Préface sur la mort de Constantin.
Nous avons vu deux fois les réjouissances publiques, avec lesquelles tous les peuples ont célébré en l’honneur de l’empereur, les jeux qui se renouvèlent de dix en dix ans, depuis le commencement de son règne. En la vingtième année, j’eus l’honneur de relever la grandeur de ses victoires, par un discours que je prononçai en présence des saints évêques au milieu desquels il était. Depuis peu, et en la trentième année de son empire, je fis dans son palais un autre panégyrique à sa louange. Je voudrais bien continuer maintenant son éloge. Mais la nouveauté des objets qui m’environnent, me donne de l’étonnement et me réduit au silence. De quelque côté que je me tourne, soit vers l’Orient, soit vers l’Occident, que je regarde le ciel ou la terre, l’image de ce prince le présente à moi. Je vois les princes ses enfants, qui comme de nouveaux astres, répandent par tout l’univers la splendeur de sa puissance et le font régner avec une autorité plus absolue que jamais. Ils ne jouissaient pendant sa vie que de la dignité de Césars. Mais maintenant, ils ont succédé à tous ses titres aussi bien qu’à sa piété.
Suite de la préface.
J’avoue que je suis ravi d’admiration, quand je considère que cet empereur qui conversait, il y a peu de jours parmi nous dans un corps mortel, reçoit, après sa mort, et lorsque la nature rejette tout ce qui lui est inutile, les mêmes honneurs et les mêmes louanges qu’il recevait durant sa vie. Si je porte mon esprit jusqu’au ciel, et que j’y voie sa bienheureuse âme, qui s’est dépouillée d’un vêtement corruptible, pour se revêtir de l’immortalité, et qui a changé un royaume temporel et sujet à mille faiblesses, avec un autre qui est éternel, et qui n’a ni imperfection, ni défaut, je demeure comme interdit, me condamne moi-même au silence et laisse le soin de le louer à la Parole éternelle et divine, qui peut seule confirmer invinciblement la vérité de ce qu’elle avance.
Sur Dieu qui honore les empereurs pieux et fait mourir les tyrans.
Cette Parole infaillible et immuable a fait voir, dès cette vie, l’accomplissement de ce qu’Elle avait prédit : que ceux qui L’honoreraient, en seraient récompensés, et que ceux qui se déclareraient ses ennemis seraient les auteurs de leur propre ruine. Elle a montré combien la fin des tyrans, qui prennent les armes contre Dieu, est funeste et combien la mort qui a terminé l’heureuse vie de Constantin est elle-même heureuse, souhaitable, louable et digne d’être consacrée par des monuments solides et durables. Les hommes, qui d’eux-mêmes ne sont que faiblesse, ont trouvé une faible consolation contre la mort, quand ils ont fait le portrait de ceux qu’ils voulaient honorer et qu’ils ont espéré d’éterniser leur mémoire, ou par une image de cire, ou par une statue, ou par une inscription gravée sur le bois ou sur la pierre. Il ne faut pas un fort long espace de temps pour détruire ces monuments, qui ne représentent que le corps et qui ne conservent rien de l’âme. Cependant ceux dont l’espérance a les mêmes bornes que leur vie s’en sont contentés. Mais Dieu, qui est le commun Sauveur de tous les hommes et qui prépare aux personnes de piété des récompenses qui vont au-dessus de nos pensées, leur en donne comme un gage et un échantillon dès ici-bas : ce sont les promesses contenues dans les livres des prophètes et accomplies en la personne de ceux qui ont été éminents en sainteté ; ce fut démontré en notre temps par Constantin qui, s’étant seul, parmi ceux qui ont eu le pouvoir chez les Romains, rendu l’ami de Dieu, a été proposé à notre siècle comme un parfait modèle de piété.
Que Dieu honore Constantin.
Dieu, qui l’avait choisi pour autoriser la piété dans toute l’étendue de l’univers, lui a été favorable durant le cours de son règne, et ce depuis le commencement jusqu’à la fin. Il l’a mis seul entre les princes sur un lieu élevé, comme une éclatante lumière pour éclairer tous les peuples et comme un éloquent prédicateur pour publier les saintes maximes de la véritable religion.
Qu’il a régné pieusement pendant trente ans et qu’il a vécu plus de soixante ans.
Dieu l’a maintenu un peu plus de trente ans sur le trône, et un peu plus de soixante ans sur la terre. Comme Il l’avait destiné pour être une image vivante de sa puissance, Il l’a fait triompher de l’orgueil aveugle et de l’impiété désespérée des tyrans et des géants, qui avaient pris les armes contre la majesté souveraine et éternelle. Pour eux, ils sont disparus, presque aussitôt qu’ils avaient commencé de paraître, au lieu que Dieu, qui est seul, a armé son serviteur seul contre la multitude des impies, lui a donné la force de les exterminer de dessus la terre et l’a établi comme le docteur de tous les peuples, qui déclare hautement qu’il ne connaît qu’un Dieu et qu’il déteste les idoles.
Qu’il fut serviteur de Dieu et vainqueur des nations.
Il fit gloire de se dire serviteur de Dieu et s’acquitta fidèlement des devoirs auxquels cette qualité oblige. Dieu, en récompense, le rendit maître de ses ennemis, lui accorda de plus glorieuses victoires qu’il ait jamais accordées à aucun autre, étendit son autorité sur un plus grand nombre de nations que celle de ses prédécesseurs ne s’était jamais étendue et le combla d’un bonheur qui ne fut interrompu d’aucune disgrâce dans tout le cours de son règne.
Constantin comparé à Cyrus et à Alexandre.
L’ancienne histoire n’a jamais célébré aucun prince qui ait paru sur le trône avec autant d’éclat que Cyrus. Cependant toute sa vie n’a pas été heureuse, puisque sa mort a été infâme et que non seulement elle a été violente, mais qu’elle lui a été procurée par une femme. Les Grecs publient qu’Alexandre réduisit à son obéissance une infinité de nations. Mais ils demeurent aussi d’accord qu’ayant ruiné sa santé par l’ivrognerie et par les débauches, il périt misérablement, avant d’être parvenu à un âge parfait. Il ne vécut que trente-deux ans et n’en régna pas plus que dix. Il passa avec une impétuosité égale à celle de la foudre, ruina les villes et réduisit en servitude les nations. Mais à l’époque où il pleurait la perte d’un jeune garçon, dont il avait été éperdument amoureux, la mort l’enleva dans la fleur de sa jeunesse, et dans un pays étranger, sans enfants, sans postérité, de peur qu’il ne troublât plus longtemps la tranquillité publique. Son royaume fut partagé à l’heure même par les officiers qui avaient autrefois combattu sous ses enseignes. Ce n’est cependant qu’à l’excès de ces désordres qu’il doit sa réputation, et on ne le loue que de ce qu’il a commis tant de crimes.
Il réduit presque tout l’univers à son obéissance.
