Il est venu chez soi, et les siens ne l’ont point reçu. Mais, à tous ceux qui l’ont reçu, Il a donné le droit d’être faits enfants de Dieu : savoir à ceux qui croient en son nom, qui ne sont pas nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais qui sont nés de Dieu.
aTandis que saint Matthieu et saint Luc prennent l’histoire du Sauveur au début de sa vie terrestre et racontent sa naissance miraculeuse avec les naïfs épisodes qui s’y rattachent, saint Jean s’élance d’emblée jusqu’au Verbe éternel. Il nous montre la Parole, vivant de toute éternité dans le sein du Père, participant à son œuvre créatrice, agissant sur le monde comme Lumière et Vie ; puis, descendant de l’éternité dans le temps, du ciel sur la terre, pour se montrer sous une forme humaine et pour sauver notre race déchue. « Dieu manifesté en chair », c’est l’enseignement de tous les apôtres, d’après le témoignage que Jésus-Christ s’est rendu à lui-même. Sa divinité éclate de toutes parts, dans ses paroles comme dans ses actes, et c’est sur cette vérité inéluctable que reposent les assises mêmes du christianisme. Un autre Jésus n’a jamais été que fiction et mensonge ; il n’eût jamais fondé l’Eglise chrétienne. A notre époque, comme à toutes les époques, ceux qui, répudiant le vrai Christ, n’ont su voir en Jésus qu’un génie religieux de premier ordre, ou l’idéal humain le plus pur, ou encore le produit de l’humanité qu’elle aurait créé dans ses meilleurs rêves, tous ceux-là se sont séparés de la croyance universelle de l’Eglise, la seule vraie, la seule puissante, la seule créatrice ; tous ceux-là se sont condamnés avec leurs adeptes à aller échouer sur le banc de sable stérile de tous les rationalismes anciens et modernes.
a – Ce discours fut prononcé à Montauban dans l’une des visites que M. Dhombres fit à la Faculté de théologie de cette ville, sur l’appel de son ami, M. le doyen Charles Bois.
C’est ce Christ — et non point un autre — qui pouvait provoquer au sein de l’humanité la crise redoutable dont je veux vous entretenir aujourd’hui. Lui seul, Fils de Dieu, avait le pouvoir de déterminer parmi les hommes ce double courant de répulsion et d’adhésion, de haine et d’amour, marqué par notre texte : « Il est venu chez soi, et les siens ne l’ont point reçu. Mais, à tous ceux qui l’ont reçu, Il a donné le droit d’être faits enfants de Dieu, savoir à ceux croient en son nom, qui ne sont point nés de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais qui sont nés de Dieu. » Quel saisissant contraste : d’une part, Jésus rejeté par un peuple et une humanité qui lui appartiennent d’un droit primordial de création et de rédemption ; d’autre part, une humanité soumise et fidèle qui se donne librement à lui et à laquelle il confère deux magnifiques privilèges : l’adoption du Père et la participation à la vie divine. Tel est pourtant le résumé de l’histoire humaine ; tel est le choix redoutable que nous sommes tous appelés à faire et qui doit fixer notre avenir éternel.
Au centre de l’ancien monde, entre une chaîne de montagnes, le désert et la Méditerranée, s’étend l’humble Palestine. C’est là que le Christ doit paraître et que va s’accomplir la douloureuse prophétie : « Il est venu chez soi, et les siens ne l’ont point reçu. » Si Jésus est le Fils de Dieu, il est aussi le fils de l’homme ; si le ciel l’a donné à la terre, c’est la terre qui l’a enfanté. Il est né d’une vierge, sur un point spécial de l’espace et du temps. Comme chacun de nous, il a possédé une famille, une patrie, et il a dû éprouver l’affection puissante qui naît des lieux et des souvenirs, ce double prestige du sol natal. C’est dans la petite ville de Nazareth, cachée dans un pli de montagnes, qu’il a passé son enfance ; et lorsqu’il gravissait les hauteurs voisines, il apercevait scintiller au loin la grande mer qui semblait lui ouvrir les horizons de ce vaste monde auquel il apportait le salut. A douze ans, il a vu pour la première fois le Temple, centre religieux de toutes, les gloires d’Israël ; puis, il a parcouru dans tous les sens la Judée et la Galilée, surtout la Galilée et son gracieux lac, témoins de l’appel des disciples et de guérisons merveilleuses. Voilà la patrie de Jésus, voilà les lieux dont il a subi le charme, comme le fils de l’Helvétie s’attache à ses glaciers, et le pêcheur des bords de l’Océan à ses grèves et à ses falaises.
