Le titre inhabituel de cet ouvrage, qui semble sous-entendre que la théologie de l’Ancien Testament diffère essentiellement de celle du Nouveau, s’explique par le développement de la pensée protestante à l’égard de la première partie de la Bible. Cette dernière peut s’étudier généralement sous trois rapports : celui des caractéristiques techniques de chacun des livres qui la composent, cherchant à en fixer la date, la source, les circonstances, le plan, la forme littéraire ; c’est ce qu’on appelait autrefois (à l’époque d’Œhler) l’Introduction à l’Ancien Testament, et aujourd’hui la Critique biblique. On doit ensuite analyser le contenu des livres, du point de vue historique, géographique, archéologique, etc. Enfin, le théologien s’efforce de dégager du texte la pensée religieuse, les grandes vérités spirituelles qu’il contient sur Dieu, sur l’homme, sur le péché ; c’est là l’objet de la Dogmatique.
Les réformateurs du xvie siècle entièrement absorbés par la question du salut de l’homme ne se sont guère intéressés à l’étude critique et historique de l’A. T. Ils ont par contre prétendu y retrouver sans distinction toutes les doctrines du Nouveau, au point de ne plus considérer les Écritures que comme un grand catéchisme dogmatique unifié, duquel ils pouvaient puiser à volonté leurs sujets de prédication. La moisson de cette exploitation artificielle et exagérée du texte biblique, fut en grande partie la sèche et stérile scolastique protestante, l’orthodoxie morte du xviie s., contre laquelle le siècle suivant devait réagir. Le xviiie s. vit en effet s’installer et régner la théologie dite rationaliste, qui n’accorde de crédit à l’Écriture que dans la mesure des passages répondant aux besoins, aux aspirations et à la raison de l’homme ; et qui, inspirée du déisme, n’accepte point de dogmes extérieurs. Au xixe s. la Critique biblique prend le relais, elle s’évertue à saper la crédibilité historique de l’A. T., et à révoquer en doute tout son contenu supranaturaliste.
En réponse aux abus de la dogmatique et aux mensonges du libéralisme, l’idée d’une Théologie Biblique, respectueuse du texte et de son contexte historique, a commencé à germer dans la pensée protestante évangélique. Son fondement repose non pas sur l’infaillibilité d’un syllabus venu directement du Ciel pour nous catéchiser, et égal en importance dans toutes ses parties, mais sur le fait de la Révélation ; Dieu s’est révélé à l’homme, la Bible n’est pas ce fait lui-même, mais le document de ce fait. La révélation a été progressive, historique, consistant principalement en actes divins, et non en doctrines. En conséquence, la Théologie de l’Ancien Testament, ne peut pas être équivalente à celle du Nouveau ; elle ne la contient qu’en germe, et de manière incomplète. Gustave-Frédéric Œhler a été, parmi d’autres, un pionnier de cette façon de comprendre l’Écriture. Son traducteur français, Henri de Rougemont (1839-1900) fit partie du comité de rédaction de la célèbre Bible annotée de Neuchâtel, dont les excellentes notes doivent ainsi beaucoup à ce travail de traduction qu’il menait de front.
Cent cinquante ans plus tard, on pourrait penser que les idées d’Œhler sont devenues banales, et son ouvrage trop ancien. Ce serait compter sans le dicton qui veut que « ceux qui n’apprennent rien de l’histoire sont condamnés à la répéter ». Or la théologie d’expression française, en admettant qu’elle existe, ne peut pas connaître grand-chose de son histoire puisque, se détournant de son passé et renonçant à une identité qui lui soit propre, elle se contente de singer toutes les modes venues d’Amérique : au temps du dispensationalisme, elle ne jurait que par les notes de la Bible Scofield et les commentaires de MacArthur, au temps de Piper et de Keller, la voilà plus calviniste que Calvin. Il était donc inévitable que, sans s’effrayer d’un anachronisme ridicule, elle retombe dans des travers dogmatiques vieux de cinq siècles. Mieux, abolissant toute différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament, elle est prête à vous démontrer que la grande commission d’évangéliser toutes les nations, laissée par Jésus-Christ à ses apôtres, n’est pas autre chose que le mandat culturel donné à Adam et Ève, de se multiplier et de remplir la terre ; par le truchement de l’intertextualité, elle vous prouve que quand Jean fait dire à Pilate : « Voici l’homme… », ce n’est que pour le menu plaisir de faire un clin d’œil à Zacharie 6.12 : « Voici, un homme, dont le nom est germe… » ; et d’afficher une multitude de mômeries semblables, dont les réformateurs eux-mêmes auraient eu honte.
A l’opposé, la lecture du solide et riche monument construit par Herr Professor Œhler de Tubingue, Ancien Testament en main pour vérifier les nombreuses références, un interlinéaire hébreu à portée, émulera le bon sens exégétique de chacun, et exaltera son admiration et sa gratitude envers ce Dieu tout-puissant qui a su, avec une sagesse et une patience infinies, préparer l’humanité déchue et rebelle à la venue de son Sauveur.
Phoenix, le 12 décembre 2017
G.-F. Œler (1812-1872)