Réagir contre l’invasion de l’esprit païen dans l’Eglise, rendre au fidèle la joie du salut par le Christ, tels furent les fins que se proposèrent les réformateurs du XVIe siècle ; le soli Deo gloria, d’une part ; la justification du pécheur par le moyen de la foi seule, d’autre part, furent leurs mots d’ordre.
Le luthéranisme mit au premier plan la préoccupation du salut ; les réformateurs suisses et Calvin subordonnèrent le légitime souci du salut à la restauration du sentiment de l’indépendance souveraine et de l’autorité exclusive de Dieu. De là, une conception plus rigoureuse de l’autorité formelle de l’Ecriture, le rôle attribué à la prédestination dans la piété, une conception plus spiritualiste des sacrements, une doctrine de l’incarnation qui tient un compte suffisant de l’élément humain dans la personne du Christ, une réforme plus radicale dans le culte. La dogmatique réformée est celle qui s’inspire de ce point de vue théocentrique en distinction des autres formes du protestantisme orthodoxe.
On peut concevoir, et on a réalisé une introduction méthodologique à une telle dogmatique. Elle aurait pour objet de lui assigner sa place dans l’ensemble des disciplines théologiques. On peut également concevoir, pour elle, une introduction historique. Celle-ci devrait déterminer la marche de son développement, les causes de ses déviations et celles des restaurations et des progrès qu’on y peut constater.
Mais le caractère de ces introductions et les conclusions auxquelles elles aboutiront dépendent nécessairement de la réponse préalable qu’on fera à cette question : qu’est-ce que la dogmatique réformée ? La religion dont elle est l’expression scientifique est-elle le résultat d’une révélation divine, ou bien le produit de l’activité spontanée de l’esprit humain ?
Or, c’est précisément à des questions de ce genre que doit répondre une introduction canoniquea à la dogmatique réformée. L’introduction canonique doit donc précéder les introductions méthodologique et historique.
a – Voir remarques annexes.
Il faudra avant tout dire pourquoi il doit y avoir une dogmatique et non pas simplement des spéculations philosophiques, puisées aux seules sources de la psychologie et de l’histoire. Et il faudra dire encore pourquoi toute dogmatique à prétentions scientifiques devra être chrétienne et non israélite ou musulmane, protestante et non catholique, romaine ou grecque, réformée et non luthérienne ou individualiste.
Du point de vue scientifique, il ne suffit pas que le dogmaticien déclare qu’il adopte les principes qu’il propose parce qu’il les croit vrais.
Le fait qu’il les croit tels justifie sa position moralement. Mais ce n’est là qu’un accident individuel. Ce n’est pas une nécessité scientifique. Pour que le fait qu’il étudie la foi en partant d’un point de vue plutôt que d’un autre cesse d’être un accident individuel, il faut qu’une discipline canonique mette en lumière la nature et la valeur des principes du dogme.
Une discipline canonique : tel est le caractère que nous avons voulu donner à notre travail.
Nous avons cherché à le faire plus complètement que cela n’a été fait jusqu’ici, même par H. Bavinck, qui, à notre sens, s’est rapproché le plus de l’Idéal que nous contemplons.
Arthur J. Balfour, en écrivant un traité de la connaissance. Les Bases de la croyance, a cru écrire une introduction à la dogmatique. Pour nous, il n’en a ébauché que la première partie ; il s’est borné à montrer pourquoi on peut considérer Dieu comme le principium essendi de la religion.
W. P. Paterson, dans son traité sur La règle de la foib, compare les règles de foi proposées à la dogmatique et conclut en faveur d’un certain protestantisme ritschlien, teinté assez fortement d’influences calvinistes.
b – W. P. Paterson. The rule of faith, London, 1912.
Lui aussi croit avoir traité « de ce qui fait ordinairement la matière des introductions à la dogmatique ».
En réalité, il n’a fait qu’esquisser la dernière partie de l’introduction canonique, puisqu’il se borne à assumer que l’homme sera religieux et chrétien.
H. Bavinck, dans la partie introductive de sa dogmatique réformée, cette véritable somme du calvinisme contemporain, va bien plus loin.
Il donne une esquisse des principes de la connaissance, tant générale que religieuse, et il formule la théorie des principes du protestantisme orthodoxe.
Mais il n’éprouve pas le besoin de montrer pourquoi cette dogmatique doit être spécifiquement réformée.
Nous avons voulu, en nous tenant sur le même terrain que Bavinck, fondre en une seule coulée, à notre manière et avec nos principes, la matière des ouvrages de Balfour et de Paterson, que nous venons de mentionner.
C’est ce qui, à notre sens, constitue une introduction canonique à la dogmatique.
Voici comment nous avons procédé : dans les préliminaires, nous donnons l’idée de l’introduction canonique et nous exposons les principes qui spécifient, du point de vue confessionnel, la dogmatique réformée.
Nous traitons ensuite, dans une première partie, de la nature de la connaissance en général. Parmi les systèmes en présence, nous concluons en faveur d’un réalisme critique modéré.
L’étude de cette connaissance, particulière par son objet, qu’est la connaissance religieuse, suppose qu’on est au clair sur la nature de la religion, sur son universalité, sur sa persistance indestructible. Cela constituera la matière de la deuxième partie du présent traité.
La troisième partie considère la connaissance religieuse. Elle se subdivise en deux sections. La première devra montrer que la connaissance religieuse a un objet et un contenu réels. C’est là que nous indiquerons la position philosophique qui rend logiquement possible l’édification d’une théorie de la connaissance religieuse tenant compte du fait de cette connaissance.
