1 On dit d’Amphion de Thèbes et d’Arion de Metymne, qu’ils étaient si habiles dans la musique que, par la seule puissance de leurs accords, celui-ci attirait les poissons ; l’autre élevait les murs de Thèbes. Ces fables sont encore dans la bouche des Grecs et répétées en chœur dans leurs fêtes. On raconte du chantre de la Thrace qu’aux accents de sa voix, les bêtes farouches déposaient leur férocité, et les arbres des forêts marchaient à sa suite. Je pourrais vous entretenir d’autres fables et vous parler d’autres musiciens, je veux dire d’Eunone de Locres et de la cigale de Pitho. Toute la Grèce était rassemblée pour célébrer à Pitho la défaite du fameux serpent chantée par Eunone : avait-il composé une ode ou une élégie sur ce sujet ? je n’en sais rien. Le combat venait de commencer. C’était dans la saison de l’été, quand les cigales, excitées par la chaleur du soleil, chantent sous les feuilles dans les bois et sur les montagnes ; leurs chants affranchis de mesure célébraient, non le serpent terrassé, mais le dieu son vainqueur, et surpassaient les accords d’Eunone. Une de ses cordes vint à se rompre : à l’instant une cigale saute sur sa lyre, s’y pose comme sur une branche d’arbre, et continue de chanter. Le musicien se met en harmonie avec elle, et répare ainsi la corde qu’il a perdue.
Ainsi donc, d’après la fable, des sons mélodieux charmèrent une cigale. Une statue d’airain représentait Eunone, avec une lyre et la cigale son émule ; on la voit accourir, on croit l’entendre. Et les Grecs n’ont pas fait difficulté de la croire capable de cette imitation musicale.
2 Vous avez ajouté foi à ces fables ; l’on a pu vous persuader que des bêtes se laissaient à ce point charmer par la musique ; c’est la vérité seule, malgré sa vive clarté, qui passe pour mensonge et qui rencontre chez vous des incrédules.
Et l’Hélicon, et le Cithéron, et les montagnes de l’Odryse, et les initiations des Thraces, tous ces mystères de déception ont reçu un culte divin, ont eu des hymnes en leur honneur. Je vous l’avoue, les malheurs que chantent vos poètes tragiques remuent toute la sensibilité de mon âme, bien qu’ils ne soient que des fables ; ils mettent en scène tous les maux de l’humanité. Mais voulez-vous m’en croire ? et ces fables, et ces poètes ceints du lierre de Bacchus, sans frein dans leur ivresse et dans leur délire, au milieu des orgies, et la troupe des satyres, et la multitude des bacchantes furibondes ; enfin tout ce ramas de dieux surannés, enfermons-les dans l’Hélicon, dans le Parnasse, vieillis eux-mêmes et aujourd’hui sans honneur.
À leur place faisons descendre du ciel sur la montagne du vrai Dieu, au milieu du chœur sacré des prophètes, la vérité ou la raison aux clartés si vives.
Qu’elle inonde les hommes de sa lumière, et dissipe les ténèbres où ils sont ensevelis. Qu’elle leur tende une main amie, c’est-à-dire qu’elle leur rende l’intelligence pour les tirer de l’erreur et les remettre dans la voie du salut. Qu’ils lèvent les yeux vers le ciel, qu’ils se dégagent des ombres de la mort, qu’ils désertent l’Hélicon et le Parnasse, et n’habitent plus désormais que les hauteurs de Sion. C’est de Sion que viendra la loi, c’est de Jérusalem que sortira la parole du Seigneur. La parole de Dieu, c’est le Verbe descendu du ciel, et couronné comme un athlète sur la scène du monde.
Mon Eunone à moi ne fait entendre ni les accents de Terpandre ou de Capiton, ni les accords de la Phrygie ou de la Lydie, ou de la Doride ; mais un chant d’une suavité nouvelle, une mélodie toute céleste, une harmonie immortelle et divine ; c’est le cantique nouveau de la tribu de Lévi. « Il dissipe la tristesse, désarme la colère, fait oublier tous les maux. » Je ne sais quoi de doux, de persuasif, se mêle à ce saint cantique, et pénètre au fond des cœurs ; c’est un baume qui vient en guérir toutes les plaies.
