A la lecture des œuvres d’Abbadie, il apparaît qu’il s’est nourri abondamment de la substance des écrivains de son siècle, dans la recherche de la vérité : Descartes pour la métaphysique, La Rochefoucauld pour la psychologie. Et pourquoi le lui reprocher ? L’apologétique chrétienne a parfaitement le droit d’utiliser tout ce qui dans le développement de la pensée humaine, lui semble propre à défendre et à confirmer sa vision du monde. Certes un syllogisme n’a jamais converti personne, l’essence de la foi consistant dans une relation vivante entre l’homme et Dieu, non dans une conclusion intellectuelle ; mais les Traités du plus grand apologiste du dix-septième siècle n’ont jamais ambitionné de se placer au-delà du simple bon-sens cartésien, éclairé par le texte biblique. Le troisième tome du Traité sur la Vérité de la Religion Chrétienne n’est pas davantage une thèse de christologie : l’auteur veut seulement constater la réalité du mystère de l’incarnation du Fils de Dieu, mais il s’interdit d’y discuter la manière du mystère, son comment, qui reste complètement inaccessible à notre compréhension.
Le mépris dans lequel le protestantisme du dix-neuvième siècle a ensuite tenu Abbadie, semble d’autant plus injustifié qu’une démonstration de la divinité de Jésus-Christ ne s’adresse pas à ceux qui en sont déjà convaincus, mais à ceux qui en doutent : un tel effort exerce son effet préparatoire sur les cœurs honnêtes et bons, dans lesquels germera un jour la Parole.
Pour sa part, le vingt-et-unième siècle évangélique ne se prononce pas sur notre écrivain, qui, quoiqu’ayant vécu une grande partie de sa vie en exil en Angleterre, n’a rien écrit en anglais que l’on aurait pu traduire en français : par conséquent aucun de ses ouvrages ne mérite de se trouver dans une libraire évangélique… Ne serait-ce que pour lui apprendre à s’exprimer dans une langue claire, précise et nette, dépourvue de galimatias philosophique, la lecture du Traité sur la Divinité de Jésus-Christ sera bénéfique à l’amateur d’apologétique.
Phoenix, le 11 avril 2018