La vie et le ministère du plus grand prédicateur protestant français du XVIIIe siècle ont été assez bien documentés par des pasteurs qui se sont souciés d’en recueillir les éléments ; citons :
- Une page de l’histoire de l’éloquence sacrée, de Van Oosterzee ;
- Jacques Saurin, sa vie et sa correspondance, de Jean Gaberel ;
- Jacques Saurin et la prédication protestante, jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, de Anne-Eugène Berthault ;
- Histoire de la prédication parmi les réformés de France au xviie siècle, d’Alexandre Vinet.
Ces ouvrages, aujourd’hui numérisés, sont accessibles gratuitement sur Google Books, il n’est donc pas nécessaire de donner ici un résumé de la carrière de Saurin. Dans le contexte d’un néo-calvinisme militant et bombastique, en provenance des États-Unis, il convient par contre d’indiquer en quelques lignes, où se situe Jacques Saurin sur le plan théologique.
Il eût pour maître Jean-Alphonse Turretin (1671-1731), qu’il ne faut pas confondre avec son père, François Turretin (1623-1687). Rappelons que par une ironie de l’histoire, le fils Turretin est principalement connu pour avoir rendu caduc et non avenu le Consensus helvétique, œuvre de son père, qui obligeait les pasteurs à adhérer au strict calvinisme des Canons de Dordrecht. Pour résumer très sommairement, Jean-Alphonse a été un promoteur d’un calvinisme modéré, tel que l’entendait l’Académie de Saumur, à laquelle François était violemment opposé. Dans la conception de Turretin-fils des rapports entre salut et prédestination, l’homme conserve une certaine part de liberté ; citons ses propres paroles : « Nous ne devons pas proclamer la liberté de l’homme afin de supprimer par là la grâce de Dieu, ni rabaisser la liberté de l’homme pour anéantir l’équité du jugement de Dieu. Ainsi en matière de salut nous devons agir comme si tout dépendait de nous, et prier et rendre grâce comme si rien ne dépendait de nous. » Jean-Alphonse Turretin serait considéré aujourd’hui tout simplement comme un évangélique, et par conséquent aussi Jacques Saurin, resté en accord avec les enseignements de son professeur, comme on peut le constater d’après ses sermons et son catéchisme. La récupération du grand orateur des Églises réformées françaises de l’exil par le néo-calvinisme, serait donc tout aussi illégitime que celle par laquelle il prétend s’annexer Spurgeon.
De fait, une telle prise de distance d’avec les affirmations outrées de la scolastique réformée, caractérisant l’évolution générale des protestants au XVIIIe s., Saurin n’a pas eu besoin de batailler dans des controverses sans fin sur des sujets métaphysiques. Cependant, l’excellence de sa prédication, et les succès qu’elle remportait auprès du public, ne manquèrent pas d’exciter la jalousie, puis l’inimitié de ses collègues pasteurs les moins spirituels. Il dut apprendre à endurer leurs coutumières attaques. Atteint d’une maladie des poumons qu’il avait contractée durant une visite, et qui devait l’emporter, une cabale se monta contre lui, l’accusant d’hérésie sur un sujet complètement mineur. Caractère sensible et désirant partir en paix avec chacun, il appela ses ennemis à son lit de mort, pour obtenir une réconciliation. L’opinion populaire ne se trompa pas sur la cause qui avait accéléré son départ ; plusieurs épitaphes versifiées parurent dans les journaux lui rendant témoignage. Nous en donnons ci-après quelques spécimens, qui montrent le souvenir que cet homme a laissé parmi ceux qui l’ont connu et entendu.
Riche en invention, en plans originaux, et en vraies beautés littéraires, l’homilétique de Jacques Saurin a été le sujet de thèse de plusieurs étudiants en théologie. Nous souhaitons que ce volume contribue à faire découvrir et apprécier ce prédicateur d’exception par des évangéliques francophones de notre temps, qui ignorent trop souvent leur riche patrimoine.
Phoenix, le 27 juillet 2018.
Épitaphes diverses pour Saurin.
Saurin n’est plus ! par lui l’éloquence chrétienne
Brisait, attendrissait, désarmait tous les cœurs.
Il prêchait comme Paul, il mourut comme Etienne,
Sans fiel, en pardonnant à ses persécuteurs.
Ci-gît des protestants l’éloquent Chrysostôme,
L’angélique Thomas, le fervent Augustin,
Le prudent Athanase et le docte Jérôme,
Dont des frères jaloux chacun fut l’assassin.
Jusque chez nos neveux la chaire de ce temple
Aigrira chaque jour les douleurs de Sion ;
Et sa mort aujourd’hui nous fournit un exemple
Des funestes effets de la diffusion.
Passant, apprends à redouter l’envie
Des gens à frocs et à rabats :
Leur fureur peut t’ôter la vie
Et l’honneur, s’ils ne t’aiment pas.
Saurin, cet homme illustre à qui la noire envie
Fit un crime d’avoir des talents admirés,
Au gré des ennemis contre lui conjurés,
Sous leurs coups redoublés vient de perdre la vie.
Détestables auteurs d’un si funeste sort !
Vous osez célébrer votre indigne victoire;
Mais, malgré vos fureurs, ses écrits et sa mort
Publieront à jamais votre honte et sa gloire.
Sonnet sur la mort de Saurin.
Si ma mort, chers amis, vous fait verser des larmes,
Arrêtez-en le cours, pleurez mes envieux ;
Leur haine n’est plus rien, ni leurs complots affreux :
La bonté de mon Dieu m’a soustrait à leurs armes.
Le juste est exposé ici-bas aux alarmes,
Et pour les éviter je suis monté aux cieux,
Où mon âme jouit d’un sort plus glorieux
Que celui que le monde étale par ses charmes.
Heureux, cent fois heureux et béni soit le jour,
Où mon divin Sauveur, par un excès d’amour,
A daigné me tirer de cette triste vie,
Pour me faire goûter les doux fruits de ma foi,
Dans le sein de la paix, au-dessus de l’envie !
Dieu veuille, chers amis, bientôt vous joindre à moi !