3 À mes yeux votre Orphée de Thrace, votre Amphion de Thèbes, votre Arion de Métymne, n’étaient pas des hommes, ils n’en méritaient pas le nom ; mais des imposteurs qui se servirent des charmes puissants de la musique pour dégrader la nature humaine et de la séduction des prestiges dû aux démons pour corrompre les mœurs. Ils ont, les premiers, amené l’homme aux pieds des statues ; ils ont érigé en divinités les crimes et les maux, et leur ont dressé des autels.
C’est sur la pierre et sur le bois, dont vous faites des idoles qu’ils ont élevé le triste édifice de la corruption générale, et, cette noble indépendance de l’homme qui se promenait librement sous la voûte des cieux, ils l’ont enchaînée par la perfide mélodie de leurs accords, et placée sous le joug de la plus honteuse servitude.
Qu’il est différent le chantre merveilleux dont je parle. Il est venu, et à l’instant il a brisé nos chaînes, détruit la cruelle tyrannie du démon ; il nous a fait passer sous un autre joug, le plus doux, le plus facile à porter, celui de la piété. Il a relevé vers le ciel le front des hommes tristement courbé vers la terre ; lui seul a pu attendrir la barbarie, apprivoiser l’homme, de tous les animaux le plus féroce. Les oiseaux sont légers, les serpents trompeurs, les lions furieux, les pourceaux impurs, les loups rapaces ; le bois et la pierre sont insensibles : l’homme plongé dans l’ignorance est plus stupide encore. J’en atteste cette parole prophétique d’accord avec la vérité, déplorant le malheur de l’homme, usé par la rouille de l’ignorance et de l’insensibilité : Dieu peut des pierres mêmes susciter des enfants à Abraham.
4 La vérité ne parlait plus au cœur des hommes ; ils lui opposaient toute la dureté du marbre depuis qu’ils portaient à la pierre le tribut de leur foi et de leurs hommages. C’est alors que ce Dieu, touché d’une misère si profonde, fit sortir de la pierre, c’est-à-dire du cœur des Gentils, un germe de piété, le sentiment de la vertu.
Les imposteurs, les hypocrites, habiles à se déguiser, toujours en embuscade pour surprendre la justice, il les appelle race de vipères. Mais que le repentir touche leur cœur, qu’ils suivent le Verbe, de serpents qu’ils étaient, ils seront des hommes divins. Il en appelle d’autres loups couverts de peaux de brebis, désignant par-là les hommes rapaces et avides. Eh bien ! toutes ces natures si féroces, toutes ces pierres si dures se sont amollies, sont devenues les hommes les plus doux. Et voilà l’œuvre de notre chantre céleste et de ses divins accords.
Et nous aussi, pour me servir du langage de l’Écriture, nous étions autrefois insensés, incrédules, égarés, asservis à nos passions et à nos plaisirs, pleins de malice et d’envie, dignes de haine, et nous haïssant les uns les autres. Mais, depuis que la clémence du Dieu Sauveur a paru sur la terre, nous avons été sauvés, non pour nos œuvres de justice, mais par sa miséricorde. Admirez donc la puissance de ces nouveaux accords, ils transforment en homme la brute sauvage, la pierre insensible. Ceux qui étaient comme morts, qui n’avaient plus part à la vraie vie, n’eurent pas plutôt entendu ce chant céleste, qu’ils se sentirent renaître, et sortirent de leur tombeau.
5 N’est-ce pas le Verbe, ce chantre des cieux, qui a mis ce bel ordre, ce bel ensemble dans l’univers, qui a enseigné aux éléments en désaccord à former un concert admirable, de sorte que ce monde est tout harmonie. Il a déchaîné les flots de l’océan et leur a défendu d’envahir la terre. Celle-ci flottait au hasard comme un navire, il l’a fixée au milieu des eaux, jetées autour d’elle comme un rempart. Ainsi que le musicien qui sait adoucir les modes doriens par ceux de la Lydie, il a tempéré la violence du feu par le contact de l’air, et l’âpre rigueur du froid par l’étroite alliance du feu ; il a lié, il a tempéré les unes par les autres toutes les parties du monde, comme en musique, les derniers tons se fondent avec les premiers, par une gradation merveilleuse. Vous retrouvez dans l’univers le parfait ensemble de ce chant immortel qu’a fait entendre le Verbe, de ce concert divin où tout se tient, s’harmonise, se répond, la fin avec le milieu, le milieu avec le commencement. Ce ne sont plus les accords du chantre de Thrace, semblables à ceux dont Tubal fut l’inventeur, mais les accents qu’imitait David, et qu’inspirait le Dieu qui fit le monde. Le Verbe de Dieu, né de David, bien qu’il fut avant lui, a rejeté la harpe, la lyre, tous les instruments inanimés. Mais accordant avec l’Esprit-Saint et le monde, et l’homme qui est à lui seul un monde, mettant en harmonie son corps et son âme avec ce même esprit, il a fait une lyre vivante, un instrument à plusieurs voix pour célébrer le Dieu créateur ; il chante, et l’homme, principale voix du concert, lui répond. Car c’est de lui qu’il est dit : « Vous êtes tout à la fois ma lyre, ma flûte, mon temple ; » lyre, par l’harmonie des accords ; flûte, par le souffle de l’Esprit saint, temple, par la présence du Verbe. Celle-ci résonne, celle-là soupire, dans l’autre habite le Seigneur. Aussi David, dont les mains royales touchaient la lyre, exhortait l’homme à la vérité, et le détournait du culte des démons. Il ne les chantait pas dans ses sublimes cantiques, lui qui les chassait par les sons d’une lyre qui ne savait pas tromper, lui qui n’avait besoin que de faire retentir ses cordes harmonieuses pour délivrer Saül de l’esprit malin qui le torturait, et rendre la paix à son cœur.
