Le Bienfait de Jésus-Christ crucifié envers les chrétiens

Introduction

Voici un livre bien extraordinaire. Tout dans ses destinées, dans l’influence qu’il exerça en Italie au xvie siècle, dans le martyr célèbre auquel il est attribué, surtout enfin dans son contenu, tout est propre à attirer sur cet ouvrage l’attention des amis de l’Évangile.

Qu’ils furent beaux les jours de la Réformation dans cette pauvre Italie, où le despotisme sanglant des papes parvint sitôt à en éteindre la lumière dans ses cachots et ses supplices ! Les esprits les plus distingués par leur culture et leur piété, dégoûtés des abominations qui avaient envahi le sanctuaire, saluèrent avec des transports de joie la foi nouvelle dont les vives clartés resplendissaient du nord de l’Europe, lisaient avec avidité les écrits de Luther, de Zwingli, et surtout les Saintes-Écritures, flambeau divin remis sur le chandelier. Un mouvement simultané de réveil, de foi, de vie, se fit remarquer, plein de jeunesse et d’espérance, dans toutes les villes de la Péninsule. Tandis que Ferrare réunissait autour de Renée d’Est les Antonio Flaminio, les Bartholomeo, Ricci et tant d’autres ; que Juan Valdez, noble Espagnol, répandait dans les hautes régions de la société napolitaine la lumière de son ardente piété ; que les étudiants de Pavie formaient une garde autour de leur maître chéri, Curio de Turin, pour le protéger contre les embûches de l’Inquisition ; que le Florentin Antonio Brucioli traduisait la Bible ; que les deux frères Vergerio renonçaient à la crosse épiscopale et à la pourpre romaine pour embrasser l’Évangile ; que Bernardino Ochino et Pierre Martyr Vermigli remuaient de ville en ville les populations par leur ardente éloquence chrétienne ; que des femmes du plus haut rang et en grand nombre sacrifiaient avec joie les vanités du monde et donnaient l’exemple du plus noble courage au sein des persécutions ; — on voyait le collège sacré des cardinaux lui-même envahi et ébranlé par la Réforme, et le pape trouver des hérétiques à punir jusque dans sa cour. — Il faut lire dans M’Crie et dans Léopold Rankea toutes ces scènes de la vie chrétienne et d’atroces persécutions, pour se faire une idée de la puissance avec laquelle l’Évangile de Jésus-Christ pénétra au sein des ténèbres les plus profondes.

a – Ranke. Histoire des Papes, aux xvi et xviie siècles. — M’Crie. Hist. de la Réforme en Italie.

Bientôt les Italiens ne se contentèrent plus des livres qui leur venaient de l’étranger, ils eurent leur littérature religieuse nationale, toute brûlante du feu du premier amour. En 1542, parut à Venise un petit livre intitulé : Trattato utilissimo del Beneficio di Giesu Christo crucifisso versoii christiani. — Six ans après, les seules presses de Venise en avaient reproduit quarante mille exemplaires. Il fut réimprimé en divers autres lieux, entre autres à Modène, par les soins du cardinal Morone. Rien n’égalait l’ardeur que les amis de l’Évangile mettaient à lire et à répandre ce livre dans toute l’Italie, si ce n’est le zèle des inquisiteurs à le rechercher et à le livrer aux flammes. Cette lecture, dit Ranke, popularisa pendant un temps en Italie la doctrine de la justification par la foi, au point qu’un rapport de l’Inquisition porta à trois mille le nombre des seuls maîtres d’école suspects d’être infectés de cette pesteb. Un écrivain italien du temps, Vergerio, s’exprime ainsi sur le livre du Beneficio : « Plusieurs sont d’opinion qu’à peine il a paru dans notre âge, au moins en langue italienne, un livre écrit avec tant de douceur, de piété, de simplicité, et si propre à instruire les ignorants et les faibles, en particulier sur la doctrine de la justificationc. » Même les inquisiteurs, dans le rapport qu’on vient de citer, n’ont pu s’empêcher d’en parler en ces termes : « Trattava della giustificatione con dolce modo, ma hereticamente. » — Tandis que ce petit ouvrage faisait en Italie son œuvre immense, les chrétiens évangéliques de France, ainsi que d’autres pays de l’Europe, se l’appropriaient par des traductions.

b – Ranke, T. I. p. 142.

c – Cité par Gieseler, Kirchengeschichte III, 1, p. 501.

