Michée, le prophète du Seigneur, parle (Michée 4.4) d’un temps de prospérité où chacun s’assiéra sous sa vigne et où il n’y aura personne qui l’épouvante. Quelle douce image de repos et de calme nous sourit à travers ces paroles ! — L’époque qu’annonçait le prophète était bien éloignée de lui ; c’était celle où la Parole devait être faite chair, et qu’embrasse le Nouveau Testament. — Cependant il y eut aussi sous l’ancienne Alliance des jours plus ou moins nombreux durant lesquels on vit se réfléchir l’image brillante de ce bel avenir, et où se révélèrent, riches d’espérances, ces temps si ardemment souhaités.
Telle fut, après le déluge, l’époque des patriarches ; elle offre une frappante analogie avec celle du Nouveau Testament ; le même caractère s’y retrouve ; on dirait un tableau prophétique de l’an de grâce et de liberté évangélique. Une simplicité enfantine, une confiance filiale caractérisent les rapports des saints patriarches avec le Tout-Puissant ; personne n’avait encore vu fumer le Mont Sinaï, et aucune loi sévère n’avait menacé le peuple. Ces hommes de Dieu avaient pour seul guide l’amour allumé par la miséricorde de Celui qui avait rendu à la terre son allégresse ; et sous la tente d’un Abraham, comme sous les chênes de Mamré, nous sentons le même esprit que dans la chaumière d’Emmaüs, où l’homme-Dieu vient s’entretenir et manger avec ses disciples.
Une période semblable commença en Israël lors de l’apparition d’Élisée. Dirigeons donc nos méditations sur ces jours, pleins d’une grâce évangélique, et arrêtons-nous quelques instants pour jouir de l’air doux et pur que l’on y respire. Puissions-nous être conduits par l’Esprit de l’Eternel notre Dieu, et trouver, en suivant Élisée dans le cours de sa vie, plus d’un sujet de consolation et plus d’un fruit savoureux mûri dans ces temps reculés.
19 Et les gens de la ville dirent à Élisée : Voici maintenant la demeure de cette ville est bonne, comme mon Seigneur voit ; mais les eaux en sont mauvaises et la terre en est stérile. 20 Et il dit : Apportez-moi un vase neuf et mettez-y du sel, et ils le lui apportèrent. 21 Puis il alla vers le lieu d’où sortaient les eaux, et il y jeta du sel en disant : Ainsi a dit l’Eternel : J’ai rendu ces eaux saines ; elles ne causeront plus la mort, et la terre ne sera plus stérile. 22 Elles furent donc rendues saines, et l’ont été jusqu’à ce jour, selon la parole que l’Eternel avait proférée.
Nous voici donc transportés de nouveau sur ce sol merveilleux où, il y a peu de mois, nous trouvâmes dans les actions et les expériences d’Élie tant de sources de consolations et d’encouragements. La contrée ne nous est point inconnue ; presque tout ce qu’embrasse notre regard nous est familier, et réveille en nous quelque souvenir. Voici la vallée, la montagne, la petite ville ! C’est dans ces lieux que vont se dérouler pour nous une série nouvelle d’images, de scènes et d’événements ; c’est ici que nous apprendrons à connaître la glorieuse histoire d’Élisée, l’homme de Dieu ! Oh ! puissions-nous par la foi accomplir le dessein de Celui qui l’a tracée dans sa parole ! Puisse-t-elle être pour nous une source de joie et de consolation au temps de détresse ! Notre méditation de ce jour sera une espèce d’introduction à la vie du prophète. Nous allons fixer nos regards d’abord sur Élisée et sur les caractères particuliers de sa vocation ; puis, sur la première apparition prophétique de cet homme de Dieu.
Les travaux d’Élisée sont liés à ceux de son illustre prédécesseur, et vous connaissez l’état des choses au moment où, après l’ascension d’Élie, Élisée commença sa carrière prophétique.