L’homme, fait à l’image de Dieu, n’est pas le seul instrument animé, merveilleux : il en est un autre plus saint, plus complet, sans la moindre discordance ; c’est la sagesse souveraine, c’est le Verbe de Dieu descendu du ciel.
6 Que veut cette lyre, le Verbe divin, notre souverain maître ? Quel est le but de ces accords nouveaux ? Rendre la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, redresser les boiteux, ramener dans les voies de la justice ceux qui s’égarent, révéler Dieu à ceux qui l’ignorent, détruire la corruption, dompter la mort, réconcilier avec leur père des enfants rebelles. Cette lyre divine est tout amour pour l’homme : le Verbe a pitié de lui, il l’exhorte, il le presse, il l’aiguillonne ; il l’avertit de ses écarts, il le protège contre ses ennemis, il le couvre de sa miséricorde ; elle déborde sur lui comme d’un vase ; c’est peu de l’instruire, elle lui montre le ciel comme récompense ; la sienne à lui c’est le bonheur de nous sauver. L’esprit de mensonge se nourrit de nos larmes, se repaît de notre mort ; mais la vérité, comme l’innocente abeille, qui jamais ne flétrit la fleur sur laquelle elle repose, se réjouit de notre salut. Vous voyez l’étendue de ses promesses, vous connaissez la tendresse de son amour ; venez donc à ce Dieu, prenez part à ses faveurs, emparez-vous de la grâce.
Mais ce cantique, ce concert dont je vous parle, ne les croyez pas nouveaux à la manière d’un vase qu’on façonne, d’un édifice qu’on élève. Car ils étaient avant l’astre du jour. Au commencement était le Verbe, il était en Dieu, et le Verbe était Dieu. C’est l’erreur qui est ancienne, dites-vous, la vérité est nouvelle. Que des chèvres prophétiques fassent des Phrygiens un peuple très-ancien ; que les poètes donnent aux Arcadiens une existence antérieure à la lune ; que les Égyptiens, à leur tour, nous racontent leurs rêves et prétendent que leur terre a vu naître les hommes et les dieux : toutefois aucun de ces peuples ne peut se vanter d’être né avant ce monde. Eh bien ! nous étions avant qu’il fut fait, notre future existence était déjà déterminée ; nous vivions dans la pensée de Dieu.
Nous sommes les êtres raisonnables sortis du Verbe divin, l’éternelle raison ; nous tirons de lui notre origine. Par lui, nous sommes donc les premiers de tous ; car le Verbe était au commencement. Il existait avant que les bases du monde fussent posées, dès lors il a toujours été ce qu’il est, le principe fécond, la pensée divine de toutes choses. Mais, comme il a voulu paraître sur la terre dans ces derniers temps, sous le nom de Christ, ce nom si saint, si auguste qu’il avait reçu dès les premiers jours, voilà pourquoi nous l’appelons le cantique nouveau, la doctrine nouvelle.
