Il faut une préface, la voici :
J’ai aimé mon père avec autant de vénération que de tendresse, j’ai vu de très près ses travaux, j’ai vécu longtemps de sa vie ; j’ai souscrit toujours sans réserve à ce jugement de mon frère aîné, alors étudiant en médecine : « Quoi qu’il en soit, je connais au moins deux chrétiens : mon parraina et mon père. »
a – M. Adolphe Monod.
J’ai d’abord recueilli quelques-uns de mes souvenirs d’enfance, de jeunesse, uniquement pour les communiquer à un frère, à des sœurs, plus jeunes que moi ; peu à peu, mon travail s’est étendu ; j’ai consulté quelques-uns des contemporains de mon père, des lettres, des rapports, des journaux, des brochures de ce temps-là et il m’a semblé que ce qui intéressait le cercle de la famille pourrait ne pas être sans intérêt pour d’autres.
Je le livre, non sans crainte, il est si difficile d’écrire ! aussi n’ai-je nullement la prétention d’offrir ici un travail littéraire ; c’est une œuvre de simple piété filialeb. Mais tant d’excellents chrétiens ont aimé mon père vivant que quelques-uns aimeront aussi son souvenir après sa mort, je l’espère. D’autres l’espèrent comme moi et m’ont encouragée. M. le comte Jules Delaborde m’a écrit à ce sujet : « Je respecte profondément le devoir auquel vous vous consacrez. A peine ai-je besoin d’ajouter que je conserve un précieux souvenir de mes relations avec votre cher et vénéré père, car vous savez qu’il était impossible de le connaître sans s’attacher à lui. Aussi me fais-je un devoir de vous exprimer mes vœux bien sympathiques pour l’achèvement et le succès de la biographie que vous préparez. La mémoire du cœur est la meilleure de toutes. »
b – Si l’on découvre ici et là quelques pages qui révèlent une plume plus exercée et plus virile que n’est la mienne, on y reconnaîtra facilement celle d’un collaborateur qui s’est cordialement associé à mon travail.
Puis, un sentiment de justice l’a emporté sur mes dernières craintes.
On travaille beaucoup, aujourd’hui, à l’évangélisation de la France ; on peut le faire sans aucun danger. Nous en bénissons Dieu ; nous en remercions tous ses ouvriers.
Mais quelques-uns, parmi les nouveaux venus surtout, s’imaginent avoir inventé cette œuvre, l’évangélisation, et croient naïvement qu’avant eux il ne s’est jamais rien fait de semblable, que les vieux protestants, fils des vieux huguenots, dormaient sur leurs lauriers, que la grande Église de la Réforme se mourait….
Sachons rendre à chacun ce qui est dû à chacun.
Si de vaillants et fidèles ouvriers travaillent de nos jours avec succès, d’autres non moins fidèles, non moins vaillants, ont travaillé aussi avant eux, non sans succès ; ils ont défriché le champ encore inculte, ont arraché, non sans peines ni sans souffrances, les ronces et les épines, ont labouré, ont semé, ont arrosé, ont aimé, ont prié ; ils ont obtenu, – au prix de quels sacrifices ! Dieu seul le sait, – la liberté religieuse dont nous jouissons tous aujourd’hui sans nous souvenir de ce qu’elle a coûté à ceux qui nous l’ont conquise.
Si aujourd’hui nous moissonnons peut-être plus abondamment, nous le devons sans doute à l’action toute-puissante du Saint-Esprit, qui souffle comme il veut, quand il veut ; mais ne le devons-nous pas aussi à nos devanciers, vrais pionniers de l’évangélisation, qui ont laborieusement préparé et ensemencé le champ où l’on moissonne actuellement de riches gerbes ?
Ne soyons ingrats ni envers les vivants, ni envers les morts.
Surtout bénissons notre Dieu, qui ne laisse jamais notre pauvre et chère France sans lui envoyer ses messagers, sans lui faire entendre ses appels, sans lui montrer que, malgré tout, Il l’aime, et veut sauver, par sa grâce, tous ceux qui reçoivent sa Parole et croient du cœur à Jésus-Christ, pour avoir la vie éternelle.
Émilie Delapierre.