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Bible de Jérusalem

Sagesse 13-14

Seconde digression. Procès des cultes païens. Divinisation de la nature.p

13 Oui, vains par nature tous les hommes en qui se trouvait l’ignorance de Dieu,
qui, en partant des biens visibles, n’ont pas été capables de connaître Celui-qui-est,
et qui, en considérant les œuvres, n’ont pas reconnu l’Artisan.q

p La mention de la zoolâtrie, 11.15 ; 12.24, amène l’auteur à critiquer les religions du paganisme ambiant :la divinisation du monde, prônée par les philosophes hellénistiques, 13.1-9 ; l’idolâtrie, avec ses fabricants et son commerce, 13.10-19 ; 15.7-13, son origine et ses conséquences, 14.11-31, avec l’expérience biblique en contraste, 14.1-10 ; 15.1-6 ; enfin les cultes égyptiens culminant dans la zoolâtrie, 15.14-19 ; les plaies provoquées par des animaux lors de l’Exode, 11.15 ; 16.1s, s’en trouvent ainsi justifiées. Cf. Dt 4.16-19 ; Jr 7:-8.3 ; Ez 8 ; Dn 14 ; des schèmes analogues circulaient dans le judaïsme hellénisé.

q Le spectacle et l’étude de la nature devraient élever l’esprit humain jusqu’à un Dieu transcendant et créateur de tout.

2 Mais c’est le feu, ou le vent, ou l’air rapide,
ou la voûte étoilée, ou l’eau impétueuse,
ou les luminaires du ciel, princes du monde, qu’ils ont considérés comme des dieux !

3 Que si, charmés de leur beauté, ils les ont pris pour des dieux,
qu’ils sachent combien leur Maître est supérieur,
car c’est la source même de la beauté qui les a créés.r

r Touche grecque, cf. encore vv. 5, 7 ; Si 43.9-12. L’AT avait souvent célébré la grandeur et la puissance de Dieu dans la création, Jb 36.22-26 ; Ps 19.2 ; Isa 40.12-14, etc., mais non la beauté de l’univers conçu comme une œuvre d’art reflétant son auteur.

4 Et si c’est leur puissance et leur activité qui les ont frappés,
qu’ils en déduisent combien plus puissant est Celui qui les a formés,
5 car la grandeur et la beauté des créatures
font, par analogie, contempler leur Auteur.

6 Ceux-ci toutefois ne méritent qu’un blâme léger ;s
peut-être en effet ne s’égarent-ils
qu’en cherchant Dieu et en voulant le trouver :

s ou « moindre », par comparaison avec les idolâtres du v. 10.

7 versés dans ses œuvres, ils les explorent
et se laissent prendre aux apparences, tant ce qu’on voit est beauté !
8 Et pourtant eux non plus ne sont point pardonnables :
9 s’ils ont été capables d’acquérir assez de science
pour postuler l’unité du monde,
comment n’en ont-ils pas plus tôt découvert le Maître !

L’idolâtrie. Les fabricants d’idoles.t

10 Mais malheureux sont-ils, avec leurs espoirs mis en des choses mortes,
ceux qui ont appelé dieux des ouvrages de mains d’hommes,
or, argent, traités avec art,
figures d’animaux,
ou pierre inutile, ouvrage d’une main antique.

t La polémique contre les idoles, qui apparaît chez les philosophes grecs, était un lieu commun dans les écrits bibliques, cf. surtout Isa 44.9-20 ; Jr 10.1-16 ; Ba 6, etc.

11 Et voici encore un bûcheron : il scie un arbre facile à manier,
il en racle soigneusement toute l’écorce,
il le travaille avec adresse,
il en forme un objet propre aux usages de la vie.
12 Quant aux déchets de son travail,
il les emploie à préparer sa nourriture et il se rassasie.
13 Et le déchet qui en reste et qui n’est bon à rien,
un bois tordu et poussé tout en nœuds :
il le prend et le sculpte avec l’application des heures de loisir,
il le façonne, avec le savoir-faire des instants de détente ;
il lui donne une figure humaine,
14 ou bien il le fait semblable à quelque vil animal,
le recouvre de vermillon, en rougit la surface à la sanguine,
recouvre d’un enduit toutes ses taches.
15 Puis il lui fait une niche qui lui convienne,
le place dans un mur et l’assure avec du fer.
16 Ainsi veille-t-il à ce qu’il ne tombe pas,
sachant bien qu’il est incapable de s’aider lui-même,
car ce n’est qu’une image, et il a besoin d’aide !u

u Description calculée pour jeter le ridicule sur l’idole :la matière est du bois de rebut, l’artiste un vulgaire artisan, le travail est fait sans soin et l’objet ne tiendra même pas debout.

