Contre les hérésies

INTRODUCTION À L’OUVRAGE DE SAINT IRÉNÉE

DES GNOSTIQUES.

Les croyances des gnostiques enlevèrent un grand nombre de fidèles aux Églises de l’Asie-Mineure, de la Syrie, de la Palestine, de l’Égypte, de l’Italie, de l’Espagne et de la Gaule, et transmirent, comme le dit un de leurs historiens, jusqu’aux générations du moyen âge, les germes de ces associations mystiques et théosophiques qui furent si nombreuses.

« L’histoire des gnostiques, ajoute le même historien, est l’histoire de trente à quarante sectes qui dressèrent leurs écoles à côté des premiers temples chrétiens ; c’est l’histoire de vingt à trente sectes qui, sorties de la primitive Église, vinrent la combattre avec les armes que leur fournissaient et la doctrine qu’elle leur avait communiquée, et les systèmes qu’elles empruntèrent au monde ancien tout entier.

« Si le Christianisme eut à soutenir une lutte aussi vive dès son origine, c’est dans la générosité même de ses principes qu’il faut en chercher la première cause. Il invitait le monde entier à venir se placer dans ses rangs ; il ne mettait point d’autres bornes à son universalité que celles du genre humain ; il sanctionnait comme autant de dogmes les espérances les plus sublimes de l’homme. Dès-lors, il ne pouvait tarder à posséder dans ses sanctuaires et ses écoles des individus de tous les peuples et des éléments de tous les systèmes. Jusqu’alors toutes les législations religieuses s’étaient bornées à une seule nation, et n’avaient rencontré dans leur origine qu’une seule opposition : le Christianisme, s’adressant à tous les esprits, dut provoquer plus de fermentation dans son sein, et plus de résistance au-dehors que tout ce qui l’avait précédé. Le Christianisme est d’ailleurs entré dans le monde à l’une des époques les plus caractéristiques de l’esprit humain. Tous les systèmes avaient été élevés, et tous les systèmes s’écroulaient. Depuis cet ébranlement général qui était résulté des guerres d’Alexandre dans les trois parties du monde, les doctrines de la Grèce, de l’Égypte, de la Perse et de l’Inde se rencontraient et se confondaient partout. Toutes les barrières qui jadis avaient séparé les nations étaient rompues, et les peuples de l’occident qui avaient toujours rattaché leurs croyances aux croyances de l’orient, s’étaient hâtés de les y retremper. Les Grecs, dont l’esprit n’avait jamais été grave, avaient surtout le besoin de savoir ; et, comme ils ne trouvaient rien dans leurs philosophes, ils s’emparèrent bientôt avec empressement des croyances les plus fortes que leur offraient la Palestine, l’Égypte, la Chaldée, la Perse et l’Inde, et bientôt plusieurs d’entre eux vinrent demander au Christianisme ce qu’ils avaient cherché vainement partout ailleurs. Le Christianisme vit bientôt ses oratoires s’élever sur les bords de l’Euphrate et du Gange comme sur ceux du Nil et du Tibre, et les plus notables de ses prosélytes étaient précisément ces hommes qui avaient déjà cherché la vérité dans plusieurs sanctuaires ou dans plusieurs écoles.

« En embrassant la religion chrétienne, les hommes qui la préféraient à toutes les autres se proposaient sans doute de bonne foi de renoncer à ces dernières ; mais façonnés, pour ainsi dire, par l’habitude de se composer un système avec tous les systèmes, ils confondirent bientôt la religion et la philosophie, l’enseignement public et les traditions mystérieuses. Les nouveaux convertis, conservant leur esprit propre et leurs habitudes d’esprit et de cœur, voulurent bientôt remplir, par leurs propres ides, les lacunes qu’ils croyaient voir dans le Christianisme. Leurs successeurs, plus hardis, affirmèrent qu’en général les écrits primitifs des apôtres étaient non-seulement incomplets, mais que les dogmes qui y sont exposés devaient recevoir des mains de la philosophie l’ordonnance systématique qui lui manquait. Plus tard, d’autres docteurs, fidèles aux antiques traditions des sanctuaires et des écoles, replacèrent, pour ainsi dire, à l’entrée du Saint des saints, ce voile impénétrable qui séparait le vulgaire des chefs de la croyance, et qui s’était déchiré au moment où s’accomplissait la mission de Jésus-Christ. Les ouvrages des apôtres, disaient-ils, ne pouvaient qu’indiquer certains enseignements, et devaient se taire jusques sur les éléments des autres. Les articles de la foi vulgaire, c’était tout ce qu’ils pouvaient exposer au vulgaire. Les mystères très-supérieurs devaient se communiquer aux esprits supérieurs. En empruntant pour la désignation de cette prétendue science supérieure un terme solennel (Gnosis), dont les apôtres s’étaient servis, en effet, pour indiquer cette supériorité de savoir que donne la révélation, ils coloraient avec adresse la prétention d’avoir reçu leur science des disciples des plus grands apôtres.

« L’idée fondamentale de ces docteurs était donc empruntée aux doctrines anciennes qui, presque toutes, distinguaient leurs adhérents en plusieurs classes. Cependant leurs intentions ne se bornaient pas à l’emprunt d’une vaine distinction. Ils créèrent réellement une doctrine différente de celle du vulgaire, et ils la créèrent avec une telle indépendance, que l’histoire des spéculations de l’esprit humain n’offre rien d’analogue à cette audace, qui bientôt se transporta non-seulement, au-delà de toutes les bornes du monde sensible, mais jusques dans le sein du monde des intelligences, jusques dans l’abîme impénétrable et ineffable d’où sont émanés et où doivent rentrer un jour, suivant eux, tous les êtres qu’anime une étincelle du feu divin.

