Notre texte nous met devant les yeux Jésus jugeant les traditions des anciens. On appelait de ce nom certains préceptes non écrits, que Dieu, à en croire les pharisiens, aurait donnés à Moïse en même temps que la Parole écrite, et qui se seraient transmis, de bouche en bouche, depuis Moïse jusqu’à Esdras par les prophètes, et depuis Esdras par les docteurs de la loi. Appelé à s’expliquer sur ces traditions, Jésus-Christ les condamne sans ménagement, comme substituant une autorité humaine à celle de la Parole de Dieu : « Pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu par votre tradition ? »
Ce n’est pas que la tradition usurpe ouvertement la place de la Parole écrite : elle se met humblement à côté d’elle et même au-dessous d’elle, et ne revendique d’autre honneur que celui de l’éclaircir ou de la compléter. Mais après qu’elle s’est établie dans l’esprit des peuples à la faveur de cette attitude modeste, elle parvient par degrés à égaler, et enfin à supplanter la Parole de Dieu. Aussi, voyez ce que deviennent les commandements de Dieu sous l’empire de la tradition. C’est peu que la défense puérile de manger sans s’être lavé les mains ait pris la place de saintes exhortations telles que celles-ci : « Soit que vous mangiez ou que vous buviez, ou que vous fassiez quelque autre chose, faites tout à la gloire de Dieu. » Il n’y a pas jusqu’aux commandements les plus imprescriptibles de la loi morale qui ne cèdent à l’action dissolvante de la tradition. Dieu avait commandé, sous peine de mort, « d’honorer son père et sa mère ; » mais la tradition des pharisiens dispensait de cette obligation un fils qui transformait en corbana le secours qu’il devait aux auteurs de ses jours ; et l’on comprend qu’il était facile de régler tellement cet échange que l’avarice y trouvât son compte aussi bien que l’ostentation. « Ainsi, poursuit le Seigneur, vous avez anéanti le commandement de Dieu par votre tradition. » Après quoi, s’élevant, selon sa coutume, d’une occasion particulière à une maxime générale, il condamne tout enseignement religieux qui s’appuie sur une autorité humaine, quelle qu’elle soit : « C’est en vain qu’ils m’honorent, enseignant des doctrines qui ne sont que des commandements d’hommes. »
a – Marc 7.11. Le corban était une offrande dont on décorait le temple ou dont on enrichissait son trésor.
Portée à cette hauteur, la leçon contenue dans mon texte s’applique à toutes les communions chrétiennes. La doctrine de la tradition, transmise, presque sans changement, de la synagogue à l’Église romaine, où elle produit les fruits d’erreur et de superstition que nous voyons tous les jours, cette doctrine funeste, notre Église l’a, grâces à Dieu, répudiée depuis qu’elle existe, et c’est pour s’y soustraire qu’elle s’est détachée de Rome. Mais n’aurions-nous rien retenu de son esprit, tel que Jésus le résume dans cet endroit ? Mettre un enseignement d’homme à la place de celui de Dieu, invoquer une autorité humaine au lieu de n’invoquer que la seule autorité des Écritures, est-ce donc une chose inconnue parmi nous ? Hélas ! quelque nom qu’on porte, rien de plus commun, rien de plus entraînant, rien de plus conforme à notre nature déchue, pour une raison aussi simple qu’elle est triste : c’est que la tradition humaine flatte nécessairement les goûts et les sentiments de l’homme qui l’a inventée, à la différence de la Parole de Dieu qui contrarie les uns et contredit les autres. Pour être protestants, nous n’en avons pas moins à nous tenir en garde contre plus d’une tradition humaine qui menacerait de supplanter silencieusement la Parole de Dieu.
Signaler ces enseignements humains et les écarter pour laisser place à l’enseignement de Dieu, seul revêtu de son autorité salutaire, tel est l’objet de ce discours. Puisse-t-il servir, par l’efficace du Saint-Esprit, à établir en nous le règne de cette Parole qui doit survivre à tout enseignement d’homme, et régner seule après que le ciel et la terre seront passés !
I. La tradition de la multitude. — Je n’ai pas à chercher au loin le premier enseignement contre lequel je veux vous prémunir ; il vient nous chercher lui-même, de tous les côtés, dans tous les moments ; il nous attend à notre naissance, il nous suit durant, la vie, il nous accompagne jusqu’à la mort ; son temps, c’est toujours ; son lieu, c’est partout ; cet enseignement, c’est l’enseignement de la multitude.
La multitude tient une école permanente et universelle, dont nous sommes tous, volontairement ou involontairement, les écoliers-nés. Dans cette école, vraiment mutuelle, tout le monde instruit tout le monde. Là se débattent sans cesse et se communiquent de tous à tous, sous le nom vulgaire de bon sens, ou sous le nom scientifique de conscience universelle, peu importe, certaines maximes qui nous prennent au dépourvu, qui se glissent chez nous sans justification ni préambule, qui flottent inaperçues dans l’air que nous respirons, qui nous enveloppent et nous pénètrent tous à notre insu, et qui, avant que nous les ayons démêlées, ont déjà si bien prévenu notre jugement qu’elles créent en nous comme une seconde nature, avec laquelle nous ne saurions plus rompre qu’à la condition de rompre en quelque sorte avec nous-mêmes. Ainsi se forme et s’impose à tous un catéchisme populaire où chacun puise sans qu’il soit écrit nulle part, et qui défraye également petits et grands, jeunes et vieux, la rue et l’intérieur, le cabaret et le salon, le magasin et le comptoir, la tribune et le barreau, pour ne rien dire de l’Église.