Au prestige des lieux s’attachait encore celui des souvenirs nationaux si vivaces chez les enfants d’Israël. Jésus parlait la langue de son pays, si simple, si belle, si admirablement imagée ; il se plongeait dans les flots de cette littérature sacrée, l’une des plus riches du monde ; il se nourrissait de l’héroïque épopée du peuple de Dieu et s’écriait avec David : « Jérusalem, si je t’oublie, que ma droite s’oublie elle-même ! » Eh bien, c’est ce peuple, dont il avait fait son peuple, qui l’a rejeté ! Représentez-vous sa souffrance lorsqu’il a vu, sous l’adhésion passagère, se dessiner, s’accuser, éclater enfin une répulsion pleine de haine et de fiel. Mesurez sa douleur à cette plainte mélancolique au sujet de la ville qui tue les prophètes : « Jérusalem, Jérusalem, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu ! » Suivez-le, de degré en degré, dans cette lutte contre l’incrédulité naturelle au cœur humain, contre l’ignorance des foules qui le suivent comme un thaumaturge pour « voir des miracles et recevoir des pains » ; contre leur versatilité qui les poussera, demain, à conspuer celui qu’elles acclament aujourd’hui ; puis, contre le fanatisme, l’orgueil, : la jalousie, l’esprit de domination des chefs du peuple qui cachent, sous une dévotion apparente, leur horrible désir de vengeance et leurs pensées homicides. Alors vous comprendrez les larmes de Jésus sur la ville rebelle ; vous comprendrez aussi quelque chose de son incommensurable douleur lorsqu’il se vit arrêté et mis en scène dans cet abominable procès où jamais l’injustice, l’iniquité et la haine n’apparurent avec plus d’horreur ; lorsque, sur la croix, il entendit les outrages, les huées, les malédictions de ce peuple qu’il avait accablé de ses bienfaits. Si nous osions rapprocher l’histoire profane de l’histoire sacrée, nous rappellerions ici le souvenir de César tombant sous le poignard des assassins, au pied de la statue de Pompée, et reconnaissant, sous les coups qui le frappent, la main d’un ami : « Tu quoque, Brute ! Et toi aussi, Brutus! » « Il est venu chez soi, et les siens ne l’ont point reçu. »
Il est vrai, dites-vous, Jésus a été odieusement rejeté par ceux de sa nation ; c’est là un crime juif perpétré par ce peuple qui l’expie encore aujourd’hui, et qui se condamna lui-même quand il prononça la sentence prophétique : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants. » Lui seul est responsable. Grande et redoutable erreur, vous répondrai-je, car alors — Vinet l’a judicieusement remarqué — le Christ ne serait mort que pour les Juifs. Non, ce déicide, qui nous donne le frisson, est bien celui de l’humanité tout entière. C’est le péché qui a crucifié le Christ. Si ce crime s’est accompli à Jérusalem, il se fût perpétré en tout autre lieu où Jésus eût porté ses pieds divins. Il est dans la nature même du péché d’avoir horreur de la sainteté et de la persécuter partout où elle se rencontre. « Les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres sont mauvaises. » C’est une loi morale qui s’accomplit toujours ici-bas. Les Athéniens exilaient Aristide parce qu’ils étaient fatigués de l’entendre appeler le Juste ; la terre devait se débarrasser de Jésus parce qu’il était saint ! Le rayonnement divin de cet être que personne ne peut convaincre de péché met en relief toutes les laideurs morales, toutes les turpitudes de l’âme humaine, de même qu’un jet de lumière électrique dirigé sur les profondeurs d’une caverne ferait apparaître les hideux reptiles qu’elle recèle. De là, le cri sanguinaire : « Ote, ôte, crucifie, crucifie ! » que fit entendre à Jérusalem une foule implacable, mais qui s’exhale des entrailles mêmes de l’humanité. Au reste, si c’est là le fait moral, c’est aussi le fait matériel. Il y avait, comme acteurs, dans ce drame mémorable, des représentants de l’humanité païenne, est-ce