Achab, ayant été retranché par le jugement de Dieu dans une bataille contre les Syriens, avait eu pour successeur son fils Achazia. Celui-ci ne vécut pas longtemps, car il était allé consulter Bahal-Zébub, dieu de Hékron, comme s’il n’y eut point eu de Dieu en Israël, et le Thisbite lui avait été envoyé avec ce terrible message : Tu ne descendras point du lit sur lequel tu es monté, mais certainement tu mourras. Il mourut donc après une vie passée dans le crime et l’oubli de Dieu ; la Couronne royale, souillée de toute sorte d’abominations, passa de son front sur celui de son frère Joram, second fils d’Achab et de Jésabel, sous le règne duquel Élisée leva l’étendard prophétique. Vous apprendrez dans la suite à connaître Joram ; mais la parole de Dieu déclare qu’il fit aussi ce qui déplaît au Seigneur, quoique en moins grande mesure que son père et sa mère. Effrayé du terrible châtiment qui avait frappé Achab et Achazia, il trouva prudent de détruire l’odieuse idole de Bahal, que son père avait offerte à l’adoration du peuple ; mais il adhéra au culte du veau d’or et prêta assistance aux prêtres idolâtres, en sorte que, s’il s’inclina parfois devant le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, ce ne fut que l’hommage menteur et passager d’un hypocrite. Sa mère, la reine Jésabel, femme méchante et corrompue, usait de toute sa puissante influence sur l’esprit de ce fils pour exciter sa perversité, et par son moyen amener le peuple à un état d’effroyable corruption. La religion de l’Etat n’était qu’un abominable mélange de vices et d’idolâtrie ; le pays était plongé dans les plus affreuses ténèbres, et la petite église de Dieu, quoique entourée d’une brillante et divine splendeur, ne paraissait que comme une verte oasis au sein d’un désert immense, ou comme une île perdue dans les mers et contre laquelle se déchaînent sans cesse des vents impétueux. Mais l’apparition bienfaisante d’Élisée dissipe la tristesse, et nous semble l’arc-en-ciel consolateur, annonce du salut. Élie fut l’astre brillant qui devait illuminer Israël ; mais Élisée apparut comme la lune dont les rayons ne répandent que calme et sérénité. Sa lumière n’avait ni l’éclat, ni l’ardeur d’un météore embrasé ; mais elle répandait la joie et la paix sur tous ceux qui s’en approchaient. Plusieurs ne voient en Élisée qu’une pâle copie de son illustre prédécesseur, et considèrent ses actions et ses paroles comme les brillantes variations d’un thème plus sublime dans sa simplicité. Cependant l’apparition d’Élisée n’a pas un caractère moins original que celle d’Élie ; Dieu ne se copie pas lui-même dans ses œuvres, et il manifeste son pouvoir créateur sous des formes variées.
Qui donc oserait dire qu’après avoir contemplé la rose, l’on ne peut plus être charmé à la vue d’une fraîche fleur de pommier ? La dernière ne nous semble-t-elle pas aussi belle, aussi merveilleuse selon son espèce que la première ? Sans doute que si la fleur du pommier devait ressembler à une rose à cent feuilles, il y aurait lieu d’établir la comparaison et de dire que la beauté de l’une nous satisfait moins que celle de l’autre ; mais il n’en est rien et soyez assurés, mes bien-aimés, qu’il n’entrait point dans les plans de Dieu de mettre en scène un second Élie en la personne d’Élisée ; si cela était, nous aurions certainement décidé qu’Élie fut le plus grand des deux. La vocation d’Élisée différait complètement de celle du célèbre prophète qui le précéda, et son organisation intellectuelle, ainsi que sa vie, s’accordent parfaitement avec sa mission. Quel faux jugement ne porterait-on pas sur Mélanchton, si l’on croyait qu’il cherchait à devenir un second Luther ? Quel faux jour ne jetterions-nous pas pareillement sur la vie d’un Spener et d’un Tersteegen, si nous comparions leur capacité et leurs travaux à ceux de Knox, de Calvin et de Zwingle. Chacun doit être apprécié selon sa vocation particulière ; c’est ainsi qu’on arrive à la vérité, et que le mérite d’aucun n’est méconnu. Une étoile ne conserve-t-elle pas sa place et sa beauté propre auprès d’une autre étoile ?
