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Bible de Jérusalem

Matthieu 14-17

Hérode et Jésus.

14 En ce temps-là, la renommée de Jésus parvint aux oreilles d’Hérode le tétrarque, 2 qui dit à ses serviteurs : « Celui-là est Jean le Baptiste ! Le voilà ressuscité des morts : d’où les pouvoirs miraculeux qui se déploient en sa personne ! »

Exécution de Jean le Baptiste.

3 C’est qu’en effet Hérode avait fait arrêter, enchaîner et emprisonner Jean, à cause d’Hérodiade, la femme de Philippe son frère.p

p Om. (Vulg.) « Philippe »; ce nom faisait difficulté. Ce personnage n’est pas le tétrarque d’Iturée et de Trachonitide, Lc 3.1 ; cf. 16.13, mais un autre fils d’Hérode le Grand par Marianne II, donc demi-frère d’Antipas, et que Josèphe appelle lui-même Hérode. Sa situation de simple particulier n’avait pu satisfaire l’ambition de sa femme Hérodiade, elle-même petite-fille d’Hérode le Grand par son père Aristobule et donc nièce d’Antipas, qui préféra à cet oncle trop modeste l’oncle tétrarque de Galilée. — Le crime d’Antipas consistait moins à avoir épousé sa nièce qu’à l’avoir prise à son frère encore vivant, non d’ailleurs sans répudier lui-même sa première femme.

4 Car Jean lui disait : « Il ne t’est pas permis de l’avoir. » 5 Il avait même voulu le tuer, mais avait craint la foule, parce qu’on le tenait pour un prophète. 6 Or, comme Hérode célébrait son anniversaire de naissance, la fille d’Hérodiadeq dansa en public et plut à Hérode

q Elle s’appelait Salomé, d’après Josèphe.

7 au point qu’il s’engagea par serment à lui donner ce qu’elle demanderait. 8 Endoctrinée par sa mère, elle lui dit : « Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean le Baptiste. » 9 Le roi fut contristé, mais, à cause de ses serments et des convives, il commanda de la lui donner 10 et envoya décapiter Jean dans la prison. 11 Sa tête fut apportée sur un plat et donnée à la jeune fille, qui la porta à sa mère. 12 Les disciples de Jean vinrent prendre le cadavre et l’enterrèrent ; puis ils allèrent informer Jésus.

Première multiplication des pains.r

13 L’ayant appris, Jésus se retira en barque dans un lieu désert, à l’écart ;s ce qu’apprenant, les foules partirent à sa suite, venant à piedt des villes.

r Alors que Lc 9.10-17 et Jn 6.1-13 ne racontent qu’une seule multiplication des pains, 14.13-21 ; 15.32-39 et Mc 6.30-44 ; 8.1-10 en rapportent deux. Sans doute s’agit-il d’un doublet, assurément très ancien, cf. 16.9s, qui présente le même événement selon deux traditions différentes. La première, plus archaïque, d’origine palestinienne, semble placer l’événement sur la rive occidentale du lac (voir la note suivante) et parle de douze couffins, chiffre des tribus d’Israël et des apôtres, Mc 3.14. La deuxième, qui viendrai de milieux chrétiens d’origine païenne, situe l’événement sur la rive orientale, païenne, du lac, cf. Mc 7.31, et parle de sept corbeilles, chiffre des nations de Canaan, Ac 13.19, et des diacres hellénistes, Ac 6.5 ; 21.8. Les deux traditions dépeignent l’événement à la lumière de précédents vétéro-testamentaires, en particulier la multiplication d’huile et de pain par Élisée, 2 R 4.1-7, 42-44, et l’épisode de la manne et des cailles, Ex 16 ; Nb 11. Reprenant avec une puissance encore supérieure ces gratifications de nourritures célestes, le geste de Jésus a été compris dès la plus ancienne tradition comme une préparation de la nourriture eschatologique par excellence, l’Eucharistie. C’est ce que soulignent la présentation littéraire des Synoptiques, comp. 14.19 ; 15.36 ; 26.26, et le discours sur le pain de vie de Jn 6.

s Rien n’oblige à penser à la rive orientale de lac. Jésus a pu traverser du nord au sud et du sud au nord en longeant la côte occidentale, et atteindre ainsi « l’autre rive », v. 22, de l’anse que trace cette côte.

t En suivant sur le rivage la barque qui navigue au large.

