Le Traité de la Composition d’un Sermon se trouve à la fin du Volume I des Œuvres Posthumes de Monsieur Claude, livre publié à La Haye en 1688 par Isaac Claude, fils de l’auteur. Dans la Préface, nous apprenons que Mr Claude avait autrefois (c-à-d lorsqu’il était encore en France, avant la révocation de l’Édit de Nantes) dicté ce texte pour l’instruction d’une personne qui lui était chère, probablement un pasteur, dont le nom ne nous est pas révélé. Ainsi s’expliquent le caractère oral du style, nous donnant par la même occasion une indication fidèle de la manière dont Claude prêchait, et l’absence de divisions et de subdivisions, qui en général organisent un traité de cette étendue.
Unique en son genre à l’époque, l’ouvrage attire un siècle plus tard l’attention d’un pasteur anglais, Robert Robinson, qui le traduit et le fait paraître à Cambridge en 1779. Charles Simeon, prédicateur qui a joui d’une certaine notoriété en Angleterre, le publie à son tour en 1792, mais en l’abrégeant d’un côté, et en l’augmentant de l’autre, par l’ajout d’une centaine de plans de sermons de son propre crû. L’affaire lancée, après cette typique annexion anglaise, Claude’ Essay on the Composition of a Sermon, connut une série de rééditions successives au cours du xixe siècle. Et en français ? Rien… Au xviiie s. le pasteur suisse A. Chavannes en recommande la lecture, au xixe A. Vinet consacre tout un chapitre au prédicateur Claude, dans son Histoire de la Prédication Parmi les Réformés de France, et où naturellement il analyse ce Traité, et en détaille les qualités.
Car, malgré son défaut de caractère systématique, qui ne permet pas de le comparer à des ouvrages exhaustifs comme l’Homilétique ou Théorie de la Prédication de Vinet, le discours de Claude n’est pas dépourvu d’une structure intéressante, dont les éléments peuvent toujours guider le prédicateur contemporain :
Pour Claude, à partir d’un texte biblique donné, et bien choisi, l’Action dans la Chaire (c-à-d le message) peut prendre quatre formes :
- parler par Explication, c-à-d faire l’exégèse du passage, quand elle est nécessaire pour que le public comprenne le texte ;
- parler par Observations, quand le passage est fort clair, mais qu’il faut suppléer le contexte et ses implications ;
- parler par Application perpétuelle, c-à-d exhorter de manière continue l’auditoire, à partir d’un texte, qui en lui-même ne nécessite pas une analyse poussée ;
- parler par Propositions, ou par points, c-à-d, décomposer le texte en au moins deux idées, ou principes, que le prédicateur développe ensuite librement.
Ces quatre méthodes ne s’excluent pas l’une l’autre, mais peuvent être combinées en diverses proportions. Aucune d’elles, pas même la quatrième, ne correspond à ce que nous appelons une prédication thématique, car Claude se limite à un seul texte, sans courir après toutes les références possibles pour traiter un sujet.
La prédication de Claude est-elle pour autant textuelle ? Ce mot mis à la mode par la transcription de l’anglais textual sermon, ne convient guère en français. En effet, une prédication textuelle signifierait que l’on répète verbatim, mot pour mot, le passage biblique ; ou bien qu’on se limite à l’examen du vocabulaire et de la syntaxe du texte. Au début du chapitre vii, Claude signale que les deux premières façons de prêcher (Explication et Observations) sont dites textuaires, parce qu’elles collent au texte, sans s’en écarter. Voici donc le bon terme, qui se trouve encore aujourd’hui dans les bons dictionnaires, mot qui se rapproche d’ailleurs de scripturaire : Mr Claude est le chantre, l’aïeul et le guide de la prédication textuaire.
Et à propos de vocabulaire, bien qu’ayant modernisé l’orthographe, nous avons tenu à conserver, sauf très rares exceptions, le français de Claude, ainsi que ses citations de la Bible Martin. Il serait inadmissible que les acteurs du pupitre français prétendent connaître un peu de grec, d’hébreu et de latin, et ne soient pas capables de comprendre un texte écrit au temps de Corneille et de Boileau. Dans tous les pans de la société française, des esprits criminels travaillent incessament à la ruine et à la fossilisation de notre belle langue ; il n’est pas nécessaire que la chaire évangélique, qui se doit d’être toujours respectueuse des individualités, s’associe à leur entreprise.
Pour terminer cette notice, un mot sur la valeur actuelle des sermons de Claude, dont on aura une idée assez complète en lisant son traité, car il contient d’abondants extraits d’Actions, qu’il a joué pour de vrai, dans les églises. L’auteur est un pur Réformé du xviie siècle, c-à-d que son calvinisme est un calvinisme de conviction, et non un calvinisme de posture, comme celui des néo-réformés que nous connaissons. On peut donc admettre, et comprendre, que Claude proclame, sans précautions oratoires, les doctrines de l’élection inconditionnelle, de la grâce irrésistible, de la damnation horrible et certaine des non-élus ; on peut même le lui pardonner : Claude est sincère, et cela se sent. Mais quel néo-réformé pourrait se permettre de faire de même ? S’il tentait d’affirmer avec autant d’aplomb que Claude les mêmes axiomes calvinistes, les petites blagues que selon sa coutume, il aura placées au début de son message et tout du long, suffiront à persuader ses auditeurs qu’il n’a jamais eu dessein de leur faire prendre au sérieux un tel déterminisme métaphysique. Et d’ailleurs où serait l’auditoire qui accepterait d’entendre que la plupart des hommes sont prédestinés aux peines éternelles avant que de naître ? La salle serait vide le dimanche d’après. C’est pourquoi le lecteur désireux d’appliquer de manière pratique ce qu’il aura appris dans ce Traité, conçu au temps de la monarchie absolue, sera bien avisé d’adapter les exemples qu’il y trouvera aux réalités humaines modernes.
Le sermon textuaire, connaîtra-t-il un renouveau au sein du peuple protestant qui lui a donné le jour ? Il faudrait pour cela plus qu’une imitation de mode, plus qu’une ambition d’orthodoxie, plus qu’un esprit clérical, mais une véritable passion pour le texte lui-même, pour sa signification propre. Autrement dit, la racine du sermon textuel, s’il faut céder à cet anglicisme, sa raison d’être, c’est l’exégèse. Dieu a accordé par le passé d’excellents exégètes de sa Parole, s’exprimant dans notre propre langue : les Du Moulin, Daillé, Drelincourt, Superville, Saurin, Monod, Vinet, Bonnet, Godet, Barde, Rilliet, Sardinoux etc., tous ceux-là écrivirent en français, et furent traduits en leur temps dans d’autres pays que le leur, où leur valeur reste reconnue. Mais avec le mépris d’une langue, vient l’oubli et la déconsidération de ses meilleurs auteurs ; l’amour du beau texte quitte le peuple qu’elle habitait, pour laisser place à des engouements d’apparence et à des traductions superficielles. Un vrai renouveau de la prédication française ne trouvera sa cause que par la grâce de Dieu, qui daignera rallumer dans son cœur un amour ardent pour la Parole de Vérité, dont les flammes de louange et de proclamation évangélique iront spontanément puiser leur huile dans les trésors souterrains de sa langue, que le Seigneur lui a donnée.
Phoenix, le 7 octobre 2017
Monsieur Claude