Les Actes du Martyre de S. Ignace, qui se présentent à nous sous deux formes, Actes de Rome et Actes d’Antioche sont purement légendaires et sans aucune valeur historique. Nous sommes donc réduits, pour tous renseignements authentiques sur la vie et la mort du célèbre martyr, à ses propres épîtres et à celle de S. Polycarpe aux Philippiens.
De son origine, de son éducation, de son épiscopat, nous ne savons absolument rien. Était-il de condition servile ? Il semble le dire dans l’épître aux Romains, 4.3 ; mais ce n’est pas certain, ses expressions devant sans doute être prises au sens métaphorique. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’était pas citoyen romain : sinon, il n’eût pas été condamné aux bêtes.
Il portait deux noms : un nom latin, Egnatius ou Ignatius, et un nom grec, Θεοφόρος. On a longuement disserté sur l’origine et la portée de cette dernière appellation. En fait, Théophore n’est pas autre chose qu’un simple nom propre ajouté au premier, selon un usage courant dont nous avons maints exemples (cf. Σαῦλος, ὁ καὶ Παῦλος).
De quelques expressions tirées de ses épîtres, on peut conclure avec une certaine vraisemblance qu’il n’était pas né chrétien, et qu’il ne s’était converti qu’à un âge plus ou moins avancé. Quelque chose de violent, d’anormal et de tardif semble avoir présidé à sa naissance spirituelle : c’est ainsi que, comme S. Paul, il s’appelle lui-même un ἔκτρωμα, un avorton (Rom.9.2), et qu’il met une bizarre insistance à se déclarer le dernier des chrétiens d’Antioche, indigne d’appartenir à cette église (Rom.9.2 ; Éph.21.2 ; Trall.13.1 ; Smyrn.11.1).
Les plus anciennes traditions représentent Ignace comme le deuxième successeur de S. Pierre sur le siège d’Antioche. Il y remplaça Évodius on ne sait en quelle année (Eusèbe, H. E., III, ch. 23). Comme la date de sa naissance est totalement inconnue, on ignore à quel âge il mourut martyr. La date même de sa mort ne peut être fixée avec précision ; on ne risque cependant pas de se tromper beaucoup en la plaçant aux environs de 110.
Une persécution, dont nous ignorons la cause et les circonstances, vint s’abattre sur l’église d’Antioche. Elle semble n’avoir été ni très violente, ni de longue durée ; elle était déjà terminée quand Ignace arriva à Troas. Peut-être même l’évêque en fut-il la seule victime ; en tout cas il est remarquable que, dans ses épîtres, il ne fasse jamais la moindre allusion à d’autres martyrs.
Ce qui est certain, c’est qu’Ignace, en quittant la Syrie, était déjà condamné aux bêtes, et qu’il n’allait pas à Rome en appel devant le tribunal de l’empereur, comme autrefois S. Paul, mais pour y subir sa peine. Il était confié à la garde de dix soldats, qu’il qualifie de léopards à cause de leur brutalité (Rom.5.1). Ce détachement était sans doute chargé de recueillir en route les divers condamnés qui devaient être dirigés sur Rome ; car, à son arrivée à Philippes, Ignace a pour compagnons de voyage d’autres chrétiens envoyés come lui à la capitale pour y souffrir le martyre (Philipp.1.1 ; 9.1 ; 13.2).
De la première partie de son voyage, d’Antioche à Philadelphie, nous ne savons rien, sinon qu’il la fit tantôt par mer et tantôt par terre (Rom.5.1). C’est à Philadelphie, au cœur même de l’Asie, Mineure, que nous le trouvons pour la première fois (Philad.3.1 ; 7.1-2 ; 8.1-2). De là, le convoi dont il faisait partie suivit très probablement la route qui, passant par Sardes, aboutissait à Smyrne. En tout cas, il fit dans cette ville une halte qui paraît avoir été assez longue. Ignace reçut de l’église de Smyrne et de son illustre évêque, S. Polycarpe, l’accueil le plus cordial et le plus empressé. Parmi les Smyrniotes avec lesquels il fut en rapport, il cite une femme, nommée Alcé, qui est sans doute la même qu’Alcé, sœur de Nicète et tante d’Hérode, dont il sera plus tard question dans le Martyre de Polycarpe (Smyrn.13.2 ; Polyc.8.3 ; Martyre.17.2).