14 En débarquant, il vit une foule nombreuse et il en eut pitié ; et il guérit leurs infirmes.

15 Le soir venu, les disciples s’approchèrent et lui dirent : « L’endroit est désert et l’heure est déjà passée ; renvoie donc les foules afin qu’elles aillent dans les villages s’acheter de la nourriture. » 16 Mais Jésus leur dit : « Il n’est pas besoin qu’elles y aillent ; donnez-leur vous-mêmes à manger » — 17 « Mais, lui disent-ils, nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons. » Il dit : 18 « Apportez-les moi ici. » 19 Et, ayant donné l’ordre de faire étendre les foules sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, leva les yeux au ciel, bénit, puis, rompant les pains, il les donna aux disciples, qui les donnèrent aux foules. 20 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta le reste des morceaux : douze pleins couffins ! 21 Or ceux qui mangèrent étaient environ cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants.

Jésus marche sur les eaux, et Pierre avec lui.u

22 Et aussitôt il obligea les disciples à monter dans la barque et à le devancer sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules.

u Le récit, où l’on peut noter les réminiscences du Ps 107 (voir v. 23-32), nous présente Jésus exerçant un contrôle divin sur les eaux symboles du chaos et des puissances du mal. Jésus a le pouvoir de sauver des disciples. La forme narrative a pu être influencée par les Testaments des 12 Patriarches, Naphtali 6.

23 Et quand il eut renvoyé les foules, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier.v Le soir venu, il était là, seul.

v Les évangélistes, surtout Luc, notent souvent que Jésus prie, dans la solitude ou la nuit, 14.23 ; Mc 1.35 ; Lc 5.16, au moment des repas, 14.19 ; 15.36 ; 26.26-27, et lors d’événements importants au Baptême, Lc 3.21, avant le choix des Douze, Lc 6.12, l’enseignement du Pater, Lc 11.1 ; cf. 6.5, et la confession de Césarée, Lc 9.18, a la Transfiguration, Lc 9.28-29, à Gethsémani, 26.36-44, sur la croix, 27.46 ; Lc 23.46. Il prie pour ses bourreaux, Lc 23.34, pour Pierre, Lc 22.32, pour ses disciples et ceux qui les suivront, Jn 17.9-24. Il prie aussi pour lui-même, 26.39 ; cf. Jn 17.1-5 ; He 5.7. Ces prières manifestent un commerce permanent avec le Père, 11.25-27, qui ne le laisse jamais seul, Jn 8.29 et l’exauce toujours, Jn 11.22, 42 ; cf. 26.53. Par cet exemple comme par son enseignement, Jésus a inculqué à ses disciples la nécessité et la façon de prier, 6.5. À présent dans la gloire, il continue d’intercéder pour les siens, Rm 8.34 ; He 7.25 ; 1 Jn 2.1, comme il l’a promis, Jn 14.16.

24 La barque, elle, se trouvait déjà éloignée de la terre de plusieurs stades,w harcelée par les vagues, car le vent était contraire.

w Cf. Jn 6.19 ; var. « au milieu de la mer », cf. Mc 6.47.

25 À la quatrième veille de la nuit,x il vint vers eux en marchant sur la mer.

x De trois à six heures du matin.

26 Les disciples, le voyant marcher sur la mer, furent troublés : « C’est un fantôme », disaient-ils, et pris de peur ils se mirent à crier. 27 Mais aussitôt Jésus leur parla en disant : « Ayez confiance, c’est moi, soyez sans crainte. » 28 Sur quoi, Pierrey lui répondit : « Seigneur, si c’est bien toi, donne-moi l’ordre de venir à toi sur les eaux. » —

y Trois épisodes concernant Pierre, celui-ci, 16.16-20 ; 17.24-27, jalonnent intentionnellement la partie historique de Mt, l’évangile de l’Église.

