Nous nous sommes quelquefois demandés pourquoi les personnes qui ont entrepris la traduction du « Voyage du Chrétien » se sont arrêtées à la première partie de cet ouvrage intéressant. Pour expliquer cette lacune, il faut supposer nécessairement que les traducteurs ont jugé le premier volume comme présentant un travail complet, tandis que le voyage de « Christiana » ne leur a point paru offrir assez d’intérêt pour mériter une place parmi nos publications. Telle n’a cependant pas été l’impression que nous avons reçue après une première et même une seconde lecture de ce livre. Il nous a semblé que cette seconde partie était, non seulement un complément de la première, comme l’indique le titre, mais qu’elle pouvait être, sous la bénédiction divine, un puissant moyen de réveiller les pécheurs, et de nourrir et fortifier la foi des enfants de Dieu. C’est dans la confiance qu’elle atteindra ce double but que nous la publions, après avoir toutefois longtemps hésité et mûrement réfléchi. Il ne faut pas se le dissimuler, c’est une tâche laborieuse en même temps qu’agréable que nous nous sommes imposée. Le traducteur trouve encore une fois l’occasion de confesser que son travail se ressent, comme tout ce qu’il fait, de sa grande faiblesse. Aussi, aurait-il cédé volontiers sa place à quelqu’un de plus habile et de plus exercé, et c’est après avoir laissé écouler un intervalle de plusieurs années qu’il a revu sa traduction en manuscrit, et s’est enfin décidé à la publier. Il compte donc sur l’indulgence de son lecteur pour les imperfections de style qu’il peut y rencontrer. On lui reprochera peut-être avec raison d’être trop esclave de la traduction, d’où il suit que le livre perd de son attrait pour l’esprit, mais non de sa valeur pour l’homme sérieux qui tient plus au fond qu’à la forme. Il a fort bien compris l’inconvénient, et il ne prétend pas que pour conserver à un ouvrage le ton et l’originalité de son auteur, il faille toujours s’en tenir rigoureusement au texte. C’est là précisément que gît la difficulté dans la traduction d’un livre sérieux et profond, unique dans son genre, et un livre, qui fut écrit, il y a environ deux cents ans. D’autres auraient rendu aux images choisies de Bunyan tout le charme qu’elles ont dans l’original, et auraient présenté de même sa pensée dans une forme de langage beaucoup plus agréable.
Mais, encore une fois, nous n’avons nullement la prétention de satisfaire à toutes les exigences d’un public littéraire. L’ouvrage n’a pas été traduit en vue des gens de lettres, bien que notre désir fût de les rendre également attentifs aux grandes vérités qu’il renferme ; il s’adresse plus particulièrement à une classe de personnes déjà nourries du lait de l’Évangile, et c’est à ces humbles de la terre que nous espérons pouvoir rendre quelque service, en leur donnant la suite d’un ouvrage, qui a déjà produit tant de bien. Les âmes simples arrivent plus facilement à comprendre les mystères choisis que Dieu dérobe à l’intelligence des sages. Quoique notre travail se borne au simple rôle de traducteur, il n’a fallu rien moins que cette dernière considération, dictée par les paroles mêmes de notre Seigneur, pour nous déterminer à faire paraître en notre langue « Christiana et ses Enfants. »
Il ne faudrait pas confondre ce livre que nous venons de traduire, avec un autre ouvrage qui a paru sous le titre de « Voyage et progrès de trois enfants vers la bienheureuse éternité. » Celui-ci n’est qu’une imitation du « Voyage du Chrétien. » Sans méconnaître le mérite de cette production qui vous intéresse et vous captive autant par l’originalité de ses figures, que par le fond sérieux de ses idées, nous croyons qu’elle ne remplit pas le même but et ne saurait avoir la même chance de succès.