Apprenant l’arrivée à Smyrne du saint martyr, les églises voisines d’Éphèse, de Magnésie et de Tralles se firent un devoir et un honneur d’envoyer des délégués le saluer et lui prodiguer leurs consolations.
La députation d’Éphèse fut la plus nombreuse : elle comprenait l’évêque Onésime, le diacre Burrhus, et trois autres délégués dont la qualité n’est pas indiquée, Crocus, Euplus et Fronton.
Magnésie du Méandre envoya son évêque Damas, les deux presbytres Bassus et Apollonius, et le diacre Zotion.
La chrétienté de Tralles, plus éloignée, n’était représentée que par son évêque Polybe.
A Smyrne, Ignace écrivit quatre de ses épîtres : trois sont adressées aux églises dont les délégués étaient venus le consoler, c’est-à-dire aux églises d’Éphèse, de Magnésie et de Tralles, et la quatrième à l’église de Rome. Cette dernière lettre est la seule qui porte une date : elle fut écrite le 24 août (Rom.10.3).
De Smyrne, le convoi se rendit, sans doute par mer, à Alexandria Troas. Le saint martyr fut accompagné jusque-là par Burrhus : ce diacre lui était si utile, qu’Ignace avait prié les Éphésiens de le laisser à sa disposition pondant quelque temps. A Troas, Ignace fut rejoint par Philon, diacre de Cilicie, et par Rhéus Agathopus, diacre, semble-t-il, de l’église d’Antioche : ils lui apportaient l’heureuse nouvelle de la fin de la persécution en Syrie.
De Troas, Ignace écrivit trois lettres adressées à deux églises et à un évêque qu’il avait personnellement visités : aux églises de Philadelphie et de Smyrne, et à l’évêque Polycarpe. A ses recommandations ordinaires sur le dogme et la discipline, s’ajoute maintenant un thème nouveau qui lui est inspiré par son zèle ardent pour sa chère église d’Antioche : il exprime le plus vif désir de voir les diverses églises envoyer en Syrie des délégués ou au moins des lettres pour encourager les chrétiens d’Antioche et les féliciter de la paix enfin recouvrée. Il se disposait à écrire à ce sujet à toutes les églises qu’il connaissait, quand un ordre subit d’embarquement vint traverser son pieux dessein ; il n’eut que le temps d’écrire à Polycarpe, pour lui confier l’exécution de son projet.
De Troas, le convoi se rendit par mer à Néapolis, point de départ de la voie Egnatia qui, passant par Philippes et Thessalonique, traversait toute la Macédoine pour aboutir à Dyrrachium (Durazzo) sur l’Adriatique : c’est évidemment la route qu’on fit suivre aux prisonniers. Leur troupe venait de se grossir de plusieurs autres chrétiens, dirigés sur Rome dans les mêmes conditions qu’Ignace ; les noms de deux d’entre eux, Zosime et Rufus, nous sont connus par l’épître de Polycarpe (9.1). Les chrétiens de Philippes reçurent les martyrs avec la plus touchante charité, et les escortèrent jusqu’à une certaine distance de leur ville ; (Philipp.13.1). Ignace avait engagé les Philippiens à envoyer, eux aussi, une lettre de félicitations aux chrétiens d’Antioche. Les Philippiens écrivirent à Polycarpe pour le prier de faire porter leur lettre en Syrie par son propre messager (Philip.13.1) ; ils lui demandaient en même temps de leur communiquer toutes les épîtres d’Ignace qu’il pouvait avoir en sa possession. Polycarpe les joignit à la lettre qu’il leur écrivit en réponse et que nous possédons encore ; c’est peut-être à cette requête des Philippiens que nous devons la conservation de la correspondance du saint martyr.
Ici, le rideau tombe sur la carrière d’Ignace ; dans le silence de l’histoire, c’est la légende qui va s’emparer de ses derniers jours et composer les Actes de son martyre, ceux de Rome et ceux d’Antioche.