« Toutes les fois que les doctrines des apôtres étaient contraires aux leurs, soit qu’ils eussent puisé leurs idées dans Platon, dans Philon, dans le Zend-Avesta ou dans la Kabbale, ils avancèrent hardiment que les Épîtres des apôtres ou les Évangiles avaient été tronqués, interposés ou falsifiés. Tels furent les gnostiques ou les initiés de la science supérieure, et leur doctrine ne fut autre chose que l’introduction dans le sein du Christianisme de toutes les spéculations cosmologiques et théosophiques qui avaient formé la partie la plus considérable des anciennes religions de l’orient. Émanation du sein de Dieu de tous les êtres spirituels, dégénération progressive de ces émanations, rédemption et retour vers la pureté du Créateur, rétablissement de la primitive harmonie de tous les êtres, vie heureuse et vraiment divine de tous dans le sein de Dieu ; voilà les enseignements fondamentaux des gnostiques.

« Les sectes des gnostiques furent les spéculations de l’Asie, de l’Égypte et de la Grèce, qui, renversées par le Christianisme, cherchèrent à lutter avec leur vainqueur, en s’associant même avec lui pour mieux réussir à l’abattre. Elles furent préparées par le zoroastrisme, se communiquant au judaïsme et enfantant la kabbale ; le judaïsme s’associant avec les doctrines platoniques, et produisant la philosophie gréco-philonienne. Enfin les élèves de ce système entrèrent dans le Christianisme en lui apportant une partie de leur langage.

« Le plus ancien antagoniste des gnostiques est saint Irénée, qui a publié contre eux un ouvrage étendu et savant en cinq livres, dont le premier seul nous est parvenu intégralement, tandis que nous ne possédons plus des autres que des fragments. Cet écrivain, né d’une famille grecque et chrétienne, apparemment de l’Asie mineure, florissait précisément en même temps que les principales écoles des gnostiques. L’un des hommes les plus marquants de son siècle, soit par sa dignité épiscopale, soit par son génie et son érudition, il connaissait également bien le Christianisme apostolique, les sectes principales, les écoles gnostiques, les traditions de la mythologie et les écrits des philosophes. Il avait reçu de saint Polycarpe et de saint Papias, disciples de saint Jean, la tradition chrétienne. Il était plein de zèle pour la pureté de cette doctrine, et il ne s’éleva guère d’enseignement nouveau de son temps, qu’il ne s’en instruisît aussitôt pour pouvoir mieux le combattre. Dans les discussions suscitées par les montanistes, ce fut lui qui chargea la communauté lyonnaise de porter ses lettres à Rome ; quand Blastus se prononça pour la coutume que suivait l’orient dans la célébration de Pâques, ce fut lui qui le réfuta ; lorsque, plus tard, le même docteur embrassa le système de Valentin, ce fut lui qui attaqua ce système dans son principe fondamental, le dogme de l’ogdoade. Lorsqu’enfin Marcion vint prétendre que les apôtres avaient mal entendu leur maître, et que leurs élèves avaient altéré les écrits apostoliques, ce fut encore lui qui entreprit de montrer quelle était la véritable doctrine des Chrétiens. Il avait l’avantage de bien connaître les anciens poètes et les philosophes, ainsi qu’on le voit par ses citations et par ses révélations sur les emprunts faits à l’antiquité par les gnostiques.

« Tertullien avait donc raison de l’appeler un avide explorateur de toutes les doctrines ; il les suivait toutes avec attention, malgré l’éloignement où le tenait son diocèse. Il joignait à ces qualités une grande modération dans ses jugements ; nous en citerons pour preuve sa lettre au pape Victor, où il blâme vivement un zèle trop ardent pour une coutume que pourtant il révère lui-même. Son grand ouvrage tout entier le fait connaître comme un homme aussi sage qu’instruit ; ce n’est point pour briller qu’il l’a écrit ; rien n’y décèle la passion, et tout y inspire la confiance.

« Le livre du savant Théophile d’Antioche contre Marcion est perdu, et il ne nous reste qu’un fragment léger de celui de Rhodon contre le même docteur ; mais saint Clément d’Alexandrie, plus instruit qu’eux, nous dédommage en quelque sorte de toutes ces pertes, et l’intervalle qui le sépare de saint Irénée est peu considérable. Né dans le paganisme, soit en Grèce, soit en Égypte, saint Clément fit ses premières études à Athènes, voyagea plus tard en Asie, et finit par s’établir dans Alexandrie, le centre de toutes les connaissances du monde civilisé. Bientôt, porté à la place de saint Pantène, comme chef de l’école d’érudition que les Chrétiens avaient fondée dans Alexandrie, pour qu’elle leur fournît des hommes capables de lutter à la fois contre les philosophes et les hérétiques, il se trouvait dans l’obligation de suivre toutes les doctrines de son temps. En présence de ces philosophes qui ressuscitaient les traditions de la mythologie la plus antique pour leur prêter les idées de spéculation les plus récentes, en présence de ces sectaires qui paraissaient déterminés à faire entrer dans le Christianisme les théories les plus secrètes de la Perse et de la Chaldée, de la Judée et de l’Égypte, saint Clément était, par sa position, forcé d’étudier l’histoire et la philosophie, les systèmes de la religion et ceux de la mythologie. Aussi ses ouvrages, et surtout ses Stromates, sont-ils une mine inépuisable de données les plus précieuses sur son temps et sur l’antiquité. Voyons d’abord, d’après ces écrivains, quelle a été l’origine du gnosticisme.

« Platon, qui avait hérité de la doctrine de Pythagore, appelait gnôsis la partie transcendante de la philosophie. Pour lui, les choses véritables, les choses réelles, ce sont les idées ou les types, les intelligences d’après lesquelles ont été créées toutes les choses visibles qui ne sont qu’autant de phénomènes transitoires. La seule véritable philosophie était, selon lui, la connaissance du monde intellectuel ; et c’est ainsi que les gnostiques définissaient la science. Ainsi que Platon ils s’occupent principalement du On, de celui qui est par lui-même éternel, immuable, seul parfait, et de ses développements ou de ses émanations, en un mot de ses Æons, qui répondent aux idées de Platon.

L’école judaïque d’Alexandrie, fondée par Aristobule et Philon, voulut expliquer le code des Juifs par le moyen du système allégorique.