qu’ils prirent la défense de Jésus ! Pilate le livra lâchement à ses ennemis ; les soldats romains lui infligèrent le pire des supplices en le revêtant du manteau d’écarlate, en couvrant son front de la couronne d’épines, en s’agenouillant devant lui pour le railler : Nous te saluons, roi des Juifs ! Eh bien, ayons le courage de le reconnaître, si Jésus fût né ailleurs qu’à Jérusalem, il eût rencontré les mêmes haines. Partout, dans la brillante cité d’Athènes comme dans la savante Alexandrie, à Rome, la ville religieuse entre toutes, partout, sous d’autres formes et au nom d’un autre fanatisme, il se fût trouvé un tribunal pour condamner le Saint et le Juste, et des bourreaux pour le mettre à mort ; partout, l’humanité aimant son péché, aurait haï celui qui le dénonce, le poursuit, le condamne, et se fût écriée avec colère : « Eteignons ce soleil dans les ombres de la mort. »
L’humanité n’a jamais cessé de poursuivre son œuvre de résistance et de haine contre Jésus-Christ. Lorsqu’elle n’a pu s’opposer à sa personne, elle s’est acharnée contre ses disciples. Sans parler des Apôtres et de la primitive Eglise, souvenez-vous de la coalition redoutable des Césars sur leur trône, des philosophes dans leurs Académies, des prêtres dans leurs sanctuaires, des foules dans les amphithéâtres, tous d’accord pour insulter et persécuter le Crucifié revivant dans son Eglise. Mais nous ne sommes, pas ici pour faire de l’histoire… Franchissons dix-neuf siècles de christianisme et arrivons jusqu’à nos temps modernes. Quelle est l’attitude de notre siècle à l’égard de Jésus-Christ ? La civilisation qui porte le nom de chrétienne est incontestablement son œuvre, et pour preuve, elle n’existe pas chez les peuples où son nom est ignoré. Cette civilisation a fait prévaloir les principes d’ordre, de liberté, de fraternité dont nous sommes justement fiers. C’est elle qui a constitué la famille avec ses droits et sa dignité et propagé les sentiments, élevés d’humanité, de respect, d’honneur, qui sont le fond de notre vie sociale. Qui pourrait dire tout ce qu’il y a de christianisme latent dans nos lois et dans nos mœurs ? Philosophes, que de clartés vous viennent de lui ! Artistes, poètes, que d’inspirations vous avez empruntées à l’idéal chrétien! Et vous, les travailleurs, les humbles, les opprimés, les oubliés, les pauvres, n’est-ce pas à cause de lui que les cœurs vont vers vous et que la solidarité humaine, la compassion généreuse ne sont plus de vains mots ? Eh bien, sur les confins du vingtième siècle, cette civilisation renie Jésus-Christ ! Elle veut s’affranchir de ce qu’elle appelle les superstitions du passé. Vie sociale, éducation publique, cérémonies publiques, partout son nom est proscrit, et s’il se trouvait quelque homme d’Etat pour le proclamer, c’est lui qu’on proscrirait avec colère ! La science l’ignore ou le dédaigne, la littérature professe à son égard un scepticisme ironique plus insultant que la haine. O les ingrats qui vivez à l’ombre de l’arbre de la civilisation chrétienne, qui en recueillez les fruits, et qui méconnaissez celui qui l’a planté ! Insensés qui rejetez le Christ !… Mais en niant le Fils, vous niez le Père, dit l’Ecriture, et vous vous faites les propagateurs conscients ou inconscients de ces doctrines athées et matérialistes qui rongent l’âme des peuples comme une gangrène. Ignorez-vous cependant que la logique des peuples est implacable et qu’elle aboutit fatalement à la chanson lugubre : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons » ? Oubliez-vous qu’il y a dans le tréfonds de l’âme humaine une bête de proie qui rugit ? Oubliez-vous que les masses sont le nombre et qu’elles disposeront un jour ou l’autre de forces écrasantes, en sorte que les générations futures pourraient bien assister à ce tragique spectacle : la civilisation sans Dieu se détruisant de ses propres mains et aboutissant à la barbarie ?… L’athéisme, qui n’est qu’une puissance de destruction, ne porte-t-il pas dans ses flancs toutes les catastrophes ? Alors, sur les ruines matérielles et morales amoncelées par lui, l’avenir lirait, en caractères sinistres, le commentaire de notre texte : « Il est venu chez soi, et les siens ne l’ont point reçu. »
