Il y a déjà plusieurs années que l’un de nos amis découvrit à Lyon, au fond d’une vieille bibliothèque de famille, le livre que nous réimprimons aujourd’hui. Attiré par le titre, il le lut, le fit lire à quelques-uns de ses parents, et l’intérêt fut si vif, si unanime, que chacun réclama l’impression de ces Mémoires.
Mais il fallait résoudre une première question. Qu’était-ce que ce livre ? Ce tableau si navrant des suites odieuses de la persécution religieuse était-il authentique ? Pouvait-il être accepté comme une peinture tristement fidèle de la vérité ? Ou bien n’était-ce qu’un roman destiné à exciter la pitié du lecteur en faveur d’un héros imaginaire ?
Des recherches furent faites ; l’on réussit à se procurer en Hollande deux autres exemplaires d’une édition moins ancienne que celle de 1757 qu’on avait sous les yeux. L’on y trouva la clef de tous les noms désignés dans la première édition par de simples initiales. L’on put, enfin, s’assurer que ces Mémoires, parfaitement authentiques et revus par Daniel de Superville, l’un des pasteurs qui avaient accueilli le pauvre fugitif, renfermaient l’histoire trop réelle des souffrances d’un pauvre jeune homme, Jean Marteilhe, de Bergerac.
Cependant, au milieu d’autres travaux plus pressants, ces projets de réimpression avaient dû être ajournés ; peut-être même auraient-ils été oubliés, si la publication du bel ouvrage de M. Michelet sur la Révocation de l’édit de Nantes, en confirmant pleinement les recherches déjà faites, n’avait rendu plus vif le désir de voir paraître ces Mémoires, inconnus de la plupart des descendants de ceux-là même qui avaient tant souffert pour leur foi.
Dans un des chapitres les plus émouvants de son livre, M. Michelet, après avoir analysé rapidement ces Mémoires, ajoutait : « C’est un livre du premier ordre par la charmante naïveté du récit, l’angélique douceur, écrit comme entre terre et ciel. Comment ne le réimprime-t-on pas ? »
C’est ce vœu de l’éminent historien que nous sommes heureux de réaliser enfin. Nous devons avant tout nos plus vifs remerciements à M. Félix Vernes, qui a bien voulu nous remettre son précieux volume et confier à notre Société le soin de l’ajouter à sa Bibliothèque populaire, comme le premier volume d’une nouvelle série : Les Archives de la Réforme. Si nous essayons de remettre en lumière ces glorieux souvenirs du passé de notre Église, ce n’est pas, avons-nous besoin de le dire, pour exciter de nouveau ces luttes religieuses, qui passionnaient nos pères. Nous savons, et nous en bénissons Dieu, combien les temps sont changés. Enfants de la même patrie, libres désormais de professer publiquement notre foi, nous sommes heureux de pratiquer ce conseil d’un prophète au peuple israélite : « Priez pour la paix du pays où vous êtes ; car, dans sa paix, vous aurez la paix. »
Mais ce qu’il est bon de rappeler dans tous les temps, ce sont ces leçons d’obéissance inébranlable à la conscience, de fidélité au devoir, d’esprit de sacrifice que, dans des jours d’épreuve, nos pères surent donner, avec tant de courage, à leurs descendants comme à ceux qui les persécutaient.
Tout notre désir serait de contribuer, pour notre part, à faire revivre l’esprit des pères dans les enfants, en leur rappelant, par ces salutaires exemples, que « l’homme ne vit pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
Paris, octobre 1864.
Henry Paumier