Nous n’avons pas la prétention de donner, dans ces quelques pages, une étude critique détaillée de l’œuvre et des doctrines de Mélanchthon. Un semblable travail réclamerait d’autres forces que les nôtres et dépasserait les bornes que nous nous sommes imposées. D’ailleurs, quand on veut regarder dans des existences comme celles des grands héros de la Réforme et de la pensée en général, si pleines et si fécondes, et surtout quand il s’agit d’un homme comme Mélanchthon, de son temps le docteur et le théologien de l’Allemagne, on se sent obligé de s’en tenir à des appréciations générales, sous peine d’avoir à écrire tout un ouvrage. Nous n’avons voulu faire qu’un simple « essai historique. » Parcourir rapidement la vie et l’œuvre de Mélanchthon, afin de faire ressortir le rôle qu’il a joué et l’influence qu’il a exercée parmi ses contemporains ; rappeler en quelques traits les principaux événements d’une carrière si agitée, et les juger sommairement dans leurs conséquences, tel est notre but. Dès lors, les charmes du détail eussent nui à l’harmonie de l’ensemble, et nous les avons supprimés.
Il faut faire deux parts bien distinctes dans les travaux de celui qui fut constamment l’aide et l’ami du grand apôtre de l’Allemagne, de Luther. Mélanchthon a été littérateur et philosophe, au moins autant que réformateur, et les traces qu’il a laissées dans l’enseignement universitaire ne constituent pas l’une des moindres parties de sa gloire : là même l’appelaient sa grande science et ses sympathies marquées. C’est dans sa chaire de professeur, dans le commerce de la jeunesse des écoles qu’il venait se reposer avec joie des luttes dogmatiques et des fatigues d’un combat qui déchirait son âme sensible et tendre. Pour être vrai et complet dans les limites de notre travail, nous aurons donc deux faces à étudier dans l’homme qui nous occupe : 1° le réformateur des lettres ; 2° le réformateur de la théologie.
Un mot seulement sur l’éducation de ses premières années.
Philippe Mélanchthon naquit à Bretten, ville du palatinat du Rhin, le 16 février 1497. Les biographes se sont fait un devoir de marquer la date précise ; et Melchior Adam rapporte que, de son temps, on lisait encore sur la maison où le réformateur était né, cette inscription :
Dei pietate natus est in hac domo doctissimus D. Mélanchthon,
xvi Febr. A. M CCCC XCVII.
Il était l’aîné des cinq enfants de George Schwarzerd, habile armurier d’Heidelberg. Dès sa plus tendre enfance, ses parents, gens pieux, s’appliquèrent à l’élever dans la crainte de Dieu et à lui donner une éducation religieuse, entachée sans doute des erreurs de l’époque, mais qui laissa dans l’esprit de l’enfant des impressions dont l’homme fut heureux de faire son profit. Son premier maître, Unger, homme distingué, lui enseigna la grammaire, et à l’école de Pforzheim où il fut placé chez une parente nommée Elisabeth, sœur du célèbre Reuchlin, il suivit les leçons de grec de George Simlera. Là, le jeune Philippe montra, par une étonnante application à l’étude, un esprit vif, une conception surprenante, ce qu’il serait un jour. Là aussi, il apprit à connaître Reuchlin. Ce savant célèbre, ravi des talents du jeune garçon, lui voua une affection paternelle ; il lui prêtait des livres, l’encourageait de ses conseils et le dirigeait dans ses études de latin et de grec. Ce fut lui qui, selon la coutume existant alors parmi les savants, changea son nom de Schwarzerd, qui veut dire terre noire, en celui de Mélanchthon, formé de deux mots grecs, μελας χθων qui a la même signification en grecb.
a – Mélanchthon dit plus tard de lui : « Me fecit grammaticum. » (Melchior Adamus, Vita Melanchthonis.)
b – Camerarius, Vita Philippi Melanchthonis, cap. II.
A l’âge de 13 ans, Mélanchthon fut envoyé à l’université de Heidelberg, où il s’acquit une telle réputation dans la connaissance des langues, qu’un de ses maîtres, malade un jour, le pria de le remplacer. A 14 ans il fut revêtu du grade de bachelier ; l’année suivante il demanda celui de maître ès-arts ; on le lui refusa, sous prétexte qu’il était trop jeune ; ce refus le détermina à quitter Heidelberg. A Tubingue, où il se rendit, il élargit le champ de ses travaux et étudia tout ce qu’on y enseignait, outre la théologie, les mathématiques, la médecine, l’astronomie. En même temps, il expliquait au public les grands auteurs latins dont il avait à rétablir les textes mal connus et défigurés.
Sur la proposition de Reuchlin, l’électeur Frédéric-le-Sage le nomma professeur de grec à l’université de Wittemberg. Il s’y rendit le 25 août 1518, et y prononça un discours sur les réformes à opérer dans l’enseignement, qui excita l’admiration de tous, en particulier celle de Luther.
C’est là que commence la vie publique de Mélanchthon. Fixé désormais à Wittemberg, devenu son centre d’action, il ne le quittera qu’à de rares intervalles, pour les seuls besoins de sa cause, et il y rentrera pour y mourirc. Dès ce moment, son œuvre se confond si bien avec sa vie, qu’il devient impossible au biographe de l’en séparer. En racontant l’une, nous ferons aussi connaître l’autre. Nous entrons donc dans l’étude de notre sujet.
c – 19 avril 1560 post sextam vespertinam, à l’âge de 63 ans et autant de jours. (Melchior Adamus, op. cit.)
Philippe Melanchton