« Il est venu chez soi ! » Touchante et sublime condescendance, de la part de Jésus, d’avoir appelé son chez-soi notre chétive planète. C’est que Dieu avait dit de cette planète : « Je lui enverrai mon Fils, » et lui : « Me voici, ô Dieu, pour faire ta volonté ; j’irai et je la sauverai… » Certes, nous eussions compris que le Fils eût appelé son chez-soi l’Eden et ses habitants éclos tout radieux sous le souffle du Créateur, ou encore, ces mondes supraterrestres habités par de purs esprits dont il est le pasteur. Mais, appeler de ce nom tendre et familier notre pauvre terre où vit un peuple de révoltés livrés à la désobéissance, à l’impureté, à la haine, à la spoliation, au meurtre — véritable bagne pour Celui qui descend du ciel décidément, cela confond nos humaines pensées cela est divin. Admirez, la beauté d’un amour qui se soucie moins de régner sur des saints et des anges que de convertir des pécheurs en mourant pour eux. Et un trait non moins étonnant de cet amour, c’est que le Fils prend l’humble attitude d’un suppliant ; il implore cette humanité perdue ; il la conjure de se laisser sauver !… En vertu de leur liberté morale, il en est beaucoup qui s’écrient avec colère : « Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous » mais il en est beaucoup aussi qui, brisés de reconnaissance, lui disent avec un saint enthousiasme : « Prends-tout ce qui est à nous, nos pensées, nos cœurs, nos biens, nos vies elles-mêmes ! » Une postérité de saints est née sous la rosée sanglante de la croix ; ardente, passionnée, généreuse, elle a vengé le Christ de tous les abandons, de toutes les forfaitures de l’humanité rebelle. Ceux-là, réconciliés par le Fils avec le Père, sont devenus enfant de Dieu ! Quel noble titre, digne d’être envié par les anges eux-mêmes !
Eh quoi, disent peut-être plusieurs de ceux qui m’écoutent, est-ce que nous ne sommes pas tous des enfants de Dieu ? Quelle est donc cette théologie étroite, et d’un mysticisme étrange, que vous nous prêchez ? Dans le sens de création, oui, mes frères, nous sommes tous des enfants de Dieu. Mais dans le sens d’une relation tendre et journalière avec le Père des esprits, non, nous ne le sommes pas, car nous avons brisé par une révolte impie le lien qui nous rattachait à Dieu. Je m’en réfère, après la Bible, à l’autorité pathétique du grand Vinet : « Nous avons ravi à Dieu sa paternité. Du chef d’Adam, nous ne sommes plus que la postérité d’un pécheur. Pécheurs nous-mêmes, puisque notre conscience ne souscrit jamais à ce désordre, nous sommes venus, les uns après les autres, signer cette abdication insensée. Il n’y a plus, dans notre état naturel et à nous prendre tels que nous ont faits la nature et la vie, il n’y a plus d’enfants de Dieu. » En effet, voyez les hommes qui peuplent notre terre : ils travaillent, ils agissent, ils vendent, ils achètent, ils élèvent leurs familles, le plus souvent, sans se soucier de Dieu ; ils jouissent sans Lui, hélas ! ils pleurent loin de Lui… Est-ce que cela ressemble aux rapports de vrais et bons fils avec leur Père ? Mais ceux qui, ayant conscience de ce désordre moral, s’en affligent, s’en inquiètent et ne peuvent consentir à vivre séparés de Dieu, ceux-là trouvent un puissant Sauveur qui les réconcilie avec le Père par sa croix sanglante et qui les ramène dans la famille de Dieu. Jadis un poète laissait échapper ce cri d’angoisse :
Si le ciel est désert, nous n’offensons personne ;
Si quelqu’un nous entend, qu’il nous prenne en pitié !