Composé qu’il est par la multitude, le catéchisme populaire est fait à l’image de la multitude et dans son intérêt. Justifier les voies où elle marche et la rassurer contre les jugements de Dieu, voilà la tâche qu’il s’est prescrite et à laquelle il subordonne tout le reste. Son article premier, c’est qu’on ne risque pas de se perdre en vivant comme tout le monde, Dieu n’ayant à coup sûr pas donné la vie à l’homme, qui ne la lui demandait pas, pour son malheur, ni surtout pour le malheur du plus grand nombre. — Et les articles suivants, conçus dans le même esprit, ne font guère que développer et qu’appliquer ce principe posé au point de départ. Nous sommes pécheurs, sans doute, mais nous avons aussi des vertus qui nous vaudront l’indulgence divine ; un honnête homme, qui ne fait pas tort au prochain (c’est-à-dire qui ne le vole, ni ne le tue), peut mourir en paix ; Dieu demande moins de nous la foi que la bonne foi, et toutes les religions sont bonnes pour qui les professe avec sincérité ; Dieu ne nous commande pas l’impossible, et tant qu’on est dans le monde on ne peut pas vivre comme un saint ; la justice ne permet pas que l’innocent paye pour le coupable, et nos péchés sont assez expiés par les maux que nous endurons ici-bas ; Dieu est trop bon pour qu’il y ait des peines éternelles ; ou, s’il y en avait, ce serait tout au plus pour les grands criminels, etc., etc.
Tout cela est en opposition formelle, flagrante avec la Parole de Dieu, qui commence par nous avertir que « la porte large et la voie spacieuse mènent à la perdition, et qu’il y en a beaucoup qui y passent, » tandis que « la porte est étroite et le chemin resserré qui mènent à la vie, et qu’il y en a peu qui le trouvent ; » et qui, partant de cet avertissement miséricordieux, nous déclare que « nul homme ne sera justifié par les œuvres de la loi, » et que « tous ceux qui sontb des œuvres sont sous la malédiction ; » que « celui qui a péché contre un seul point de la loi est coupable contre tous ; qu’« il est impossible d’être agréable à Dieu sans la foi, » et que « nul ne vient au Père que par Jésus-Christ ; » que nous sommes appelés à être « saints comme Dieu est saint, » et que « sans la sanctification nul ne verra le Seigneur ; » que « Jésus-Christ juste a souffert pour nous injustes, » et que « sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés ; » que « qui ne croit pas au Fils de Dieu ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui ; » que « les méchants iront aux peines éternelles, » et que ces méchants, ce sont tous ceux qui ne font pas la volonté de notre Père qui est aux cieux, » et que « ce qui est grand devant les hommes est une abomination devant Dieu ; » et, en deux mots, qu’il n’y a de salut pour l’homme pécheur et perdu que « par la rédemption qui est en Jésus-Christ, par la foi en son sang. »
b – Trad. litt. : Qui se réclament.
N’importe ! Forcés de choisir entre l’Évangile de Dieu et cet Évangile du peuple, la plupart, la presque totalité des hommes, des protestants comme des autres, choisissent celui-ci ; je devrais dire peut-être : ils le subissent ; car, s’ils l’acceptent, c’est comme obéissant à une nécessité impérieuse, comme cédant à une évidence irrésistible, et sans considérer qu’ils n’ont pu recevoir de telles maximes qu’en mutilant, qu’en répudiant la Parole de Dieu. Que dis-je ? ceux-là mêmes qui ont cru à la Bible, et à qui elle a ouvert les yeux sur la valeur des préjugés populaires, les ont si bien sucés avec le lait, — si bien assimilés à tout leur développement moral, — que des mois, des années s’écoulent avant qu’ils puissent en secouer l’empire, si tant est qu’ils finissent en effet par s’y soustraire complètement… Prenez donc garde à vos âmes, disciples de Jésus-Christ, qui avez à cœur de le suivre et de l’imiter réellement. Dégagez-vous du piège subtil des pensées reçues, mais reçues par une race dont le péché a faussé jusqu’à la conscience et dont « la lumière même s’est changée en ténèbres » (Matthieu 6.23). Apprenez à faire le discernement entre « les choses différentes » (Philippiens 1.10) ; « entre la chose nette et la chose souillée » (Tite 1.15), entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal ! Apprenez-le en cessant « d’aller par le chemin de ce peuple » (Ésaïe 8.11), en recourant « à la loi et au témoignage, » à cette « parole en dehors de laquelle il n’y a point de lumière, » et en défaisant votre doctrine du bon sens, pour la refaire à l’école de Dieu ! Il y a un bon sens vraiment digne de son nom, et qui rend celui qu’il inspire « propre pour le royaume des cieux » d’abord, et puis, par sa piété même, qui « a les promesses de la vie présente comme de celle qui est à venir, » propre aussi à bien juger et à bien traiter les affaires même de ce monde. Ce bon sens, auquel appartient le premier rang entre toutes les facultés de l’esprit humain, est celui qui se règle et s’appuie, non sur l’opinion d’un monde aveugle et « plongé dans le malin ; » mais sur la parole du Dieu vivant et vrai. « Que Dieu soit reconnu véritable et tout homme « menteur » (Romains 3.4). Aussi, voulez-vous savoir comment on parvient à « entendre la justice, et le jugement, et l’équité, et tout bon chemin ? » Salomon va vous le dire avec cette chaleur de langage qui lui est propre : « Mon fils, si tu reçois mes paroles et que tu mettes en réserve par-devers toi mes commandements, tellement que tu rendes ton oreille attentive à la sagesse, et que tu inclines ton cœur à l’intelligence ; si tu appelles à toi la prudence, et que tu adresses ta voix à l’intelligence ; si tu la cherches comme de l’argent, et si tu la recherches soigneusement comme des trésors… alors tu entendras la justice, et le jugement, et l’équité, et tout bon chemin » (Proverbes 2.1-4, 9). Hors de là, vous serez infailliblement entraîné « à suivre la multitude pour faire le mal, » et toute votre religion sera vaine : « C’est en vain qu’ils m’honorent, enseignant des doctrines qui ne sont que des commandements d’hommes. »