Quant à ce qui constitue le caractère distinctif de la vocation d’Élisée, vous avez eu maintes fois déjà l’occasion de le remarquer : le son doux et subtil qu’on entendit sur le mont Horeb, n’annonçait-il pas d’une manière typique la venue d’Élisée et la nouvelle période qui allait commencer en Israël ? Élisée devait paraître au milieu de ce peuple comme évangéliste, comme messager de quelqu’un dont les pieds étaient beaux sur les montagnes. Tandis qu’Élie se présentait comme un autre Moïse pour rétablir la loi qui avait été méprisée et foulée aux pieds, Élisée devait venir comme un héraut de la miséricorde divine et ramener au Seigneur les cœurs que son zélé prédécesseur avait frappés du marteau de la loi, et tirés par sa puissante énergie d’une longue et funeste sécurité. Élisée non seulement avait été choisi par l’Eternel pour accomplir cette mission sublime, mais il y avait été conduit et préparé insensiblement. Toutes ses facultés étaient calculées dans ce but, et les jours même de sa jeunesse, avec leurs incidents si insignifiants en apparence, le disposaient, sans qu’il s’en doutât, à remplir la vocation à laquelle il était destiné. Les cordes de son cœur avaient été de bonne heure formées à une douce harmonie ; elles devaient exprimer des chants d’amour plutôt que les vifs accents d’un zèle impétueux. Il grandit sous l’influence de circonstances favorables au développement des sentiments les plus doux. Au sein d’une belle nature, retenu dans les étroites limites d’une paisible vie de campagne, il n’éprouva pendant plusieurs années d’autres impressions que celles que produisent l’aspect d’un beau ciel et de champs parés de verdure, le tendre amour d’une mère, la simple piété d’un bon père. Lorsque ses chers parents le prirent dans leurs bras en s’écriant avec joie : Il sera appelé Élisée, ils ne se doutaient pas qu’en lui donnant ce nom, ils annonçaient sa vocation future ; car Élisée signifie : Dieu du salut, ou Dieu est mon sauveur, et le fils de Saphat était destiné à glorifier Dieu soit par son nom, soit par sa vie au milieu d’Israël, tandis qu’Élie, dont le nom signifie : Dieu est force, avait dévoilé, aux yeux du peuple insouciant, la justice sévère et la majesté terrible du Très-Haut.
Toute la conduite d’Élisée demeura en harmonie avec sa vocation spéciale. Sa présence même n’avait rien d’effrayant, rien d’imposant, et ses premières années ne furent point plongées dans la mystérieuse obscurité qui jeta un voile impénétrable sur la jeunesse de son maître. En effet, Élie entra dans sa carrière comme un être pour lequel il n’existe aucun rapport avec le reste de l’humanité, comme un messager immédiat du ciel à la terre ; mais son successeur, au lieu d’inspirer comme lui l’étonnement et une admiration mêlée de crainte, s’avança entouré de la douce auréole que forment les liens de la famille et de la patrie. Sa vie était bien connue ; tous avaient vu l’aimable fils de Saphat naître et grandir, labourer les champs et cultiver la vigne de son père ; lui et sa famille étaient unis à la plupart de leurs voisins par les nœuds de la parenté ou de l’affection. Son extérieur attirait la confiance, et portait à croire qu’on trouverait en lui un messager du Ciel bien différent du majestueux et terrible prophète de Galaad. Élisée n’avait, à ce qu’il paraît, ni les formes gigantesques ni la tenue imposante d’Élie ; sa physionomie exprimait l’humilité et la douceur plutôt que le sentiment d’une position élevée ; sa tête chauve, privée de l’ornement de l’homme, semblait être un type de la force de Dieu s’accomplissant dans la faiblesse humaine, et l’on pouvait lire sur toute sa personne et particulièrement dans ses regards cette vérité sublime, qu’il devait faire briller comme une lumière en Israël : Le Seigneur habite dans le lieu haut et saint avec celui qui a le cœur brisé et qui est humble d’esprit, afin de vivifier l’esprit des humbles et les cœurs brisés.
