Le Créateur de l’univers peut-il entendre, et veut-il exaucer les vœux de ses créatures raisonnables ?
A la première partie de cette question, il suffit de répondre : « Comment Celui qui a fait l’oreille, n’entendrait-il pas ? Comment Celui qui a formé l’œil, ne verrait-il pasa ? Cet argument est si concluant que je n’ai pas le courage d’en chercher d’autres. En effet, à moins que de prétendre que l’oreille et l’œil de l’homme se sont formés d’eux-mêmes, ou bien de soutenir que l’œil a été fait pour ne pas voir, l’oreille pour ne pas entendre ; à moins, dis-je, de se refuser à l’évidence, il faut bien convenir que Celui qui a formé l’œil voit, que Celui qui a créé l’oreille entend.
a – Psaumes 94.9
Au reste, dans ces termes généraux, mon assertion sera probablement acceptée, même par ceux qui ne prient pas. Que Dieu ne soit ni sourd ni aveugle, l’incrédule lui-même en convient. Pourquoi donc tant d’hommes répugnent-ils à prier ? pourquoi sourient-ils de pitié, à la vue d’une créature parlant au Créateur ? — N’attendez pas de réponse de leur part ; ces hommes n’oseraient vous confesser leur pensée ; mais je vais vous la dévoiler.
« Comment voulez-vous, pensent-ils, que Celui qui habite la profondeur des cieux, ce Dieu si grand, vous entende, vous écoute ; vous, si petit, jeté sur un coin ignoré de cette terre perdue dans l’espace ? Il a bien autre chose à faire ! « Il vous a créé doué de toutes les facultés nécessaires à votre existence. Depuis l’origine des temps, l’homme, comme la nature, est soumis, à des lois éternelles, et laissé à lui-même. »
Ce qui revient à dire que, d’après vous, le Créateur, relégué dans la profondeur des cieux, ne nous entend pas, parce que notre terre est trop loin ! S’il était dans un astre rapproché, ou sur la cime d’une de nos montagnes, à la bonne heure, il pourrait nous ouïr ; mais de si loin, de si haut, impossible ! — Oh ! profondeur de la sagesse humaine !
Oui, au fond, c’est une question de distance ; on ne croit pas que Dieu entende une prière aux deux bouts du monde, parce que ces deux bouts sont trop distants ; et de nos jours, où l’homme a trouvé moyen de mettre en communication les deux pôles, de nos jours où il peut écouter et répondre, en un quart de seconde, à des milliers de lieues ; de nos jours où il pourrait lui-même transmettre instantanément sa pensée de la terre au soleil réunis par un fil, c’est alors que l’homme doute si Dieu possède assez d’intelligence pour s’informer, aussi bien que lui, de ce qui se passe aux deux bouts de l’univers !
Mais là n’est pas toute la difficulté, Dieu, qui peut entendre les hommes, veut-il les écouter ? Ne devons-nous pas plutôt supposer qu’il les a faits tels qu’il n’ait plus à s’en occuper ?
D’abord, remarquez que cette théorie qui prétend grandir le Créateur, le rapetisse ; elle ne lui attribue la sagesse de nous avoir pourvus d’avance de toutes les ressources nécessaires, qu’afin de lui dénier, pour plus tard, l’administration de notre monde ; il semble que l’incrédule soit fatigué, essoufflé de la peine infinie, nécessaire à Dieu, pour veiller sur les besoins journaliers de tant de millions de créatures, et alors, par pitié pour le Créateur, cet incrédule le décharge d’un fardeau qui écrase sa propre imagination ! Oui, voilà tout simplement pourquoi l’on nie la providence individuelle ; on mesure Dieu sur soi, pour ne pas dire qu’on se compare à Dieu !
Mais il y a bien d’autres objections contre cette théorie qui suppose l’homme doué, dès l’origine, de telle sorte qu’il puisse se passer de l’intervention divine. Au fond, cette doctrine n’est autre que celle de la nécessité ; avec elle, l’homme est immuable ; c’est un assemblage de chaînes et de rouages ; tout a été prévu, le nombre de tours compté ; machine admirable, sans doute, mais enfin, machine sans liberté ; donc irresponsable, et dès lors incapable d’un bonheur découlant de la moralité.
Direz-vous que la liberté de l’homme est entrée, dans le plan primitif de Dieu ? qu’elle est au nombre des facultés premières qui devaient le conduire à sa fin, sans intervention étrangère ? — C’est-à-dire qu’ à cette heure vous dotez l’homme de liberté ; il pourra faire ou défaire, avancer ou reculer dans la voie de sa destinée individuelle, et, par cela même, concourir à l’ordre général ou l’entraver ; mais Dieu, qui ne doit plus s’en occuper, sera contraint de le laisser faire ; il l’aura doué de forces sans se réserver d’en surveiller l’emploi ; il se sera lié les mains en donnant à l’homme des mains libres !
