Un grand sujet l’amour

1. Gai, gai, marions-nous !

A quelles causes attribuez-vous la crise conjugale si manifeste à l’heure actuelle ?

— Plusieurs d’entre elles devraient être mentionnées. Nous en reparlerons dans nos entretiens ultérieurs. Sachant que je m’adresse à un public qui compte beaucoup de jeunes, je voudrais souligner à leur attention une des causes évidentes : ils ont “fréquenté” trop tôt.

Qu’appelez-vous “trop tôt” ? Tout le monde sait que l’amour s’éveille tôt dans le cœur des adolescents et sa présence, toute naturelle, pousse les jeunes à se rencontrer, c’est-à-dire à nouer idylle. Cela n’est-il pas normal ?

— Il est vrai que vers quinze ou seize ans paraissent les dispositions amenant les jeunes à rechercher la compagnie du sexe opposé. Ces sentiments, éveillés tôt dans leur cœur, n’ont rien de répréhensible aussi longtemps qu’ils restent liés à une saine camaraderie. On pourrait même regretter que jeunes gens et jeunes filles n’aient pas plus souvent, dans certains milieux, l’occasion de se rencontrer. Cette vie en commun, vécue dans les limites d’une authentique camaraderie, est un apprentissage heureux sur le chemin de la découverte de cet autre sentiment qu’est l’amour. Mais il y a lieu de regretter qu’à l’heure actuelle, la liberté accordée aux jeunes les incite à confondre très vite camaraderie et flirt. Dans cette confusion, il arrive qu’on brûle les étapes et qu’on soit amené, sans même l’avoir voulu, à conclure un mariage prématuré. L’enfant conçu oblige… à moins que tout simplement l’habitude, une certaine accoutumance, le plaisir sexuel partagé, aveuglent momentanément deux jeunes sur la vraie nature de leur attachement mutuel.

Nous expliqueriez-vous pourquoi le fait d’une intimité prématurée nuit à une vie conjugale harmonieuse ? Il semble aux jeunes que plus leur amour et leur fréquentation auront été précoces, meilleure sera leur préconnaissance mutuelle, puisqu’elle aura été de plus longue durée ?

— Il y a dans votre objection une part de vérité. En effet, trop nombreux sont les mariages conclus avant que les époux aient eu le temps de se connaître en vérité. Il est donc souhaitable que les jeunes, avant de songer au mariage, prennent le temps de se rencontrer, de s’observer, de connaître leurs caractères, leurs goûts communs et de discerner si leurs personnalités trouveront accord pour toute une vie.

Entre mari et femme, les questions de caractère et d’éducation ont une grande importance. Elles assaisonnent leur pain quotidien.

Mais votre objection comporte aussi une part d’erreur. Apprennent-ils réellement à se connaître les jeunes qui passent aussitôt du plan de l’amitié à celui du flirt, et bientôt à une sexualité qui est l’apanage des gens mariés ? Utilisent-ils le temps de leur fréquentation à éprouver vraiment l’unité de leurs caractères, l’aspect complémentaire de leur personnalité, la conformité d’une éducation qui leur permettra de tenir ensemble ? N’est-ce-pas, au contraire, que la fougue de la jeunesse les amène très vite à méconnaître cet aspect de la vie à deux et à n’avoir d’intérêt que pour leur passion amoureuse ?

Pour les besoins de notre cause, imaginons deux jeunes gens. Elle a seize ans ; il a dix-sept ans. Il est connu qu’une jeune fille est femme vers vingt ans, alors que le jeune homme n’atteint sa maturité que vers vingt-cinq ans. Autrement dit, le jour où elle aura ses dix-neuf ans, il sera encore loin d’être un homme. S’ils fréquentent depuis l’âge de seize ans, que se passera-t-il pendant toutes ces années ? La jeune fille va évoluer ; il en fera autant de son côté ; sauf qu’il arrivera à sa pleine nature d’homme cinq ou six ans après elle. Est-ce que leurs sentiments seront restés les mêmes durant les sept ou huit années qu’aura duré leur fréquentation, puis leur vie commune ? Chez elle, peut-être. Elle était déjà presque une femme au moment où s’est nouée leur idylle. Mais chez lui ? Et s’ils ont vécu maritalement puis ont régularisé leur situation par convenance réciproque ou parce que l’enfant né de cette union les y obligeait ? Vers vingt-cinq ans, ne découvrira-t-il pas qu’il est lié à une femme qu’il n’aurait jamais choisie s’il avait attendu d’être en âge de le faire avec plus de discernement et de certitude ? Là, hélas, est le drame de tant de foyers. Une année ou deux après leur mariage, ils découvrent qu’ils ne se plaisent plus l’un avec l’autre.

Lorsque des jeunes filles de seize ans — de nouveau pour fixer un âge — sont courtisées par des jeunes gens de dix-neuf ou vingt ans, la différence d’âge ne com- porte plus le risque de ce déséquilibre.

— Disons que le risque est effectivement beaucoup moins grand ; mais il n’en subsiste pas moins. Même si la jeune fille a deux ou trois ans de moins que le jeune homme, ce dernier, à supposer qu’il n’ait que dix-neuf ou vingt ans, a encore quelques années devant lui pour être pleinement un homme. Il se pourrait — cela arrive — que parvenu à cet âge, il regrette son choix prématuré. Mais reconnaissons que les exceptions sont très nombreuses et que la règle s’équilibre à peu près.