Vous savez, mes bien-aimés, que les grands de la terre cherchent ordinairement à cacher leurs sentiments intimes à leurs inférieurs et leur font même plus ou moins un secret de l’affection qu’ils ressentent pour eux. Ils ne se permettent pas de leur témoigner de la cordialité, ou s’ils le font, c’est rarement avec effusion, jamais dans toute la force du sentiment qu’ils éprouvent. Ils parlent avec froideur et sont aussi économes de leurs protestations que de leur or. Ils croient devoir cette réserve à leur dignité et craignent de s’exposer à une trop grande familiarité. Oh ! combien le Roi des rois agit différemment ! Il n’hésite point à dévoiler à des pécheurs le plus profond de son cœur ! Il manifeste ouvertement sa tendre compassion et son paternel amour pour eux, sans préjudice à sa majesté et à sa gloire ; car sa grandeur est rendue plus frappante encore par cette touchante condescendance.
Mais revenons à notre sujet. Le récit que nous avons sous les yeux nous annonce la première apparition prophétique d’Élisée. Voyez si nous ne trouvons pas ici pleinement confirmé ce que nous disions de la spécialité de sa vocation. Sa première action est le type de sa carrière et de ses travaux. Il est à Jéricho et commence à exercer son ministère dans la ville même où Josué prononça des malédictions de la part de l’Eternel. Il ne menace point, il ne punit point, il ne maudit point ; non, il bénit et cherche à atténuer la malédiction de Josué. Cela n’est-il pas bien significatif ? Aussitôt après le départ de son maître, il s’est rendu dans cette ville pour y attendre, au milieu des fils des prophètes, les premières instructions de Jéhovah. Mais le temps de doux repos qu’il y goûta fut de courte durée ; au bout de peu de jours, il se vit appelé à entrer dans l’exercice actif de ses travaux publics. Les habitants de Jéricho, ayant entendu dire quel était celui qui habitait leur ville, voulurent utiliser sa présence ; ils connaissaient Élisée et l’avaient vu souvent aux côtés du Thisbite. Plusieurs d’entre eux avaient même été témoins du merveilleux passage du Jourdain. Ils le savaient destiné à être le successeur d’Élie, et ne doutaient point qu’il n’eût aussi reçu le don des miracles. Ils se préparent donc à lui adresser une requête qu’ils n’auraient jamais osé présenter au Thisbite, sachant bien que celui-ci eût confirmé la sentence de malédiction plutôt que de la détruire et de la convertir en bénédiction. Mais ils n’attendent d’Élisée rien que de bon. La lumière de l’espérance brille sur eux, la crainte s’envole à l’approche de l’homme de Dieu. Quel bienfait, mes frères, si semblables à lui nous produisions cette douce impression ! Il en serait ainsi, si nous déposions toutes nos prétentions à être autre chose que des vaisseaux de grâce, des gouttes de rosée suspendues aux brins d’herbe, où doit se réfléchir la pure image de Jésus. Plusieurs d’entre nous brillent, sans s’en douter, autant que de belles et lumineuses étoiles ; ils ont leur vie cachée avec Christ en Dieu, et ne demandent plus rien, ni au ciel ni à la terre, après les jouissances que la foi leur procure. Eh bien ! ces personnes-là nous remplissent d’espérance et de consolation ; nous considérons la position assurée qu’elles ont acquise par leur foi, et aussitôt nos doutes se dissipent ; nous voyons les joies profondes qu’elles éprouvent, et nous nous sentons soumis à une influence sanctifiante. Ceux qui sont tristes, oppressés, agités par le doute, s’approchent de ces âmes bénies, comme de la lumière qui doit les éclairer et leur apporter le soulagement ! Elles sont les satellites qui reflètent avec splendeur la miséricorde et l’amour de Jésus. En elles est gravée l’image de Celui qui invite les pécheurs travaillés et chargés à venir à Lui pour avoir le repos. Il nous salue dans leurs regards. Il nous sourit par les traits de leur physionomie. Il parle avec nous dans leurs discours. Nous croyons respirer en leur société l’air pur qui environne le trône de la grâce, et rarement nous les quittons, sans avoir acquis auprès d’elles des vues plus distinctes et des pensées plus élevées.