Par là, notre opposition aux théories qui s’écartent des traditions de la théologie réformée sera nettement déterminée ; telle sera la matière de notre premier cahier.
Le second cahier comportera la deuxième section de la troisième partie. Celle-ci est destinée à établir la portée objective de la connaissance religieuse.
Après avoir réduit les « preuves » de l’existence de Dieu à leur signification réelle, on s’efforcera de faire sentir que Dieu est bien le principium essendi de la religion ; qu’il est l’auteur de la connaissance religieuse. Pour cela, nous en montrerons la genèse et nous ferons la critique des objections du réalisme, de l’idéalisme et des partisans du doute systématique.
Puis, on présentera un essai de conciliation de la nécessité qui découle de la certitude et de la liberté, dans l’acte de foi.
Les trois derniers chapitres montreront qu’il est nécessaire scientifiquement de spécifier la certitude religieuse comme culminant dans le dogme réformé, déterminé par le principe extérieur de l’Ecriture, source et norme suprême de la foi, et par le principe intérieur du soli Deo Gloria.
Il nous est absolument impossible de donner ici une bibliographie complète du sujet. Elle ferait, à elle seule, la matière d’un volume.
On trouvera l’indication des ouvrages que nous critiquerons, dans les notes, au bas des pages qui en traitent.
Nous nous bornerons à indiquer dans les lignes qui suivent, les ouvrages qui nous ont particulièrement servi à édifier notre construction théorique, pour le présent cahier.
Pour la partie méthodologique, nous nous sommes inspirés surtout, après Calvin, de Abraham Kuyper, Encyclopédie der Heilige Godgeleerdheit, trois vol. Kampen, 1908 (le troisième volume) ; et de H. Bavinck, Gereformeerde dogmatiek, trois vol. Kampen,, 1918 (le premier volume). Le premier volume de chacun de ces deux ouvrages traite des principes et de la position du calvinisme réformé par rapport à la philosophie et aux sciences particulières.
Pour l’édification de la théorie réaliste de la connaissance, nous avons consulté : Augustin, Contra academicos, Soliloquia ; Thomas d’Aquin, Summa Theol., ; H. Zanchius, le premier scolastique calviniste, Opera, III, 636 ss. ; et Calvin, Inst. Chr., ch. 15.
Parmi les modernes : J. Mc Cosh, Psychology : the cognitive powers, London, 1886 ; Realistic philosophy defended in a philosophical series, deux vol., London, 1887. Mc. Cosh était, en même temps que philosophe, un théologien calviniste.
Liberatore, Die Erkentnistheorie des h. Thomas von Aquin, Maienz, 1861.
H. Bavinck, Geref. Dog. ; Christelyke Wereldbeschouwing, Kampen, 1904.
Traité élémentaire de philosophie, par des professeurs de l’Institut supérieur de Philosophie de l’Université de Louvain, Louvain, 1922 ; J. Maréchal, Le point de départ de la métaphysique, plus particulièrement le cahier V. Le thomisme devant la philosophie critique, Louvain et Paris, 1926 ; Et. Gilson, Le thomisme. Introduction au système de saint Thomas d’Aquin, Strasbourg, 1920 ; G. Krémer. Le néoréalisme américain, Louvain, 1926 ; La théorie de la connaissance chez les néoréalistes anglais, Louvain, 1928.
Parodi, La Philosophie contemporaine en France, Paris, 1919.
Sur les matières scientifiques, notamment sur la théorie de l’évolution : A. S. Eddington, La nature du monde physique, traduction C. Cros, Paris, 1929 ; Albert Fleischman, Der Entwikelungsgedanke in der Gegenwartigen Natur u. Geist. Wissenchaft, Leipzig, 1922 ; L. Vialeton, Morphologie générale… Critique morphologique du Transformisme, Douin, 1924 ; L’Illusion transformiste, Paris, 1929.
Sur la nature et l’origine de la religion, parmi les anciens : Thomas d’Aquin, Sum. Théol, II, 2 q. 81.
Calvin, Inst. chr., I, ch. 1 à 5, 10 à 12 ; Opera, passim ; le second catéchisme contient notamment les éléments d’une philosophie de la religion, dans ses deux premières sections ; Ursinus, Catéchisme de Heidelberg, qu. 94 à 103 ; Zanchius, De Natura Dei, De Operibus Dei, Op. II et III ; Hoornbeek, Theol. Pract. IX, VI à VIII.
Parmi les modernes : Abraham Kuyper, E. Voto Dordraceno, 4 vol. Kampen, notamment sur les questions 94 à 103 du catéchisme de Heidelberg ; H. Bavinck, Geref. Dog. ; H. Vissher, De Oorsprong der Religie, Utrecht, 1904.
Mgr Le Roy, La religion des primitifs, Paris, 1909 ; P. W. Schmidt, Der Ursprung der Gottesidee, Munster, J. W. 1926 ; A. Lang, The Making of Religion, London, 1909 ; Sertillanges, Les sources de la croyance en Dieu, Paris, 1906 ; Xavier Moisant, Dieu. L’expérience en métaphysique, Paris, 1907.
Mc. Cosh, The Intuition of the Mind Inductively Investigated, London, 1860 ; Hobson, English Theistic Thought, At the Close of the 19th century, Presbyt. and Reform. Review, oct. 1901, p. 509 à 559 ; H. H. Kuyper, Evolutie of Revelatie, 1903.
Marc Boegner, Dieu, l’Eternel tourment des hommes, Clamart, 1929.