Non, le ciel n’est plus désert depuis que Christ s’est immolé pour nous ; quelqu’un nous entend, et ce n’est plus un juge offensé, c’est un père ! O vous qui avez un père terrestre inexprimablement bon, ou bien, vous qui ne retrouvez sa chère image que dans des souvenirs trempés de vos larmes, évoquez, centuplez tout ce qu’il y avait d’abnégation, de tendresse exquise, d’infini support, de sublime grandeur dans cette paternité, et vous aurez vu passer devant vous comme un éclair de la paternité divine, et vous direz : « Voilà le Père que Jésus m’a révélé ; voilà le Père qui m’aime et que je puis aimer de toute mon âme, parce qu’il me pardonne. O Maître des mondes, Dieu de l’Infini, tu consens à t’abaisser jusqu’à moi, à supprimer mes péchés à cause de ton Fils et à permettre que moi, indigne créature, je puisse t’appeler du nom le plus doux : Mon Père. O Christ, sois éternellement béni pour m’avoir rendu mon Père !
Mais cette adoption serait vaine si elle ne nous communiquait quelque chose de la vie divine. De même qu’un nouveau-né se nourrit du lait de sa mère, ou qu’un sarment reçoit la sève du cep qui le porte, de même, un enfant de Dieu doit vivre de la vie de Dieu. Oui, vraiment, la naissance naturelle ne donne que la vie naturelle, et les parents les plus pieux ne peuvent transmettre que celle-là. Mais la vie spirituelle, Dieu la donne à quiconque reçoit son Fils par la foi ; car, dit saint Jean, « cette vie est en son Fils » (1 Jean 5.11). Celui-là entre en possession de nouveaux désirs, de nouvelles pensées, et aussi de nouvelles forces pour résister au mal et pour accomplir le bien. C’est de lui qu’on peut dire : Il est né de Dieu ; il était mort et il vit ! Aspirez donc, enfants de Dieu, à réaliser toujours davantage cette communion avec Christ, de laquelle il disait à ses disciples : « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit » (Jean 15.5). Toutefois, s’il reste encore sur votre vie chrétienne des taches qui vous humilient, des péchés qui vous font douter de votre adoption, ne vous abandonnez pas à une tristesse sans espoir. Lors même que vous ne seriez pas saints, si vous priez, si vous luttez, si vous désirez ardemment le devenir, Jésus vous y aidera par sa grâce. Son Père qui est votre Père ne décourage personne. Il se plaît aux petits commencements ; Il aime à voir l’avenir, dans le présent, la moisson dans le germe, le papillon dans l’humble chrysalide. Et puis, encore un peu de temps, et le pauvre ver de terre sera une brillante créature ailée, le chétif arbrisseau que son Fils a planté, un arbre magnifique déployant ses rameaux dans l’atmosphère du ciel. Oui, au sein de beaucoup d’imperfections, il y a pourtant quelque chose d’auguste, de sacré, dans tout enfant de Dieu ! Serait-il le plus ignoré, le plus méprisé, et dans le passé — le plus abject — s’il vit en Christ, il appartient aux destinées les plus glorieuses. Il est semblable à ce jeune prince, poursuivi par l’implacable Athalie, qui cache sa naissance à l’ombre du Temple sous la modeste robe de lin du lévite ; mais bientôt, l’obscur enfant sera roi d’Israël et couronné du diadème de ses ancêtres. Assis sur des trônes, telle sera la gloire des enfants de Dieu avec Christ et par Christ !