Voilà caractérisée une première cause de la crise par laquelle passent de nombreux foyers. Quelles sont les autres ?

— Parmi ces causes, il faut nommer les différences de nationalités, par conséquent de langues, d’éducation et, parmi celles-ci — osons le dire — les différences de classes sociales. La langue, vous le savez, est l’expression d’une mentalité, d’un caractère. Nous ressentons très différemment les choses suivant que nous sommes latins ou germains, Anglais, Français ou Suisses. Aussi y a-t-il un risque supplémentaire à épouser une personne de nationalité, donc de langue différente. On est marqué en profondeur par l’éducation reçue et la langue parlée jusqu’à l’adolescence. Et le fait d’avoir à parler une nouvelle langue dans un foyer nouvellement créé comporte une difficulté, méconnue de beaucoup de jeunes qui épousent un étranger ou une étrangère ou un compatriote parlant une autre langue. Vous savez combien, dans la vie à deux, les simples petits mots, même les simples silences, sont lourds de sens ! Si le sens de ces mots ou de ces silences n’est pas compris par le conjoint, les moindres fissures peuvent devenir, à la longue, de véritables fossés. Je ne veux pas dire par là qu’il y ait impossibilité à conclure un mariage heureux avec une personne d’une autre nationalité ; mais j’insiste pour dire que ce mariage-là comportera plus de risques, de difficultés, que s’il unissait deux êtres parlant la même langue, venant du même pays, ayant reçu la même éducation, étant de la même classe sociale. Nous rencontrons des difficultés tous les jours dans la vie ; elles trouvent leur solution souvent parce qu’on a la même éducation, la même mentalité.

L’exception confirme la règle, mais règle il y a. A ce sujet, que pensez-vous de la question confessionnelle ? J’imagine qu’il y a là un motif de difficultés aussi réel que celui de la race et de la culture ?

— Oui, si nous entendons par là non pas d’abord une différence confessionnelle, mais une différence religieuse. Il y a une opposition fondamentale entre le christianisme et les autres religions. Celles-ci sont un essai de l’homme de parvenir à la connaissance de Dieu, alors que le christianisme, dans la personne de Jésus-Christ, est la révélation de Dieu, le dévoilement de ses intentions, de son dessein envers ce monde. Aussi peut-il y avoir désaccord profond entre un chrétien soumis à une révélation attribuée à Dieu lui-même et un conjoint qui se réclamerait d’une autre religion. C’est pourquoi deux époux de religion différente verront surgir entre eux des difficultés inattendues et souvent sans solution.

Vous exprimeriez-vous de la même manière lorsqu’il s’agit de conjoints chrétiens, dont l’un serait catholique et l’autre protestant ?

— Puisque protestants et catholiques adorent le même Dieu révélé par le même Seigneur Jésus-Christ dans la même Ecriture sainte, il pourrait sembler, au premier abord, qu’il ne devrait pas y avoir opposition. En fait, cette opposition demeure. Elle est même souvent grave et pour une raison connue : les ‘‘réformés”, les ‘‘protestants”, reconnaissent comme autorité Jésus-Christ révélé par l’Ecriture sainte uniquement, alors que les “catholiques romains”, s’ils confessent Jésus-Christ révélé par l’Ecriture sainte, le font selon l’expression et le contenu que donne à cette révélation leur Eglise elle-même. D’où les différences profondes entre réformés et catholiques romains. Ces derniers confessent aussi Jésus-Christ révélé dans l’Ecriture, mais une Ecriture expliquée, commentée, selon le magister de l’Eglise et complétée par tout ce qu’y ajoute la tradition.

Je vous remercie d’avoir donné autant d’importance au problème des “‘fréquentations”. Conclueriez-vous ce premier entretien par un message aux jeunes ?

— La révélation biblique dit de Jésus-Christ qu’il veut être notre chemin, notre vérité, notre vie (Jean 14.6) et qu’il nous offre ce qui nous est si nécessaire : son amour. Jésus-Christ veut le bonheur de tout foyer. C’est pourquoi, les jeunes qui envisagent le mariage ne devraient pas le faire sans avoir cherché la volonté divine et sans l’avoir connue… Car, pour tout homme, Jésus-Christ a un dessein précis. Si cet homme est appelé au mariage, le Seigneur lui a préparé un conjoint. Dans la mesure où le jeune homme cherche par la prière et dans l’obéissance à la volonté du Seigneur la compagne qui lui est destinée, elle sera mise sur son chemin. Il en va de même de la jeune fille. Dieu les aidera à former une maison telle qu’il la veut pour eux : une maison solidement bâtie et riche de tout l’amour que sa présence met dans nos vies. C’est pourquoi, fréquenter c’est, avec réalisme, chercher à discerner la volonté divine et y obéir, même si parfois cette volonté contrarie nos propres projets.

Nécessaire rappel : Je crois que le Seigneur dit au jeune homme de seize ans, préoccupé de trouver une amie : “C’est trop tôt, mon gars, attends d’être un homme.” Et il dit à la jeune fille du même âge : ‘‘Ne te lie pas à quelqu’un qui est du même âge que toi ; si tu n’as que seize ans, attends d’être devenue une femme et choisis un mari qui puisse être, dans l’obéissance à l’Esprit Saint, celui dont tu reconnaîtras l’autorité, parce que physiquement, spirituellement, il est devenu un homme.”

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