Sa présence

PREMIÈRE PARTIE
LUI D’ABORD

LA BONNE CIBLE

« Détournant les regards sur Jésus… »

(Hébreux 12.2)

C’était en 1939, tout au début de la guerre. En cette période troublée de notre histoire, le fort de Saint-Cyr où nous étions cantonnés était devenu le refuge de la Météo Nationale. Notre section, celle des jeunes recrues, fut emmenée par un froid humide dans les fossés du fort pour des exercices de tir. A tour de rôle et par groupe de six, il nous fut ordonné de viser l’un des six panneaux dressés à quelque cinquante mètres plus loin. Lorsque mon tour arriva, je pris position avec précaution et crainte, redoutant d’appuyer sur la gâchette à cause du recul plutôt brutal de l’arme que je serrais avec force contre mon épaule. Je visai longuement ma cible, tirai mes 5 ou 6 cartouches, puis me relevai pour laisser la place au suivant.

Lorsque le sergent se rendit vers ma cible pour contempler mes prouesses, il s’immobilisa un instant, devenu soudain rêveur. Il paraissait intrigué, perplexe même. Pensez donc : mon carton était vierge —pas un seul trou — tandis que (si mes souvenirs sont bons) celui de droite en avait… dix. Inutile de préciser de quelle sorte de félicitations je fus abreuvé. En tout cas, si l’on ne sut jamais si mon camarade avait fait mouche, par contre, mes chefs furent définitivement fixés sur mon compte.

Que de chrétiens, en toute bonne foi, se trompent de cible ! L’auteur de l’épître aux Hébreux le savait bien qui juge utile de faire défiler devant nos yeux une série de portraits d’hommes et de femmes qui ont su regarder dans la bonne direction. Et pour conclure, il conseille non seulement à ses lecteurs de rejeter le péché et tout fardeau qui brouillent la vue de ceux qui les tolèrent, mais il leur recommande surtout de fixer les regards sur Jésus (Hébreux 12.1, 2). Là est la bonne direction.

Un commentateur relève que le début du v. 2 présente une réelle difficulté. Littéralement, le texte précise : « Détournant les regards »… Alors il s’interroge : les détourner de quoi ? De la puissance de l’Adversaire, à l’instar d’un Gédéon ou d’un David (v. 32) ? Du monde ou de son clinquant, à l’exemple de Moïse (26) ? Sans doute. Ou encore de la souffrance et de la mort ainsi qu’ont dû le faire nombre de martyrs anonymes (36-37) ? A moins qu’on ne détourne les regards de cette nuée de témoins prestigieux dont la stature est écrasante pour qui chercherait à les imiter ? Pourquoi pas ! Pour ma part et avant tout, je reste persuadé que le chrétien doit détourner les regards de lui-même pour les fixer uniquement sur Jésus. En effet, il nous est si naturel de nous confier en notre action, en nos forces propres, en notre piété, bref en nos œuvres… aussi, que d’illusions et que d’erreurs commises !

Un souvenir déjà lointain confirmera les pensées que nous évoquons ici. Lors d’une campagne d’évangélisation, un ami avait pour mission de me véhiculer à travers la ville pour me permettre de rendre visite à des personnes désireuses de me rencontrer. Ce bon chrétien ne démarrait jamais sans réclamer la protection de Dieu dans une courte prière. Or, un jour, pressé ou trop préoccupé, il oublia d’invoquer son Seigneur.

— Frère, je… je n’ai pas prié ! me dit-il affolé alors que nous roulions en plein boulevard. Il faut que je m’arrête.

Et c’est à grand-peine et au prix de manœuvres périlleuses qu’il réussit à s’immobiliser au bord du trottoir.

Ouf ! Maintenant, il respirait.

Il arrêta son moteur, se découvrit et formula sa brève requête. Puis, il redémarra pleinement rassuré. Ces quelques phrases marmonnées à voix basse, la tête penchée sur le volant, avaient chassé l’inquiétude et donné de l’audace à mon chauffeur.