Voici l’objet pour lequel les habitants de Jéricho voulaient implorer l’assistance d’Élisée : la ville de Jéricho était, dans l’origine, fort admirée pour la beauté de sa position ; une couronne de palmiers, toujours verts, des jardins embaumés, un sol propre à toute espèce de productions, la distinguaient entre toutes les villes, et, dans la terre sainte, aucune autre contrée ne lui était comparable pour la fertilité. Mais depuis le temps de Josué, il n’en était plus ainsi. Les malédictions avaient laissé les traces les plus terribles. Les palmiers voyaient se flétrir leurs rameaux ; les jardins étaient stériles, et les bergers, dont les troupeaux florissants paissaient jadis dans de gras pâturages, se plaignaient amèrement du dépérissement du bétail. Les maladies, les morts précoces affligeaient constamment le peuple. Tous ces malheurs avaient leur cause dans la mauvaise qualité des eaux, qui étaient devenues excessivement malsaines depuis que ce pays avait encouru la malédiction du Seigneur. On ne put jamais découvrir si ces eaux roulaient sur un sol insalubre, ou si leur influence pernicieuse était due à une cause plus mystérieuse et moins matérielle ; mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’elles étaient empoisonnées, qu’elles causaient de grands maux, et qu’elles faisaient regretter que Hiel eût jamais songé à relever de ses ruines, malgré les avertissements de Dieu, cette malheureuse cité. Qu’auraient pu désirer plus ardemment les habitants de Jéricho que d’anéantir tout souvenir de ce temps de funeste mémoire ? Sans doute beaucoup de peines et d’argent furent prodigués dans ce but, mais en vain ; le fléau ne faisait qu’exercer de plus en plus sa désolante influence. Élisée entra enfin dans la ville. « Ah ! s’écria-t-on, s’il voulait venir à notre aide ! » On sentait bien que la main de Dieu seule pouvait bander la plaie qu’elle avait faite, et un miracle guérir des maux arrivés d’une manière surnaturelle. C’est dans cette pensée que l’on s’empressa de s’adresser à l’homme de Dieu. Ceux qui allèrent à sa recherche, le trouvèrent dans la chaumière de l’un des fils des prophètes, et encouragés par son bienveillant accueil, ils exprimèrent modestement leurs souhaits : Vois, la demeure de cette ville est bonne, mais les eaux en sont mauvaises et la terre en est stérile. Oh ! pourquoi ces paroles des habitants de Jéricho me rappellent-elles que, dans notre patrie, il est aussi des lieux où tout semble réjouissant et beau, mais où les eaux sont mauvaises et les champs du cœur humain stériles et déserts. Oui, dans ces lieux les sources spirituelles sont corrompues, et à la place du lait pur de l’Evangile, on distribue au peuple du haut des chaires des églises et des universités, les aliments les plus pernicieux ; c’est là qu’on suce la dangereuse et illusoire conviction que l’homme est assez grand pour se sauver lui-même, et c’est ainsi qu’on éloigne les âmes de Bethléem et de Golgotha : malédiction plus terrible encore que celle qui désola jadis les plaines de Jéricho ! Les champs et la nature entière peuvent être parés de toute leur magnificence, tandis que nos cœurs n’offrent plus que les horreurs d’un désert inhospitalier. La science peut étendre ses rameaux périssables et le monde étaler à loisir ses misérables jouissances ; mais la mort règne dans le désert de notre âme, et tout fleurit dans le jardin intérieur, excepté la pervenche de l’espérance, la rose du céleste amour et le lis de la paix. Oh ! puisse-t-il être dans les plans de Dieu de créer plusieurs Élisées