Notre empereur commença de régner à l’âge, auquel ce roi de Macédoine cessa de vivre. Mais il vécut deux fois autant de temps que lui et en régna trois fois autant ; après avoir établi dans son armée une discipline toute conforme à la modestie et à la piété chrétienne, il la mena jusqu’en Angleterre. Il réduisit à son obéissance la Scythie, ce pays qui s’étend si avant dans le Nord et qui est habité par divers peuples. Il étendit les bornes de son Empire d’un côté jusqu’en Éthiopie vers le Midi, et de l’autre vers l’Orient. Il répandit la lumière de sa piété jusqu’aux Indes et gagna l’affection des princes, des seigneurs et des satrapes au point où ils lui envoyaient des ambassadeurs et des présents, qu’ils lui érigeaient des statues dans leur pays et qu’ils y rendaient son nom plus célèbre que n’avait jamais été celui d’aucun empereur. Il faut pourtant avouer qu’il souhaitait bien moins d’être connu de ces peuples que de leur faire connaître Dieu, dont il publiait la gloire.
Fils pieux de son père, Constantin laisse à ses enfants le pouvoir qu’il avait reçu de son père.
Les paroles par lesquelles il a publié cette gloire ont été soutenues par des actions solides, par la pratique constante de toute sorte de vertus, par la piété, par la libéralité qu’il a exercée envers les amis et ses proches, par la clémence dont il a usé envers ses sujets. Dieu, dont il avait avancé la gloire, a récompensé ses longs travaux d’un règne éternel. Il lui a donné trois fils pour successeurs de sa puissance, et elle passera à leur postérité par une succession continuelle. Il semble qu’il n’y a que Dieu, qui lui a fait des honneurs si extraordinaires sur la terre et qui l’a élevé à une gloire immortelle dans le Ciel, qui puisse tracer dignement son éloge, dont il conserve le sujet écrit en des caractères qui ne se peuvent s’effacer.
L’histoire de la vie de Constantin est nécessaire et même utile aux âmes.
Bien que je comprenne assez combien il est difficile de parler dignement du bonheur de ce prince, et qu’il est sûr et sans danger de me taire. Pour éviter l’accusation de lâcheté et de paresse, je puis néanmoins l’imiter à la manière de la peinture mortelle et lui consacrer une image. Car bien que j’aie fort peu de talent, je crois devoir employer le peu que j’en ai à relever le mérite de ce prince qui s’est pour nous tous occupé à procurer la gloire de Dieu. Je suis même persuadé que ce sera un ouvrage fort utile au public. Ne serait-ce pas une chose honteuse qu’il le soit trouvé d’excellents esprits qui aient écrit l’histoire de Néron, et de quelques autres empereurs encore plus scélérats que lui, et qui aient traité avec beaucoup d’élégance un sujet si odieux et que je passasse sous silence les éminentes qualités d’un prince auquel l’antiquité n’a jamais eu de pareil, et que Dieu m’a fait la grâce non seulement de voir, mais de connaître, et d’entretenir familièrement ? Il me convient mieux qu’à nul autre de publier ce que je fais des vertus de notre empereur et de le faire connaître à ceux que les bons exemples excitent à l’amour de Dieu. Quelques-uns ont entrepris par amitié, par haine, ou par vanité d’écrire des vies où il n’y avait rien de recommandable et des actions qui n’étaient pas bonnes à être imitées. Ils ont quelquefois employé des termes fort magnifiques pour représenter les crimes les plus atroces. Ils ont exposé aux yeux de toute la postérité des actions qui devaient être ensevelies sous les ténèbres et ont enseigné le mal à des personnes innocentes, et qui par une faveur particulière de Dieu n’en avaient pas connaissance. Je n’ai pas comme eux les avantages de l’éloquence pour embellir mon sujet. Mais j’ai un sujet dont la beauté peut donner des ornements au discours. Ceux qui apportent à la lecture un esprit bien disposé n’en sauraient faire de si utiles que celles qui contiennent des actions de piété.
Qu’il ne sera parlé dans la vie de Constantin que des actions qui étaient aimées de Dieu.
C’est pourquoi je ne crois pas devoir maintenant représenter les guerres, les batailles, les victoires, les triomphes de Constantin, ni les lois qu’il a faites pour le gouvernement de son état, et pour le bien des sujets. Je passerai sous silence toutes ses autres entreprises et ne parlerai que de celles qui regardent le service de Dieu. Je choisirai les plus propres à être transmises à la postérité et en ferai le récit en moins de paroles qu’il me sera possible. C’est ici le temps de publier avec une entière liberté les louanges de cet incomparable empereur. Il ne m’était pas permis de le faire durant sa vie à cause des changements auxquels l’inconstance imprévisible de la vie. Je prie Dieu et son Verbe Divin de m’aider dans ce travail. Je le commencerai par le récit de ce qui arriva à l’homme dès sa jeunesse.
Constantin fut élevé dans le palais des tyrans, comme Moïse l’avait été.
Il est rapporté dans l’ancienne histoire que le peuple hébreux fut autrefois tyrannisé par les rois d’Égypte. Mais quand Dieu jugea bon de les délivrer du joug de cette injuste domination, il disposa de telle sorte de l’éducation de Moïse, qu’il fut élevé dans le palais des tyrans et qu’il y apprit les maximes du pays. Lorsqu’il fut parvenu à âge d’homme et que la justice divine voulut venger les innocents et châtier leurs persécuteurs, le prophète sortit de la cour pour exécuter les ordres de Dieu. Il se sépara des tyrans, qui l’avaient nourri dans son bas âge, et se joignit à ses frères. Dieu l’établit chef de toute la nation, les délivra de la servitude par son ministère et fit tomber du ciel les châtiments sur les tyrans qui les avaient opprimés. Cette ancienne histoire est connue de tout le monde, bien qu’elle soit prise par plusieurs pour un mythe. Le même Dieu a produit en notre siècle un miracle qui n’a rien de fabuleux et qui, ayant été exposé à nos propres yeux, est plus certain que tout ce que nous saurions apprendre par le rapport d’autrui. Les tyrans ont pris les armes contre Dieu et persécuté son Église. Constantin, qui les a depuis exterminés, a vécu avec eux dans sa jeunesse, comme Moïse la fidèle serviteur de Dieu avait vécu avec ceux d’Égypte. Bien qu’il fût en un âge fort susceptible de mauvaises impressions, il ne prit aucune part à la corruption de leurs mœurs. La bonté de son naturel, soutenue par l’Esprit de Dieu, ne se porta qu’à la piété, à laquelle il fut aussi excité par l’exemple de son père. Nous ne saurions nous dispenser de parler de ce père si célèbre, de Constance, le plus illustre empereur de notre siècle, ni de remarquer en peu de paroles ce qu’il y a dans si vie qui peut relever la gloire de son fils.
Que Constance n’approuva pas les persécutions des chrétiens par Dioclétien et Maxence.