II. La tradition de l’Église. — Resserrons le champ de notre observation.
Dans la vaste enceinte du monde, nous trouvons une seconde enceinte, moins étendue, mais mieux dessinée, qui a ses limites marquées et ses conditions propres : je veux parler de l’Église. L’Église aussi enseigne, c’est même pour enseigner qu’elle a été établie. Second enseignement que nous sommes en danger de mettre au-dessus de la Parole de Dieu.
L’ordre de l’Église vient de Dieu, aussi bien que celui de l’État ou de la famille. L’Église est « la maison de Dieu, la colonne et l’appui de la vérité » (1 Timothée 3.15). Les ministères divers et distincts qui ont servi à la fonder, et qui servent à l’entretenir, sont autant d’institutions dont Jésus-Christ réclame l’honneur. « Lui-même a établi les uns apôtres, les autres prophètes, les autres évangélistes, les autres pasteurs et docteurs, pour le perfectionnement des ce saints, pour l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps de Christ » (Éphésiens 4.11-12). Aussi ceux de ces ministères qui sont demeurés jusqu’à nous doivent être acceptés, en soi, comme des bienfaits de Dieu ; et partout où l’esprit de l’institution aura été maintenu, on pourra dire encore aux pasteurs : « Prenez garde aux troupeaux sur lesquels le Saint-Esprit vous a établis évêques pour paître l’Église de Dieu » (Actes 20.28), et aux troupeaux : « Obéissez à vos conducteurs et soyez-leur soumis ; car ils veillent pour vos âmes comme devant en rendre compte » (Hébreux 13.17). Ajoutons, avec actions de grâces, que parmi les diverses formes que l’Église a tour à tour revêtues, selon la liberté que Dieu a laissée sur ce point à son peuple, nous n’en connaissons aucune qui nous paraisse mieux conçue ni plus rapprochée de l’institution apostolique, que cette Église Réformée sous laquelle le Seigneur a daigné nous faire vivre : je parle de l’Église Réformée, non telle que l’a faite le malheur des temps, mais telle qu’elle s’est constituée dans les jours de sa fidélité, et que ses vrais enfants souhaitent de la reconstituer aujourd’hui. Voilà un précieux moyen de grâce ; et nous repoussons, malgré la piété personnelle de beaucoup de ses partisans, cette doctrine de nivellement spirituel et de radicalisme ecclésiastique, selon laquelle le temps de l’Église et du ministère pastoral est passé pour ne plus revenir. A coup sûr il n’était pas passé quand notre Nouveau Testament a été écrit ; et pour le juger abrogé nous attendrons que Dieu y en ait substitué un autre : nous ne saurions croire à une nouvelle dispensation, comme on l’appelle, sans une nouvelle révélation.
Mais ce moyen de grâce, nous le tournerions en occasion de chute, si nous donnions à l’Église la place qui n’appartient qu’à la Parole de Dieu, je veux dire, si nous nous soumettions à l’autorité humaine des pasteurs et docteurs de l’Église, sans nous être assurés par nous-mêmes que leur enseignement est conforme à celui de la sainte Écriture. C’est là, on le sait trop, ce qui a égaré le catholicisme romain ; l’Église y est devenue un juge au lieu d’un témoin, la religion du prêtre a remplacé celle de Dieu ; et, cela fait, la porte s’est trouvée ouverte au grand adversaire pour introduire, sous le nom de Jésus-Christ, des maximes et des institutions en opposition flagrante avec tout Jésus-Christ. Mais ce levain d’asservissement aux hommes, n’en a-t-il rien pénétré parmi nous ? Je ne parle pas ici de ce crypto-catholicisme qui, chez une grande nation protestante, se glisse au sein de son clergé, silencieusement et sans changement de nom, comme un serpent sous l’herbe, et qui commence de lever aussi la tête auprès de nous : sentinelles d’Israël, veillez, et criez avant qu’il ne soit trop tard !… Le puséisme n’est que le catholicisme moins le complément de l’unité, ou moins la sincérité des positions. Je parle de vous, de vous-mêmes qui m’écoutez. N’y a-t-il pas des protestants parmi nous qui ne se sont jamais rendu compte de ce qui les a faits ce qu’ils sont, et qui ne le sont devenus que par la naissance et par l’éducation, c’est-à-dire par l’Église, sans avoir pris conseil de la Parole de Dieu, et qui nés dans une Église catholique seraient inévitablement restés catholiques, dirai-je qui nés à l’ombre de la synagogue ou de la mosquée, seraient restés juifs ou musulmans ? N’y en a-t-il pas qui, s’ils ont tant fait que d’acquérir une doctrine religieuse, l’ont prise toute faite, sans la comparer avec l’Écriture, dans leur instruction