— Ici on devient sage par force, rumine Jean-Paul qui n’a pas l’air de goûter son séjour à la campagne. Que les journées sont longues et interminables !
Le contraste est trop grand pour lui. Habitué à la fièvre des rues de Paris, aux bousculades de la foule toujours pressée, au vacarme épuisant des autos et des bus, le jeune garçon se sent perdu dans cette solitude. Comme il regrette les heures passées à flâner dans les avenues encombrées de la capitale !
Tout au contraire, les parents de Jean-Paul ont l’air de se plaire aux Oumbras et cela irrite profondément notre garçon. Il supporte mal de les voir satisfaits dans ce cadre si affreusement monotone. Pensez donc ! Maman et papa se lèvent tard. et sommeillent tout l’après-midi enfoncés jusqu’au cou dans leur chaise-longue, à l’ombre des grands tilleuls. Jean-Paul ne peut se contenter d’un tel programme.
— Tu as ta pleine liberté, ici, a dit papa le jour de l’arrivée.
Oui, Jean-Paul est libre parce qu’aux « Oumbras » il ne risque rien. La route nationale, d’ailleurs peu fréquentée, est à trois kilomètres, et la rivière à cette époque de l’année est presque à sec. Il y a bien le grand bassin sous la maison, mais il n’est pas profond et l’eau est basse en ce moment. Popol peut disposer de son temps comme il le désire.
A vrai dire, cette liberté totale ne l’enchante pas outre-mesure. Il préférerait qu’on lui accordât plus de liberté à Paris et qu’on s’occupât davantage de lui dans ce désert.
Aussi, Jean-Paul trainaille-t-il comme un garçon désœuvré. Il a déjà fait au moins dix fois le tour de la maison. A peine d’ailleurs s’il a remarqué une grande roue de char qui tombe en ruine derrière la ferme. A peine s’il a vu le pigeonnier, accroché au sommet de la tour. A peine s’il a pris garde aux petites fleurs bleues, plantées avec goût devant la grande porte. Non, rien ne l’intéresse.
— Je suis déçu, marmonne-t-il.
Tout à l’heure il poursuivait, sans même y songer, une grosse poule blanche qui jetait à tous les horizons ses cris effrayés.
Bien sûr, notre bonhomme n’est pas à la ferme. Il est encore à Paris qu’il a quitté peu de jours auparavant ! Les lapins, les coqs, les brebis, ça ne l’intéresse pas ! Mais parlez-lui d’autos, de lignes de métro. alors, il vous renseignera sans erreur.
— Deux mois ici… soupire Jean-Paul, ce sera long !
Pourtant le temps est idéal. La lumière ruisselle sur les pentes. Olivier, chêne, vigne, roche calcaire sont chargés de soleil. Les oiseaux sifflent leur joie et les cigales troublent l’air surchauffé de leurs chants assourdissants.
Maman vient de s’apercevoir que son petit bout d’homme s’ennuie. C’est pourquoi, comme un trait de génie, elle lui lance :
— Si tu ne sais que devenir, écris une longue lettre à Grand’mère. Ça lui fera plaisir. Ou bien commence tes devoirs de vacances.
Quelles drôles de propositions ! Jean-Paul les accueille avec une moue significative. Il vaut mieux s’ennuyer, pense-t-il, que reprendre la plume. On est en vacances ou on ne l’est pas !
Las de refaire pour la centième fois peut être le chemin qui conduit au bassin, Popol se jette sur l’herbe, s’étend sur le dos et place son béret sur la figure. Un grand chêne à quelques pas, dispense son ombre fraîche.
— Que faire ? soupire-t-il. Le jeune homme a beau se creuser la tête, il ne trouve rien. Il demeure convaincu qu’un garçon de douze ans ne peut jouer tout seul, parce que tout seul on a tôt fait de trouver le fond de ses ressources.
Notre gaillard a décidé pourtant de rompre une bonne fois la monotonie de ses vacances. « Si cela durait, pense-t-il je deviendrais fou d’ennui avant le retour ». Sitôt après le repas de midi, tandis que ses parents feront la sieste, Jean-Paul partira à l’aventure. Il prendra son casse-croûte et ne rentrera que le soir. Ce projet est accepté par tout le monde. On le félicite même d’y avoir pensé.