Pendant que l’Empire était gouverné par quatre princes, Constance garda une conduite toute contraire à celle des autres et entretint inviolablement la paix avec Dieu. Il s’éloigna toujours de l’impiété avec laquelle ils attaquèrent l’Église et ruinèrent de fond en comble les lieux de nos assemblées et de nos prières. Il ne souilla jamais comme eux sa conscience par l’effusion du sang innocent. Jamais il ne s’assujettit, comme eux au culte des idoles, et jamais il ne contraignit comme eux ses sujets de subir le joug de la même servitude. Il procura aux peuples une paix profonde, à la faveur de laquelle ils pouvaient vaquer sûrement aux exercices de la piété. Au lieu que les autres empereurs surchargèrent si fort leurs sujets d’impositions qu’ils leur rendirent la vie plus fâcheuse et plus insupportable que la mort, Constance gouverna les siens avec une douceur paternelle. Comme ses louanges sont dans la bouche de tout le monde, je ne choisirai qu’une ou deux de ses actions, par où l’on pourra juger du reste, et je commencerai à traiter le sujet que je me suis proposé.
Comment son père, à qui Dioclétien avait reproché sa pauvreté, remplit le trésor public et rendit à ses sujets tout ce qu’ils y avaient apporté.
Comme Constance avait une grande réputation de modération, de douceur, de piété, et qu’en effet il traitait si favorablement ses sujets, que son trésor était presque épuisé, Dioclétien, qui était le premier et le plus ancien des empereurs, envoya lui reprocher le peu de soin qu’il prenait des intérêts de l’État, et la pauvreté à laquelle il se réduisait lui-même par sa négligence. Constance ordonna aux ambassadeurs de Dioclétien de demeurer quelque temps à la cour, et à l’heure même, ayant envoyé quérir les plus riches de ses sujets, il leur déclara qu’il avait besoin d’argent, et que c’était une occasion où ils pouvaient lui donner des preuves de l’affection qu’ils avaient à son service. Il n’y eut personne qui ne portât avec joie de l’or, de l’argent et des meubles précieux au trésor royal et qui ne s’empressât d’exécuter les ordres de son prince avec plus d’ardeur et de zèle que les autres. Quand le trésor royal fut rempli d’un amas prodigieux de toute sorte de richesses, Constance les montra aux ambassadeurs de Dioclétien et leur dit qu’il y avait longtemps qu’elles étaient à lui et qu’il les avait laissées jusqu’alors, comme en dépôt entre les mains de ses sujets. Les ambassadeurs s’en retournèrent fort surpris. On dit qu’aussitôt qu’ils furent partis, Constance loua l’affection que ses sujets lui avaient témoignée et leur rendit ce qu’ils avaient apporté à son trésor. Cette action est sans doute une grande marque de sa douceur. J’en rapporterai une autre qui est une preuve de sa piété envers l’être divin.
Persécution excitée par les autres.
Les gouverneurs des provinces persécutèrent par l’ordre de Dioclétien tous ceux qui étaient chrétiens. Les premiers qui combattirent pour la défense de la religion et qui s’exposèrent au fer, au feu et à toute sorte de périls et de supplices, furent des officiers de la cour. Les princes qui les condamnèrent à la mort perdirent par leur faute les adorateurs de Dieu et se privèrent du fruit des prières qu’ils faisaient pour la prospérité de l’Empire.
Comment son père, en feignant l’idolâtrie, chassa de son palais les chrétiens, qui avaient voulu sacrifier aux idoles et y retint ceux qui avaient confessé leur foi.
Constance, au lieu de suivre leur exemple, prit une résolution pleine d’une rare sagesse, et se porta à une action fort merveilleuse et que l’on ne saurait entendre, sans être surpris d’étonnement. Il donna le choix à tous les officiers de la cour, et même aux juges qui étaient élevés aux premières dignités, ou de sacrifier aux idoles et de conserver leur rang et leurs charges en sacrifiant, ou, s’ils refusaient de sacrifier, de perdre leurs charges et ses bonnes grâces. Lorsqu’ils se furent déclarés et que les uns eurent pris un parti et les autres un autre, Constance découvrit le secret qu’il avait tenu caché jusqu’alors, blâma le trop grand désir que les uns avaient de conserver leur bien et leur vie, les déclara incapables de leurs charges et jugea qu’ayant été infidèles à Dieu, ils ne seraient pas fidèles à leur prince. Il loua au contraire la fidélité des autres, jugea qu’ils ne seraient pas moins attachés au service de leur maître, qu’ils l’étaient à celui de leur Dieu, qu’ils défendraient l’Empire avec plus de courage que les autres, et qu’ils en seraient la principale force, et le plus riche trésor.
Du choix du Christ qu’il fit.
Voilà le souvenir que je voulais proposer du père de Constantin. Quiconque considérera avec quelque attention, la manière dont il est mort reconnaitra aisément la différence que Dieu a voulu mettre entre sa fin et celle des autres princes. Après avoir donné durant plusieurs années l’exemple de toutes les vertus dignes d’un grand empereur, après avoir reconnu le seul Dieu qui a créé l’univers et avoir condamné le polythéisme des athées, il fortifia son palais par les prières des personnes de piété et passa le reste de sa vie avec autant de repos que de réputation. Il jouit de ce bonheur si rare que plusieurs font consister à ne recevoir aucune injure et à n’en faire à personne. Durant le cours paisible de son règne, il confiera toute sa famille, l’impératrice sa femme, et les princes ses enfants au service de Dieu, qui est l’unique Souverain. Sa cour était une assemblée de véritables fidèles, parmi lesquels il y avait de saints ministres, qui faisaient de continuelles prières pour la conservation de la personne du prince, tandis que, dans la cour des autres empereurs, il n’était pas permis de parler des pieux.
Après l’abdication de Dioclétien et de Maximien, Constance se trouva premier Auguste, avec un grand nombre d’enfants.
Dieu ne laissa pas sa piète sans récompense. Il eut bientôt après le premier rang parmi les empereurs. Les deux plus anciens ayant renoncé par je ne sais quel motif à la souveraine puissance, en la seconde année de la persécution, il fut reconnu en qualité de premier. Il y avait longtemps qu’il avait été déclaré César avec Galère. Mais après qu’il eut rempli cette dignité avec beaucoup de gloire, il fut élevé au comble des honneurs, et proclamé le premier des empereurs. Il eut un plus grand nombre d’enfants qu’aucun de ses collègues. Lorsqu’il fut prêt de payer, dans une extrême vieillesse, le tribut que tous les hommes doivent à la nature, Dieu fit en sorte que Constantin, son fils aîné, se trouva présent pour recueillir la succession de l’autorité souveraine.
Son fils, jeune, fit un voyage en Palestine avec Dioclétien.