7 Ainsi donc le Verbe, c’est-à-dire le Christ, ne nous a pas seulement donné la vie, car il était en Dieu ; mais il nous l’a donnée heureuse. Il a paru sur la terre ce Verbe, seul tout à la fois, Dieu et homme, pour nous apporter tous les biens. À son école, les mœurs s’épurent, l’homme se sanctifie et passe à une vie éternelle, selon ces divines paroles d’un de ses apôtres : « La grâce du Sauveur s’est révélée à tous pour nous apprendre à renoncer à l’impiété et aux désirs du siècle, et à vivre dans le siècle avec tempérance, avec justice, avec piété, attendant toujours l’heureux objet de notre espérance, et l’avènement glorieux du grand Dieu, notre Sauveur Jésus-Christ. » Le voilà donc ce cantique nouveau chanté par le Verbe, qui n’était pas seulement au commencement, mais avant le commencement de toutes choses ; sa lumière a brillé sur nous : il vient d’apparaître ce Dieu sauveur qui existait dès longtemps ; il s’est manifesté celui qui est l’être renfermé dans l’être. Le Verbe qui était dans Dieu, le Verbe par qui tout a été fait, a paru sur la terré, il est devenu le précepteur des hommes. Comme créateur, il nous a donné la vie ; comme docteur, il nous apprend à bien vivre ; comme Dieu, il nous ouvre l’éternité.
Ce c’est point d’aujourd’hui qu’il s’est attendri sur nos maux, il les a pris en pitié dès les premiers jours du monde. S’il a paru dans les derniers temps, c’est que nous nous enfoncions dans la mort, nous allions périr. Car, jusqu’à ce jour, le perfide serpent n’a cessé, par ses funestes enchantements, de séduire les hommes et de les retenir dans la plus honteuse et la plus déplorable servitude. Sa cruauté ressemble à celle de ces rois barbares qui enchaînaient leurs captifs à des cadavres, les laissant pourrir ensemble dans cet affreux embrassement de la vie et de la mort. S’emparer de l’homme dès son berceau, comme fait le démon, ce cruel tyran, le prosterner au pied de vaines statues, de ridicules idoles, l’attacher par le lien honteux de la superstition à la pierre ou au bois, n’est-ce pas accoupler les vivants avec les morts et les jeter dans un commun tombeau pour s’y corrompre et pourrir ensemble ?
Le séducteur n’a pas changé : Vous le trouvez le même à toutes les époques ; comme il a entraîné autrefois Ève dans la mort, il y précipite encore aujourd’hui ses enfants ; mais le Verbe est toujours notre appui et notre vengeur. Le salut qu’il nous annonçait dès le commencement, d’une manière symbolique, mais aujourd’hui sans figure, et dans les termes les plus clairs, il nous presse de nous en emparer.
8 Fuyons, nous dit-il par un apôtre, fuyons le prince des puissances de l’air, fuyons l’esprit qui agit maintenant sur les enfants d’incrédulité ; mais fuyons entre les bras du Dieu sauveur qui nous appelle au salut par tant de prodiges opérés dans la terre d’Égypte et dans le désert, tel que le buisson ardent, telle que la nuée lumineuse, esclave obéissante, qu’une grâce toute divine attachait aux pas des Hébreux.
Les rebelles au cœur dur, il les presse par la crainte. Ceux qui savent écouter, il les amène par la raison à la raison même, qui est le Verbe : il leur parle tantôt par Moïse, ce maître plein de sagesse, tantôt par Isaïe, cet ami de la vérité ; enfin, par le chœur harmonieux de tous les prophètes. Là il emploie le reproche, ici la menace ; il donne des larmes à ceux-ci, il charme ceux-là par ses chants. Médecin habile, il guérit les malades, les uns par une boisson amère, les autres par un doux breuvage. Il soulage la douleur, tantôt par un baume qui l’adoucit, tantôt par le fer qui ouvre la veine. Ailleurs il taille la plaie, ici il la brûle. Que ne fait-il pas pour guérir le membre qui souffre. Ce Dieu sauveur emploie tous les langages, essaye de tous les moyens pour amener l’homme au salut. Il avertit par ses menaces, il réveille par ses reproches ; il attire par ses chants, il s’attendrit et pleure lui-même. Il fait entendre sa voix du milieu d’un buisson, quand il faut le langage des prodiges ; il épouvante par le feu de la colonne suspendue dans les airs ; il en fait jaillir la flamme, signe tout à la fois de colère et de clémence ; flambeau qui éclaire l’homme docile, foudre qui écrase le rebelle.