Quelque temps plus tard, me remémorant cet incident banal, je m’interrogeai : cet ami avait-il besoin de s’arrêter pour exprimer sa prière ? Ne pouvait-il pas invoquer son Dieu tout en roulant ? Ou simplement profiter d’un feu rouge pour dire au Seigneur : « Je me confie à ta garde. Rends-moi prudent et… que ta volonté soit faite » ?

Quoique sincère, mais visiblement prisonnier d’une excellente habitude, ce croyant commettait une faute dont il n’était pas conscient mais qu’il aurait pu détecter s’il s’était seulement posé la question : En QUI, ou En QUOI ai-je placé ma confiance pour être apaisé ? En CELUI qui exauce ma prière ou dans les quelques mots prononcés avant de démarrer ? La réponse saute aux yeux : lorsque cet ami avait prié, il partait rasséréné alors que la crainte le saisissait quand il avait omis de s’adresser à son Dieu. Autrement dit, il avait foi en sa prière et non dans le Christ qui répond à la prière. C’est grave car, accorder une puissance de protection à deux ou trois phrases balbutiées, les yeux clos, c’est en fait de la superstition. N’est-ce pas conférer un pouvoir quasi magique à une formule ou à un acte de piété et, du même coup, tourner le dos à Celui qu’on prétend invoquer ? Là s’expliquent certains silences de Dieu (Jacques 4.3).

Je vous le demande : notre sécurité dépend-elle de celui qui protège ou de nos prières (c’est-à-dire de nous-mêmes en définitive) ? On comprend alors le prophète qui ordonne : « Cessez de vous confier dans l’homme » (Esaïe 2.22).

Je suis frappé de trouver dans bon nombre de circulaires émanant de chrétiens zélés ou de missionnaires convaincus des phrases qui mettent l’emphase sur leurs actes propres : « Nous avons beaucoup prié… et Dieu a béni. Ou encore : En réponse à NOS prières… le Seigneur nous a accordé telle faveur. Grâce aux prières de l’église nous avons pu acheter un véhicule neuf pour notre pasteur… Ou enfin : Si nous avions davantage prié… nous aurions obtenu la grâce demandée  »… Halte-là ! Jamais nous ne mériterons la moindre bénédiction ni ne ferons du Seigneur l’agent de notre volonté, même à coup d’ardentes supplications. Dieu ne nous doit rien. Pleinement souverain, il offre ses grâces à qui il veut, comme il le juge bon. Et s’il nous accorde la chose demandée, c’est à cause de Jésus et-de Jésus seul. Je puis rester à genoux des heures durant sans pour autant lui plaire. Ne soyons pas, à l’instar des païens, de ceux qui se persuadent « qu’à force de paroles ils seront exaucés. Ne leur ressemblez pas, dit Jésus, car votre Père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez » (Matthieu 6.7-8).

N’avez-vous jamais cédé à la tentation de vous admirer après un long moment passé aux pieds du Seigneur ? La pensée ne vous est-elle jamais venue de dire : « Si je prie beaucoup, je deviendrai certainement un chrétien puissant et efficace ? » Ah ! Comme nous tenons à avoir le profil du croyant spirituel et consacré ! Notre orgueil toujours vivace met en avant nos prières et relègue le Seigneur à l’arrière-plan de nos pensées. Alors la prière devient inévitablement et très vite un devoir, un devoir fastidieux qui n’incite guère à la persévérance. Le cœur n’y est pas. On s’y adonne juste assez pour apaiser une conscience alertée par les impératifs de l’Écriture : « Priez sans cesse » (1 Thessaloniciens 5.17) — Faites en tout temps par l’Esprit toutes sortes de prières » (Éphésiens 6.18) – Persévérez dans la prière. Veillez-y avec actions de grâces (Colossiens 4.2) – Il faut toujours prier et ne pas se lasser… (Luc 18.1), etc.