capables de jeter dans ces sources empoisonnées le sel salutaire de la doctrine de la croix ; car partout où il est répandu, les déserts du cœur se transforment en plaines joyeuses et fleuries. Aussitôt que les habitants ont exprimé leur désir, le prophète se montre disposé à y acquiescer. Élisée comprend dès l’abord la portée de leur requête, et cela d’autant mieux que l’Esprit saint lui suggère sur-le-champ ce qu’il doit faire. Il leur dit avec l’assurance d’un homme certain de la réussite de son entreprise : Apportez-moi un vase neuf et y mettez du sel. Et ces hommes s’empressent de satisfaire à la demande du saint prophète, car leurs cœurs sont remplis d’une joyeuse attente. Nous voyons ici qu’Élisée dut se servir d’un moyen extérieur pour parvenir à son but, et cependant ce moyen est si peu efficace de sa nature, qu’on pourrait en attendre l’effet diamétralement opposé. Dans une ville située comme Jéricho non loin de la Mer morte, chacun sait que le sel altère les eaux et les rend malsaines. Le triste spectacle qu’offrent les bords de cette mer, enseigne assez clairement que l’eau salée, loin de rendre le sol fertile, lui ravit au contraire son suc nutritif et donne la mort aux végétaux. En outre, ce qui jeta sur l’action du prophète une teinte plus mystérieuse encore, ce fut le souvenir de la coutume populaire de répandre du sel dans les lieux voués à une éternelle désolation ; mais, on le sent, les propriétés contraires attachées à ce remède ne devaient que rendre le miracle plus manifeste.
On demandera encore dans quel but Élisée se servit de moyens terrestres. Dieu agit à son égard de même qu’envers Moïse, dont la puissance était réduite à néant sans la verge miraculeuse. Cette verge servait à maintenir dans l’humilité le serviteur de Dieu ; de même, si Élisée cut pu rendre ces eaux saines au moyen d’un simple geste ou d’une parole d’autorité, on aurait été tenté de lui attribuer ce miracle, et le but principal en aurait été manqué. Mais l’événement prit par cet intermédiaire une tournure différente : il parut être évidemment l’œuvre de Dieu, qui s’était plu à revêtir de sa puissance une substance incapable par elle-même de corriger le mal.
Un autre motif encore détermina le choix du remède : il n’était point indifférent que les habitants de Jéricho fussent appelés à procurer le vase et le sel. Cette circonstance même entrait dans les calculs divins, elle devait servir à l’accomplissement de la grande et belle mission confiée à Élisée. Quel honneur pour les citoyens de Jéricho de pouvoir prendre une part active à ce grand miracle ! Quelle preuve de bonté ! Quelle condescendance au Seigneur de permettre qu’un vaisseau commun fût employé à une œuvre si relevée et devînt l’instrument de sa toute puissance ! Cette douce familiarité de la part de l’Eternel ne devait-elle pas les engager à prendre courage, ainsi qu’il nous arrive lorsque nous nous approchons de la table sainte, et que nous voyons les vases de nos églises devenir les dépositaires des mystères sacrés et des gages d’un pardon miséricordieux ? Ne durent-ils pas être saisis d’un joyeux pressentiment et contempler par avance ces beaux jours dont il est dit : Et en ces temps-là il sera écrit sur les sonnettes des chevaux : La sainteté à L’Éternel. Et il y aura des chaudières dans la maison de l’Eternel autant que de bassins devant l’autel.
Tous les soins du prophète tendaient à prouver que Jéhovah est un sauveur tendre et miséricordieux, et à donner à sa divine mission un caractère spécial, par le fait même de ce premier acte.