Mais, comme la bouche humaine est un interprète du ciel plus noble qu’un buisson ou une colonne, il a fait entendre la voix des prophètes, ou plutôt il parlait lui-même par Isaïe, par Hélie, par d’autres hommes qu’il inspirait ; et qui lui prêtaient leur voix. Si vous refusez d’ajouter foi aux prophètes, si vous placez et les hommes et le feu de la colonne ou du buisson au rang des fables, il parlera lui-même ce Verbe qui, possédant la nature divine, n’a pas cru que c’était usurpation de sa part de s’égaler à Dieu, et qui s’est anéanti, Dieu de miséricorde, pour sauver l’homme.
Ô homme ! le Verbe lui-même te parle à haute voix, pour te faire rougir de ton incrédulité. Dieu fait homme, il t’apprend comment l’homme peut devenir Dieu.
9 Quelle conduite plus étrange que la nôtre ! Un Dieu nous exhorte sans cesse à la vertu et nous repoussons le salut qu’il nous offre ; nous foulons aux pieds ses bienfaits. Jean ne nous presse-t-il pas d’accourir à ce Dieu ? A-t-il été autre chose qu’une voix qui ne savait que presser, exhorter les hommes ? Demandez-lui, en effet, ce qu’il est ? d’où il vient ? Il dit qu’il n’est pas Hélie. Il déclare qu’il n’est pas le Christ, mais une voix qui crie dans le désert. Qu’est-ce donc que Jean ? Nous pouvons le dire maintenant, c’est une voix, la voix du Verbe, qui exhorte sans cesse et crie dans le désert. Que proclamez-vous, ô voix ! Parlez-nous aussi. Rendez droits les sentiers du Seigneur, nous dit-elle. Jean est donc le précurseur ; c’est la voix qui précède le Verbe, c’est la voix d’exhortation qui ouvre le chemin du salut, c’est la voix qui appelle à l’héritage céleste. Par elle, la créature stérile et abandonnée est devenue féconde. Fécondité prédite par la voix de l’ange, qui fut un autre précurseur, annonçant la bonne nouvelle à la femme stérile, comme Jean l’annonçait au désert. Grâce à cette voix de salut, la femme stérile devient mère, et la terre qui ne donnait que des ronces produit des fruits. Ces deux voix qui précèdent le Seigneur, l’une de l’ange et l’autre de Jean, ne désignent-elles pas le salut tenu en réserve, et la vie éternelle, ce fruit de notre fécondité qui nous reste à cueillir, depuis que le Verbe a paru sur la terre. L’Écriture réunit ces deux voix et nous explique tout le mystère par ces paroles : « Réjouis-toi, stérile qui n’enfantes pas ; pousse des cris de joie, toi qui n’avais pas d’enfants ; l’épouse abandonnée est devenue plus féconde que celle qui était mariée. » L’ange nous annonce un époux ; Jean nous montre tout à la fois un cultivateur et un époux ; car c’est le même qui épouse la femme stérile et qui cultive la terre abandonnée, fécondant et le désert et la stérilité par une vertu toute divine.
La femme libre, je veux dire l’épouse, se glorifiait de ses nombreux enfants, mais son infidélité lui a ravi sa florissante postérité. Une autre épouse restait stérile, une terre restait sans culture, celle-ci reçut un cultivateur, celle-là un époux. L’une donne du fruit, l’autre des fidèles ; toutes deux fécondées par la vertu du Verbe. La stérilité et le désert sont encore le partage de ceux qui restent dans leur incrédulité.
10 C’est pourquoi Jean, le héraut du Verbe, nous annonce son avènement et veut que nous soyons prêts. Voilà ce que signifiait le silence de Zacharie, il attendait ce fruit précurseur du Christ. Le Verbe, cette lumière de vérité, devait, par l’Évangile, rompre le silence des obscurités prophétiques.
Désirez-vous le voir, ce Dieu de vérité ? Purifiez-vous comme il le demande. Il ne faut ici ni couronne de laurier, ni bandelettes de pourpre ou de laine. Que la justice, unie à la tempérance, soit votre parure ; que votre âme resplendisse de l’éclat de la vertu et vous trouverez Jésus-Christ. Je suis la porte, dit-il, voilà ce qu’il faut apprendre à ceux qui veulent parvenir à la vérité, et par elle, voir s’ouvrir devant eux toutes les avenues du ciel. Les portes du Verbe ou de le raison sont intelligentes, et la clé qui les ouvre, c’est la foi. Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils aura bien voulu le révéler. Nul doute que celui qui nous a ouvert la porte auparavant fermée ne fasse briller à nos yeux les merveilles cachées au fond du sanctuaire ; ceux que le Christ y conduit peuvent seuls les connaître. Lui seul nous découvre les mystères de Dieu.