A quoi un petit écrit de moins de cent pages, publié sans nom d’auteur, sans autre recommandation que son propre mérite, dut-il un succès si extraordinaire ? Uniquement à cet Évangile de la grâce, qu’il expose dans toute sa pureté, sa simplicité, sa suave douceur. C’est bien là la dogmatique du xvie siècle, mais ce n’est ni le cachet de Luther, ni celui de Calvin. Le mot même de dogmatique est ici déplacé, tant on est éloigné d’un système, tant on sent une âme brûlante d’amour pour cette vérité qu’elle a trouvée, souffrant quand elle parle du péché et de la loi, tressaillant de joie en proclamant les parfaits mérites de son Sauveur, pleine d’une sainte tendresse en décrivant son union avec ce céleste Époux. Il n’y a pas jusqu’à la doctrine de l’élection qui ne soit traitée avec la plus intime onction, comme le fondement de l’assurance du salut pour le racheté de Christ. Même aujourd’hui, après trois cents ans, on comprend que l’Évangile présenté à des populations altérées de vérité et de paix, avec cette puissance entraînante de conviction et d’amour, put les émouvoir et les arracher à la servitude de l’erreur et de la superstition.

Rome le sentit. Rome, l’antique adversaire de la Parole de Dieu, ne se laissa point fléchir par la profonde piété, ni par la douceur tout évangélique qui respire d’un bout à l’autre du livre dont nous racontons l’histoire. Les inquisiteurs lui firent si bonne chasse, que les chrétiens d’Italie s’en virent totalement privés, et que, pour le réimprimer dans le plus grand secret, ils durent le retraduire sur la version française. Vaine tentative ! Sous cette nouvelle forme encore l’ouvrage disparut bientôt dans les flammes, si bien que jusqu’à nos jours on a cru que jamais on ne le connaîtrait plus, autrement que par l’histoire de son immense influence sur la Réformation en Italie. Dans les derniers temps encore, deux historiens célèbres, Ranke et Macaulay, en parlaient comme d’un livre aussi irrévocablement perdu que ceux des écrits de Tite-Live qui ne nous sont point parvenus.

Cependant, l’attention du public lettré ayant été éveillée de nouveau par ces historiens, et avant eux par M’Crie, des recherches pleines d’intérêt furent faites en diverses bibliothèques, et un savant anglais, M. John Ayre, parvint à découvrir une traduction anglaise de notre livre, traduction faite sur la version française, et qui avait paru à Londres en 1638. M. Ayre publia l’ouvrage en 1847, avec des recherches sur son origined. — Mais déjà quatre ans auparavant, un autre savant anglais, M. B.-M. Cowie, avait annoncé, dans un catalogue de manuscrits et de livres rares, qu’un exemplaire de l’édition italienne, de 1543, sortie des presses de Venise, se trouvait dans la bibliothèque de Saint-John’s College, à Cambridge. Cet exemplaire de l’ouvrage original, peut-être le seul qui soit au mondee, a été textuellement reproduit, il y a quelques mois (vers la fin de 1855), par M. Churchill Babington, qui l’a accompagné d’une traduction anglaise, de la vieille version française et d’une introduction historique et critique. — Une autre édition très fidèle de l’ouvrage vient de paraître à Leipzig, avec une préface anonyme (due au savant critique Tischendorf), à laquelle nous avons emprunté quelques-uns des faits qui précèdent, comme lui-même avait profité des recherches de MM. Ayre et Babington.

d – Deux traductions italiennes de cette publication anglaise parurent en 1849, l’une à Pise, l’autre à Florence.

e – Un autre exemplaire vient d’être découvert à Stuttgard.