Je me dispense de répondre.
On m’accordera peut-être que Dieu intervient dans la direction de ce monde pour maintenir les lois générales, mais non pour influer sur les détails de notre vie.
Eh bien ! je demande où cessent les lois générales, où commencent les détails de notre vie ? quel est le point précis où se joignent l’intervention divine et l’indépendance humaine ? Le Dieu qui intervient dans la projection des mondes, au milieu de l’espace, intervient-il aussi dans les révolutions de notre globe ? dans nos guerres nationales, dans les destinées d’une cité, d’une famille, d’un individu ? et s’il s’arrête entre deux points de cette chaîne, montrez-moi donc l’anneau douteux ! C’est encore ici une affaire de mesure ; toujours la pauvreté de notre intelligence disant à Dieu : je n’aurais pu venir que jusqu’ici… donc tu n’as pas été plus loin !
Oui, Dieu veut intervenir dans nos destinées ; il veut écouter nos prières, et s’il en fallait encore une preuve, je me contenterais de citer cette parole : « Quel est l’homme d’entre vous, si son fils lui demande du pain, qui lui donne une pierre ? et qui, s’il lui demande un poisson, lui donne un serpent ? Si donc vous, méchants comme vous l’êtes, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père, qui est dans les cieux, en donnera-t-il de bonnes à ceux qui les lui demandent (Matthieu.7.9). »
Il nous faut donc, ou convenir que Dieu exauce la prière de sa créature, ou soutenir que nous, pères ou mères, nous valons mieux que Dieu, et que nous accorderions à nos enfants ce que lui-même nous refuse…
Je ferai remarquer toutefois que ces mots : « de bonnes choses », employés dans l’évangile selon saint Matthieu, sont remplacés dans saint Luc par ceux-ci : « son Saint-Esprit ». Oui, les choses ne sont bonnes qu’autant qu’elles sont saintes. Si donc il vous était arrivé de demander ce que vous aimez au lieu de ce qui est bon, vous ne devriez pas être surpris de n’avoir pas été toujours exaucé. Dieu a pu vous refuser fortune, science, santé, succès dont vous auriez fait mauvais usage ; mais il ne vous refusera jamais foi, charité, sainteté, dont vous ne sauriez abuser.
Mais est-ce pour prier que je présente ces Élans de mon âme au lecteur ? Non, je ne crois pas qu’on puisse véritablement prier en lisant des prières écrites par un autre et pour un autre. La prière, pour être une demande, doit être l’expression de nos propres sentiments. Dans les affaires de ce monde, personne, pour profiter d’une pétition toute faite, n’ira demander un objet différent de celui dont il a besoin ; ayons donc, pour le ciel, la sagesse que nous avons pour la terre, et prions Dieu avec notre cœur, lui exprimant nos propres désirs, dans nos propres paroles. Je le déclare : celui qui lirait ce volume entier, sans même le poser, n’aurait pas encore prié ; il aurait fait passer les vœux de mon cœur par ses lèvres ; il se serait entretenu avec moi, mais non pas avec Dieu.
Ce n’est donc pas ici un livre de prières, c’est l’histoire d’une âme. Je n’ai rien dit que je ne l’aie senti, et je l’ai dit comme je l’ai senti, dédaignant tout langage de convention. C’est ici mon histoire intérieure. Je l’écris, parce que je suppose que c’est celle de bien d’autres, et que les lecteurs chrétiens trouvent avantage et plaisir à se reconnaître chez un frère. Je dis les lecteurs chrétiens, car je n’espère guère être lu par d’autres qui sans doute ne me comprendraient pas, et que mes Élans fatigueraient. Mon Introduction est pour les incrédules, mon livre est pour les croyants.
Toutefois, si quelques frères veulent absolument voir ici des prières, je leur dirai qu’elles ont été faites pour être exaucées en ma faveur, et non pour leur servir de texte à de vaines répétitions ; en un mot, ce sont mes prières, et non pas les vôtres, lecteur.
Ce n’est pas sans motif que j’insiste sur ce point ; mais afin de vous faire bien comprendre qu’après m’avoir lu, vous n’aurez pas prié ; tout au plus y serez-vous mieux disposé, et si vous vous en teniez là, vous m’auriez fait manquer mon but. Mon but, à votre égard, c’est que vous appreniez à ne pas vous servir de mon livre pour prier.