Philon dit que l’Être suprême est la lumière, que son image est le Logos, forme plus brillante que le feu. Le Logos demeure en Dieu ; car c’est dans son intelligence que l’Être suprême se fait les types et les idées. Le Logos est le véhicule par lequel Dieu agit sur l’univers. Le Logos étant le monde des idées, le Kosmos au moyen duquel Dieu a créé les choses visibles, il est le Theos presbuteros en comparaison du monde qui est aussi Dieu. Dieu est seul sage ; il s’est uni avec la Sophia, la science ; il lui a communiqué le germe de la création, et elle a enfanté le monde matériel.

Dieu a donné à l’homme l’âme ou l’intelligence ; mais, dans son état actuel, l’âme humaine possède un élément qui n’est pas de Dieu ; car elle se compose d’un principe rationnel et d’un principe irrationnel. Dieu n’a fourni que le premier qui répond au Logos et au Noûs (intelligence) ; le second, le principe anti-rationnel, celui des penchants et des passions qui enfantent le désordre, provient de ces esprits infernaux qui remplissent les airs comme ministres de Dieu. L’état actuel de l’homme est bien différent de son état primitif.

Tout cet ensemble d’opinions que l’Être suprême est un foyer de lumières dont les rayons ou les émanations pénètrent l’univers ; que les lumières et les ténèbres, principes ennemis de tout temps, luttent continuellement ensemble pour s’arracher la domination du monde ; que le monde a été créé, non par l’Être suprême, mais par un agent secondaire, qui n’est autre chose que sa parole, et suivant des types qui ne sont autre chose que ses idées, et avec une intelligence, une Sophia, qui n’est autre chose qu’un de ses attributs ; que le monde visible est l’image du monde invisible ; que la plus pure essence de l’âme humaine est l’image de Dieu ; que l’âme a préexisté au corps ; que le but de son exigence terrestre n’est autre que celui de se dégager du corps qui n’est que sa prison ou son sépulcre ; et qu’elle s’élèvera dans les régions supérieures, dès qu’elle sera purifiée par cette existence, voilà le fonds où ont puisé les gnostiques, et si l’on veut y faire attention, c’est dans la fusion qui s’opéra parmi les Juifs, transplantés sur les bords de l’Euphrate et du Tigre, entre leurs doctrines et celles de la Perse, qu’il faut chercher l’origine du gnosticisme : ce sont les doctrines persanes transportées par les Juifs dans la ville d’Alexandrie et confondues par leurs meilleurs écrivains, avec celles de leurs livres sacrés et celles du platonisme, qui forment les éléments de la gnôsis.

Dans le système de Zend-Avesta, l’Être suprême est qualifié de temps sans bornes. Le commencement de la création se fit par émanation. La première émanation de l’Éternel fut la lumière primitive, et de cette lumière sortit le roi de lumière Ormuzd. Au moyen de la parole, Ormuzd créa le monde pur. Il en est le conservateur et le gage ; il est un être saint et céleste, il est l’intelligence et la science.

Ormuzd, le premier-né du temps sans bornes, commença par créer, d’après son image, six génies nommés Amshaspands, qui sont ses organes auprès des esprits inférieurs, auprès des hommes. Ces génies, dont Ormuzd est le premier, sont des deux sexes, et les kabbalistes et les gnostiques les ont adoptés dans leurs systèmes avec cette distinction.

La seconde série des créations d’Ormuzd fut celle des Yzeds, qui veillent avec lui, ils sont les modèles des hommes. Leur chef est Mithra ; ils sont au nombre de vingt-huit.

Le troisième ordre des esprits purs est celui des Ferouers, qui sont les pensées d’Ormuzd. Ils purifieront les hommes du mal lors de la résurrection.

La création de ces chefs, et de ces armées célestes, était devenue nécessaire. Le second, né de l’Éternel, Ahriman, émané, comme Ormuzd de la lumière primitive, et pur comme lui, mais ambitieux et plein d’orgueil, était devenu jaloux du premier-né. Sa haine et son orgueil l’avaient fait condamner par l’Être suprême à habiter, pendant une période de douze mille ans, le noir empire des ténèbres. Mais Ahriman avait créé une foule innombrable de mauvais génies, de Dews, qui remplissaient le monde et y disputaient partout l’empire à Ormuzd et à ses auxiliaires. Aux sept Amshaspands étaient opposés sept Archidews, attachés aux sept planètes. Aux Yzeds et aux Ferouers résistait l’immense corps des Dews, répandant tous les maux de l’ordre physique et moral. Ils étaient comme les bons génies des deux sexes. Le dragon était l’image de leur chef Ahriman.

Bientôt la guerre était descendue sur la terre. Ormuzd, après un règne de trois mille ans, avait créé le monde matériel en six périodes, appelant successivement à l’existence la lumière, l’eau, la terre, les plantes, les animaux et l’homme. Ahriman avait concouru à la formation de la terre et de l’eau, puisque les ténèbres étaient déjà dans ces éléments et qu’Ormuzd n’avait pu en exclure leur maître.

Il en avait été de même de la création de l’homme. Ormuzd avait produit, par sa volonté et sa parole, un être qui était le type et la source de vie universelle pour tout ce qui existe sous les cieux ; mais son adversaire était parvenu à le tuer dans la forme dont il était revêtu ; et lorsque Ormuzd eut fait venir des semences recueillies et épurées de cet être, le premier couple des hommes, Meschia et Meschiana, son ennemi, avait trouvé moyen de séduire et de corrompre encore ces derniers. Non-seulement il avait altéré de cette manière la nature des hommes, il avait encore opposé aux bons animaux appelés à l’existence par Ormuzd, des animaux aussi méchants que les loups, les serpents et les insectes vénéneux, et en général il avait répandu le mal et la mort sur toute la création.

La kabbale appartient plus à la Palestine qu’à l’Égypte. Elle appartient aux Juifs de la Palestine, et non aux Juifs d’Alexandrie.

L’idée de l’émanation est pour ainsi dire l’âme, le caractère essentiel de la kabbale. La kabbale semble remonter au temps de l’exil.

Suivant la kabbale, comme suivant la doctrine de Zoroastre, tout ce qui existe est émané d’une source de lumière infinie. Avant toutes les choses, existait l’être primitif, le vieux des jours, l’ancien roi de la lumière. C’est ce roi de lumière qui est le tout, il est la cause réelle de toutes les existences, il est infini, il est lui, il est un œil fermé.