Y a-t-il un seul chrétien sérieux au monde qui ne soit convaincu de l’importance de la prière ? Alors pourquoi sont-ils si peu nombreux ceux qui consacrent du temps à Dieu ? Sans aucun doute parce que prier leur apparaît comme un devoir imposé par un Maître exigeant, une loi à observer avec rigueur, un exercice auquel il faut se livrer impérativement pour espérer recevoir quelque grâce du ciel.

Voici comment l’auteur d’un ouvrage – au demeurant excellent – introduit le premier chapitre de son livre : « L’enfant de Dieu avisé… écrit-il, est poussé à s’écrier : “Je dois prier, prier, prier. Je dois mettre toute mon énergie et tout mon cœur à la prière. Quoi que je fasse d’autre, je dois prier.” »

Pour ma part, je regrette cette accumulation de « je dois ». Il me semble qu’il eût été préférable de dire au lecteur : « Approchez-vous de Dieu ; cherchez, cherchez, cherchez sans vous lasser sa face ; mettez toute votre énergie à entretenir une étroite communion avec le Maître. Ne vous lassez pas de cultiver sa présence qui est d’un grand prix. Si vous vous attachez à sa Personne – et c’est là ce que vous devez poursuivre avec ardeur et persévérance – sa compagnie sera pour vous une joie telle que la prière jaillira de votre cœur et deviendra un réel besoin.

Le zèle tombe vite lorsque la prière n’est qu’un devoir. Prier parce qu’il faut prier n’est guère stimulant… J’ai beau me discipliner, me faire une obligation d’invoquer Dieu, je reste déçu et culpabilisé en découvrant la sécheresse de mon cœur et mon manque de ferveur. Il ne peut en être autrement puisque Dieu s’attend à ce que je le « serve avec joie » (Psaumes 100.2).

Quand la prière n’est qu’un devoir, le Dieu que j’invoque n’est plus tout à fait le vrai Dieu. Il m’apparaît sous les traits d’un maître dur, exigeant, impossible à satisfaire, un Maître « qui moissonne où il n’a pas semé » (Matthieu 25.24). Or, ce n’est pas là son vrai visage. Imaginez un instant la réaction d’un fiancé découvrant soudain que sa bien-aimée n’éprouve aucun plaisir à rester près de lui. Grande sera sa tristesse de la voir écourter et espacer les rencontres ou faire la moue lorsqu’il lui propose un nouveau rendez-vous. En constatant ses réticences et son peu d’empressement, le jeune homme ne manquera pas de lui poser la question que Jésus, par trois fois, lança à Simon Pierre : Oui ou non, « m’aimes-tu » ? Pensez-vous que Dieu puisse être satisfait de me voir venir à Lui à contrecœur, sans joie, m’efforçant de le prier par devoir, parce qu’il faut prier, pour obéir à un commandement que je taxe volontiers de pénible. Lui aussi serait en droit de m’interroger : « Oui ou non, m’aimes-tu ? » Or, aimer le Seigneur, n’est-ce pas le premier des commandements qui devrait passer avant tous les autres ?

Vous qui êtes parents, demandez à votre enfant d’écrire une longue lettre à une vieille tante qu’on ne voit jamais. Si vous avez quelque autorité, il finira par s’exécuter ; toutefois, c’est en grognant qu’il prendra la plume et le style s’en ressentira. Plus tard, croyez-moi, vous n’aurez pas besoin d’intervenir pour qu’il écrive à sa fiancée. Rien n’est pesant ou rébarbatif quand on aime. Le devoir devient alors faveur, privilège. L’amour rend le fardeau léger et la prière sujet de joie. Non pas l’amour que je m’efforce de créer, mais Son amour, le Sien qu’il me communique quand je le recherche de tout mon cœur.

Ignorez-vous que nous avons été créés pour vivre dans l’intimité du Père ? S’approcher de lui, se plaire en sa compagnie, c’est répondre à cette intention. Sa joie est grande quand nos relations deviennent intimes, fréquentes, voire permanentes.(Prier c’est d’abord cultiver sa présence, c’est s’attacher à sa personne bénie. C’est l’aimer. Il s’attend à ce que je vienne à lui pour lui-même, et s’il advient que je formule une requête ou une intercession, ce sera encore pour lui et pour sa gloire que je l’implorerai.