Constantin vivait alors au milieu des collègues de Constance son père, comme Moïse avait vécu dans la cour des rois d’Égypte. Lorsqu’il fut passé de l’enfance à l’adolescence, il se mit en grande considération auprès d’eux. Je le vis alors passer par la Palestine à côté de Dioclétien le plus ancien des empereurs : tout le monde courait en foule pour le voir et pour admirer les marques de générosité et d’élévation qui paraissaient sur son visage. Il n’y avait personne qu’il ne surpassât en hauteur, en bonne mine et en force au point où il faisait peur. Il était pourtant beaucoup plus avantageusement partagé des vertus de l’âme que de celles du corps. Il ornait son âme de santé d’esprit, de réflexivité complétée par l’éducation et d’une sagesse donnée par Dieu.
Retour de Constantin auprès de son père à cause des intrigues de Dioclétien.
L’ardeur de son courage et l’élévation de son âme, donnèrent de la jalousie et de la crainte aux autres empereurs. Quand il eut découvert leur mauvais dessein et les pièges qu’ils lui avaient dressés il s’enfuit comme Moïse et alla trouver son père. Dieu le favorisa en tout cela d’une protection si visible que l’injustice de ses ennemis lui ouvrit en quelque sorte le chemin, par où il arriva à l’Empire.
Mort de Constance, qui laissa l’empire à son fils Constantin.
Constantin, ayant heureusement évité le piège que ses ennemis lui avaient dressé, arriva enfin après un long voyage auprès de Constance son père, qu’il trouva proche de sa fin. Lorsqu’il le vit de retour en un temps où il ne l’avait pas espéré, il se leva de son séant, l’embrassa étroitement, assura qu’il était délivré par sa présence des inquiétudes, dont il avait été agité, remercia Dieu de lui avoir fait cette grâce et témoigna qu’il était content de mourir. Ayant ensuite mis ordre à ses affaires et pris congé de ses fils et de ses filles, qui entouraient son lit, il laissa, selon la loi de la nature, son Empire à Constantin, son fils aîné, et passa de cette vie à une autre.
Comment les armées proclamèrent.
Constantin empereur lors des funérailles de Constance. L’Empire ne vaqua pas par la mort de Constance. Constantin se revêtit à l’heure même de la pourpre impériale et fit renaître en sa personne toutes les vertus de son père. Puis à la tête du cortège funèbre, entouré des amis de son père, il conduisait les obsèques de celui-ci. Une foule innombrable et une escorte de garde du corps, les uns en tête, les autres par derrière, accompagnaient en grande pompe celui qui était aimé de Dieu. Tous honoraient le trois fois bienheureux de bénédictions et d’hymnes ; d’un seul cœur et d’une seule voix, ils glorifiaient l’avènement de l’enfant comme un retour à la vie du père et leurs premières paroles étaient pour acclamer aussitôt, par des cris de bénédiction, le nouvel empereur comme souverain, vénérable et auguste. Les funérailles du prince défunt furent célébrées avec une pompe extraordinaire. L’air retentissait des cris de tout le peuple, qui témoignaient qu’il trouvait heureusement le père dans le fils et qu’il se réjouissait de lui voir prendre possession de l’autorité absolue. Les provinces étaient ravies de joie de ce que Dieu avait si promptement pourvu à leurs besoins.
La chute des tyrans : un bref rappel.
Je ne crois pas devoir parler ici de la mort de ceux qui ont persécuté l’Église, ni déshonoré la mémoire des bons princes par le récit des crimes des méchants. Les malheurs qui leur sont arrivés sont plus que suffisants pour instruire et pour corriger ceux qui en ont été témoins.
Que Constantin parvint à l’Empire par la volonté de Dieu.
Voilà comment Dieu, qui a créé l’univers par sa puissance et qui le gouverne par sa sagesse, a élevé lui-même sur le trône Constantin, fils de Constance, de sorte qu’il s’est réservé à lui seul la gloire de sa promotion au lieu que celle des autres princes appartient aux hommes.
Victoires de Constantin sur les barbares et les Bretons.
Dès qu’il fut en possession de la souveraine puissance, il visita les provinces qui avaient relevé de l’obéissance de son père et y donna tous les ordres nécessaires. Il dompta les tribus barbares qui habitent sur les bords du Rhin et de l’Océan, réprima leur insolence et apaisa leur fureur. Il y en eut d’autres, qu’il se contenta d’arrêter par la crainte, et de retenir au-delà de leurs frontières ; et c’étaient des naturels farouches et intraitables, qu’il ne pouvait porter par aucun moyen à entretenir une vie paisible. Après être venu heureusement à bout de ces desseins-là, il jeta les yeux d’un autre côté, passa chez les Bretons et la réduisit à son obéissance ; les ayant soumis, il examinait les autres parties du tout pour leur apporter les soins dont ils avaient besoin.
Comment Constantin se proposa de libérer Rome de Maxence.
Considérant ensuite l’univers comme un vaste corps, dont Rome était comme le chef, qui gémissait sous la domination d’un tyran, il crut d’abord que les princes qui gouvernaient les autres parties de l’Empire et qui le surpassaient en âge devaient employer leur puissance pour la mettre en liberté. Mais quand il vit que ceux qui l’avaient entrepris n’en avaient remporté que de la honte et que nul autre n’était en état de l’entreprendre, il protesta qu’il ne pouvait voir la capitale du monde dans l’oppression et prit les armes pour exterminer la tyrannie.
Qu’après avoir décidé de ruiner les idolâtres, Constantin choisit le christianisme.
Comme il était persuadé qu’il avait besoin d’une puissance plus considérable et plus invincible que celle des armées pour dissiper les illusions de la magie dans lesquelles le tyran mettait sa principale confiance, il eut recours à la protection de Dieu. Il délibéra d’abord sur le choix de celui qu’il devait reconnaître. Il considéra que la plupart de ses prédécesseurs, qui avaient adoré plusieurs dieux et qui leur avaient offert de l’encens et des sacrifices, avaient été trompés par des prédictions pleines de flatterie et par des oracles qui ne leur promettaient que d’heureux succès et qu’ils avaient enfin péri misérablement, sans qu’aucun de leurs dieux se soit mis en peine de les secourir. [Il considéra] que son père avait seul reconnu leur égarement et seul pris le bon chemin, qu’il n’avait adoré que Dieu durant toute sa vie, et que Dieu avait été en récompense son protecteur, le conservateur de son Empire et l’auteur de tous ses biens. Il fit une sérieuse réflexion sur la multitude des maux dont avaient été accablés ceux qui avaient suivi une multitude de dieux, et reconnut qu’aucun d’eux n’avait laissé de postérité, ni même la moindre mémoire de son nom au lieu que le Dieu de son père lui avait donné d’illustres preuves de sa puissance. Il remarqua aussi que ceux qui en prenant les armes contre le tyran avaient mis leur espérance dans la protection des dieux n’en avaient tiré aucun avantage, l’un étant revenu avec ses troupes, sans avoir rien fait de considérable, et l’autre ayant été tué au milieu de son armée. Après avoir longtemps médité toutes ces raisons, il jugea que c’était la dernière de toutes les extravagances d’adorer des idoles, de la faiblesse et du néant desquelles il avait des preuves si convaincantes, et il se résolut d’adorer le Dieu de son père.
