« Que vous semble-t-il du Christ ? de qui est-il Fils ? »
Voilà, de nouveau, la question religieuse de l’époque. Nous nous en réjouissons. Le résultat de cette lutte répétée ne saurait être douteux. Dans tous les combats théologiques, la vérité finit toujours par triompher. Quoiqu’on la cloue de temps en temps à la croix et qu’on l’ensevelisse, elle se relève toujours triomphante d’entre les morts, faisant de sa prison sa propre captive, et transformant assez souvent ses ennemis les plus acharnés, comme Saul de Tarse, en ses amis les plus intrépides. Gœthe a dit avec beaucoup de justesse : « A proprement parler, le thème unique, le thème le plus profond de l’histoire du monde et de l’homme, celui auquel tous les autres sont subordonnés, est et reste le grand duel de l’incrédulité et de la foi. » La question christologique en est le point central.
Oui, la question du Christ est la question du christianisme, qui n’est que la révélation de sa vie dans le monde ; — la question de l’Eglise, qui repose sur lui comme sur son roc immuable ; — la question de l’histoire, qui gravite autour de lui, le soleil du monde moral ; — la question de tout homme qui soupire instinctivement après lui comme après l’objet de ses désirs les plus nobles et les plus purs. C’est le problème du salut personnel qu’on ne peut obtenir qu’en son nom éternellement béni. L’édifice entier du christianisme reste debout ou tombe avec son fondateur divin-humain ; et s’il doit durer à jamais, comme nous le croyons, il ne le devra qu’à Celui qui vit, toujours le même, hier, aujourd’hui et éternellement.
Pour contribuer à éclaircir cette question fondamentale de notre temps, nous voudrions essayer de montrer que la personne du Christ est à la fois le grand miracle central de l’histoire et la plus forte preuve du christianisme ; et que son humanité accomplie, au milieu d’un monde pécheur, doit logiquement conduire à reconnaître et à proclamer sa divinité. La seule solution satisfaisante de l’énigme que présente son étonnant caractère se trouve dans cette parole, ou pour mieux dire dans ce fait : Dieu a habité pleinement et parfaitement en Lui.
De la Personne miraculeuse de Jésus découlent, comme une inévitable conséquence, ses œuvres miraculeuses. Miracle lui-même, il doit en opérer aussi facilement que les hommes ordinaires font leurs œuvres habituelles. C’est le contraire qui serait contre nature. L’essence d’un arbre détermine celle de son fruit. « Croyez que je suis dans le Père, et que le Père est » en moi ; sinon, croyez à cause des œuvres » (Jean 14.11 ; 10.58). Je crois en Christ ; et voilà pourquoi je crois aussi à la Bible, comme à toutes ses paroles et à toutes ses œuvres miraculeuses.
Sur ce rocher, je me sens inébranlable et à l’abri de toutes les attaques de l’incrédulité. La personne du Christ est pour moi le plus grand et le plus certain de tous les faits, aussi certain, plus même, que celui de ma propre existence ; car Christ vit en moi, et il est la portion, la seule digne, de mon être. Je ne suis rien sans mon Sauveur. Avec lui je suis tout, et je ne l’échangerais pas contre dix mille mondes. Renoncer à la foi en Christ, c’est perdre la foi en l’humanité. Un tel scepticisme finit, à bon droit, dans le néant du désespoir.
Il se produit de nos jours un fait bien triste. On voit des théologiens, dont on avait le droit de mieux attendre, se laisser entraîner par l’esprit d’erreur et de chute, jusqu’à tenter de se construire un Christ humain, et de le comprendre à la façon de Schleiermacher ou même des sociniens, en dépit de saint Paul et de saint Jean. Ils en sacrifient la préexistence, et réduisent sa divinité à une simple habitation extraordinaire de Dieu en Lui, ou à l’insoutenable idée d’une déification progressive. Mais le sacrifice de la préexistence entraîne évidemment celui de l’Incarnation du Verbe, ce dogme fondamental de l’Eglise, qui subsiste ou qui s’écroule avec lui (1 Jean 4.2, 5) ; et celui aussi de l’amour condescendant et inouï de Dieu, cette source la plus riche en consolations pour le pécheur. Car il nous faut, avant tout, un Dieu qui s’incline et qui s’abaisse jusqu’à nous, et non pas seulement un homme qui s’élève jusqu’à Dieu. On ne se débarrassera pas facilement de la vérité confessée par le concile de Chalcédoine, qui sut éviter, avec un si sûr instinct, les excès de l’hérésie. Il ne donna pas, sans doute, ni ne voulut donner une explication psychologique du mystère du Dieu-homme ; mais il se contenta simplement de poser et d’affirmer la vérité : ce qui suffisait pleinement à l’Eglise et à la foi populaire. Que la théologie scientifique reprenne le problème et cherche à en faciliter l’intelligence à la conscience moderne ; qu’en particulier elle s’attache à comprendre le développement vraiment, humain du Christ : à la bonne heure. Mais, qu’on le sache bien, le problème ne sera point pour cela résolu. Il est bien plus vrai de penser que ces recherches feront encore mieux sentir la nécessité d’étudier plus à fond la divinité du Sauveur et la manière dont les deux natures sont unies dans sa personne ; et il est permis d’espérer qu’au bout de toutes ces investigations les esprits seront plus favorablement disposés à s’incliner devant le grand mystère de piété, Dieu manifesté en chair, et à confesser humblement qu’il est plus que l’objet de spéculations transcendantes ou d’analyses intellectuelles ; qu’il est, avant tout et par-dessus tout, l’objet de la foi, de la vie et de l’adoration. En définitive, la vraie théologie sera toujours celle des régénérés, qui s’appuie tour à tour sur la Parole de Dieu, sur la conscience du péché, sur le besoin de rédemption, et à laquelle on arrive non par le sentier si scabreux et si glacial de la spéculation et de la critique, mais par la triple voie de l’oraison, de la méditation et de l’épreuve.
Le recueil de témoignages, fournis par des incrédules, sur la perfection morale de Jésus, et que nous ajoutons à notre petit travail, est, si je ne me trompe, le premier essai de ce genre ; aussi est-il bien incomplet. Toutes nos œuvres sont-elles autre chose que des fragments !
Les incrédules se montrent rarement touchés des arguments qu’on leur oppose, parce que les sources de leur incrédulité sont beaucoup plus dans le cœur que dans la tête. Mais les chercheurs loyaux, comme Nathanaël, et les sceptiques sérieux, comme Thomas, qui aiment la vérité et qui ne demandent qu’à saisir un appui pour étayer leur faible foi, accepteront toujours avec une joie reconnaissante les preuves qu’on leur offre, et ne refuseront pas, s’ils sont convaincus, d’adorer le Dieu fait chair !
Heureux ceux qui cherchent la vérité d’un cœur droit et sincère ; car, à coup sûr, ils la trouveront !
New-York, 10 juin, et Stuttgard, 4 septembre 1865
L’Auteur.