Le monde est la révélation du roi de lumière et ne subsiste qu’en lui. Mais ce n’est encore que son manteau. Tout étant émané de l’Être suprême, plus un être est rapproché de lui, plus il est parfait, plus il s’en éloigne sur l’échelle des émanations, plus il perd en pureté.

Avant la création des mondes, la lumière primitive remplissait tout, en sorte qu’il n’y avait point de vide ; et lorsque l’Être suprême, qui existait dans cette lumière, résolut de déployer et de manifester ces perfections dans des mondes, il se retira en lui-même et forma autour de lui un espace vide, dans lequel il laissa tomber sa première émanation, rayon de lumière, qui est la cause, le principe de tout ce qui existe ; qui réunit à la fois la forme génératrice et conceptive, qui est père et mère dans le sens le plus sublime, qui pénètre tout et sans lequel rien ne saurait subsister. C’est de cette double force désignée par les deux premières lettres du mot Jehovah, qu’est émané le premier-né de Dieu, la forme universelle et le contenant général de tous les êtres uni avec l’infini par le rayon primitif. C’est lui qui est le créateur, le conservateur et le principe animant du monde. Il est lumière de lumière, ayant les trois forces primitives de la divinité, la lumière, l’esprit et la vie. Comme il a reçu ce qu’il donne, la lumière et la vie, il est également considéré comme principe générateur et conceptif, comme homme primitif, Adam Kadmon.

Adam Kadmon s’est révélé en dix émanations qui pourtant ne sont pas des êtres, qui ne sont que des sources de vie, des vases de toute puissance, des types de création, ce sont la couronne, la sagesse, la prudence, la sévérité, la beauté, la victoire, la gloire, le fondement et l’empire. On voit que ce sont là proprement les attributs de l’Être suprême.

Ces dix Sephiroth ont servi de types, suivant lesquels la création s’est faite ; et c’est d’elle que sont émanés quatre degrés d’êtres ou quatre mondes, nommés Aziluth, Briah, Jezirah et Asiah, c’est-à-dire les mondes d’émanation, de création, de formation et de fabrication.

Le monde d’émanation, uni immédiatement avec Adam Kadmon, est le plus pur ; les autres vont de déchéance en déchéance ; le monde de fabrication est le monde matériel. Cependant, dans tout ce qui existe, il n’y a rien de purement matériel ; tout vient de Dieu par irradiation, tout subsiste par le rayon divin qui pénètre la création ; tout est uni par l’esprit de Dieu, qui est la vie de la vie ; tout est Dieu. Aussi les kabbalistes considèrent-ils l’ensemble des choses comme une grande et unique chaîne des intelligences, qu’ils classent entre trente-deux parts. Ces trente-deux intelligences ne sont pourtant pas non plus des êtres ; ce sont des éléments, des énergies d’où se forment des substances et des êtres.

L’immense chaîne des êtres qui, en dernière analyse, sont tous émanés de Dieu, mais qui offrent par la succession des émanations une variété infinie d’existences, est répartie et classée d’une manière analogue à la nature de chacun d’eux. Le monde Aziluth est habité par les Parzuphim, les plus pures émanations de Dieu, qui existent par elles-mêmes, et qui n’ont rien de matériel. Les habitants de Briah sont d’un rang inférieur, ils sont les ministres d’Aziluth ; mais ils sont encore immatériels. Ceux de Jézirah, un peu moins purs, sont les serviteurs de Briah, et l’on distingue parmi eux les chérubins, les séraphins, les hélachins, les élohims et les béneiélochims. Ceux d’Asiah, au contraire, qui sont le plus éloignés du grand roi de la lumière, sont des êtres matériels, des esprits méchants, des klippoth, de grossières enveloppes d’émanations ; ils sont des deux sexes. Leur chef est Bélial ; ils combattent le règne du bien, et séduisent les hommes.

Les erreurs, les guerres, les séductions, le mal qui en est la source, et, en général, cette affligeante scission des esprits purs et des mauvais génies, n’existaient pas dans l’origine ; tout était uni, tout était plein de la même lumière divine, tout était pur. Une révolution funeste, la chute des sept rois qui tombèrent en désordre, est venue déranger l’univers et en troubler l’harmonie. La création tout entière allait être compromise. Cependant le Créateur tira des sept rois le principe du bien et de la lumière, et la distribua sur les quatre mondes ou les quatre classes d’êtres, en sorte que ceux des trois premières classes reçurent des intelligences pures, unies en amour et en harmonie, tandis que la quatrième n’eut que les grossières enveloppes de l’empire de la lumière, avec quelques faibles rayons de cet empire.

Lorsque la lutte qui s’est établie entre les klippoth et les bons anges sera parvenue au période déterminé, lorsque ces esprits enveloppés de ténèbres auront assez longtemps et en vain essayé d’absorber la vie et la lumière divine, l’Éternel viendra lui-même les corriger ; il les délivrera de la matière qui les captive, ranimera et fortifiera le rayon de lumière et la nature spirituelle qu’ils possèdent, et rétablira dans tout l’univers la primitive et sainte harmonie qui en fait la félicité.

L’âme de l’homme prend en dernier lieu son origine dans l’Être suprême ; mais elle tient plus immédiatement encore aux quatre mondes des esprits ; aussi se compose-t-elle de quatre parties distinctes ; du Nephesch, qui provient de l’Asiah, et qui est le siège des appétits physiques ; du Ruach, qui émane du Jézirah, et qui est le siége des passions ; du Neschaah, qui est sorti de Briah, et qui constitue la raison ; enfin du Chaiah qui est émané d’Aziluth, et qui est le véritable principe de la vie spirituelle.