Après ces explications, s’il plaisait aux incrédules et aux mondains de traiter d’illusion, de chimère, de rêve mystique cette adoption du Père qui se réalise par une vie nouvelle dans les âmes croyantes, c’est nous qui aurions le droit de prendre l’offensive et de leur dire : Eh bien, remontez le cours de l’histoire jusqu’au berceau de Bethléhem, puis, à travers dix-neuf siècles de christianisme, daignez nous expliquer par des raisons tangibles ces myriades de disciples qui ont aimé Jésus-Christ d’un amour devant lequel pâlissent tous les attachements de l’ordre humain ; qui sont morts pour Lui en supportant, dans la communion de ses souffrances, le mépris, la haine, toutes les flagellations, tous les crachats et tous les genres de martyres ; ces multitudes de solitaires et d’ascètes s’exilant du monde, non pour le maudire, mais pour prier pour ses péchés ; cette pléiade de petits et de puissants, heureux, les uns et les autres, de servir, sous la bure ou sous la pourpre, le Roi des siècles couronné d’épines ; ces armées de missionnaires allant planter sur des rivages inconnus, au prix de leur sang, l’arbre de la croix ; ces longs cortèges de pèlerins gravissant, dans une joyeuse obéissance, les plus rudes calvaires pour Celui qui marche à leur tête portant sa croix et gravissant son Calvaire ; puis, tout près de nous, ces femmes obscures, ou grandes dames, ou sœurs de charité, s’enrôlant généreusement pour combattre la pauvreté, l’alcool, la prostitution, les maux de la guerre ; ces jeunes gens préférant aux sourires du monde la joie de se donner à quelque grande cause et d’entendre dans leur for intérieur le cela va bien du Crucifié ; ces légions de chrétiens, vrais chevaliers modernes, toujours sous les armes pour livrer au nom de Jésus des batailles héroïques contre l’iniquité, l’oppression et le crime, apôtres toujours debout pour défendre l’héritage de foi, de vérité, de piété, d’espérance, légué par leur divin Chef, et dont ils se savent les glorieux dépositaires… Incrédules, gens du monde, qu’avez-vous à me dire ? que pouvez-vous me répondre ? Si vous restez muets, déconcertés, moi je prendrai la parole pour vous affirmer que ceux-là, à travers tous les âges et dans toutes les communions chrétiennes, ont accompli ces grandes choses parce qu’ils avaient reçu Jésus-Christ comme leur Sauveur et leur Maître et qu’ils étaient devenus enfants de Dieu.
Ainsi, aux yeux de Dieu, il y a deux humanités — non l’humanité riche et l’humanité pauvre, non l’humanité savante et l’humanité ignorante, non l’humanité d’un siècle et l’humanité d’un autre siècle — mais l’humanité qui reçoit Jésus-Christ et l’humanité qui le rejette. A laquelle voulez-vous appartenir ? Question capitale qui renferme celle de notre salut ou de notre condamnation. Le dilemme se pose donc devant toute conscience, devant toute vie humaine : recevoir ou rejeter Jésus-Christ. Mes frères, vous vous efforcez de l’éloigner, ce dilemme redoutable ! Vous me sauriez gré de vous adresser des questions plus discrètes, et moins troublantes : Suivez-vous le culte ? êtes-vous religieux ? vous occupez-vous des œuvres chrétiennes ? Mais la fidélité à mon ministère m’interdit cette condescendance. Le dilemme demeure, catégorique, tranchant comme le fer d’un glaive : recevoir ou rejeter Jésus-Christ. Ce n’est pas vous, mes frères et mes sœurs, qui pouvez alléguer votre ignorance, vous, élevés dans une Eglise chrétienne et saturés de prédications chrétiennes. Mais alors, quelle sera votre excuse au dernier jour, si vous repoussez le Sauveur ? Le Juge suprême n’aura-t-il pas le droit de vous dire : « J’ai longtemps supporté tes hésitations, tes délais, ton refus de recevoir mon Fils ; aujourd’hui, prononce toi-même la sentence ; est-il juste que je laisse mépriser mon Fils ?… » O mes frères, n’accomplissez pas un nouveau déicide en repoussant le Sauveur : n’ajoutez pas à la révolte d’Adam une nouvelle révolte — celle-là voulue, préméditée, personnelle, signée de votre propre main — en sorte que si vous y persévériez jusqu’à la fin, vous, commettriez ce péché de l’endurcissement sur lequel les Saintes Ecritures prononcent une condamnation mystérieuse et sinistre. Aujourd’hui est le jour favorable, le jour du salut ! C’est pourquoi je vous supplie, d’ouvrir toutes grandes les avenues de vos cœurs à ce Fils de Dieu qui n’attend pour vous sauver que votre libre décision.