29 « Viens », dit Jésus. Et Pierre, descendant de la barque, se mit à marcher sur les eaux et vint vers Jésus. 30 Mais, voyant le vent, il prit peur et, commençant à couler, il s’écria : « Seigneur, sauve-moi ! » 31 Aussitôt Jésus tendit la main et le saisit, en lui disant : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » 32 Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. 33 Ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, en disant : « Vraiment, tu es Fils de Dieu ! »

Guérisons au pays de Gennésaret.

34 Ayant achevé la traversée, ils touchèrent terre à Gennésaret. 35 Les gens de l’endroit, l’ayant reconnu, mandèrent la nouvelle à tout le voisinage, et on lui présenta tous les malades : 36 on le priait de les laisser simplement toucher la frange de son manteau, et tous ceux qui touchèrent furent sauvés.

Discussion sur les traditions pharisaïques.

15 Alors des Pharisiens et des scribes de Jérusalem s’approchent de Jésus et lui disent : 2 « Pourquoi tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens ?z En effet, ils ne se lavent pas les mains au moment de prendre leur repas. »a

z Tradition orale qui, sous prétexte de faire observer la Loi écrite, renchérissait sur elle. Les rabbins la faisaient remonter, par les « anciens », à Moïse.

a Littéralement « manger du pain ».

3 « Et vous, répliqua-t-il, pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu au nom de votre tradition ? 4 En effet, Dieu a dit : Honoreb ton père et ta mère, et Que celui qui maudit son père ou sa mère soit puni de mort.

b « Honore », mais par des bons offices et des services réels.

5 Mais vous, vous dites : Quiconque dira à son père ou à sa mère : « Les biens dont j’aurais pu t’assister, je les consacre »,c

c Vulg. a compris « Tout don que je fais (à Dieu) t’est utile. »

6 celui-là sera quitte de ses devoirs envers son père ou sa mère.d Et vous avez annulé la parole de Dieu au nom de votre tradition.

d Parce que les biens ainsi voués (korbân) ont revêtu un caractère « sacré » qui interdit désormais aux parents d’y prétendre en rien. Ce vœu, qui restait d’ailleurs fictif et n’entraînait aucune donation véritable, était un moyen odieux de s’affranchir d’un devoir sacré. Les rabbins, tout en reconnaissant son caractère immoral, tenaient un tel vœu pour valable.

7 Hypocrites ! Isaïe a bien prophétisé de vous, quand il a dit :

8 Ce peuple m’honore des lèvres,
mais leur cœur est loin de moi.
9 Vain est le culte qu’ils me rendent :
les doctrines qu’ils enseignent ne sont que préceptes humains. »

Enseignement sur le pur et l’impur.e

10 Et ayant appelé la foule près de lui, il leur dit : « Écoutez et comprenez !

e À propos de l’impureté des mains, objectée par les Pharisiens, v. 2, Jésus envisage la question plus générale de l’impureté attribuée par la Loi à certains aliments, Lv 11, et il enseigne à faire passer l’impureté légale après l’impureté morale, la seule qui importe vraiment, cf. Ac 10.9-16, 28 ; Rm 14.14s. Cf. Ep 4.29 ; Jc 3.6.

11 Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme ; mais ce qui sort de sa bouche, voilà ce qui souille l’homme. »

12 Alors s’approchant, les disciples lui disent : « Sais-tu que les Pharisiens se sont choqués de t’entendre parler ainsi ? » 13 Il répondit : « Tout plant que n’a point planté mon Père céleste sera arraché. 14 Laissez-les : ce sont des aveugles qui guident des aveugles ! Or si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou. »