Reste maintenant une question d’un grand intérêt : Qui est l’auteur de ce petit livre dont les destinées ont été si exceptionnelles ? Les opinions ont varié jusqu’à nos jours sur cette question, car il était naturel que l’auteur d’un tel écrit, en présence des inquisiteurs, mît tous ses soins à ce que son nom restât enseveli dans le silence. Vergerio, que nous avons déjà cité, nous apprend que de son temps on attribuait le livre du Beneficio au cardinal Pole, ou que du moins on estimait qu’il y avait eu une grande part. Ce qu’il y a de certain, ajoute-t-il, c’est que ce cardinal s’appliqua à défendre et à répandre le livre, de concert avec Flaminio, Priolo et quelques autres de ses disciplesf. — Le rapport des inquisiteurs, cité par Ranke, indique comme auteur un Monaco di Sanseverino di Napoli, qu’il dit être disciple de Valdès, et affirme que l’ouvrage fut revu par Flaminio. — Plus tard, des recherches exactes conduisirent le savant Schelhorn, en 1737g, et après lui Riederer, aussi bien que les historiens Gerdes et Tiraboschi, à une opinion que M’Crie, dans son Histoire de la Réforme en Italie, a élevée à peu près jusqu’à la certitude, et que les derniers éditeurs de notre livre, Ayre, Babington et Tiscbendorf adoptent pleinement : c’est que l’auteur du Bienfait de Jésus-Christ est Aonio Paleario.

fArticuli contra card. Moronum. Tubingæ 1558. — Voir Gieseler, ubi supra.

gAmoenit. Histor. eccl. I. 157.

Parmi les villes d’Italie qui, dans ces belles années du réveil de la foi, entendirent la bonne nouvelle de l’Évangile, Sienne occupait un rang distingué. Cette patrie des Socin fut aussi celle d’Ochino, qui, dans ses voyages de prédications évangéliques, visita souvent le lieu de sa naissance. Mais Dieu réservait aux habitants de cette ville un autre témoin aussi richement doué par le talent et la science que par une vive piété, nourrie aux sources de la foi nouvelle. — Dès 1534, Aonio Paleario, né à Velori, dans la campagne de Rome, fut appelé à Sienne pour y professer les littératures de l’antiquité grecque et latine. Poète et orateur distingué, il s’était jeté avec ardeur dans le mouvement de la renaissance des lettres. Mais la lecture du Nouveau Testament dans la langue originale l’avait plus encore attaché au Maître de Nazareth que tous les chefs-d’œuvre classiques aux maîtres d’Athènes et de Rome. Familiarisé avec les écrits des Réformateurs, il fit entendre dans ses leçons de philosophie des vérités d’une hardiesse qui plaisait aux étudiants, mais qui ne tardèrent pas à susciter contre lui les soupçons et les accusations d’hérésie. Le cardinal Sadolet, qui l’aimait, l’exhorta à la prudence au nom des amis qu’il avait à Rome. Mais Paleario était de ceux à qui le danger ne saurait imposer silence. Si on le laisse faire, s’écriaient les adeptes du pape, il ne restera pas un vestige de religion dans la ville de Sienne. « Pourquoi ? » se demande-t-il, en rapportant lui-même cette accusation. — « Parce que, comme on me demandait un jour quel était le premier fondement sur lequel on devait appuyer son salut, je répondis que c’était le Christ ; on me demanda quel était le second, et je répondis encore : le Christ ; enfin, quel était le troisième, et je répondis toujours : le Christh. »

hPalearii Opera. Ed. Halbauer, p. 519.

Mais lorsque les prêtres virent paraître un petit livre qui menaçait d’être pour l’Italie ce que la Captivité de Babylone avait été pour l’Allemagne, cette exposition si claire et si pénétrante de l’Évangile, qui dès la première année de son apparition vola de ville en ville avec la rapidité des vents, alors il n’y eut plus de repos pour le professeur de Sienne, soupçonné d’en être l’auteur. Cité devant le Sénat de cette ville, il y prononça une défense éloquente, qui a été conservée dans ses œuvres, et dont voici le début :