Comment Dieu lui envoya une vision pendant qu’il priait : une croix de lumière dans le ciel à midi et un écrit indiquant qu’il vaincrait par ce signe.
Constantin implora la protection de ce Dieu, Le pria de Se faire connaître à lui et de l’assister dans l’état où se trouvaient ses affaires. Pendant qu’il faisait cette prière, il eut une merveilleuse vision et qui paraîtrait peut être incroyable, si elle était rapportée par un autre. Mais personne ne doit faire difficulté de la croire puisque ce prince me l’a racontée lui-même longtemps depuis, lorsque j’ai eu l’honneur d’entrer dans ses bonnes grâces et que l’événement en a confirmé la vérité. Il assurait qu’il avait vu en plein midi une croix lumineuse avec cette inscription : « Vainquez par ce signe », et qu’il fut extrêmement étonné de ce spectacle, de même que ses soldats qui le suivaient.
Comment le Christ de Dieu lui apparut dans un songe et lui ordonna d’utiliser le signe de la croix contre ses ennemis.
Cette vision fit une si forte impression dans l’esprit de Constantin qu’il en était encore tout occupé la nuit suivante. Durant son sommeil, le Christ de Dieu lui apparut avec le même signe qu’il lui avait montré en l’air durant le jour et lui commanda de faire un étendard de la même forme et de le porter dans les combats pour se garantir du danger.
Fabrication du signe de la croix.
Constantin s’étant levé dès la pointe du jour raconta à ses amis le songe qu’il avait eu, et ayant envoyé quérir des orfèvres et des lapidaires, il s’assit au milieu d’eux, leur décrit la figure du signe qu’il avait vu et leur commanda d’en faire un semblable, enrichi d’or, et de pierreries.
Description du signe en forme de croix, que les Romains appellent maintenant labarum.
J’ai vu l’étendard que les orfèvres firent par l’ordre de ce prince, et il m’est aisé d’en décrire ici la figure. C’est comme une pique, couverte de lames d’or, qui a un travers en forme d’antenne qui fait la croix. Il y a au haut de la pique une couronne enrichie d’or et de pierreries. Le nom de notre Sauveur est suggéré sur cette couronne par les deux premières lettres, dont la seconde est un peu coupée. Les empereurs ont porté depuis ces deux mêmes lettres sur leur casque. Il y a un voile de pourpre attaché au bois qui traverse la pique. Ce voile est de figure carrée et couvert de perles, dont l’éclat donne de l’admiration. Comme la pique est fort haute, elle a au bas du voile le portrait de l’empereur et de ses enfants, fait en or jusqu’à demi corps seulement. Constantin s’est toujours couvert dans la guerre de cet étendard comme d’un rempart et en a fait faire d’autres semblables pour les porter dans toutes ses armées.
Comment Constantin, une fois catéchisé, lut les Saintes Écritures.
Mais cela se passa plus tard. À l’époque dite, Constantin ayant l’esprit tout rempli de l’étonnement qu’une vision si extraordinaire lui avait causé, il jugea qu’il n’y avait pas d’autre Dieu qu’il dut reconnaître que celui qui lui était apparu et, ayant envoyé quérir les prêtres et ses ministres, il leur demanda qui était ce Dieu et ce que signifiait la figure si lumineuse et si éclatante qu’il lui avait montrée. Les prêtres lui répondirent que le Dieu qui lui était apparu était le fils unique de Dieu unique, que la figure qui lui avait été montrée, était la marque de l’immortalité, et le trophée de la victoire sur la mort. Ils lui enseignèrent les raisons pour lesquelles il est descendu du Ciel en terre et lui expliquèrent le mystère de son Incarnation. L’empereur les écouta avec une merveilleuse attention. Il compara leurs discours avec la vision qu’il avait eue et ne douta pas qu’ils ne lui enseignent la vérité par l’ordre de Dieu. Il s’appliqua ensuite à la lecture des Saintes Écritures, retint toujours les prêtres auprès de lui, parce qu’il pensait qu’il fallait s’acquitter de toutes les cérémonies du culte en l’honneur du Dieu qu’il avait vu. L’espérance qu’il avait mise en sa protection, l’excita bientôt après à entreprendre d’éteindre l’embrasement qui avait été allumé par la rage du tyran.
Adultères commis à Rome par Maxence.
Le tyran qui s’était emparé de la ville impériale était monté à cet excès d’impudence et d’impiété que de se plonger publiquement dans les plus sales débauches. Il arrachait les femmes d’entre les bras de leurs maris et les leur renvoyaient après les avoir violées. Il fit cet outrage aux personnes de la première qualité et aux plus considérables du Sénat. Il jouit d’un grand nombre de femmes de condition, sans pouvoir rassasier son incontinence. Mais il ne put jamais jouir d’aucune femme chrétienne. Il n’y en eut pas qui n’aimât mieux perdre la vie que l’honneur.
Comment la femme d’un préfet choisit la mort pour conserver sa pudicité.
La femme d’un des principaux du Sénat et qui avait la dignité de préfet, ayant appris que les ministres des débauches de Maxence étaient à la porte de son logis et que son mari avait consenti qu’ils l’emmènent, de peur d’être maltraitée, elle leur demanda un peu de temps pour se parer et, étant entrée dans son cabinet, s’enfonça un poignard dans le sein et publia par une action si éclatante non seulement à tous les peuples de son siècle, mais aussi à tous les siècles à venir, qu’il n’y a que parmi les chrétiens où l’on trouve une pudicité invincible et exempte de la mort.
Massacre du peuple de Rome par Maxence.
Les grands et les petits, les magistrats et le peuple étaient dans l’oppression, et redoutaient la violence avec laquelle le tyran commettait les crimes les plus horribles. La patience qu’ils conservaient au milieu des plus injustes traitements ne les mettait pas en sécurité. Il commanda un jour, pour un fort léger sujet, aux soldats de sa garde de faire main basse sur le peuple, qui fut à l’heure même massacré par les armes non des Scythes et des Barbares, mais de ses propres citoyens. Il n’est pas aisé de faire le dénombrement des sénateurs qu’il condamna sur de fausses accusations, à dessein pour enlever leur bien.
Magie de Maxence et famine à Rome.
Maxence couronna ses autres crimes par les cruautés et les sacrilèges de la magie tantôt en ouvrant le ventre des femmes enceintes et des enfants nés depuis peu de jours, tantôt en égorgeant des lions et en offrant d’abominables sacrifices pour évoquer les démons et détourner la guerre dont il était menacé. Il espérait obtenir la victoire par ces artifices. Il traitait cependant ses sujets avec une dureté si extraordinaire qu’ils souffrirent sous son règne une disette dont il n’y avait pas eu d’exemple dans les siècles précédents.