15 Pierre, prenant la parole, lui dit : « Explique-nous la parabole. » 16 Il dit : « Vous aussi, maintenant encore, vous êtes sans intelligence ? 17 Ne comprenez-vous pas que tout ce qui pénètre dans la bouche passe dans le ventre, puis s’évacue aux lieux d’aisance, 18 tandis que ce qui sort de la bouche procède du cœur, et c’est cela qui souille l’homme ? 19 Du cœur en effet procèdent mauvais desseins, meurtres, adultères, débauches, vols, faux témoignages, diffamations. 20 Voilà les choses qui souillent l’homme ; mais manger sans s’être lavé les mains, cela ne souille pas l’homme. »

Guérison de la fille d’une Cananéenne

21 En sortant de là, Jésus se retira dans la région de Tyr et de Sidon. 22 Et voici qu’une femme cananéenne, étant sortie de ce territoire,f criait en disant : « Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David : ma fille est fort malmenée par un démon. »

f La grâce finalement accordée par Jésus à cette païenne le sera probablement en terre d’Israël.

23 Mais il ne lui répondit pas un mot. Ses disciples, s’approchant, le priaient : « Fais-lui grâce,g car elle nous poursuit de ses cris. »

g Les disciples demandent sans doute au Maître de lui donner congé en l’exauçant ; même terme grec en 18.27 ; 27.15.

24 À quoi il répondit : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » 25 Mais la femme était arrivée et se tenait prosternée devant lui en disant : « Seigneur, viens à mon secours ! » 26 Il lui répondit : « Il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. »h

h Jésus doit s’employer au salut des Juifs, « enfants » de Dieu et des promesses, avant de s’occuper des païens, qui n’étaient, aux yeux des Juifs, que des « chiens ». Le caractère traditionnel de cette image et la forme diminutive employée atténuent dans la bouche de Jésus ce que l’épithète aurait de méprisant.

27 « Oui, Seigneur ! dit-elle, et justement les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ! » 28 Alors Jésus lui répondit : « Ô femme, grande est ta foi ! Qu’il t’advienne selon ton désir ! » Et de ce moment sa fille fut guérie.

Nombreuses guérisons près du lac.

29 Étant parti de là, Jésus vint au bord de la mer de Galilée. Il gravit la montagne, et là il s’assit. 30 Et des foules nombreuses s’approchèrent de lui, ayant avec elles des boiteux, des estropiés, des aveugles, des muets et bien d’autres encore, qu’ils déposèrent à ses pieds ; et il les guérit. 31 Et les foules de s’émerveiller en voyant ces muets qui parlaient, ces estropiés qui redevenaient valides,i ces boiteux qui marchaient et ces aveugles qui recouvraient la vue ; et ils rendirent gloire au Dieu d’Israël.

i Om. « ces estropiés qui redevenaient valides ».

Seconde multiplication des pains.

32 Jésus, cependant, appela à lui ses disciples et leur dit : « J’ai pitié de la foule, car voilà déjà trois jours qu’ils restent auprès de moi et ils n’ont pas de quoi manger. Les renvoyer à jeun, je ne le veux pas : ils pourraient défaillir en route. »

33 Les disciples lui disent : « Où prendrons-nous, dans un désert, assez de pains pour rassasier une telle foule ? » 34 Jésus leur dit : « Combien de pains avez-vous » — « Sept, dirent-ils, et quelques petits poissons. » 35 Alors il ordonna à la foule de s’étendre à terre ; 36 puis il prit les sept pains et les poissons, rendit grâces, les rompit et il les donnait à ses disciples, qui les donnaient à la foule. 37 Tous mangèrent et furent rassasiés, et des morceaux qui restaient on ramassa sept pleines corbeilles ! 38 Or ceux qui mangèrent étaient quatre mille hommes, sans compter les femmes et les enfants. 39 Après avoir renvoyé les foules, Jésus monta dans la barque et s’en vint dans le territoire de Magadan.

On demande à Jésus un signe dans le ciel.

16 Les Pharisiens et les Sadducéens s’approchèrent alors et lui demandèrent, pour le mettre à l’épreuve, de leur faire voir un signe venant du ciel. 2 Il leur répondit : « Au crépuscule vous dites : Il va faire beau temps, car le ciel est rouge feu ; 3 et à l’aurore : Mauvais temps aujourd’hui, car le ciel est d’un rouge sombre. Ainsi, le visage du ciel vous savez l’interpréter, et pour les signes des tempsj vous n’en êtes pas capables !k

j Des temps messianiques. Ces signes sont les miracles qu’opère Jésus : cf. 11.3-5 ; 12.28.

k Om. « Au crépuscule... pas capables ».