religieuse, dans les sermons qu’ils entendent, dans les livres qui leur tombent sous la main, c’est-à-dire dans l’Église et dans l’Église écoutée mollement et superficiellement ? N’y en a-t-il pas qui, appelés par le désordre actuel de l’Église, à entendre tour à tour dans les mêmes chaires des doctrines diverses ou même contradictoires, ou bien acceptent à la fois le pour et le contre, sans prendre le soin de les démêler ; ou, s’ils choisissent, choisissent les yeux fermés, sur le nom du pasteur qui a parlé, de telle sorte qu’il n’y aurait qu’à changer de bouche un discours pour pour lui assurer un accueil contraire ; et à qui, du reste, l’idée ne viendrait pas même de s’asseoir au sortir de là avec leur Bible dans les mains et de « conférer les Ecritures » (Actes 17.11), pour voir si elles confirment ou contredisent ce qu’on leur dit au nom de l’Église ? N’y en a-t-il pas qui se déchargent de la plus personnelle de toutes les questions sur les officiers de l’Église ; qui consultent le Seigneur et interrogent sa Parole par procuration ; qui engagent tellement le salut de leurs âmes dans les errements de leur Église qu’ils ne savent voir ni erreur au dedans, ni vérité au dehors ; et qui jugent enfin la vérité par l’Église, au lieu de juger l’Église par la vérité ? Hélas ! que sert de se flatter ? Quoi de plus commun que tout ce dont je viens de parler ! et que de gens qui agissent de la sorte sans se douter seulement du mal qu’ils font ! Ce mal est grand toutefois. Cette tendance commune, peut-être croissante chez plusieurs, à exalter l’autorité de l’Église, n’est pas moins menaçante pour le règne de Dieu que la tendance de certains autres à la méconnaître. Elle l’est même davantage. Dans une affaire essentiellement personnelle, comme celle du salut, le danger est moindre de s’isoler que de s’absorber dans autrui ; et, frein pour frein, mieux vaut celui de la Parole de Dieu sans l’Église, que celui de l’Église sans la Parole de Dieu. Oui, si l’enseignement de l’Église devait supplanter celui de Dieu, j’aimerais mieux pour vous qu’il n’y eût jamais eu d’Église, et que vous fussiez jeté tout seul au fond d’un désert sans autre lumière que votre Bible.
Car enfin, une fois engagé dans cette voie de l’Église sans contrôle, de quoi pouvez-vous répondre ? Si l’Église qui a usurpé sur vous ce souverain empire vient à s’égarer comme se sont égarées tant d’Églises particulières, comme l’Église presque universelle s’est égarée par moments, comment ne la suivriez-vous pas tête baissée dans son égarement ? Résolu que vous êtes de suivre vos conducteurs spirituels où qu’ils vous conduisent, où irez-vous, si vous tombez entre les mains de conducteurs spirituels, comme il y en a tant, qui ne se laissent pas conduire eux-mêmes par la Parole de Dieu ? où irez-vous, avec des conducteurs qui marchent au gré de leurs propres pensées ? où irez-vous, avec des conducteurs qui ne connaissent pas le chemin étroit qui mène à la vie ? où irez-vous, avec des conducteurs qui ne discernent pas le chemin large qui mène à la perdition ? où irez-vous enfin avec des conducteurs qui vont à la mort ? « Si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tombent tous deux dans la même fosse » (Luc 6.39).
Mais faisons l’hypothèse la plus favorable : que, par un rare privilège, vous n’ayez que des conducteurs fidèles, et que vous n’entendiez jamais annoncer que la pure vérité de Dieu. Cette vérité elle-même, reçue par vous sur le témoignage de l’homme au lieu de l’être sur le témoignage de Dieu, n’arrivera à vous que dépouillée de sa vertu salutaire, parce que. votre foi, « fondée sur la sagesse des hommes, non sur la puissance de Dieu » (1 Corinthiens 2.5), sera moins votre foi que votre crédulité. Il n’y a de foi vivante que la foi personnelle ; et il n’y a de foi personnelle, que celle qui traite directement avec Dieu, sans souffrir ni un pasteur, ni un saint, ni un ange, ni une feuille entre elle et lui. C’est sa Parole, sa Parole seule qui doit nous déterminer, parce que c’est à lui, à lui seul que nous avons à faire (Hébreux 4.12-13) ; et vous ne devez vous donner aucun repos que vous n’ayez appris à dire aux pasteurs les plus purs dans la doctrine et les plus saints dans la vie, comme les habitants de Samarie à cette femme qui leur avait annoncé le Sauveur : « Ce n’est plus pour ta parole que nous croyons ; car nous-mêmes l’avons entendu et nous savons que celui-ci est véritable-ce ment le Christ, le Sauveur du monde » (Jean 4.32).