« Il y a des hommes assez acerbes, assez durs, assez prompts à incriminer les autres, pour qu’on ne puisse pas, en leur présence, rendre toute gloire à Christ, l’Auteur et le Dieu de notre salut, le Roi de toutes les nations et de tous les peuples. Parce que j’ai écrit cette année même, en langue toscane, sur les immenses bienfaits apportés par sa mort au genre humain, on en a fait le sujet d’une accusation contre moi. Peut-on rien concevoir ou dire de plus honteux ? Je disais : Puisque Celui en qui réside la divinité a versé avec tant d’amour son sang pour notre salut, nous ne devons plus douter de la faveur de Dieu, mais nous pouvons jouir d’une paix et d’une tranquillité parfaites. J’affirmais, appuyé sur les monuments les plus incontestables de l’antiquité, que ceux qui tournent leur âme vers Jésus crucifié, qui se confient en Lui par la foi, qui reçoivent ses promesses et qui s’attachent avec une pleine espérance à Celui qui ne saurait tromper, voient la fin de tous leurs maux, parce que leurs péchés sont effacés. Voilà ce qui a paru si amer, si détestable, si exécrable à ces douze bêtes féroces (car je ne puis leur donner le nom d’hommes) qu’ils ont opiné que l’auteur devait être livré aux flammes. Si je dois souffrir ce supplice pour le témoignage que j’ai rendu (car je regarde mon écrit plutôt comme un témoignage que comme un livre), alors, sénateurs, rien ne peut m’arriver de plus heureux. Dans un temps comme celui-ci, je ne pense pas qu’il soit d’un chrétien de mourir dans son lit. Il nous convient d’être battus de verges, pendus, cousus dans un sac, jetés aux bêtes féroces ou au feu, si, par ces supplices, la vérité est portée à la lumièrei.

iPalearii Op. p. 101. s. 9. — C. M’Crie. Histoire de la Réforme en Italie, p. 143 suiv.

Le but de cette citation n’est pas tant de montrer en Paleario le courage intrépide d’un martyr, que de fournir la preuve évidente qu’il se reconnaît l’auteur du livre du Bienfait de Christ crucifié. Tout le démontre dans ses paroles : Il a écrit un petit livre, dit-il (libellus) ; il l’a écrit en langue toscane, tandis que tous ses autres ouvrages sont en latin ; mais surtout il en indique pour ainsi dire le titre en même temps que le contenu, et cela plus d’une fois, en des termes que l’on retrouve dans le livre même : Ce sont les Bienfaits de Christ crucifié qu’il a décrits, c’est le salut parfait, le salut gratuit, le salut par la foi seule ; et il a appuyé tout cela sur les monuments de l’antiquité, c’est-à-dire sur les Pères, dont il cite abondamment les écrits dans son ouvrage. D’un autre côté, les dates coïncident parfaitement ; c’est en 1542 que Paleario, accusé pour la première fois, prononçait cette défense, en nous apprenant qu’il avait publié son livre cette année même, et c’est alors en effet que les presses de Venise commencèrent leur active reproduction de cet écrit.

[C’est pourtant sur cette date même que Ranke, et après lui Gieseler se fondent pour révoquer en doute que Paleario soit l’auteur de notre livre, attendu que son accusation n’aurait guère pu avoir lieu l’année même de la publication de l’ouvrage. Et pourquoi non ? Fallait-il beaucoup de temps aux argus de l’inquisition pour procéder contre un homme célèbre déjà suspect d’hérésie ? Du reste, cette objection paraît étrange sous la plume de Ranke, qui, par une singulière inadvertance, fait paraître l’ouvrage en 1540j. Quant au rapport de l’Inquisition romaine, qui affecte d’attribuer le livre à un moine de Naples, ce pouvait être ignorance, ou un exemple entre mille autres d’une ruse de guerre qui consistait à déguiser le nom des auteurs hérétiques célèbres, afin de diminuer l’importance de leur témoignage.]

jHist. des Papes, I. 140.

Enfin, Vergerio, dans l’ouvrage déjà cité, affirme que l’un des auteurs du Bienfait de Christ (il en supposait deux) soutenait des relations familières avec plusieurs des premiers dignitaires de la cour de Rome, et l’on sait en effet que Paleario comptait au nombre de ses amis les cardinaux Sadolet, Bembo, Pole, Maffei ; on sait de plus que lorsque le cardinal Morone fut emprisonné pour cause de luthéranisme, un des chefs d’accusation articulés contre lui fut d’avoir contribué à répandre le livre du Bienfait de Christ.