Toutes les âmes du genre humain ont préexisté dans le protoplaste, et se sont corrompues avec lui par l’influence des mauvais esprits. Elles sont reléguées dans des corps pour y expier leurs fautes, et pour s’y exercer dans le bien. C’est par la prière et la vertu qu’elles peuvent se dégager de leur enveloppe. Celles qui, en quittant le corps qu’elles habitent, ne seront pas assez pures pour entrer dans le monde Aziluth, recommenceront une nouvelle migration jusqu’à ce qu’elles soient dignes de prendre part, avec les esprits de lumière, à la contemplation de l’Être suprême dont la splendeur remplit l’univers.

C’est à Alexandrie que vinrent se réunir les doctrines persanne, judaïque et grecque, et que commença le gnosticisme.

L’affluence dans Alexandrie des philosophes et des doctrines de tous les peuples a dû nécessairement modifier plus d’une fois le langage de cette poignée de Grecs, que le génie d’Alexandre transporta aux extrémités de l’Égypte, et que le destin rendit bientôt dépositaires de tout ce que l’esprit humain avait jusqu’alors produit de systèmes. Alexandrie devint le théâtre de tous les événements et de toutes les révolutions, de toutes les combinaisons qu’ils enfantent. Dans les commencements ce fut le platonisme qui domina : bientôt il s’associa le pythagoréisme et le péripatétisme ; mais aucun de ces systèmes n’avait plus sa primitive pureté, et aucun ne conserva celle qu’il avait encore. Les antiques doctrines de l’Égypte et de la Grèce, les enseignements mystérieux de la Thrace et de la Samothrace, d’Éleusis et de Saïs, pénétrèrent dans les trois principaux systèmes de la Grèce ; et des doctrines, qui n’avaient eu jusqu’alors ni contact, ni affinité avec eux, vinrent se combiner avec leurs principes, ou du moins s’alimenter à leur source. Dans la personne d’Aristobule, le judaïsme s’empara d’Aristote ; dans celle de Philon, il s’implanta le platonisme ; les esséniens et les thérapeutes réunirent ce que les prêtres de l’Égypte et de la Perse, ce que Pythagore et Platon leur offraient de plus sublime, et les kabbalistes renchérissant sur eux, firent entrer dans leurs enseignements le zoroastrisme presque tout entier.

De deux révolutions nouvelles, opérées sur cet important théâtre, sortirent, après l’établissement du Christianisme, deux doctrines nouvelles, celle des gnostiques et celle des nouveaux platoniciens.

Pour suivre le développement de la secte des gnostiques, il faut se rappeler que, lorsque saint Paul déclara que le Christianisme devait s’adresser à toutes les nations et se dépouiller des formes légales des Juifs, des sectaires, partisans du système opposé à celui de ce grand apôtre, se formèrent, se répandirent dans toute la Palestine, la Syrie et quelques îles. Ces sectaires, connus sous le nom d’ébionites et de nazaréens, familiarisés avec les opinions des esséniens, des thérapeutes, de Philon et des kabbalistes, se trouvèrent fort rapprochés des gnostiques.

Plus le Christianisme se répandait en Égypte, en Orient et en Grèce, plus il devait acquérir de partisans, qui alliaient au désir de recevoir des lumières l’orgueil d’en donner. Les hommes qui avaient vu ce qui s’était passé avant eux sachant avec quelle facilité les opinions persanes, assyriennes et chaldéennes, s’étaient jadis confondues sur les bords du Tigre et de l’Euphrate, les opinions égyptiennes et grecques sur les bords du Nil, les opinions persanes et judaïques sur les bords du Jourdain, devaient se flatter que les idées chrétiennes se mêleraient à leur tour avec celles de toutes les régions où elles venaient pour s’établir.

Simon le samaritain et Cérinthe paraissent avoir été les premiers gnostiques. On trouvera dans saint Irénée l’explication de leurs systèmes, et jusqu’où est tombée l’école de Simon. Cette école se divisa, et elle se partagea en plusieurs sectes dont nous ne connaissons plus que les noms. Ces sectes tombèrent bientôt dans l’oubli. Tel fut le sort des cléobiens, des gorthéniens, des masbathéens, des adrianites, des eutychètes, et des douzléens.

Les ménandriens firent exception.

Ménandre fut le véritable chef de l’école après la mort du maître ; il éclipsa tous les autres simoniens ; aussi se disait-il envoyé par la puissance suprême de Dieu, ambition que, depuis lui, parmi tous les chefs de systèmes, Montanus, Manès et Mahomet ont seuls répétée, chacun à sa manière. Il baptisait par son propre nom, et son baptême conférait l’immortalité et le pouvoir de vaincre les puissances intellectuelles qui gouvernent ce monde. Ménandre différait en cela de Simon, dont la doctrine seule affranchissait les siens du pouvoir des anges. Quant à l’immortalité, il la promettait de telle sorte que ses disciples, toujours jeunes, ne devaient sentir ni les approches de la mort, ni celles de la vieillesse.

Ménandre, comme Simon, avait paru du vivant des derniers apôtres. Le troisième des précurseurs immédiats du gnosticisme fut Cérinthe. Il ne se disait ni dieu, ni puissance de dieu, ni messie, ni prophète ; seulement, suivant Eusèbe, il s’attribuait des révélations de la part des anges.

Originaire de la Judée, il avait habité la Judée, et s’y était familiarisé avec l’école allégorique de Philon. Ces études déterminèrent son amour pour les rites du mosaïsme auxquels l’allégorie prêtait des idées si profondes. Il en désirait la conservation dans le Christianisme. Son opposition en Palestine contre les apôtres le conduisit dans l’Asie proconsulaire. Il espérait là plus de liberté, car, quoique on doive le considérer comme chrétien judaïsant, il se plaçait trop au-dessus du vulgaire, pour vouloir se rattacher à ce parti, d’ailleurs nombreux en Palestine. Il joignait au Christianisme des principes de l’école d’Égypte et de la philosophie orientale. Avec Philon, la Kabbale, le Zend-Avesta et tout l’orient, il admettait entre l’Être suprême et le monde matériel une distance et une antipathie trop grande pour attribuer au premier la création du second. Une puissance inférieure, qui ne connaissait pas l’Être suprême, et qui en était séparée par une série d’Æons, avait créé le monde.