Ces pasteurs seront les premiers à vous conseiller ce langage. C’est un signe auquel on distingue toujours les vrais serviteurs de Jésus-Christ : jaloux de mettre en pratique la devise de l’humble Jean-Baptiste : « Il faut qu’il croisse et que je diminue, » ils prennent soin de s’effacer pour mettre en lumière la Parole de leur Maître… Saint Paul, avec les Juifs de Bérée, en appelle moins à son apostolat qu’à l’autorité des Écritures (Actes 17.10) ; avec les Galates, il n’hésite pas à prononcer anathème sur quiconque « apporterait un autre Évangile, fût-ce l’Apôtre lui-même, fût-ce un ange du ciel » (Galates 1.8). Le même esprit anime les Pères de l’Église. « Il ne faut pas me croire sur parole dans ce que je vous dis, sans avoir vu mes enseignements démontrés par les saintes Écritures. » Ainsi parlait saint Cyrille de Jérusalem. Les réformateurs ont hérité de cette sainte jalousie pour le nom et la Parole du Seigneur. Écoutez ces belles paroles de Luther : « Plusieurs croient à cause de moi ; mais ceux-là seuls sont dans la vérité qui demeureraient fidèles, alors même qu’ils apprendraient, ce dont Dieu me préserve, que j’aie renié Jésus-Christ. Les vrais disciples ne croient pas en Luther, mais en Jésus-Christ. Moi-même, je ne me soucie pas de Luther… Ce n’est pas lui que je prêche, c’est Christ. » Quand tous ces grands serviteurs de Dieu se sont montrés si jaloux de détourner sur la Parole de leur Maître tout ce que leurs discours ou leurs écrits obtenaient de foi, quel est celui de nous qui ne tremblerait à la seule pensée de faire école dans l’Église, et qui ne dirait dans l’esprit de Cyrille : « Ne me croyez pas sur parole, que vous n’ayez vu mes enseignements confirmés par les Écritures ; » ou dans celui de Luther : « Tenez votre foi si indépendante de la mienne, que la nouvelle de mon apostasie ne vous pût ébranler en aucune façon ? » Pour moi, je vous le dis du fond du cœur. Je sais que par la grâce de Dieu, « je vous annonce le conseil de Dieu ; » mais, j’ai mon âme à sauver et vous avez la vôtre : je n’invoque que l’Écriture, ne vous rendez qu’à elle ; « examinez tout, retenez ce qui est bon » (1 Thessaloniciens 5.21). « Vous ce avez été achetés par prix : ne devenez point les esclaves des hommes » (1 Corinthiens 7.23). Ainsi, seulement vous pourrez dire avec assurance : « Je ce sais en qui j’ai cru » (2 Timothée 1.12). Mais si vous rendez à l’Église ce qui n’est dû qu’à Dieu, vous tomberez sous la sentence de mon texte : « C’est en ce vain qu’ils m’honorent, enseignant des doctrines qui ne sont que des commandements d’hommes. »
III. La tradition de la famille. — Rapprochons-nous encore. Dans notre vie intérieure, dans nos rapports journaliers, dans l’atmosphère inévitable que nous respirons par une nécessité de naissance, nous allons trouver un troisième enseignement qui menace de prendre la place de la Parole de Dieu : l’enseignement de la famille.
Bien des gens règlent moins leur foi sur les révélations du Seigneur que sur la croyance de leurs parents et de leurs aïeux ; cette croyance forme à leurs yeux une sorte de religion de race et de blason ecclésiastique, qui se transmet de génération en génération avec l’héritage patrimonial, et dont on ne saurait répudier la succession sans déroger à la dignité de sa maison et rompre avec ses ancêtres. Cela est si bien établi dans l’opinion, qu’un homme qui sort de la communion de ses pères, fût-ce par conviction, avec déchirement, au prix de rares sacrifices, est souvent blâmé de ceux-là mêmes dont il a embrassé la persuasion, comme s’il eût forfait à l’honneur ou au sentiment ; que l’on puisse ou que l’on doive, en matière de religion, rester où l’on est né, c’est trop souvent comme un axiome moral. Que de protestants le partagent et y conforment leur conduite ; que de protestants, au lieu de se demander : Qu’est-ce qu’enseigne la Parole de Dieu ? se demandent : qu’est-ce que m’ont transmis mes pères ? Je n’ose pas chercher combien il en est qui ne sont retenus peut-être dans nos rangs que par cette considération, sans laquelle leur indifférence les eût livrés depuis longtemps à la religion de la majorité… Mais combien en est-il qui, pressés de revenir à cette foi orthodoxe qui est tout ensemble la foi de leur Église et la foi de l’Évangile, s’excusent sur ce que leur famille, aussi haut que leurs souvenirs peuvent remonter, n’a connu d’autre protestantisme que celui dans lequel ils ont été nourris et dont nous démontrons l’erreur par les déclarations formelles des Écritures ! C’est perdre notre temps et notre peine : nous aurions bien plus de chance de réussir auprès d’eux si nous pouvions déterrer quelque lettre égarée de leur père ou de leur aïeul témoignant de son adhésion aux sentiments que nous prêchons. Et que savons-nous ? peut-être y a-t-il tel homme assis devant moi qui voit la vérité de la doctrine évangélique, qui sent la nécessité d’une conversion personnelle, et qui n’est plus arrêté que par l’exemple de ses devanciers, tant il est asservi à la tradition de la famille ! Quoi de plus vrai que ce que je dis là ? Mais quoi de plus vain, de plus déplorable ?
