La sotériologie est, comme nous l’avons annoncé déjà dans la Méthodologie et dans les Prolégomènes, la partie centrale de la dogmatique, comme la raison d’être de la théologie elle-même. Le christianisme est la religion du salut ou il n’est pas. La théologie est la science du salut ou elle n’est pas ; et comme le mal est apparu dès l’abord sur la scène de l’humanité essentiellement comme un fait et non pas comme une erreur, le remède est également apparu en Jésus-Christ comme le fait d’un salut et non pas essentiellement comme une antithèse de doctrine.
Il y a toutefois cette différence à observer entre l’apparition du péché et l’avènement du salut que l’un figure aux premières origines de l’humanité pour vicier de là le cours entier de l’histoire, tandis que le salut prédit et promis dès ces origines même n’a été accordé qu’au terme d’une longue attente. Tandis que le premier tentateur a réussi à envahir le premier paradis, Jésus-Christ est apparu au centre du monde et au centre de l’histoire ; et il a fallu des milliers d’années pour préparer la restauration de l’humanité dont une seule heure avait décidé la déchéance.
La deuxième partie de la dogmatique se subdivise donc en deux sections traitant :
- De la préparation du salut dans l’ancienne alliance.
- De l’accomplissement du salut dans la première venue de Christ.
La répétition du mot salut dans le titre des deux sections de cette deuxième partie implique déjà dans notre pensée l’harmonie de principe qui préside à l’une et à l’autre alliance, et exclut toute conception qui les opposerait comme représentant, l’une, la sainteté et la justice, l’autre, la grâce. C’est la grâce qui se révèle dès le début comme le facteur prédominant des rapports entre Dieu et l’humanité, et sous le régime légal même, c’est par les attributs exprimant les différents aspects de la grâce divine envers l’homme que Dieu aime à résumer la définition qu’il fait de lui-même : Exode 34.6-7. Dans le Décalogue, la miséricorde d’un Dieu qui pardonne jusqu’en mille générations se proclame par là même supérieure dans ses dispensations à la justice qui punit jusqu’à la quatrième ceux qui le haïssent, Exode 20.5-6 ; et lorsque Dieu veut faire passer sa gloire suprême devant son serviteur Moïse, il définit cette gloire par sa bonté : « Je ferai passer ma bonté devant toi », (Exode 33.19-22).
Par la préparation du salut, nous entendons l’ensemble des choses divines et humaines qui ont concouru durant les siècles de l’histoire ancienne à l’avènement du Fils de Dieu en chair, et par l’accomplissement, πλήρωσις, la réalisation complète de l’idée divine dans l’histoire de l’humanité.
Et comme la période dans laquelle se trouve l’humanité depuis le premier avènement de Christ est un long et patient acheminement vers son retour en gloire, tout le développement de l’humanité ancienne et spécialement du peuple d’Israël était, sous l’action de la Providence, une préparation constante de ce premier avènement.
Qu’est-ce que l’histoire ? avons-nous écrit ailleurs, sinon la résultante du facteur divin et du facteur humain concourant à la réalisation du plan formé en Dieu en vue du salut de l’humanité. Dans l’histoire, il y a l’idée divine qui préside à son développement, sinon elle serait livrée aux puissances aveugles ; il y a encore le facteur humain servant d’instrument libre et responsable à cette idée divine, sinon l’histoire serait une évolution fatale. En d’autres termes : l’histoire est le composé infiniment multiple et accidenté du plan divin et de la liberté humaine, de l’idée et du fait. L’idée ou le plan marque les lignes normales de l’histoire, qui convergent toutes ensemble vers un terme préconnu et préordonné. Ce sont les rapports divers et variables de ces deux éléments, le fait et l’idée, qui créent jusqu’à aujourd’hui les vicissitudes diverses de l’histoire du monde. Tantôt le fait s’éloigne excessivement de l’idée ; l’activité humaine s’écarte indéfiniment de la ligne providentielle ; l’humanité paraît — sans l’être ni absolument ni définitivement — abandonnée de Dieu et livrée à ses propres voies, et l’histoire reçoit le caractère et la qualité de profane… L’idée se rapprochant du fait, le serrant de près, le pénétrant, le dominant et le jugeant, engendre l’histoire dite sainte. Les figures appartenant à la période préparatoire sont les résultats de la pénétration inachevée de l’idée divine et du facteur humain, et la pénétration une fois complète de ces deux facteurs marquera le terme que nous appelons d’après le Nouveau Testament : πλήρωσις (Matthieu 5.17 ; Galates 4.4)a
a – Comp. notre article intitulé : Les citations de l’A. T.. etc. Revue théologique de Montauban. 1875.
Nous nous opposons dans les définitions précédentes à la conception assez fréquente qui ramène l’accomplissement du salut à la coïncidence surnaturelle des faits compris dans l’avènement du christianisme avec les oracles qui les avaient annoncés, et réduit la préparation du salut elle-même à être l’énoncé de ces prédictions. Car l’une et l’autre phase de l’œuvre du salut, soit la préparation, soit l’accomplissement, nous placent également dans l’ordre des faits, auxquels se rapportent les idées ou les verbes, comme l’accessoire au principal.