17 Pourtant, s’il veut prier pour ses biens, son mariage, ses enfants,
il ne rougit pas d’adresser la parole à cet objet sans vie ;
pour la santé, il invoque ce qui est faible,
18 pour la vie, il implore ce qui est mort,
pour un secours, il supplie ce qui a le moins d’expérience,
pour un voyage, ce qui ne peut même pas se servir de ses pieds,
19 pour un gain, une entreprise, le succès du travail de ses mains,
il demande de la vigueur à ce qui n’a pas la moindre vigueur dans les mains !

Providence et Sagesse.

14 Tel autre qui prend la mer pour traverser les flots farouches
invoque à grands cris un bois plus fragile que le bateau qui le porte.v

v Figure de proue ou de poupe, à l’effigie d’une divinité protectrice de la navigation, cf. Ac 28.11.

2 Car ce bateau, c’est la soif du gain qui l’a conçu,
c’est la sagesse artisanew qui l’a construit ;

w L’habileté technique de l’artisan, fruit de la Sagesse, 8.6 ; cf. Ex 31.3 ; 35.31.

3 mais c’est ta Providence,x ô Père, qui le pilote,
car tu as mis un chemin jusque dans la mer,
et dans les flots un sentier assuré,y

x Le terme, qui paraît ici pour la première fois dans les LXX, est emprunté à la philosophie et à la littérature grecques. Cependant l’idée est biblique, Jb 10.12 ; Ps 145.8s, 15s ; 147.9, etc.

y En reprenant deux textes qui font allusion au passage de la mer Rouge, Ps 77.20 ; Isa 43.16, l’auteur veut illustrer la maîtrise de Dieu sur la mer et son pouvoir de protéger efficacement les navigateurs.

4 montrant que tu peux sauver de tout,
en sorte que, même sans expérience, on puisse embarquer.
5 Tu ne veux pas que les œuvres de ta Sagesse soient stériles ;
c’est pourquoi les hommes confient leur vie même à un bois minuscule,
traversent les vagues sur un radeau et demeurent sains et saufs.
6 Et de fait, aux origines, tandis que périssaient les géants orgueilleux,z
l’espoir du monde se réfugia sur un radeaua
et, piloté par ta main, laissa aux siècles futurs le germe d’une génération nouvelle.

z Ces géants tiennent une grande place dans les traditions ou légendes juives, cf. Gn 6.4 ; Si 16.7 ; Ba 3.26, et l’apocryphe qu’on appelle troisième livre des Maccabées (3 M 2.4), de même que dans certaines légendes grecques.

a L’arche de Noé, cf. déjà 10.4.

7 Car il est béni, le bois par lequel advient la justice,b

b En servant à l’accomplissement des desseins de Dieu. Plusieurs Pères ont appliqué ce texte au bois de la Croix.

8 mais maudite l’idole fabriquée,c elle et celui qui l’a faite,
lui, pour y avoir travaillé, et elle parce que,
corruptible, elle a été appelée dieu.

c Littéralement « la chose faite à la main », c.-à-d. de main d’homme, mais ce mot composé désigne souvent les idoles dans les LXX.

9 Car Dieu déteste également l’impie et son impiété.
10 Oui, l’œuvre sera châtiée avec l’ouvrier.

Origine des idoles.

11 Il y aura une visite même pour les idoles des nations,
parce que, dans la création de Dieu, elles sont devenues une abomination,
un scandale pour les âmes des hommes,
un piège pour les pieds des insensés.
12 L’idée de faire des idoles a été l’origine de la fornication,
leur découverte a corrompu la vie.d

d La « fornication » est à entendre au sens d’infidélité religieuse, cf. Os 1.2, mais l’erreur de l’esprit a entraîné le dérèglement des mœurs, cf. Rm 1.24-32 ; Ep 4.17-19.

13 Car elles n’existaient pas à l’origine, et elles n’existeront pas toujours ;
14 c’est par une illusion humaine qu’elles ont fait leur entrée dans le monde,e
aussi bien une prompte fin leur a-t-elle été réservée.

e Plusieurs bons mss ont ici « que la mort a fait son entrée », sous l’influence de 2.24. — Pour notre auteur, le monothéisme a précédé le polythéisme. Même conception dans Gn.