Simon avait considéré le judaïsme comme l’institution d’un esprit secondaire, d’un de ces anges auxquels Cérinthe attribua le monde. Cérinthe regarda l’auteur de la loi, non-seulement comme un agent subalterne, mais comme un mauvais esprit.

Précurseur des gnostiques, Cérinthe paraît avoir été celui des ébionites. Les nicolaïtes furent encore une branche de la gnôsis.

Ce fut sous le pontificat d’Anicet, contemporain de saint Polycarpe, qu’avait formé saint Jean, que se montrèrent les écoles des gnostiques. C’était vers l’année 120 de notre ère. On les vit bientôt s’élever en Syrie comme en Égypte, en Italie comme en Asie mineure.

Si nous donnons aujourd’hui à tous ces dissidents le nom commun de gnostiques, ce n’est pas qu’ils l’aient pris eux-mêmes, ni qu’ils l’aient tous mérité au même degré, ni qu’ils se soient tous considérés comme des frères, ce n’est que dans les derniers temps que les partis gnostiques se sont rapprochés pour soutenir une cause commune.

Les uns, marchant sur les traces des kabbalistes, faisaient dériver la connaissance, gnôsis, d’une antique révélation ; les autres, semblables à Philon, regardaient l’intuition extatique du monde extérieur comme la véritable source de la science ; d’autres, plus chrétiens, bornaient toutes leurs prétentions à tenir leur doctrine de quelque disciple de Jésus-Christ, plus capable que les autres de saisir l’enseignement du Sauveur dans toute sa pureté. Aucune école de gnostiques ne donna la raison de l’homme pour source du système qu’elle professait.

Les grandes écoles auxquelles se rattachent toutes les sectes gnostiques sont celles de la Syrie, de l’Égypte et de l’Asie mineure.

Les deux premiers chefs des écoles de Syrie et d’Égypte sont Saturnin et Basilide, tous deux syriens. L’un et l’autre sont considérés comme élèves de Simon, de Ménandre et de Cérinthe. Il faut donc considérer la Syrie comme le premier foyer de cette erreur. L’idée dominante de l’école de Syrie est le dualisme de l’Asie centrale, ou les deux principes. En Égypte, c’est l’idée de la matière, dans le sens de l’école platonique, qui prédomine, avec ses attributs du vide, des ténèbres et de la mort, en sorte qu’elle ne s’anime que par la communication d’un principe de vie divine. Ce qui résiste à cette communication est satan ou bien la matière, c’est-à-dire ce qui ne participe pas à Dieu, qui est tout, est considéré négativement et par abstraction comme la limite de ce qui existe ; ce qui réduit le dualisme en panthéisme. Là, en Syrie, le dualisme, d’accord avec le parsisme, admet au contraire un second principe intellectuel, très-actif dans son empire des ténèbres, et très-audacieux contre l’empire des lumières.

Quant à l’origine du monde intellectuel et du monde inférieur, toutes les écoles gnostiques sont d’accord sur les deux principes de l’émanation et de la création par le Demiurgos. Le monde intellectuel est le déploiement des facultés de l’Être suprême, du Père inconnu ; le monde inférieur, au contraire, est loin d’être l’ouvrage de Dieu, il est celui d’une puissance inférieure. Mais quant à la nature de cette puissance, et au mode de ses créations, les écoles de Syrie et d’Égypte se partagèrent suivant l’influence du parsisme sur l’une, et du platonisme sur l’autre. L’école d’Égypte se rattache d’un côté aux idées de Philon sur la création du monde par les anges et les ministres de Dieu, ayant à leur tête un chef qui gouverne tout ; et d’un autre côté aux idées de l’âme du monde, telle que l’enseignaient les Platoniciens, c’est-à-dire créant et agissant dans le monde visible comme agent de l’intelligence suprême, tâchant d’y réaliser les idées que lui communique cette intelligence et qui surpassent ses conceptions.

Dans l’école d’Égypte le Demiurgos était un être moins parfait que Dieu, mais il n’était pas un mauvais génie. Dans l’école de Syrie le Demiurgos était l’ennemi de Dieu.

Des directions aussi divergentes sur les principes constitutifs de la théorie ont dû en faire naître d’analogues dans la pratique. L’école de Syrie, regardant la création comme l’ouvrage d’une puissance ennemie de Dieu, a dû se livrer à un ascétisme beaucoup plus rigoureux que celui de l’école d’Égypte qui, avec son mépris des lois du judaïsme, en est venue jusqu’au mépris des lois morales et de toute législation positive, à la législation de la nature.

L’école de Marcion, qui est la troisième, est une émanation des écoles de Syrie et d’Égypte ; elle s’en distingue pourtant par ses tendances plus pratiques et par une sorte d’éloignement pour les spéculations purement métaphysiques. Ainsi que celles d’Égypte, elle s’est partagée à son tour en plusieurs branches, et ce phénomène était d’autant plus inévitable qu’originaire à la fois de la Syrie et de l’Asie mineure, elle se forma à Rome, se répandit de là en Égypte, en Syrie, en Palestine et dans plusieurs autres contrées.

Puisque nous avons parlé de l’école de Syrie, il est bon de faire connaître la cosmogonie phénicienne, telle que la présente Sanchoniaton, parce qu’elle a eu de l’influence sur le gnosticisme syrien.

Selon Sanchoniaton, le principe de toute chose est un être moitié matériel, moitié spirituel ; c’est à la fois un air ténébreux, animé, fécondé par l’esprit et un chaos désordonné couvert de ténèbres. Ce principe est infini.

L’esprit fut bientôt saisi du désir de s’unir avec ses propres principes, et cet amour a été l’origine de la création. La première union produisit le mot, la matière ou la mère qui servit à créer, d’où s’échappa toute semence de création et de génération. De certains êtres supérieurs, élevés au-dessus des sens, naquirent d’autres êtres doués d’intelligence et nommés les contemplateurs du ciel.

Vint ensuite le tour des corps célestes, des phénomènes de la lumière et du vent, du tonnerre, des habitants de l’air, de la terre et de la mer. C’est par une sorte de réveil sensible que les êtres sensibles passent à une existence animée.