Ce n’est pas, j’ai hâte de l’expliquer, que la foi de nos pères soit dans tous les cas un argument sans valeur. Non : il y a telles circonstances où nous trouvons dans la foi de nos pères un motif de croire qui parle autant à notre raison qu’à notre cœur. Témoin l’Écriture, où nous voyons Israël rappelé tant de fois à son devoir par la mémoire de ses pères (Ésaïe 51.2 ; Jérémie 6.16, etc.) ; Dieu faisant du bien aux enfants « à cause de leurs pères » (Exode 20.6 ; Romains 11.28) et le Messie lui-même, dans une prière prophétique, invoquant pour se fortifier en Dieu la foi des pères. « Nos pères ont espéré en toi » (Psaumes 22.5). Mais, dans tous ces passages, ces pères dont la mémoire est invoquée, ce sont des pères croyants, fidèles ; et leurs enfants ne sont pressés de se conformer à leurs exemples, que parce qu’eux-mêmes se sont conformés à la Parole de Dieu ; autrement cette même Écriture tient un langage tout opposé : « Servez l’Éternel et ôtez les dieux que vos pères ont servis » (Josué 24.14). Ah ! nous vous disons à notre tour : Imitez vos pères qui, à la voix des Calvin et des Farel, abandonnèrent l’Église du nombre, du pouvoir et de la persécution, « pour ne participer point à ses péchés, et ne recevoir point de ses plaies » (Apocalypse 18.4). Imitez vos pères, qui « n’ont tenu compte de rien, fortune, patrie, ni famille, et à qui leur vie même n’a point été précieuse, » pour donner gloire « au Seigneur Jésus et à l’Évangile de la grâce de Dieu » (Actes 20.24). Imitez vos pères, qui nous ont laissé dans la confession de leur foi et dans l’ordre de leur discipline, de si nobles témoignages de leur doctrine et de leur piété ; et tenez-vous en garde contre ceux qui, répudiant ce glorieux héritage et rompant avec tout le passé de nos Églises, cherchent à introduire parmi nous des doctrines qui se vantent d’être modernes, et que leur nouveauté seule doit rendre suspectes aux enfants des réformateurs. Mais de cet attachement sérieux et réfléchi pour la croyance que des ancêtres fidèles ont puisée dans la Parole de Dieu, à cette opinion courante qui oblige un homme à demeurer dans la religion telle quelle de ses ancêtres, il y a toute la distance d’un principe de piété envers Dieu et envers les hommes, à une maxime également contraire au bien des hommes et à la gloire de Dieu ; à un préjugé puéril, funeste, ridicule même, et contradictoire.
Un préjugé puéril ; car qui oserait soutenir sérieusement qu’au lieu de nous tenir à la règle fixe et commune de la vérité, nous devions, chacun, calquer notre foi sur la foi de nos devanciers, et faire de la question du salut une question de respect filial, pour ne pas dire de généalogie ? Un préjugé funeste ; car il ferme la porte à tout progrès. Avec lui, pour peu que vos pères aient été dans l’erreur, Satan vous tient liés à tout jamais. Que fut devenue la chrétienté, il y a trois siècles, si votre maxime eût été suivie par tous les catholiques romains ? Que fût devenu le monde, il y a dix-huit cents années, si elle l’eût été par tous les juifs et par tous les païens ? Essayez donc de l’étendre aux intérêts de ce monde, à la science, au commerce, à l’industrie, à la civilisation ; et, au nom du respect filial, obligez-vous à prendre, pour tel voyage qui se fait en quelques heures, pour tel message qui se transmet en quelques secondes, les jours qu’il eût réclamés il y a cinquante ans, ou les semaines qu’il eût absorbées il y a un siècle ou deux ! Un préjugé ridicule ; car, sans compter que c’est peu de dire que la religion de vos ancêtres peut n’être pas celle des miens, d’où résulterait cette conséquence étrange que ma vérité peut être votre erreur ; il faut ajouter, ce qui est plus étrange encore, que votre vérité à vous peut être votre erreur à vous, puisque vous avez aïeux et aïeux, qui ont professé des croyances diverses en des temps divers. Vous trouveriez parmi vos pères, en remontant de génération en génération, non seulement des protestants de sentiments contraires, mais des catholiques, et en reculant toujours des juifs, ou des païens. Ne pouvant donc être à la fois d’accord avec tous vos pères, qui ne sont pas d’accord entre eux, qui fixera, je vous prie, le siècle, la génération, l’année à laquelle votre piété filiale doit s’arrêter ? Tout cela est trop élémentaire pour mériter de nous retenir ; mais voici une dernière considération moins saillante et plus sérieuse : le préjugé que je combats est contraire à soi-même ; car, sous couleur d’honorer la mémoire de vos devanciers, il lui fait une mortelle injure.
