Il arriva dernièrement qu’une dispute s’éleva entre un Chrétien et un prosélyte juif. La discussion se prolongea de part et d’autre jusqu’au soir, sans qu’ils eussent rien avancé. D’ailleurs le bruit de quelques auditeurs causait un tel trouble que la vérité demeura comme enveloppée d’un nuage. J’ai donc jugé à propos d’examiner avec plus de soin ce qui n’avait pu être éclairci par la discussion, et d’achever par un traité le développement de ces matières. L’occasion de défendre au nom des nations la grâce divine qui leur appartient, a eu du moins cet avantage qu’un homme, sorti des nations et qui n’est pas Juif, ni de la race d’Israël par le sang, a commencé de revendiquer la loi de Dieu. Il suffirait déjà, en effet, que les nations pussent être admises à la loi de Dieu, pour qu’Israël ne fût pas en droit de répéter avec orgueil que « les nations ne sont qu’une goutte d’eau dans un vase d’airain, qu’une paille légère emportée par le vent. » Toutefois nous avons dans les oracles de Dieu lui-même des promesses et une garantie infaillibles, lorsqu’il jura au patriarche Abraham, « que toutes les nations de la terre seraient bénies dans sa race ; et à Rébecca, que deux peuples, deux nations sortiraient de son sein, c’est-à-dire les Juifs ou Israël, d’une part, et, de l’autre, les nations ou nous-mêmes. Les deux peuples ont été nommés également nations, de peur que l’un des deux ne s’attribuât, exclusivement à l’autre, le privilège de la grâce. Dieu, en effet, « désigna deux peuples, deux nations, comme devant sortir du sein d’une seule femme, » et il n’attacha point la grâce à la différence des noms, mais à l’ordre de la naissance, « de manière que celui qui naîtrait le premier, fût soumis au plus jeune, » en d’autres termes, à celui qui viendrait après. C’est dans ce sens que Dieu dit à Rébecca : « Deux nations sont en ton sein, et deux peuples sortiront de tes entrailles : un de ces peuples triomphera de l’autre, et l’aîné servira le plus jeune. »
C’est pourquoi, puisqu’il est reconnu que le peuple juif est la nation qui est venue la première dans l’ordre des temps, et qu’elle a été l’aînée par la grâce de sa vocation à la loi, tandis que notre peuple est le plus jeune, attendu qu’il n’a obtenu la connaissance de la divine miséricorde que vers la fin des temps, il ne faut pas douter, suivant l’oracle sacré, que le premier peuple qui est notre aîné, c’est-à-dire le peuple juif, ne soit nécessairement, asservi au plus jeune, et que le plus jeune, c’est-à-dire encore le peuple chrétien, ne triomphe de l’aîné. Car, si j’interroge les divines Ecritures, j’y vois que le premier de ces deux peuples, par le temps, abandonna Dieu pour servir des idoles, et, transfuge de la divinité, s’agenouilla devant de vils simulacres, témoin ce que le peuple dit à Aaron : « Faites-nous des dieux qui marchent devant nous. » Aussitôt que l’or qui provenait des bracelets des femmes et des anneaux des hommes, eut été fondu par la flamme, et que la tête d’un stupide animal fut sortie de la fournaise, Israël, répudiant son Dieu, rendit hommage à l’idole en ces mots : « Voilà les dieux qui nous ont tirés de la terre d’Égypte. » Il en fut de même plus tard, quand les rois leur commandaient. Nous les voyons adorer avec Jéroboam des génisses d’or, honorer les bois sacrés, et se prostituer à Baal ; ce qui prouve, d’après le témoignage des divines Ecritures, qu’ils ont toujours été désignés comme coupables d’idolâtrie. Notre peuple, au contraire, c’est-à-dire le second peuple, abandonnant les idoles qu’il servait auparavant, se convertit à ce même Dieu, dont Israël s’était éloigné, ainsi que nous venons de l’exposer. Par-là, le plus jeune des deux peuples triompha de l’aîné, en obtenant le bienfait de la faveur divine dont Israël fut déshérité.