4 Génération mauvaise et adultère ! elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe de Jonas. » Et les laissant, il s’en alla.

Le levain des Pharisiens et des Sadducéens.

5 Comme ils passaient sur l’autre rive, les disciples avaient oublié de prendre des pains. 6 Or Jésus leur dit : « Ouvrez l’œil et méfiez-vous du levain des Pharisiens et des Sadducéens ! » 7 Et eux de faire en eux-mêmes cette réflexion : « C’est que nous n’avons pas pris de pains. » 8 Le sachant, Jésus dit : « Gens de peu de foi, pourquoi faire en vous-mêmes cette réflexion, que vous n’avez pas de pains ? 9 Vous ne comprenez pas encore ? Vous ne vous rappelez pas les cinq pains pour les cinq mille hommes, et le nombre de couffins que vous en avez retirés ? 10 Ni les sept pains pour les quatre mille hommes, et le nombre de corbeilles que vous en avez retirées ? 11 Comment ne comprenez-vous pas que ma parole ne visait pas des pains ? Méfiez-vous, dis-je, du levain des Pharisiens et des Sadducéens ! » 12 Alors ils comprirent qu’il avait dit de se méfier, non du levain dont on fait le pain, mais de l’enseignement des Pharisiens et des Sadducéens.l

l Comme le levain fait fermenter la masse, 13.33, mais aussi peut la corrompre, cf. 1 Co 5.6 ; Ga 5.9, la doctrine faussée des chefs juifs menace de pervertir tout le peuple qu’ils dirigent, cf. 15.14.

Profession de foi et primauté de Pierre.m

13 Arrivé dans la région de Césarée de Philippe, Jésus posa à ses disciples cette question : « Au dire des gens, qu’est le Fils de l’homme ? »

m On trouve dans le Pentateuque des parallèles à l’institution d’un « haut fonctionnaire ».

14 Ils dirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou quelqu’un des prophètes. »n

n Ce titre de « prophète » que Jésus n’a revendiqué que de façon indirecte et voilée, 13.57 ; Lc 13.33, mais que les foules lui ont clairement donné, 16.14 ; 21.11, 46 ; Mc 6.15 ; Lc 7.16, 39 ; 24.19 ; Jn 4.19 ; 9.17, avait une valeur messianique. Car l’esprit de prophétie, éteint depuis Malachie, devait, selon l’attente du judaïsme, revenir comme signe de l’ère messianique, soit dans la personne d’Élie, 17.10-11, soit sous forme d’une effusion générale de l’Esprit, Ac 2.17-18, 33. En fait, il s’est présenté, du temps de Jésus, bien des (faux) prophètes, 24.11, 24, etc. Jean-Baptiste, lui, fut vraiment un prophète, 11.9 ; 14.5 ; 21.26 ; Lc 1.76, mais à titre de Précurseur venu avec l’esprit d’Élie, 11.10, 14 ; 17.12 ; et il a nié (Jn 1.21) être « le Prophète » qu’avait annoncé Moïse, Dt 18.15. C’est en Jésus seul que la foi chrétienne a reconnu ce Prophète, Ac 3.22-26 ; Jn 6.14 ; 7.40. Toutefois, le charisme de prophétie s’étant répandu dans l’Église primitive à la suite de la Pentecôte, Ac 11.27, ce titre de Jésus s’est effacé bientôt devant d’autres titres plus spécifiques de la christologie.

15 « Mais pour vous, leur dit-il, qui suis-je ? » 16 Simon-Pierre répondit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. »o

o À la confession de la messianité de Jésus, rapportée par Mc et Lc, ajoute celle de la filiation divine. Cf. déjà 14.33 comparé à Mc 6.51s. Cf. 4.3.