Défaite des armées de Maxence en Italie.
La compassion que Constantin eut de leur misère lui mit les armes entre les mains contre la tyrannie. Ayant imploré la protection de Dieu et du Christ, son Sauveur et son allié, il fit marcher son armée sous l’étendard de la croix, à dessein de rétablir les Romains en possession de leur ancienne liberté. Maxence mettant sa confiance dans les illusions de la magie plutôt que dans l’affection de ses sujets, il n’osa sortir de Rome. Mais il mit des garnisons dans toutes les villes dont il avait opprimé la liberté et plaça des troupes en embuscade sur les passages. Constantin, dont Dieu favorisait l’entreprise, livra une première, une deuxième et une troisième bataille, força aisément toutes ces troupes et entra le plus loin possible en Italie.
Mort de Maxence sur un pont du Tibre.
Il était déjà près de Rome. Dieu, qui ne voulait pas que Constantin soit obligé de mettre le siège devant Rome pour se rendre maître du tyran, le lui amena hors des murailles avec des chaînes invisibles. Il fit voir la vérité du miracle, qui passe pour un mythe dans l’esprit des incrédules, bien qu’il ne soit pas remis en doute par les fidèles, et qu’il avait autrefois opéré contre Pharaon et son armée. Ce tyran ayant été mis en fuite par les troupes de Constantin, qui était favorisé de la protection du ciel, il voulut passer un pont, où il avait préparé une machine pour surprendre son ennemi. L’empereur aimé de Dieu fut assisté par le Dieu qu’il adorait, et l’impie périt dans le piège qu’il avait dressé, si bien qu’on lui peut appliquer ces paroles de l’Écriture : « Il a ouvert une fosse, et l’a creusée, et il tombera lui-même dans la fosse qu’il a faite ; son iniquité retournera contre lui, et ses violences retomberont sur sa tête. » La machine s’étant entrouverte au temps auquel on s’y attendait le moins, les vaisseaux coulèrent à fond. L’impie tomba le premier comme une masse de plomb avec les soldats qui l’environnaient. L’armée, que Dieu avait rendue victorieuse, pouvait chanter alors les mêmes cantiques que les Israélites avaient chantés autrefois contre Pharaon et dire comme eux « Publions les louanges du Seigneur, dont la gloire a éclaté. Il a jeté dans la mer le cheval, et celui qui était monté dessus. Il a été mon aide, mon protecteur et mon salut. Qui est semblable à vous entre les dieux, Seigneur, qui est semblable à vous ? Votre gloire a paru dans vos saints. Elle a attiré l’admiration, et vous avez fait des prodiges. »
Entrée de Constantin dans Rome.
Constantin, ayant à l’imitation de Moïse chanté ce cantique, ou quelque autre semblable, en l’honneur de Dieu, qui avait conduit son armée et qui lui avait accordé la victoire, entra en triomphe à Rome, où les sénateurs, les chevaliers, les hommes, les femmes, les enfants et tout le peuple délivrés de la servitude, accoururent au-devant de lui avec toute sorte de témoignages de joie, le saluèrent comme leur libérateur et leur conservateur, ne pouvant se lasser de faire des acclamations en son honneur. Mais sa piété ne lui permettant pas de s’enfler de ces louanges, il rendit à Dieu la gloire que l’on lui offrait et protesta que c’était de sa main qu’il tenait la victoire et que Rome avait reçu sa liberté.
Statue de Constantin tenant la croix, et son inscription.
Il annonça le salut de tous les hommes, en élevant au milieu de Rome la croix qui en est le signe et en gravant une inscription qui en explique la puissance. Tout de suite, il fit mettre dans la main de sa statue, érigée au plus bel endroit de la ville, une croix avec cette inscription en langue latine. « Par ce signe salutaire, qui est la marque de la véritable puissance, j’ai délivré votre ville de la domination des tyrans, et j’ai rétabli le Sénat et le peuple dans leur ancienne splendeur. »
Réjouissances publiques dans les provinces, et largesses de Constantin.
Voilà comment ce religieux empereur mettait sa gloire dans la confession de la Croix et annonçait aux peuples le Fils de Dieu. Les habitants de Rome commençaient à respirer, après avoir été si longtemps accablés sous le joug de la tyrannie, et s’imaginaient jouir d’un air plus pur que jamais, et comme d’une vie toute nouvelle. Les nations qui habitent vers l’Océan, étant délivrées de leurs maux, ne songeaient qu’à faire des réjouissances publiques et à publier tout d’une voix que Constantin était un présent du ciel, un prince chéri de Dieu et accordé à l’Empire pour le rendre florissant. On vit ses édits affichés aux coins de toutes les rues, par lesquels il rappelait les exilés, délivrait les prisonniers et rendait le bien à ceux qui en avaient été injustement dépouillés.
Honneurs déférés aux évêques, et constructions d’églises.
L’empereur envoya quérir les ministres consacrés au service de Dieu, leur rendit de grands honneurs, les fit asseoir à sa table, bien qu’ils semblent n’avoir rien que de vil et de méprisable dans leurs habits et dans leur mine. Mais au lieu de regarder l’extérieur, il regardait en eux la majesté souveraine, au culte de laquelle ils étaient attachés par leur ministère. Il les menait partout avec lui et était persuadé qu’ils attireraient sur lui les bénédictions de Dieu. Il employa des sommes considérables, soit pour agrandir des Églises, ou pour les embellir et les parer.
Les bienfaits de Constantin envers les pauvres et les gens dans le besoin.
Il exerça sa libéralité envers plusieurs personnes à proportion de leurs besoins. Il reçut avec beaucoup de civilité les étrangers et leur fit de grands présents. Il ne se contenta pas de distribuer de l’argent aux pauvres qui mendient dans les rues et dans les places publiques, il prit le soin de leur nourriture et de leur vêtement. Il usa de magnificence envers ceux qui, étant d’une honnête naissance, étaient tombés par malheur dans la pauvreté, donnant aux uns des terres pour leur subsistance et aux autres des emplois. Il pourvut avec une bonté paternelle aux nécessités des orphelins et prit en sa protection les veuves qui n’avaient nul appui. Il maria à des hommes riches les filles qui n’avaient pas de parents et leur donna auparavant de grands biens pour porter dans la communauté. Enfin, il répandit ses bienfaits sur tous ses sujets, avec la même profusion que le Soleil répand sa lumière sur tous les hommes. Jamais personne n’a imploré en vain son secours dans son besoin, et jamais personne ne s’est retiré de devant lui, sans en avoir reçu quelque grâce.
Comment Constantin assista aux assemblées des évêques.