Le degré de lumière religieuse où un homme est parvenu n’offre pas à lui seul la mesure exacte de son état spirituel : il faut tenir compte aussi des ressources, des secours, des occasions dont il a joui ; car tout cela entre dans le jugement de Dieu. Vos pères, dites-vous, s’en sont tenus à certains principes, et vous ne voyez pas de raison pour vouloir faire mieux qu’ils n’ont fait. Mais vos pères ont-ils possédé les mêmes ressources que vous, reçu les mêmes secours, trouvé les mêmes occasions, en d’autres termes, vécu dans le même temps ? Ils ont été fidèles peut-être à leur lumière en croyant ce qu’ils ont cru, et vous ne le seriez pas à la vôtre en croyant la même chose. Que sais-je ? (car loin de nous de juger nos pères ! le jugement est à Dieu,) ils seront absous peut-être dans leur foi mêlée d’erreur, parce que le « Dieu qui sonde les cœurs et les reins » les a vus cherchant la vérité sans intérêt ni prévention ; et ce même Dieu pourra vous condamner dans cette même foi, parce que, subordonnant cette vérité sainte à vos attachements personnels, vous n’aurez été préoccupés que d’un aveugle désir d’imiter vos pères ; ou plutôt, parce que fidèles à leurs maximes, mais infidèles à leurs exemples, vous les aurez d’autant moins imités que vous les aurez copiés plus scrupuleusement, je devrais dire plus servilement. Que dis-je ? et qui sait si vos pères eux-mêmes ne seront pas les premiers à approuver cette condamnation, pour venger l’indigne abus que vous avez fait de leur nom ? Je les suppose se relevant pour un jour de leurs tombeaux, revisitant cette terre, rentrant dans les maisons et dans les églises qu’ils fréquentèrent autrefois, et vous y voyant, vous leurs enfants, placés en présence de tant d’instructions, de tant d’avertissements, de tant d’appels, que la miséricorde du Seigneur prodigue à ce siècle favorisé : que feront-ils à cette vue ; oui, que feront-ils ? Comment profiteront-ils de ces courts moments qui leur sont laissés pour vous entretenir ? A vous entendre, les voici qui vont se jeter au travers de votre chemin, et vous conjurer par tout ce que vous avez de tendresse et de respect pour eux de ne pas vous séparer d’eux, et d’errer avec eux plutôt que de répondre à des grâces qui ne leur sont point tombées en partage… C’est donc là ce que vous appelez vénérer leur mémoire ? Et moi j’appelle cela lui faire une mortelle injure ! Et moi, si je prêtais à mes aïeux ces sentiments jaloux, personnels, impies, je croirais leur accorder moins de charité que Jésus-Christ n’en accorde à ce riche damné de la parabole, qui prie Abraham d’envoyer Lazare dans la maison de son père, pour rendre témoignage à ses cinq frères, « et les empêcher de venir où il est ! » Mon fils, prends garde à ton âme ! Vois que de grâces Dieu t’a prodiguées. Nos jours furent moins heureux… Dieu est le juste juge de tous (Galates 6.5). Souviens-toi qu’à celui qui a plus reçu, il sera plus redemandé ; et songe à répondre à sa miséricorde à force de foi, de fidélité, d’obéissance ; — voilà le langage que je m’attendrais à recueillir de la bouche de ces témoins vénérés. Mais, au reste, quoi qu’ils pussent dire, et quoi qu’ils pussent faire, je me souviendrai de ce qui est écrit. « Si quelqu’un aime son père ou sa mère plus que moi, il n’est pas digne de moi ; » et en rendant à mes pères ce que je dois à mes pères, je réserverai à Dieu ce que je ne dois qu’à Dieu. Je le sais trop : c’est en vain que je l’honorerais, en recevant « des doctrines qui ne sont que des commandements d’hommes. »
IV. La tradition de la raison propre. — Dans ce cercle d’enseignements qui va se resserrant de plus en plus, nous venons enfin à nous-mêmes. Tous les enseignements humains provenant d’autrui écartés, il reste l’enseignement humain provenant de nous-mêmes, l’enseignement de la raison propre, qui peut nous être en piège à son tour, et contre lequel nous avons à nous prémunir. Nous avons pu être trompés par la multitude, par l’Église, par la famille : nous pouvons aussi nous tromper nous-mêmes ; et cette dernière erreur, d’autant plus difficile à éviter que nous la porterions avec nous, serait sans appel, si nous ne prenions pour guide souverain la Parole de Dieu. Un jour, il m’en souvient, dans une assemblée où l’on cherchait à déterminer la vérité religieuse, quelqu’un s’écria : « Mais enfin, entre les systèmes, entre les prédications contraires, que faut-il croire ? » De deux personnes présentes, l’une répondit :« Il faut croire soi ; » l’autre : « Il faut croire Dieu. » Ces deux mots résument, en les opposant, le rationalisme et la foi.
Il y a un rationalisme déclaré et complet, qui se fait honneur de son nom, et qui avoue ne croire que soi ; le rationalisme philosophique, qui ne reconnaît point de révélation. La chaire chrétienne n’a guère à s’en occuper, parce qu’elle n’a pas à sa portée ceux qui le professent ; c’est ailleurs qu’il faut les chercher. Mais il y a un autre rationalisme, qui répudie son nom et qui prétend concilier le croire soi avec le croire Dieu ; le rationalisme biblique, qui reconnaît la révélation, qui reçoit l’Écriture pour la Parole de Dieu et qui tout ensemble subordonne son enseignement à celui de la raison propre, rejetant tout ce qui la choque et ne retenant que ce qu’elle approuve. Ce rationalisme-là, nous le trouvons partout sur notre chemin ; et vraisemblablement, si les pensées de tous ceux qui sont assis devant moi venaient à être mises à découvert, nous le trouverions au fond du cœur d’un trop grand nombre et à la base de leur religion. Que d’hommes, que de chrétiens, que de protestants lisent la Bible dans cet esprit, sans peut-être s’en rendre compte à eux-mêmes ! Et pourtant, entre ce rationalisme-là et l’autre, la différence est plus dans les mots que dans les choses ; car « nul ne peut servir deux maîtres ; » entre ces deux témoins, la Bible et la raison propre, il faudra toujours, ne fût-ce que pour les cas de conflit (réel ou apparent), donner à l’un contrôle sur l’autre ; et une fois cette question capitale résolue en faveur de la raison propre, c’est elle qui sera chargée de décider finalement toutes choses, de les ajuster entre elles et de leur imprimer son esprit et son image, alors même que, par je ne sais quel respect conventionnel, elle s’abstiendrait de les marquer de son nom. La Bible dira que l’homme est asservi au péché et « insensé, rebelle, désobéissant ; » mais la raison propre ne trouvera rien en soi qui réponde à de si sombres tableaux ; le nom de pécheur sera conservé, mais dans une interprétation qui l’efface. La Bible dira que Dieu nous sauve « gratuitement par grâce, » mais la raison propre ne saurait dénier tout mérite à nos œuvres ; le nom de Sauveur sera conservé, mais avec une interprétation qui l’efface. La Bible dira que Jésus « a souffert, lui juste, pour nous injustes ; » mais la raison propre ne veut pas que l’innocent souffre à la place du coupable : les noms de rédemption et de sacrifice seront conservés, mais avec une interprétation qui les efface ; et de même de tout le reste. Ainsi se forme je ne sais quelle doctrine mixte et équivoque, flottant entre la Parole de Dieu et l’enseignement de l’homme, plus près de celle-là par le langage, de celui-ci par le fond des choses, au reste ne se décidant ni pour l’un ni pour l’autre, ne donnant satisfaction ni à la foi ni à la raison, et l’emportant moins en lumière et en piété sur le rationalisme philosophique, qu’elle ne lui cède en franchise, en simplicité et en conséquence.