Le lecteur comprendra sans doute pourquoi, dans ce livre, au lieu d’insister sur le : « vous devez prier », nous avons préféré mettre l’accent sur la nécessité de cultiver la présence du Seigneur. La Bible nous y convie pour de multiples motifs. Nous en signalons quatre :

  1. La joie. « Il y a d’abondantes joies devant sa face » (Psaumes 16.11).
  2. Le bonheur. « Pour moi, m’approcher de Dieu, c’est mon bonheur » (Psaumes 73.28).
  3. La vie abondante. « Auprès de Lui est la source de la vie » (Psaumes 36.10).
  4. L’exaucement. « Fais de l’Éternel tes délices et il te donnera ce que ton cœur désire » (Psaumes 37.4).
    Etc.

Et puisque « ceux qui le cherchent ne sont privés d’aucun bien » (Psaumes 34.11), pourquoi resterions-nous loin de ce merveilleux Sauveur ? Il est grand temps de « chercher sa face » et d’entraîner nos amis dans cette recherche (et toutes choses, y compris la prière sous toutes ses formes, nous seront données en plus ; 1 Chroniques 16.11 ; Psaumes 27.8 et 105.4).

Ah ! Si nous connaissions mieux le divin époux, si sa présence était pour nous un ravissement de joie, la prière cesserait d’être un devoir pénible. Sa personne « pleine de charme » nous attirerait irrésistiblement. Dès le matin déjà nous le chercherions pour nous rassasier de son image (Psaumes 17.15) et tout au long du jour, nos regards se tourneraient vers le Bien-aimé (Psaumes 16.8 et 25.15).

C’est pourquoi, ne nous contentons pas de la prière-obligation qui offenserait le Seigneur. Il faut mettre un terme à nos vaines redites dénuées de ferveur pour lui dire, avec l’auteur du Psaume 119 : « Élargis mon cœur… et je courrai dans la voie de tes commandements » (v. 32). Autrement dit, réchauffe-le et la prière jaillira.

Ne voudriez-vous pas, maintenant, tenir un semblable langage devant Celui qui vous appelle « à la communion de son Fils » (1 Corinthiens 1.9) ?


♦   ♦

Je suis conscient que ces lignes peuvent devenir un piège pour ceux qui seraient tentés de conclure : « Puisque je n’éprouve aucun plaisir à prier et dois me faire tirer l’oreille pour me mettre à genoux… j’attends que Dieu me saisisse et me communique l’amour qui m’incitera à le rechercher. » Pas de cela ! Dieu ne donne rien aux passifs qui « attendent d’être poussés ». Il répond à celui qui a soif de le rencontrer… qui vient à lui pour recevoir la grâce de prier et qui boit, c’est-à-dire saisit par la foi cette grâce selon la parole même de Jésus (Jean 7.37).

Soyons pratiques :

— Si la prière est pour nous un devoir pénible, nous le reconnaissons et l’avouons humblement au Seigneur. En tous cas, nous cessons de nous culpabiliser ou d’en faire un prétexte pour rester loin de lui. Nous approcher de Dieu, c’est déjà l’aimer.

— Assurés de son pardon, nous nous écrions : « Seigneur, donne-nous envie d’être près de toi parce que tu es un Dieu incomparable. »

— Sans nous attarder sur ce que nous ressentons, ou nous laisser aller au découragement si notre prière est vraiment médiocre et sans chaleur, bénissons-le car il nous a répondu. « Voici l’assurance que nous avons auprès de lui : si nous demandons quelque chose selon sa volonté, il nous écoute. Et si nous savons qu’il nous écoute, quoi que ce soit que nous demandions nous savons que nous possédons ce que nous lui avons demandé. » (1 Jean 5.14-15) Alleluia !

Heureux ceux qui le cherchent de tout leur cœur (Psaumes 119.2).

Questions :

Sur QUI ou sur QUOI sont fixés mes regards lorsque je m’adresse au Seigneur ?

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