Si l’empereur dont je parle avait une inclination si bienfaisante pour tous ses sujets, il prenait un soin particulier des chrétiens. Il convoqua comme un commun évêque ordonné par le Dieu des conciles pour apaiser les différends qui s’étaient émus en diverses provinces entre les pasteurs de l’Église. Il prit la peine d’assister à leurs assemblées, de s’asseoir au milieu d’eux, d’examiner le sujet de leurs contestations et de s’entremettre de les accorder. Il commanda alors à ses gardes de se retirer et se tenait assez bien gardé par la crainte de Dieu et par l’affection de ses sujets. Il louait la sagesse et la modération de ceux qui suivaient le bon parti et qui se portaient à la paix et blâmait l’opiniâtreté de ceux qui refusaient de se rendre à la raison.
Comment il souffrit aussi ceux d’Afrique.
Constantin souffrit avec une extrême modération la chaleur indiscrète de quelques évêques qui s’emportèrent contre lui, les exhorta par de douces paroles à entretenir la paix et à ne pas exciter de tumulte. Quelques-uns déférèrent à ses remontrances. D’autres les méprisèrent et, au lieu d’user d’aucune rigueur contre eux, il laissa à Dieu le soin de les corriger sans penser prendre de mesure fâcheuse contre quiconque. Les séditieux d’Afrique s’étant portés à une entreprise fort insolente, ou plutôt y ayant été poussés par l’Envie qui ne pouvait voir sans dépit la prospérité de l’Église, l’empereur s’en moqua au lieu de s’en fâcher et témoigna qu’il reconnaissait fort bien que c’était un artifice du mauvais démon et que pour faire de ces sortes d’entreprises, il fallait avoir perdu le sens et que ceux qui étaient en cet état, étaient plus dignes de compassion, que de châtiment.
Victoires sur les barbares.
L’empereur s’étant consacré de la sorte au service de Dieu, il pourvoyait avec une vigilance infatigable aux nécessités de l’Église. Dieu réduisit, en récompense, les nations barbares sous ses pieds et le rendit formidable à ses ennemis, de façon à ériger partout et en tous lieux, des trophées sur ses ennemis ; Il faisait proclamer sa victoire chez tous les peuples et le rendait redoutable à ses ennemis et adversaires, bien que de son naturel, l’empereur fut le plus doux de tous les hommes.
De la mort de Maximien, qui voulait intriguer, et des autres [intrigues] que Constantin découvrit par une révélation.
L’un des deux princes, qui avaient renoncé à la souveraine puissance, ayant formé une conjuration contre Constantin, il mourut d’un genre de mort très infâme. Ce fut le premier de qui l’on abattit les statues, en haine de ses crimes, et de qui l’on abolit tous les autres monuments. On découvrit bientôt après une autre conjuration formée par des parents même de l’empereur, et c’était Dieu qui la lui avait révélée. Il avait la bonté de se montrer à lui et de l’avertir de ce qui lui devait arriver. Les grâces qu’Il fit à son serviteur sont si merveilleuses, que je n’ai pas de paroles qui les puissent exprimer. Il le préserva de toute sorte de dangers, durant tout le cours de sa vie, lui donna des sujets affectionnés et fidèles, fit régner la paix dans son royaume et fleurir la piété dans l’Église pendant son règne.
Fêtes de la dixième année du règne de Constantin.
La dixième année du règne de Constantin s’étant cependant écoulée, on fit des réjouissances publiques dans tous les pays de son obéissance, et on rendit à Dieu des actions de grâces, qui étaient comme des sacrifices très purs et où il n’y avait ni feu, ni fumée. L’empereur en eut beaucoup de joie. Mais il eut aussi beaucoup de douleur des nouvelles qui arrivèrent d’Orient.
Comment Licinius faisait du mal en Orient.
Car on lui apprit que là-bas un être terrible persécutait les fidèles, tourmentait tous les autres sujets de la province et semblait être excité par le démon à faire dans le pays qui relevait de lui tout le contraire de ce que l’empereur aimé de Dieu faisait dans le sien. L’Empire était divisé en deux parties, dont l’une ressemblait au jour et l’autre à la nuit. L’Orient était couvert d’épaisses ténèbres au lieu que l’Occident était éclairé d’une agréable lumière. Comme des biens sans nombre étaient offerts par Dieu, l’Envie ne put voir sans jalousie l’éclat de cette lumière, pas plus que le tyran de l’autre partie de l’univers. Alors qu’il était heureux et qu’il était lié par le mariage au grand empereur Constantin, il ne suivit pas l’exemple de l’empereur aimé de Dieu, mais celui des impies ; il entreprit de faire comme ceux dont il avait vu la mort funeste au lieu de tenir compte des accords amicaux qu’il avait avec celui qui lui était supérieur.
Comment Licinius voulait intriguer contre Constantin.
Il déclara la guerre à son bienfaiteur, sans respecter ni l’amitié, ni l’alliance, ni les contrats, ni les serments. Le plus doux et le plus aimable de tous les princes lui avait donné des marques certaines de l’affection la plus sincère, en lui accordant sa sœur en mariage et en lui communiquant l’autorité souveraine. Mais l’impie n’ayant que de l’ingratitude pour ses bienfaits, il lui dressa des pièges. Il tâcha de les cacher. Mais Dieu les fit reconnaître. Les premières ruses de Licinius ayant été découvertes, il eut recours à d’autres, fit de nouvelles protestations d’amitié et de nouveaux serments, puis les viola à l’heure même. Il envoya ses ambassadeurs, pour demander pardon de sa perfidie et y retomba comme auparavant. Enfin il déclara la guerre et prit les armes contre Dieu, au culte duquel il savait que Constantin était très attaché.
Que Licinius empêcha les réunions des évêques et les conciles.
Licinius chercha de vains prétextes pour tourmenter de pieux ecclésiastiques qui n’avaient jamais rien fait contre son service. Ne les pouvant accuser d’aucun crime, il s’avisa de défendre aux évêques de s’assembler et de faire des conciles. Il est clair qu’il ne cherchait en cela que l’occasion de nous nuire. Car si les évêques violaient cet édit, ils s’exposaient à être punis. S’ils le gardaient, ils ruinaient la discipline de l’Église, dont les affaires ne peuvent être traitées que dans les conciles. L’impie gardait en ce point une conduite toute contraire à celle de l’empereur aimé de Dieu. Celui-ci convoquait les évêques pour entretenir la paix dans l’Église au lieu que l’autre leur défendait de s’assembler, pour accroître le trouble et le désordre.
Bannissement et confiscations des chrétiens.
Au lieu que celui qui était aimé de Dieu voyait volontiers les chrétiens à sa cour, l’impie les chassa de la sienne, bannit les plus fidèles et les plus affectionnés de ses sujets et réduisit à la servitude ceux qu’il avait autrefois élevés aux premières dignités, en récompense de leurs services. Il enleva le bien de ceux qu’il avait proscrits et menaça de punir de mort tous ceux qui feraient profession de notre religion. Étant d’un naturel prodigieusement adonné aux plus infâmes débauches, il jugeait de tous les autres par soi-même et soutenait qu’il n’était pas possible de garder la continence.