17 En réponse, Jésus lui dit : « Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car cette révélation t’est venue, non de la chair et du sang,p mais de mon Père qui est dans les cieux.

p Cette expression désigne l’homme, en soulignant le côté matériel et borné de sa nature, par opposition au monde des esprits, Si 14.18 ; Rm 7.5 ; 1 Co 15.50 ; Ga 1.16 ; Ep 6.12 ; He 2.14 ; cf. Jn 1.13.

18 Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre,q et sur cette pierre je bâtirai mon Église,r et les Portes de l’Hadèss ne tiendront pas contre elle.

q Ce changement de nom a pu se produire plus tôt, cf. Jn 1.42 ; Mc 3.16 ; Lc 6.14 ; Gn 17.5. Le mot grec Petros ne servait pas comme nom personnel avant que Jésus eût appelé ainsi le chef des apôtres pour symboliser son rôle dans la fondation de l’Église. Mais son correspondant araméen Kepha (« rocher ») est attesté au moins une fois dans un document d’Éléphantine, 416 av. J.-C.

r Le terme sémitique que traduit ekklèsia signifie « assemblée » et se rencontre souvent dans l’AT pour désigner la communauté du peuple élu, notamment dans le désert, cf. Dt 4.10, etc. ; Ac 7.38. Des cercles juifs se considérant comme le Reste d’Israël (Isa 4.3) des derniers temps, tels les Esséniens de Qumrân, ont ainsi nommé leur groupement. En reprenant ce terme, Matthieu désigne la communauté messianique ; en l’employant parallèlement à celui de « Royaume des Cieux », 4.17, il marque que cette communauté eschatologique commencera déjà sur la terre par une société organisée dont Jésus institue le chef. Cf. Ac 5.11 ; 1 Co 1.2.

s Sur l’Hadès (en hébreu le Sheol), désignation du séjour des morts, cf. Nb 16.33. Ici, ses « Portes » personnifiées évoquent les puissances du Mal qui, après avoir entraîné les hommes dans la mort du péché, les enchaînent définitivement dans la mort éternelle. À la suite de son Maître, mort, « descendu aux Enfers », 1 P 3.19, et ressuscité, Ac 2.27, 31, l’Église aura pour mission d’arracher les élus à l’empire de la mort, temporelle et surtout éternelle, pour les faire entrer dans le Royaume des Cieux, cf. Col 1.3 ; 1 Co 15.26 ; Ap 6.8 ; 20.13.

19 Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié. »t

t Tout comme la Cité de la Mort, la Cité de Dieu a des portes, qui ne laissent entrer que ceux qui en sont dignes ; comparer 23.13. Pierre en reçoit les clefs. Il lui appartiendra donc d’ouvrir ou de fermer l’accès du Royaume des Cieux, par l’intermédiaire de l’Église. — « Lier » et « délier » sont deux termes techniques du langage rabbinique qui s’appliquent premièrement au domaine disciplinaire de l’excommunication dont on « condamne » (lier) ou « absout » (délier) quelqu’un, et ultérieurement aux décisions doctrinales ou juridiques, avec le sens de « défendre » (lier) ou « permettre » (délier). Pierre, en tant que majordome (dont les clefs sont l’insigne, cf. Isa 22.22) de la Maison de Dieu, exercera le pouvoir disciplinaire d’y admettre ou d’en exclure qui il jugera bon, et il administrera la communauté par toutes les décisions opportunes en matière de doctrine et de morale. Sentences et décisions seront ratifiées par Dieu du haut du ciel. — L’exégèse catholique tient que ces promesses éternelles valent, non seulement pour la personne de Pierre, mais aussi pour ses successeurs ; bien que cette conséquence ne soit pas explicitement indiquée dans le texte, elle est cependant légitime en raison de l’intention manifeste qu’a Jésus de pourvoir à l’avenir de son Église par une institution que la mort de Pierre ne saurait rendre caduque. — Deux autres textes, Lc 22.31s et Jn 21.15s, souligneront que la primauté de Pierre doit s’exercer en particulier dans l’ordre de la foi et qu’elle le rend chef, non seulement de l’Église future, mais déjà des autres apôtres.