La création de l’homme rappelle plusieurs autres anthropogonies. Les premiers mortels furent Eon et Protogonos, c’est-à-dire l’être qui dure un certain temps et le premier-né. Ils furent faits par l’Esprit, la voix de Dieu, et sa femme Baavt la nuit ; c’est-à-dire que la volonté de Dieu les fit sortir de la non-existence. Leurs enfants, nommés Génos et Généa, ont habité la Phénicie. Ils étaient déjà tellement éloignés de l’Être suprême, du Père inconnu, qu’ils adorèrent le ciel, le prenant pour le souverain maître des choses. Cependant une race d’enfants de lumière, portant les noms de lumière, de feu de flamme, est descendue de Génos et de Généa, et cette race a été suivie d’une race de géants auxquels on a donné dans le cours des siècles, les noms des montagnes qu’ils avaient habitées. Les générations se sont continuées ainsi, toujours en descendant, et produisant deux à deux les chefs des divers travaux de la vie terrestre. Quelques-uns de ces chefs ont été honorés d’un culte spécial par leurs neveux. Agros et Agrotis qui ont appris aux hommes à cultiver les champs et qui ont été élevés jusqu’aux dieux, ont eu pour fils Amynos et Magos, les pères de Mysoreth et de Sydyk, mortels si célèbres qu’ils ont passé dans les rangs des dieux, ainsi que leurs enfants, Taout et les Cabises, inventeurs de l’écriture et de la navigation. Leur contemporain Eliun et sa compagne Péryth furent également des êtres d’un ordre élevé ; ils ont donné le jour à Autochton, qui fut depuis nommé Uranos, et à sa sœur . Eliun ou Hypsistos fut encore placé parmi les dieux. Son fils, lui ayant succédé, a donné le jour à Kronos, Betylos, Dagon et Atlas. Kronos, qui avait pour secrétaire Hermès, versé dans tous les arts, et surtout dans celui de la magie, fut le père de Perséphoné et d’Athena ; ses compagnons étaient les Elohim ; ses épouses, Astarté, Rhéa et Dioné ou Baaltis ; ses fils, Kronos, Zeus-Bel et Apollon. La gloire de ces derniers fut pourtant éclipsée par celle d’Asclépios, fils de Sydyk et par celle de Melkarth, petit-fils d’Uranos. Melkarth devint même, dans la suite des temps, la principale divinité des Phéniciens.

Tels sont les principaux traits des antiques doctrines phéniciennes. La Perse, la Chaldée, l’Égypte, la Judée et la Grèce s’y trouvent représentées.

Ainsi, nos lecteurs ont maintenant les éléments dont se composent les doctrines de Saturnin et de Bardesane, principaux chefs de l’école gnostique de Syrie.

Cerdon et Marcion appartiennent à l’école et aux sectes gnostiques de l’Asie mineure et de l’Italie. Les fondateurs étaient originaires, l’un de la Syrie, l’autre de l’Asie mineure.

Basilide et Valentin appartiennent aux écoles et aux sectes des gnostiques d’Égypte.

Pour bien comprendre les idées de ces gnostiques, il est nécessaire d’exposer le système religieux des Égyptiens.

Ainsi que dans les systèmes de Zoroastre, de la kabbale et des gnostiques de la Syrie, l’Être suprême des Égyptiens, Anon et Amon-Ré est un Dieu occulte et caché ; il est l’obscurité inconnue, l’obscurité au-dessus de toute intelligence. Amon est la source de la vie divine ; il est le Plerum, car il comprend toutes choses en lui-même ; il est la lumière, car il est le Dieu soleil ; il ne crée rien, mais tout émane de lui. Lorsque le moment de créer fut venu, l’Être suprême, qui ne pouvait opérer la création directement, fit sortir de lui, par sa voix, ce qui rappelle le Logos, un être femelle qu’il féconda et qui devint la mère divine de toutes choses, ce fut Néith. Néith ne formait qu’un tout avec l’Être suprême, ce ne fut que le principe générateur femelle. On peut comparer Néith avec la pensée primitive. Elle est la force qui met tout en mouvement : elle est une divinité de lumière ; car le soleil est son fils, et la fête des lampes de Saïs se célébrait en son honneur.

Après Amon le dieu Mendès est l’un des plus anciens du système de l’Égypte. La compagne de ce Dieu pourrait être la déesse Sovan (Sythia), qui est la déesse protectrice de la maternité. Les syzigies divines qui se succédèrent ne sont qu’autant de manifestations ou d’émanations les unes des autres.

Un autre déploiement de l’Être suprême est Chnoubis, le Cneph d’Eusèbe. Il est le demiurge ou la puissance créatrice, il est aussi la puissance de la vie et de la mort. Quelques analogies pourraient lui faire associer la déesse Sati qui est la Junon égyptienne. Elle porte le titre de fille du soleil, et doit être par conséquent plus jeune que Bouto, mère du soleil, épouse de Phthathoré, qui est une forme subséquente de Cnouphis. Le déploiement le plus remarquable est celui de Phtha. Le démiurge Cnouphis voulant réaliser la création conçue dans Néith, intelligence suprême, fit sortir de sa bouche, c’est-à-dire produisit par la parole un œuf, c’est-à-dire l’univers, ou du moins la matière de l’univers, renfermant en elle-même l’ouvrier, l’agent divin, l’intelligence qui devait tout disposer. La syzygos de ce dieu pourrait être la déesse Anonké, la Heré ou l’Istia des Grecs.

Le dernier membre de l’ogdoade supérieure et le premier de la duodécade (période de 12 ans) qui s’y rattache est le Dieu Phré, le soleil. Sa compagne est Zéphé (Uranie). Tiphé avec les sept corps célestes, tous animés, tous spiritualisés, suivant les anciennes croyances, est le type d’Ana Sophia et des sept esprits planétaires qui président avec elle au gouvernement du monde sublunaire.

On sait que les Égyptiens admettaient trois émanations successives ou trois ordres de divinités, composées, le premier de huit, le second de douze, et le troisième de dix ou de trois cent soixante-cinq dieux. On peut remarquer les rapports entre la théogonie égyptienne et le gnosticisme, ce sont les opinions d’une ogdoade émanée par syzygies d’un père inconnu ; d’une duodécade émanée de l’ogdoade, et d’une décade émanée de la duodécade, et se combinant avec le nombre de trois cent soixante intelligences.