Le jeune Parisien prend le petit sentier qui descend la montagne. Pourquoi ce chemin plutôt qu’un autre ? Personne ne pourrait le dire, pas même notre garçon ! Les mains dans les poches, la tête baissée, il marche résolument comme s’il avait un but précis à atteindre. Son but, au fond, c’est de s’éloigner le plus possible de la maison dont il connaît maintenant tous les recoins. Bientôt il accélère le pas, entraîné par la pente, bousculant du pied les cailloux qui roulent devant lui. Il sifflote un air de marche appris en classe et au rythme duquel, sans v prendre garde, il règle son pas. Longtemps il fredonne sa chanson sans pouvoir la lâcher. Ce sont de ces musiques obsédantes qui vous accrochent on ne sait pourquoi, qui vous fatiguent et vous irritent, et qu’on a toutes les peines du monde à abandonner.
Il y a une demi-heure à peine que Jean-Paul a quitté les « Oumbras », et pourtant, il a l’impression d’être en route au moins depuis deux heures. La faim le tiraille.
— Ce doit être le moment de goûter !
Sans réfléchir davantage, il sort de son sac une énorme tartine et la croque à belles dents. Bien restauré, il se sent heureux tout seul, là, au milieu des bois.
Tout à coup, un bruit de clochettes, des aboiements de chien et des cris d’adolescent, tirent Jean-Paul de ses réflexions. « Il faut voir ce que c’est », dit-il en pressant le pas.
Cinquante mètres plus loin, au contour du chemin, il aperçoit un grand gamin, sec comme les arbres du pays, le visage bronzé, les cheveux en broussaille, courant après quatre ou cinq chèvres. Ses gros sabots qui heurtent la roche résonnent à travers la campagne. Ce grand garçon, c’est Etienne, le fils du fermier des Olivettes, la maison blanche qu’on aperçoit là-bas à mi-flanc de colline.
Jean-Paul s’approche et résolument comme un Parisien habitué aux nouvelles rencontres, il accoste ce garçon de deux ans plus âgé que lui.
— Salut mon gars ! lui dit-il.
Etienne répond à sa manière par un hochement de tête. Décidément, à la campagne on économise sa langue ! Que ce soit Francine, Grand-père ou ce gaillard, ils ne sont guère bavards. On dirait que leur vocabulaire est composé de deux mots seulement : oui et non !
Nos deux garçons s’examinent un instant, gênés.
— Tu gardes tes chèvres, hasarde Jean-Paul.
— Il faut bien !
Nouveau silence, nouveau malaise !
— T’es du pays toi !
— Oui, j’habite là-haut. Et du doigt, il désigne la maison paternelle. Jean-Paul songe à lui poser une question qui lui tient à cœur.
— Que fais-tu toute la journée, toi, pour tuer le temps ?
— Je garde mes bêtes, dans la soirée. Le reste du temps, je suis libre. Alors j’explore la montagne que tu vois là-bas !
— Tu explores ! s’exclame Jean-Paul vivement intéressé.
— Ah ! continue-t-il, la montagne ici a de grands secrets. Ce matin.
Etienne s’arrête soudain, l’air mystérieux. Il réalise tout à coup que les secrets ne se crient pas sur les toits, qu’on ne les dévoile pas au premier venu. Personne ne doit connaître les découvertes qu’il a faites.
Jean-Paul a beau questionner, il ne peut en savoir davantage.
Et tout à coup, comme s’il eut craint de trop parler, de céder aux questions de ce nouveau venu, Etienne part à la recherche de ses chèvres qui se sont éloignées.
— Adieu, dit-il sans détourner la tête. Je dois rentrer mes bêtes.
— On se reverra, crie Jean-Paul déçu de voir se terminer si brusquement la conversation.
— Je veux bien…
Et sans rien ajouter, le jeune campagnard remonte le chemin qui conduit aux Olivettes, précédé de ses chèvres que houspille son chien. Tout seul, Jean-Paul regarde s’éloigner son compagnon qui emporte avec lui un grand secret qu’il brûle de connaître.
Ce soir, sur le chemin du retour, Jean-Paul trouve la montagne belle, attachante même. Elle lui parle. La ferme, qu’il aperçoit bientôt, semble illuminée par les derniers rayons du soleil couchant. C’est bien la première fois qu’il goûte son séjour.