20 Alors il ordonna aux disciples de ne dire à personne qu’il était le Christ.u

u Vulg. « Jésus Christ ».

Première annonce de la Passion.

21 À dater de ce jour,v Jésus commença de montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter.

v Après le moment crucial où les disciples font la première profession de foi explicite en la messianité de Jésus, l’Évangile introduit la première annonce de sa Passion au rôle glorieux du Messie il joint le rôle douloureux du Serviteur souffrant. Cette séquence de traditions, qu’on retrouve avec la Transfiguration, suivie d’une consigne de silence et d’une annonce analogues, 17.1-12, prépare la foi des disciples à la crise prochaine de la mort et de la Résurrection de Jésus.

22 Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner en disant : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera point ! » 23 Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! tu me fais obstacle,w car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! »

w Pierre, en prétendant se mettre en travers de la voie que doit suivre le Messie, lui fait « obstacle » (sens premier du grec skan dalon) et devient le suppôt, inconscient certes, de Satan lui même, cf. 4.1-10.

Conditions pour suivre Jésus.

24 Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. 25 Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera.x

x Ce logion à forme paradoxale et ceux qui le suivent jouent sur deux étapes de la vie humaine présente et future. Le grec psychè, équivalent ici de l’hébreu nephesh, combine les trois sens de vie, âme, personne. Voir Gn 2.7 ; Dt 6.5.

26 Que servira-t-il donc à l’homme de gagner le monde entier, s’il ruine sa propre vie ? Ou que pourra donner l’homme en échange de sa propre vie ?

27 « C’est qu’en effet le Fils de l’homme doit venir dans la gloire de son Père, avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon sa conduite.y

y « sa conduite »; var. « ses œuvres ».

28 En vérité je vous le dis : il en est d’ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venant avec son Royaume.

La Transfiguration.z

17 Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques, et Jean son frère, et les emmène, à l’écart, sur une haute montagne.a

z Selon la présentation de Mt, différente de celles de Mc 9.2 et de Lc 9.28, Jésus transfiguré apparaît surtout comme le nouveau Moïse, cf. 4.1, rencontrant Dieu sur un nouveau Sinaï dans la nuée, v. 5 ; Ex 24.15-18, le visage lumineux, v. 2 ; Ex 34.29-35 ; cf. 2 Co 3.7—4.6, assisté des deux personnages de l’AT qui ont bénéficié de révélations sur le Sanaï, Ex 19 ; 33-34 ; 1 R 19.9-13, et qui personnifient la Loi et les Prophètes que Jésus vient accomplir, 5.17. La voix céleste ordonne de l’écouter comme le nouveau Moïse, Dt 18.15 ; cf. Ac 3.20-26, et les disciples se prosternent en révérence du Maître, cf. 28.17. Quand l’apparition se termine, il reste seul, « lui », v. 8, car il suffit comme docteur de la Loi parfaite et définitive. Sa gloire n’est d’ailleurs que transitoire, car il est aussi le « Serviteur », v. 5 Isa 42.1 ; cf. 3.16s, qui doit souffrir et mourir, 16.21 ; 17.22-23, tout comme son Précurseur, vv. 9-13, avant d’entrer définitivement dans la gloire par la Résurrection.

a Le Tabor, d’après l’opinion traditionnelle. Certains pensent au grand Hermon, ou au Carmel, mais c’est surtout une montagne symbolique, un nouveau Sinaï, où s’opère une nouvelle révélation eschatologique.

2 Et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière.b

b Var « comme la neige », cf. 28.3.

3 Et voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. 4 Pierre alors, prenant la parole, dit à Jésus : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ;c si tu le veux, je vais faired ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. »

c Autre traduction « il nous est bon d’être ici ».

d Vulg. « faisons », cf. Mc et Lc.