Après les modifications de l’ogdoade venaient celles de la duodécade. Nous n’en parlerons pas ici.

Ce qui est clair, c’est que les écoles gnostiques d’Égypte ont trouvé dans les anciennes doctrines de ce pays, non-seulement leurs idées fondamentales d’un être suprême inconnu, originairement caché, se révélant successivement par une suite d’êtres qui émanent, soit de son sein, soit les uns des autres par syzygies, qui gouvernent en son nom le monde visible, dont l’un, son agent et son organe particulier est le créateur, et dont les autres se partagent avec lui le gouvernement, tandis que d’autres encore conduisent les mortels auxquels ils ont communiqué, en créant leurs âmes, quelques rayons de la vie divine émanée de l’Être suprême ; c’est ainsi que les gnostiques ont trouvé en Égypte non-seulement les idées fondamentales de l’émanation des dieux et des âmes humaines du sein de Dieu, mais encore une foule de théories accessoires avec tous les symptômes et les emblèmes qu’y rattachaient les anciennes initiations.

Basilide et Valentin sont les gnostiques de l’école d’Égypte. Basilide naquit en Syrie. Il doit avoir entendu Ménandre, le continuateur de Simon. S’étant rendu en Égypte comme Cérinthe, dont les dernières années touchaient à son enfance, il y subit des influences qui le conduisirent à une nouvelle doctrine gnostique. Il l’enseigna dans Alexandrie, et il est probable qu’il ne quitta plus cette ville. Les doctrines qu’il y trouva expliquent parfaitement la sienne ; c’étaient les anciens enseignements de l’Égypte, modifiés par des relations avec la Judée, la Perse et la Grèce ; c’étaient les théories du platonisme et du pythagorisme, modifiées par Aristobule et Philon ; c’étaient les croyances chrétiennes altérées par leur alliance avec l’érudition alexandrine.

Basilide prétendit ne pas innover, il disait avoir reçu son enseignement de Plaucia, interprète de saint Pierre. Basilide, pour expliquer l’origine du mal adopta l’idée des deux principes.

Les basilidiens ne publièrent rien, et leurs écoles se perdirent, tandis que celle de Valentin s’élevait.

Valentin, que saint Irénée place à la tête des gnostiques, paraît avoir été d’origine judaïque, mais élevé dans le Christianisme, au milieu de toutes les opinions que les sages et les savants agitaient alors dans la capitale de l’Égypte, sa patrie. Il est probable qu’il connut encore jeune la doctrine de Basilide. Il commença à se faire remarquer par son enseignement vers l’an 136. Ses ouvrages sont perdus pour nous, mais il nous reste quelques fragments de ses lettres, de ses traités, de ses homélies ; et saint Irénée, saint Clément d’Alexandrie et Origène nous donnent sur ses écrits des renseignements abondants.

Il resta quelques temps uni en apparence à l’Église. Ce qui pouvait le rendre suspect à une époque qui touchait aux derniers jours de saint Jean, c’était sa prétention de posséder seul la véritable doctrine chrétienne, c’est-à-dire les secrets communiqués par le Sauveur aux apôtres, ou la tradition de Théodus, disciple de saint Paul. Avec une pareille prétention, il ne pouvait guère tarder à se trahir. Il précipita lui-même la découverte de ses erreurs en quittant la ville d’Alexandrie pour Rome où l’enseignement était beaucoup plus surveillé, et où les principaux chefs du gnosticisme, Simon et Marcion, paraissent ne s’être rendus que pour se faire condamner. Il y arriva vers l’an 140 de notre ère, y fut excommunié jusqu’à trois fois, et finit par se rendre en Chypre où il se forma un nombreux parti.

Le système de Valentin est très-bien exposé par saint Irénée.

Quels sont les êtres dont parle Valentin ou les allégories ? Où en a-t-il pris les noms et les modèles ? Son ogdoade n’est que l’Être suprême en manifestations. La décade et la duodécade qui font partie du Plerum en seconde et en troisième ligne ne sont encore que des manifestations de l’Être suprême.

Valentin a cherché dans ses spéculations à résoudre deux grands problèmes : celui du mélange du bien et du mal qu’on remarque partout dans l’ordre actuel des choses, et celui de la formation de la matière par un être intellectuel. La différence entre la matière et l’esprit, et leur incompatibilité lui semblaient telles, qu’il ne s’expliquait leur rencontre et leurs rapports qu’au moyen d’une longue série d’êtres qu’il plaçait entre l’un et l’autre.

En Égypte, à Rome, en Chypre, Valentin eut de nombreux partisans. Ceux des successeurs de Valentin qui acquirent le plus de célébrité, par les modifications qu’ils firent dans le système de leur maître, furent Secundus, Épiphane, Isidore, Ptolémée, Marcus, Colorbasus, Héracléon, Théodote et Alexandre. Axiomius seul resta fidèle aux dogmes de Valentin.

Les valentiniens finirent dans la démoralisation la plus complète. Ils prétendirent que les spirituels ne pouvaient se corrompre, et se permirent les plus grands désordres ; ils osaient se nommer la semence d’élection.

M. de Matter termine ainsi son histoire du gnosticisme :

« Sous quelque point de vue que nous puissions l’examiner, soit dans ses doctrines, soit dans son culte, soit dans son influence sur ses partisans, soit dans celle qu’il exerça sur les autres sectes philosophiques ou religieuses, le gnosticisme occupe dans les annales du genre humain une place des plus remarquables. Celui dont l’esprit, en lisant l’histoire, aime à rechercher les causes de cette vaste et rapide succession d’événements, trouvera que le gnosticisme forme un chapitre assez curieux dans les travaux de l’humanité.

Nous croyons que nos lecteurs nous sauront gré de leur avoir fait connaître tous ces détails, sans lesquels il serait difficile de comprendre saint Irénée.

 retour à la page d'index chapitre suivant