Nous bornons ici cette démonstration qui nous paraît suffisante. Mais avant de laisser le lecteur avec Paleario et sa parole onctueuse, jetons un regard encore sur la vie et la mort de ce témoin de Jésus-Christ. — L’année qui suivit les événements que nous venons de rapporter, il se vit forcé de quitter Sienne. Il se rendit à Lucques, où l’Évangile avait fait des progrès considérablesk. Il passa près de dix ans dans cette ville. Le sénat de Milan lui adressa alors une vocation des plus honorables comme professeur d’éloquence. Il remplit ces fonctions pendant sept ans, toujours exposé aux plus grands dangers, malgré la haute protection du Sénat milanais. Mais enfin, il fallut céder à la violence, et vers 1566, au moment où il songeait à se retirer à Bologne, il fut atteint par la persécution sanglante qui s’éleva, lors de l’avènement du pape Pie V, contre tant d’hommes éminents par la science et la piété : Paleario fut saisi, conduit à Rome, mis au secret le plus rigoureux dans la Torre Nona. Dans son procès on rappela contre lui le livre du Bienfait de Christ et ses relations avec Ochino et tant d’autres chrétiens condamnés ou réfugiés à l’étranger. En fait de doctrine, le principal chef d’accusation fut qu’il attribuait la justification du pécheur uniquement à la foi en la miséricorde de Dieu, qui nous pardonne nos péchés par les mérites de Jésus-Christ. Oui, hélas ! ce qui fait la gloire et la puissance de l’Évangile, comme la consolation et la joie de l’homme déchu dans ses angoisses, c’est ce qui, depuis trois cents ans, est en possession d’exciter les fureurs de Rome. Et ce n’est pas sans raison. Partout où cette doctrine est admise, s’écroule avec fracas l’échafaudage entier de la religion du prêtre.

k – Voir Lucques et les Burlamacchi, par M. Charles Eynard.

Au terme de trois années d’emprisonnement, Paleario fut condamné par le saint office à être pendu et son corps livré aux flammes. Il fut exécuté le 3 juillet 1570, à l’âge de soixante-dix ansl.

l – Voir sur la vie de Paleario : M’Crie, Histoire de la Réforme en Italie, p. 140 suiv. et p. 332 suiv. ; ou mieux encore, une Vie de ce martyr, écrite en latin et imprimée à la tête de ses œuvres latines, par Halbauer. Jena, 1728, 1 vol. 8o.

Ce vieillard vénérable laissait, en allant à l’échafaud, sa femme et quatre enfants. Le jour même de sa mort, il prit congé de sa compagne par une lettre que voici, et dans laquelle nos lecteurs reconnaîtront bien l’auteur du livre que nous leur offrons.

« Ma chère femme !

Je ne voudrais pas que ma joie fût pour vous un sujet de chagrin, ni le bien qui m’arrive une source d’infortune. L’heure est venue où il me faut quitter cette vie pour paraître devant mon Seigneur, mon Père et mon Dieu. Je pars avec autant de plaisir que si j’allais aux noces du Fils du grand Roi. Cette joie, j’ai toujours prié mon Seigneur de me l’accorder dans sa bonté et dans sa miséricorde infinie. C’est pourquoi, ma chère femme, il faut que la volonté de Dieu et ma résignation soutiennent votre courage ; vous vous devez tout entière à la famille désolée qui me survit ; instruisez-la, maintenez-la dans la crainte de Dieu, et servez-lui de père et de mère. Je ne suis plus aujourd’hui qu’un inutile vieillard âgé de soixante-dix ans. Nos enfants doivent se suffire à eux-mêmes par leur vertu et par leur industrie. Que Dieu le Père, que notre Seigneur Jésus-Christ et le Saint-Esprit soient avec vous !

Rome, 3 juillet 1570.

Ton mari, Aonio Paleario. »

Ce père voulut prendre aussi congé de ses enfants. Après avoir donné à ses deux fils ses dernières directions, il salue ainsi ses deux filles :

« Adieu, Aspasia, Aonilla, mes chères filles en Dieu. Mon heure approche. Que l’Esprit de Dieu vous console et vous protège par sa grâce !

Rome, 3 juillet 1570.

Votre père, Aonio Paleario. »

Nous donnons, de l’œuvre de Paleario, une traduction très fidèle, presque littérale. Il eût été facile d’en faire disparaître quelques répétitions et quelques longueurs qui tiennent à la manière des écrivains du xvie siècle ; mais, outre qu’ici ce sont moins des défauts de composition que les exubérances d’un sentiment religieux qui déborde de l’amour de son sujet, nous avons cru devoir reproduire dans son intégrité pleine de candeur ce vénérable monument de la foi et de la piété d’un réformateur martyr.

Francfort, Avril 1856.

L. Bonnet.

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