5 Comme il parlait encore, voici qu’une nuée lumineuse les prit sous son ombre, et voici qu’une voix disait de la nuée : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur, écoutez-le. » 6 À cette voix, les disciples tombèrent sur leurs faces, tout effrayés. 7 Mais Jésus, s’approchant, les toucha et leur dit : « Relevez-vous, et n’ayez pas peur. » 8 Et eux, levant les yeux, ne virent plus personne que lui, Jésus, seul.

Question au sujet d’Élie.

9 Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez à personne de cette vision, avant que le Fils de l’homme ne ressuscite d’entre les morts. » 10 Et les disciples lui posèrent cette question : « Que disent donc les scribes, qu’Élie doit venir d’abord ? »e

e Ayant vu le Messie déjà venu, 16.16, et dans sa gloire, 17.1-7, les disciples s’étonnent qu’Élie n’ait pas joué le rôle de Précurseur que lui assignait Malachie. Il l’a joué, répond Jésus, mais en la personne de Jean-Baptiste, que l’on n’a pas reconnu. Voir Lc 1.17.

11 Il répondit : « Oui, Élie doit venir et tout remettre en ordre ; 12 or, je vous le dis, Élie est déjà venu, et ils ne l’ont pas reconnu, mais l’ont traité à leur guise. De même le Fils de l’homme aura lui aussi à souffrir d’eux. » 13 Alors les disciples comprirent que ses paroles visaient Jean le Baptiste.

Le démoniaque épileptique.

14 Comme ils rejoignaient la foule, un homme s’approcha de lui et, s’agenouillant, lui dit : 15 « Seigneur, aie pitié de mon fils, qui est lunatique et va très mal : souvent il tombe dans le feu, et souvent dans l’eau. 16 Je l’ai présenté à tes disciples, et ils n’ont pas pu le guérir. » — 17 « Engeance incrédule et pervertie, répondit Jésus, jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand ai-je à vous supporter ? Apportez-le-moi ici. » 18 Et Jésus le menaça, et le démon sortit de l’enfant qui, de ce moment, fut guéri.

19 Alors les disciples, s’approchant de Jésus, dans le privé, lui demandèrent : « Pourquoi nous autres, n’avons-nous pu l’expulser ? » — 20 « Parce que vous avez peu de foi,f leur dit-il. Car, je vous le dis en vérité, si vous avez de la foi gros comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne : Déplace-toi d’ici à là, et elle se déplacera, et rien ne vous sera impossible. »g

f Var. « pas de foi ».

g Add. v. 21 « Quant à cette espèce (de démons), on ne la fait sortir que par la prière et par le jeûne », cf. Mc 9.29.

[21 ]

Deuxième annonce de la Passion.

22 Comme ils se trouvaient réunis en Galilée, Jésus leur dit : « Le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes, 23 et ils le tueront, et, le troisième jour, il ressuscitera. » Et ils en furent tout consternés.

La redevance du Temple acquittée par Jésus et Pierre.

24 Comme ils étaient venus à Capharnaüm, les collecteurs du didrachmeh s’approchèrent de Pierre et lui dirent : « Est-ce que votre maître ne paie pas le didrachme ? » —

h Taxe annuelle et personnelle pour les besoins du Temple.

25 « Mais si », dit-il. Quand il fut arrivé à la maison, Jésus devança ses paroles en lui disant : « Qu’en penses-tu, Simon ? Les rois de la terre, de qui perçoivent-ils taxes ou impôts ? De leurs filsi ou des étrangers ? »

i C’est-à-dire « de leurs sujets », cf. 13.38. Mais Jésus joue sur la métaphore sémitique de « fils » pour se désigner, lui le Fils, cf. 3.17 ; 17.5 et 10.32s ; 11.25-27, etc., et avec lui les disciples qui sont ses frères, 12.50, et les fils du même Père, 5.45, etc. Cf. 4.3.

26 Et comme il répondait : « Des étrangers », Jésus lui dit : « Par conséquent, les fils sont exempts. 27 Cependant, pour ne pas les scandaliser, va à la mer, jette l’hameçon, saisis le premier poisson qui montera, et ouvre-lui la bouche : tu y trouveras un statère ; prends-le et donne-le leur, pour moi et pour toi. »