Le récit du voyage de Christiana présenté sous la forme d’un songe, nous fait entrer dans les réalités de la vie chrétienne. Quoique appelée dans des circonstances et d’une manière différentes de celles de son prédécesseur, Christiana n’en fait pas moins les mêmes expériences, et doit suivre le chemin de l’humiliation pour arriver à la cité céleste. Ce sont les mêmes luttes, les mêmes aspirations, les mêmes espérances, la même foi, le même bonheur qui sont dépeints dans ce livre ; on y retrouve le même corps de doctrines. Cependant, la vie de Christiana et de ses enfants nous présente de nouvelles phases intéressantes du christianisme pratique ; elle nous fait connaître peut-être d’une manière plus intime les tendresses et les inépuisables compassions de Dieu, en même temps qu’elle nous fait descendre dans les replis les plus cachés du cœur humain. Peut-on voir une image plus saisissante de la miséricorde divine que celle de cette jeune fille justement appelée de ce nom ? Et ces nourrissons qui sont d’abord à un état de régénération, puis de tendre jeunesse et enfin d’adolescence, ne nous montrent-ils pas avec beaucoup de force les progrès spirituels que les élus de Dieu sont appelés à faire ? C’est bien le cas de dire ici que « le sentier des justes est comme la lumière resplendissante, qui augmente son éclat jusqu’à ce que le jour soit en sa perfection, (Prov. 4.18 : Le sentier des justes est comme la lumière resplendissante, Qui va grandissant jusqu’au plein jour.) » ou bien avec David : « Oh !Que bienheureux sont ceux dont la force est en toi, et ceux au cœur desquels sont les chemins battus !Ils marchent de force en force pour se présenter devant Dieu en Sion. (Psa. 84.5,7 : Heureux les habitants de ta maison ! Ils peuvent te célébrer toujours. (Jeu d’instruments.)) ». Enfin, n’avons-nous pas dans cette série d’allégories si admirablement choisies et si variées, l’histoire ou le drame le plus complet de la vie chrétienne ? Nous ne craignons pas de le dire, « Christiana et ses enfants » est bien le compagnon du « Voyage du Chrétien. » Dans Christiana, sans négliger les doctrines fondamentales du salut, l’auteur s’attache spécialement à démontrer les écueils que l’enfant de Dieu rencontre sur sa route, en faisant ressortir les devoirs importants que nous sommes trop disposés à oublier quant aux détails de la vie.
Le titre du livre, de même que les figures qui y sont employées, peuvent n’exciter d’abord que la curiosité du lecteur ; mais lorsque celui-ci vient à comprendre le rôle important qui est assigné à chacun de ces personnages figurés, il ne peut plus rester indifférent ; il est frappé par la logique du raisonnement aussi bien que par le contraste qui existe entre la vraie foi et les vaines théories d’un faux système, ou d’une religion de forme qui s’adapte au goût de tout le monde. Nous désirerions que chacun voulût reconnaître son portrait dans le tableau que Bunyan retrace avec tant de fidélité, en montrant à l’homme la nécessité de recourir à la grâce et à la puissance divine pour le changement du cœur, et d’accepter le pardon qui lui est offert en Jésus-Christ. Pour peu qu’il soit sérieux et attentif, le lecteur ne sera pas seulement frappé par la force des arguments qui lui sont proposés, mais il sera en quelque sorte confondu par l’autorité de l’Écriture sur laquelle s’appuie sans cesse l’auteur de « Christiana. »
Sans avoir un goût très prononcé pour les gravures, nous nous sommes crus autorisé et obligé d’en faire usage pour faciliter aux jeunes lecteurs l’intelligence du sujet. Nous avons d’abord considéré les ressources pécuniaires dont nous pouvions disposer, et le surcroît de dépenses qui devait être naturellement occasionné par la main d’œuvre ; cependant nous n’avons pas cru devoir reculer devant une difficulté de ce genre. Nous avons donc introduit dans l’ouvrage neuf dessins différents, en rapport avec les principales circonstances du voyage, et cela, dans l’espoir que les frais qui s’ajoutent nécessairement au prix du volume, seront compensés par l’agrément que les lecteurs pourront en retirer. Maintenant, nous formons des vœux pour que Dieu veuille bien accompagner de sa bénédiction ce petit messager, partout où il ira publier les merveilles de la Grâce en Jésus-Christ.
F.E.
Paris, février 1855.