Que les femmes ne pouvaient pas se rassembler dans les églises et les peuples [de Dieu] devaient prier hors des portes [des villes].
Ce fut par ce motif qu’il fit un autre édit, par lequel il défendit aux hommes de s’assembler dans l’Église en même temps que les femmes, aux femmes d’entrer dans les lieux où l’on enseignait les maximes de la piété chrétienne et aux évêques de se charger de l’instruction des femmes, et ordonna qu’elles seraient instruites par d’autres femmes. Bien que tout le monde se moquât de cet édit, il en inventa un autre semblable pour dissiper nos assemblées et ordonna qu’elles se feraient à l’avenir hors la ville et en pleine campagne, sous prétexte qu’un air libre comme celui-là est plus propre à une grande multitude qu’un air renfermé entre les murailles d’un oratoire.
Expulsion de l’armée pour ceux qui refusèrent de sacrifier, et défense de porter des aliments aux prisonniers.
Quand le tyran vit que cette défense était méprisée, il leva le masque et ordonna que les soldats qui servaient sous les gouverneurs de province seraient licenciés, au cas qu’ils refusent de sacrifier aux idoles ; il priva par ce moyen les chrétiens de leurs emplois et se priva au même temps du fruit de leurs prières. Que dirai-je de la dureté qu’il eut de défendre que l’on n’assistât des misérables qui mouraient de faim dans les prisons ? On ne saurait jamais s’imaginer de cruauté si barbare que celle de cette défense. La peine proposée à ceux qui auraient eu pitié des prisonniers fut d’être enfermés avec eux et de souffrir les mêmes incommodités et les mêmes misères.
Au sujet des injustices, des vols et des actions honteuses de Licinius.
Est-il nécessaire de parler des nouvelles lois que ce tyran fit touchant les mariages et touchant les dernières volontés des mourants ? Il abrogea les anciennes, qui avaient été si sagement établies par les Romains, et en introduisit de barbares, qui ne tendaient qu’à la ruine de ses sujets. Il inventa une manière extraordinaire de mesurer les terres, pour augmenter les impôts. Il fit mettre dans ses registres des recettes les noms des paysans, qui étaient morts. Il brûlait d’une avarice si insatiable qu’après avoir amassé des trésors immenses, il se plaignait de sa pauvreté et sentait un tourment égal à celui de Tantale. Qu’est-il besoin de faire ici le dénombrement des innocents qu’il a envoyés en exil, ou dont il a enlevé le bien, et des hommes de qualité qu’il a enfermés en d’obscures prisons, et dont il a prostitué les femmes à l’incontinence de ses esclaves ? On détesterait sans doute l’horrible brutalité, par laquelle, bien qu’il fût dans un âge presque décrépit, il tâcha de violer des femmes mariées, et des filles, s’il n’avait commis d’autres crimes, en comparaison desquels ceux-ci peuvent paraître médiocres.
Que Licinius entreprit une persécution.
Il se porta à cet excès de fureur de prendre les armes contre l’Église et d’attaquer les évêques qu’il regardait comme ses plus irréconciliables ennemis par la seule raison qu’ils étaient intimes amis de Constantin. Il ne profita pas de l’exemple de ceux qui avaient persécuté avant lui les chrétiens et surtout de celui qui avait été le premier et le principal auteur des injustices et des violences, bien qu’il eut été témoin de son châtiment et qu’il en eut été même, comme par un ordre secret de Dieu, un des ministres.
Que Maximin, étant rongé d’un ulcère, publia une loi en faveur des chrétiens.
C’est de Maximin que je parle qui, s’étant le premier souillé par le meurtre des serviteurs de Dieu, en fut puni d’un châtiment qui passa de son corps jusqu’à son âme. Un ulcère lui rongea les parties les plus internes et produisit une quantité prodigieuse de vers, qui rendaient une odeur insupportable. On dit qu’étant devenu extraordinairement gros, pour avoir mangé avec trop d’excès, sa graisse se changea alors en une pourriture que l’on ne pouvait voir sans horreur. La rigueur de ce châtiment lui fit reconnaître l’énormité des crimes qu’il avait commis contre l’Église. Il confessa sa faute à Dieu, arrêta le cours de la persécution des chrétiens, permit de rebâtir les églises et aux chrétiens d’y faire les exercices ordinaires de leur religion en priant pour lui.
Que Maximin, persécuteur des chrétiens, s’enfuit déguisé en esclave pour se cacher.
Licinius oublia tout d’un coup ce terrible châtiment que la justice divine avait tiré de Maximin, bien qu’il en eût été mieux informé que personne, puisqu’il en avait été témoin. Maximin se vantait d’enchérir sur la méchanceté et d’inventer de nouveaux genres de supplices, pour tourmenter les fidèles. Le feu, le fer, les dents des bêtes les plus cruelles, les abîmes les plus profonds ne suffisant pas pour contenter son inhumanité, il ordonna par un édit que nous serions privés de la lumière et, tout de suite après, on creva l’œil droit à un nombre presque innombrable d’hommes, de femmes et d’enfants ; on les estropia d’une jambe, en leur coupant le nerfs du pied, soit par le fer, ou par le feu, et on les envoya aux métaux, pour consumer par le travail le reste de leurs forces et de leur vie. Il reçut bientôt après la punition qu’il méritait. Ayant fondé son espérance sur la multitude de ses soldats, et sur la puissance des démons qu’il adorait comme des dieux, il donna bataille. Mais étant abandonné du secours de Dieu, il fut obligé de se dépouiller des habits impériaux, dont il était indigne, de se couvrir d’un habit d’esclave, de se mêler dans la foule et de tâcher d’assurer son salut par la fuite. Mais il ne put se cacher à l’œil de la Providence, qui veille sur toutes les créatures. Car au moment qu’il se tenait en sûreté, il fut percé d’un trait de feu et consumé de telle sorte qu’il ne lui restait plus rien de son ancienne figure et qu’il n’avait plus que des os desséchés.
Que Maximin, devenu aveugle, fit une loi en faveur des chrétiens.
La justice divine s’étant déchargée sur lui avec une rigueur encore plus grande, les yeux lui sortirent hors de la tête et le laissèrent dans un aussi triste aveuglement que celui, où il avait mis plusieurs martyrs. Il confessa néanmoins, avant que de mourir, la faute qu’il avait faite, quand il avait pris les armes contre Dieu et lui en demanda pardon. Il fit une rétractation aussi publique et aussi solennelle que son prédécesseur déclara qu’il s’était trompé, en adorant des démons qu’il avait pris pour des dieux, et reconnut qu’il n’y en avait pas d’autre que celui des chrétiens. Bien que Licinius sût parfaitement toutes ces choses, non pour les avoir apprises par le rapport d’autrui, mais pour les avoir vues de ses propres yeux, il ne laissa pas de tomber dans les mêmes crimes, comme s’il eût eu l’esprit couvert d’épaisses ténèbres.