Lorsque Élisée eut reçu le vase, il se rendit, accompagné des habitants de la ville, auprès de l’une des principales sources du voisinage. Arrivé là, il saisit le vase de sa main droite et le jeta dans les eaux bouillonnantes sans paroles pompeuses, mais en disant à haute et intelligible voix : Ainsi a dit l’Eternel : J’ai rendu ces eaux saines ; elles ne causeront plus la mort, et la terre ne sera plus stérile.
Oh ! voyez avec quelle fidélité Élisée sert les intérêts de son maître ! Combien il met de zèle à faire rendre toute la gloire à Celui à qui elle appartient ! Comme il prend garde qu’aucune parcelle n’en reste attachée à ses mains ou aux moyens extérieurs dont il s’est servi ! Le Seigneur seul doit être glorifié ; ce miracle doit paraître ne venir que de Lui, semblable à une salutation d’amour descendant d’En Haut. Ainsi a dit le Seigneur. C’est avec ces paroles de Jéhovah qu’il s’approche de la source, et certes, de telles paroles étaient bien capables d’opérer des merveilles ! Qui donc pourrait m’empêcher de créer de nouveaux mondes si le Seigneur me l’ordonnait ? car sa parole ne connaît ni difficultés, ni obstacles. Aussitôt qu’elle se fait entendre, ce qui n’existait pas apparaît et se trouve prêt pour son service, ce qu’Il nomme reçoit l’être et se présente à Lui !
- Les paroles salutaires dont se servit Élisée ne se font plus entendre parmi nous ; mais si nous appartenons à son peuple, nous en possédons de plus grandes, de plus sublimes encore. Nous disons : Ainsi a dit le Seigneur : Personne ne ravira mes brebis de ma main. Et nous sommes assurés que l’enfer même verra sa puissance échouer contre cet amour. Nous disons : Ainsi a dit le Seigneur : Père, mon désir est touchant ceux que tu m’as donnés, que là où je suis, ils y soient aussi. Et n’en doutons point, lors même que les mers et les montagnes obstrueraient le chemin des cieux, ces obstacles disparaîtraient. Nous disons : Ainsi a dit le Seigneur : Considérez les oiseaux des cieux, ils ne sèment, ni ne moissonnent, et ils n’ont point de celliers ni de greniers ; et cependant Dieu les nourrit : Combien ne valez-vous pas plus qu’eux ? N’avons-nous pas cette assurance qu’avant de nous laisser mourir de faim, Dieu ferait des nuages ses messagers et nous nourrirait par leur moyen ! — Nous disons : Ainsi a dit le Seigneur : Toutes choses concourent ensemble au bien de ceux qui aiment Dieu. Nous savons donc que les choses les plus nuisibles en apparence peuvent se changer pour nous en abondantes bénédictions ! Oh ! nous sommes entourés de semblables paroles comme d’une forteresse inexpugnable ; et vous le voyez, elles ne sont pas moins puissantes que les paroles sacramentelles prononcées sur la source au nom de Jéhovah.
A peine ces mots sont-ils sortis des lèvres d’Élisée, que l’effet merveilleux s’est déjà montré. Le courant a-t-il pris une autre direction ? La nature de la source a-t-elle changé ? Nul ne peut le dire. Il suffit de savoir que dès ce moment-là, l’eau ne laisse plus rien à désirer. Partout où elle passe, elle répand la santé et la vie. Elle est bonne et rafraîchissante. Les campagnes et les prairies qu’elle arrose retrouvent leur beauté première. Gens et bêtes y puisent une vie nouvelle, et au bout de peu de temps, l’on ne voit plus de traces des maux qui désolèrent Jéricho. La population, naguère faible et maladive, redevient vigoureuse, pleine de force et de beauté. La sécurité et le contentement règnent partout. Tous les habitants, jeunes et vieux, sont animés d’une joyeuse et nouvelle activité ; des bénédictions s’élèvent de toutes parts. Les cris des vendangeurs retentissent du milieu des vignes, et le berger, entouré de ses agneaux les plus beaux, y répond par un chant d’allégresse. Le laboureur ne songe plus qu’à augmenter le nombre de ses chevaux vigoureux pour ouvrir, avec le soc de la charrue, ses terres grasses et fertiles, il prépare de plus vastes greniers pour serrer ses abondantes moissons. Le voyageur lui-même déclare n’avoir trouvé nulle part une eau aussi agréable que celle de Jéricho, et de nos jours encore cette louange est méritée.