Le dilemme se pose aussi devant notre Eglise. Veut-elle recevoir ou veut-elle rejeter Jésus-Christ ? Si, fidèle à la foi de ses pères, elle maintient la divinité de son Maître, sa mort rédemptrice, sa glorieuse résurrection ; si, fidèle dans la doctrine, elle l’est aussi dans la vie, en reproduisant l’image de son divin Chef, alors elle conservera son ascendant au milieu de notre peuple ; conquérante, elle étendra « le lieu de sa tente et les courtines de ses pavillons ». Mais si elle rejette ou amoindrit le Christ des Ecritures, elle ne sera plus qu’une sorte de succursale de la libre pensée, sans avenir dans notre patrie, elle se refusera à la belle mission de rompre le pain et de distribuer le vin sacrés à ces foules qui pourtant ont faim et soif, et qui se meurent d’anémie loin de Dieu ! Chère, noble Eglise Réformée de France, reçois, garde éternellement ton Christ !
Le dilemme se pose enfin devant notre peuple. Il n’est que trop vrai, les peuples s’élèvent dans la mesure où ils croient, comme ils s’abaissent dans la mesure où ils rejettent les croyances chrétiennes. O mon peuple, pourquoi t’obstines-tu à repousser Jésus-Christ ? Pourquoi écoutes-tu ces prophètes de malheur, ces docteurs de mensonge qui t’éloignent de Lui ? O l’abominable crime qu’ils expient en voyant baisser, baisser toujours davantage tes qualités natives et ton rang parmi les nations… Délaisse enfin ceux qui te flattent pour te perdre ; approche-toi de ceux qui te disent la vérité pour te sauver. Lamennais fut l’ami du peuple français ; écoute les avertissements qu’il lui adressait jadis, de sa voix, puissante comme un orgue de cathédrale, mais triste comme un glas funèbre : « Regarde cette poussière d’hommes sans Dieu, sans croyances. Ce fut autrefois une nation. Qu’en reste-t-il ? Cela se meut. Mais les brutes se meuvent et les vers se meuvent. » Non, peuple généreux, tu ne veux avoir rien de commun avec les bêtes de proie et les hôtes des charniers… Elève donc tes regards vers le ciel, crois en Dieu, reçois Jésus-Christ ! Alors, ce sera l’honneur au lieu de la déchéance, le réveil de tes énergies, au lieu de leur affaissement ; la pratique à nouveau de tes vertus séculaires, au lieu de leur éclipse ; ce sera enfin la prise de possession joyeuse de la vie éternelle, au lieu de tes désespérances et de ton noir pessimisme… O Dieu, viens parler à notre France et lui rendre la foi ! O Dieu, descends dans nos maisons, et dans cette maison qui s’appelle ton Eglise ! Fais que tous, aujourd’hui, nous recevions ton Fils ! Et Lui, après que nous aurons ouvert notre « chez nous » terrestre à l’action de sa grâce, il daignera nous accueillir dans son « chez soi » du ciel !
Amen.