15 Un pèref que consumait un deuil prématuré
a fait faire une image de son enfant si tôt ravi,
et celui qui hier encore n’était qu’un homme mort, il l’honore maintenant comme un dieu
et il transmet aux siens des mystères et des rites.

f Deux exemples vont montrer comment l’illusion humaine a inventé les idoles, en insistant sur le culte idolâtrique rendu à des hommes divinisés plus que sur la divinisation elle-même. Le premier exemple s’éclaire par la coutume grecque d’élever les enfants défunts au rang de « héros protecteurs », une coutume rappelée et imitée par Cicéron après la mort de sa fille Tullia. Le second, la divinisation du souverain de son vivant, vise une coutume hellénistique, puis romaine.

16 Puis avec le temps la coutume impie se fortifia, on l’observa comme loi,
et sur l’ordre des souverains, les images sculptées reçurent un culte :
17 des hommes qui ne pouvaient les honorer en personne, parce qu’ils habitaient à distance,
représentèrent leur lointaine figure
et firent une image visible du roi qu’ils honoraient ;
ainsi, grâce à ce zèle, on flatterait l’absent comme s’il était présent.
18 Ceux-là mêmes qui ne le connaissaient pas
furent amenés par l’ambition de l’artiste à étendre son culte ;
19 car, désireux sans doute de plaire au maître,
il força son art à faire plus beau que nature,
20 et la foule, attirée par le charme de l’œuvre,
considéra désormais comme un objet d’adoration celui que naguère on honorait comme un homme.
21 Et voilà qui devint un piège pour la vie :
que des hommes, asservis au malheur ou au pouvoir,
eussent conféré à des pierres et à des morceaux de bois le Nom incommunicable.g

g Le nom révélé à Moïse, Ex 3.14, ou le nom même de « Dieu ».

Conséquences du culte des idoles.

22 En outre il ne leur a pas suffi d’errer au sujet de la connaissance de Dieu ;
mais alors que l’ignorance les fait vivre dans une grande guerre,h
ils donnent à de tels maux le nom de paix !

h Guerre au-dedans par le déchaînement des passions, au-dehors par les désordres que ces passions provoquent dans la société. Allusion possible à la Pax Romana.

23 Avec leurs rites infanticides, leurs mystères occultes,
ou leurs orgies furieuses aux coutumes extravagantes,i

i Allusion aux Bacchanales des mystères dionysiaques, ou aux violences et immoralités des mystères phrygiens.

24 ils ne gardent plus aucune pureté ni dans la vie ni dans le mariage,
l’un supprime l’autre insidieusement ou l’afflige par l’adultère.
25 Partout, pêle-mêle, sang et meurtre, vol et fourberie,
corruption, déloyauté, trouble, parjure,
26 confusion des gens de bien, oubli des bienfaits,
souillure des âmes, crimes contre nature,j
désordres dans le mariage, adultère et débauche.k

j Littéralement « inversion de la génération ».

k Réflexion sur la société, ébranlée dans ses fondements par le mépris de la vie et des droits d’autrui, par la profanation du mariage, par la déloyauté et surtout par la violation constante du serment (cf. vv. 29-31). Ce déséquilibre foncier est mis en relation immédiate, non avec la simple méconnaissance du vrai Dieu, mais avec les cultes idolâtriques. Cf. Rm 1.22-31, proche de ce passage :l’erreur en matière religieuse engendre l’immoralité.

27 Car le culte des idoles sans noml
est le commencement, la cause et le terme de tout mal.

l C’est-à-dire inexistantes. Peut-être faut-il entendre « qu’on ne doit pas nommer », cf. Ex 23.13.

28 Ou bien en effet ils poussent leurs réjouissances jusqu’au délire, ou bien ils prophétisent le mensonge,
ou ils vivent dans l’injustice, ou ils ont tôt fait de se parjurer :
29 comme ils mettent leur confiance en des idoles sans vie,
ils n’attendent aucun préjudice de leurs faux serments.
30 Mais de justes arrêts les frapperont pour ce double crime :
parce qu’ils ont mal pensé de Dieu en s’attachant à des idoles, parce qu’ils ont juré frauduleusement contre la justice, au mépris de la sainteté.
31 Car ce n’est pas la puissance de ceux par qui l’on jure,
mais le châtiment réservé aux pécheurs
qui poursuit toujours la transgression des injustes.