Quelle magnifique révélation de Dieu se trouve dans ce miracle ! Que son amour et sa puissance y sont glorieusement déployés ? Quel sceau remarquable ce fait imprime sur la divine mission du prophète ! Qui donc après cela pourra douter du pouvoir au nom duquel il se présente en Israël ? Quelle brillante auréole entoure maintenant sa carrière ! Aucun des messagers de Jéhovah ne commença jamais l’exercice de ses fonctions d’une manière aussi véritablement évangélique. Son premier acte est d’anéantir une sentence de malédiction pesant sur la contrée depuis près de cinq cents ans, et de rendre un paradis déchu à sa splendeur première. C’est ainsi qu’il légitime sa sublime mission.
Nous aussi, nous espérons voir se renouveler de nos jours le miracle de Jéricho. Nous languissons dans cette attente, et nous prions sans cesse pour qu’elle se réalise. Hélas ! comme celles de Jéricho, nos sources sont stagnantes et empoisonnées ! elles vomissent une écume mortelle qui menace de la destruction non point seulement une ville et la contrée environnante, mais le monde entier. On me demande de quelles sources je veux parler. Je veux parler des tendances dominantes de ce siècle éloigné de Dieu ; de ces principes politiques et moraux qui, semblables à un levain corrompu, ont déjà commencé à soulever les masses et exercé une si pernicieuse influence sur la conduite d’un grand nombre. Je parle des sciences, qui, complètement séparées de tout élément divin, aspirent à enfermer toutes choses dans les bornes étroites du monde matériel ; de ces arts qui, après avoir dédaigneusement renoncé à faire pressentir, suivant leur destination primitive, un monde meilleur, dévouent leurs pinceaux et leurs lyres à tout ce qui est vil et méprisable, et tissent autour du péché une brillante enveloppe. Je parle encore de ces poésies dont l’esprit s’allume aux flammes de l’enfer, dont l’inspiration provient d’une sensualité brutale, et dont les impudentes moqueries sur tout ce qui est moral et décent sont qualifiées du beau nom de génie. — J’ai de même en vue une certaine théologie qui s’énonce pompeusement comme le fait le père du mensonge, qui est fausse comme lui, et qui, bien que déguisée en ange de lumière, veille en fidèle servante aux intérêts de Lucifer dans l’Eglise. — Je parle d’une philosophie qui bannit de son trône le Dieu des dieux et annule toute distinction entre la création et le Créateur ; d’une politique stupide et impie qui se rit de la constitution que le Seigneur a donnée au monde, et qui tâche d’élever l’homme — ce vase d’argile — au-dessus du Maître de l’univers, et d’imposer pour règle aux peuples, au lieu des éternels principes de la justice, les volontés arbitraires de misérables pécheurs.
Ah ! qui peut s’empêcher, à la vue de toutes ces choses, de remarquer que nous sommes dans une situation analogue à celle de Jéricho, et que nos fontaines sont empoisonnées ? Comment ne nous lamenterions-nous pas, en voyant les torrents fangeux de certains journaux périodiques se répandre dans le pays ? Comment ne dirions-nous pas avec les habitants de la ville des palmiers : Les eaux sont mauvaises et la terre est stérile ! Mais vous, ô Élisées, auxquels fut confié le sel salutaire, répandez-le au près et au loin. Ne vous inquiétez point de savoir si les vases sont neufs, mais déposez-y seulement le sel ancien et pur qui seul peut opérer des miracles ; jetez-le au nom du Seigneur dans les eaux boueuses de ce siècle impie, et vous accomplirez de plus grandes choses encore que le prophète. Répandez-le, ce sel béni, et les solitudes s’égaieront, les champs se réjouiront et fleuriront comme des lis.