans la mer ; car c’étaient des pêcheurs. 19 Et il leur dit : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » 20 Eux, aussitôt, laissant les filets, le suivirent.

21 Et avançant plus loin, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, dans leur barque, avec Zébédée leur père, en train d’arranger leurs filets ; et il les appela. 22 Eux, aussitôt, laissant la barque et leur père, le suivirent.

Jésus enseigne et guérit.

23 Il parcourait toute la Galilée, enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute langueur parmi le peuple.t

t Les guérisons miraculeuses sont le signe privilégié de l’avènement messianique, cf. 10.1, 7s ; 11.4s.

24 Sa renommée gagna toute la Syrie,u et on lui présenta tous les malades atteints de divers maux et tourments, des démoniaques, des lunatiques,v des paralytiques, et il les guérit.

u Ce terme désigne un vaste territoire divisé en trois grandes provinces parmi lesquelles les « Syrie-Palestine ». veut ici montrer que la parole de Jésus est largement répandue.

v Nous disons aujourd’hui des « épileptiques », cf. 17.15.

25 Des foules nombreuses se mirent à le suivre, de la Galilée, de la Décapole,w de Jérusalem, de la Judée et de la Transjordane.

w La Décapole était un groupement de dix villes libres avec leur territoire, disséminées surtout à l’est et au nord-est du Jourdain jusqu’à inclure Damas.