Faut-il traduire Calvin en français moderne ? A l’évidence, non ; si l’on désire vraiment s’immerger dans l’atmosphère du réformateur, il faut le lire dans le texte. Un amateur de littérature à qui l’on proposerait de traduire Rabelais pousserait, avec raison, des cris d’orfraie : toute la saveur du verbe serait perdue dans le procédé. Par contre, si le but premier recherché est d’exposer clairement la logique de Calvin, alors oui, un travail considérable d’adaptation à la langue actuelle, se justifie, et a déjà été fait. Avec très peu d’efforts, pourtant, un lecteur moyen peut arriver à lire sans peine l’Institution de la Religion Chrétienne dans des éditions anciennes (en comparaison, que serait-ce s’il lui fallait apprendre le latin, la langue naturelle de Calvin écrivain !). Un petit glossaire de moins de cent mots lui prouvera qu’en réalité l’obstacle linguistique est infime.
Cette édition numérique de l’Institution reproduit celle de Meyrueis de 1859, parce qu’elle représente un bon compromis entre la fatigue visuelle qu’engendrerait une typographie où toutes les s seraient des f et des z, les j des i, et une orthographe complètement modernisée, qui ne ferait plus couleur locale. A la belle introduction de ces deux volumes, nous avons rajouté celle de 1865, très savante, qui se trouve dans la grande édition des œuvres de Calvin (en 58 volumes) par trois théologiens de la faculté de Strasbourg : Reuss, Baum et Cunitz.
C’est Augustin Marlorat (1506-1562) qui aurait été ravi par l’invention des hyperliens. Ce prédicateur protestant mort en martyr, a été le principal collaborateur de Calvin dans le travail d’édition de l’Institution. C’est à lui que l’on doit toutes les références bibliques rencontrées, que Calvin citait de mémoire, sans avoir le temps d’aller rechercher l’endroit précis. En 1568 parut une édition contenant deux Indices élaborés par Marlorat : le premier classe par ordre alphabétique les sujets traités et la référence des sections où ils se trouvent ; le second contient toutes les citations bibliques indiquées dans les sections.
Le premier indice reste la manière la plus commode et la plus agréable de naviguer dans l’Institution. Car sa table des matières détaillée, l’est tellement, qu’elle constitue un petit livre à elle seule, et qu’il lui faudrait à son tour sa propre table des matières. Nous avons avantageusement remplacé le second indice (celui des citations bibliques), par une construction automatique de la liste des versets, pris dans la traduction de la Bible annotée de Neuchâtel.
Beaucoup d’évangéliques qui n’ont jamais lu Calvin, ou seulement quelques extraits, s’imaginent que sa théologie se résume tout entière par le décret horrible, ou dogme de la double prédestination ; à savoir que Dieu prédestine non seulement certains hommes au salut, les élus, mais encore tous les autres à la damnation éternelle. Or pour Calvin, la prédestination des perdus à la perdition n’est qu’une conséquence logique inéluctable, déduite de la doctrine biblique de l’élection : choisir certains individus, c’est forcément écarter les autres. Mais Calvin ne s’attarde guère sur cette déduction, à laquelle la raison est incapable d’échapper ; il ne cherche ni à sonder le mystère de l’élection, ni à trouver dans les Ecritures une preuve de la prédestination des damnés, puisqu’elle n’en contient pas. Loin des hautes sphères métaphysiques, sa pensée revient toujours à son souci principal : attribuer entièrement la gloire à Dieu dans l’œuvre du salut, en empêchant que les sauvés aillent s’imaginer que leur élection soit basée sur quelque mérite propre, que Dieu aurait prévu.
Se focaliser sur la question de la double prédestination, c’est n’avoir jamais découvert que l’intellect humain possède ses limites, qui ne lui permettent pas d’appréhender entièrement la réalité. En se limitant au domaine purement matériel, la connaissance se trouve déjà confrontée à des faits contradictoires, qu’il lui faut pourtant admettre : la dualité onde-particule en est l’exemple type. Notre entendement est incapable de se représenter une entité matérielle qui soit simultanément, une onde dispersée dans tout l’espace, et un corpuscule localisé ; néanmoins les expériences scientifiques démontrent qu’il en est bien ainsi. Avec autant de perplexité, la raison peine à concevoir un choix libre par principe, le nôtre, et en même temps, déjà connu du Créateur ; cependant, aussi bien la responsabilité de l’homme que l’omniscience de Dieu, sont deux vérités affirmées par notre conscience. Le problème du déterminisme (auquel au fond se réduit la difficulté conceptuelle de la prédestination), n’apparaît donc pas comme spirituel dans son essence, mais plutôt philosophique : preuve en est que dix-huit siècles avant Calvin, les Stoïciens y réfléchissaient déjà, indépendamment de toute préoccupation relative au salut de leur âme. Il n’est donc pas légitime de faire d’une différence d’opinion quant à un sujet métaphysique, par nature insondable, un motif d’exclusion entre chrétiens authentiques, qui confessent également la divinité de Jésus-Christ, son incarnation, sa mort salvatrice à la croix, sa résurrection…
C’est pourquoi tout protestant évangélique doit pouvoir apprécier Calvin, sans être inconditionnellement calviniste. Du reste l’Institution, contient d’autres sujets, aux implications plus immédiates que celles de la double prédestination, sur lesquels la quasi-totalité des évangéliques se trouve en désaccord avec Calvin ; le baptême des nourrissons n’étant pas le moindre. Ceci n’empêchait nullement un puritain baptiste comme Spurgeon, de se situer lui-même dans le prolongement calviniste. De nos jours, on entend parfois quelques brouillons, en mal de reconnaissance médiatique, gergonner contre le néo-calvinisme. Déplaçant de manière puérile une question théologique abstraite sur le terrain émotionnel, ils accusent sans fondement les calvinistes de manque d’amour, à l’image de leur Dieu, qui damne arbitrairement la plus grande partie de l’humanité ; ou encore de fatalisme, puisqu’Il a tout décidé à l’avance. La réalité reste que dans leurs œuvres, les réformateurs et leurs descendants directs, ont démontré autant d’amour pour l’humanité perdue, et de zèle à lui annoncer l’Évangile du salut en Jésus-Christ, que les martyrs les plus glorieux de toute l’histoire de l’Église.
Sans doute le style énergique et brusque de Calvin amène au premier contact à s’interroger sur le caractère d’un homme qui rédargue si violemment les opposants à sa pensée. On comprend vite toutefois qu’il ne s’agit là que d’une rude écorce extérieure, qui recouvre un cœur brûlant. Les quelques études qui ont parues sur le caractère du réformateur confirment ce jugement. Antoine de Chandieu (1534-1591) a été un disciple et ami de Calvin. A la mort de ce dernier, au mois de mai 1564, il écrivit trois sonnets en sa mémoire. Nous terminons cette note en reproduisant ci-contre le premier, qui nous paraît le plus touchant, et en remarquant que l’homme qui a pu susciter de tels vers, n’a certainement pas été un monstre.
Lorient, le 27 novembre 2013.
Lorsque Calvin changea cette vie mortelle A l’éternel repos de sa félicité, L’ennuyeux mois de Mai, qui le nous a ôté, Changea tout au rebours sa façon naturelle. |
Mai, qui doit réjouir la terre universelle, Et revêtir les champs de sa verte beauté ; Mai, qui doit découvrir la riche nouveauté De mille et mille fleurs, que la terre nous cèle ; |
Mai nous a dépouillés de tout contentement, Mai a changé son vert en deuil et en tourment ; Bref, ce mai fut un mois au mois de mai contraire. |
Car au lieu d’en donner, il a pris notre fleur ; Mais en l’ôtant du monde, il n’a pas su tant faire, Qu’au monde il n’en demeure une immortelle odeur. |
Antoine de Chandieu
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