Juste châtiment pour avoir élevé la raison propre au niveau, au-dessus même de la raison divine, qui nous parle dans les Écritures. Les Écritures nous ayant été données de Dieu pour suppléer, par une lumière céleste, ce qui manque à notre lumière naturelle nous deviennent inutiles si nous prétendons les soumettre à un contrôle humain quel qu’il soit, même intérieur. C’est traiter la Parole de Dieu comme si elle n’était pas la Parole de Dieu ; c’est faire de la raison propre un usage pour lequel elle ne nous a point été donnée. Sommes-nous en doute si Dieu a parlé ? Il faut alors vérifier les pouvoirs de l’Écriture ; et cette vérification ; qui ne peut être confiée qu’à la raison, n’a rien qui en dépasse la portée. Examiner un livre et le comparer avec d’autres, discuter des faits historiques tels que les miracles, rapprocher une prophétie de l’événement où elle doit avoir été accomplie, peser la valeur morale ou historique des témoignages, apprécier même le caractère surhumain de la parole ou de la vie de celui qui s’appelle le Fils de Dieu : pour tout cela la raison est compétente, et cette « lampe de l’Éternel qui sonde les choses les plus profondes (Proverbes 20.27) » ne saurait appliquer sa vive lumière à aucune investigation ni plus légitime, ni plus digne d’elle. Mais une fois convaincue que Dieu a parlé, soit par la bouche de Jésus-Christ, soit par la plume de ses apôtres et des prophètes, cette même raison, pour être raisonnable, doit s’arrêter devant cette Parole céleste, l’écouter avec respect, avec foi, et recevoir sans réserve le témoignage qu’elle rend de ce monde invisible du sein duquel elle procède, mais que nous n’avons ni vu ni connu et qui, sans elle, nous serait demeuré à jamais étranger. Que si le témoignage qu’elle en rend contredit ou paraît contredire les notions, qui seraient mieux appelées des conjectures, que la raison propre avait essayé de s’en former, eh bien ! dans ce conflit suprême où il faut de toute nécessité que l’un des deux cède à l’autre, ou notre raison à la Parole de Dieu, ou la Parole de Dieu à notre raison, osons le dire sans détour, c’est à notre raison de céder ; « parce que Dieu est plus grand que nous et connaît toutes choses. » Cela même est la preuve que notre raison s’est fourvoyée et, réforme pour réforme, il serait par trop superbe et par trop déraisonnable de balancer entre réformer l’Esprit de Dieu par notre esprit, ou notre esprit par l’Esprit de Dieu. Dieu a parlé : ce qu’il a dit est la vérité ; et si je ne puis la recevoir, je demanderai à Dieu de changer mon cœur ; car, pour n’être pas reçue de moi, la vérité n’en demeure pas moins la vérité. Je ne me dissimule pas en parlant de la sorte, mes frères, les objections spécieuses, sérieuses, sincères, que cette doctrine va rencontrer chez plusieurs. Dieu me fera-t-il la grâce de les dissiper ? Je l’essayerai du moins, dans la foi et en peu de paroles. Les trois objections principales présentées au nom de la philosophie, du catholicisme et du protestantisme, peuvent se résumer en trois mots : autorité, interprétation, libre examen.
Autorité. « Vous admettez, me dit le philosophe ou le rationaliste, une autorité extérieure (ou, comme on dit aujourd’hui, objective), qui domine votre sentiment personnel (ou subjectif). C’est faire, en principe, ce que fait l’Église romaine ; seulement son autorité à elle réside dans un corps, l’Église, et la vôtre réside dans un livre, l’Écriture. Pour l’un et pour l’autre le sentiment personnel se soumet à une affirmation étrangère qu’il n’a pas instituée, qu’il ne peut pas contrôler, et qu’il est tenu, en cas de conflit, d’accepter de préférence, ou même en opposition à la voix intérieure. » — Jusque-là nous sommes d’accord ; mais le philosophe poursuit : « Cela est contraire, non seulement au droit imprescriptible de la conscience humaine, mais à une saine notion de la foi. La foi, pour mériter son nom et pour faire son office, veut être personnelle. Or, elle ne peut l’être qu’à la condition qu’elle aura été librement examinée, jugée et adoptée par notre sentiment intérieur ; en d’autres termes, à la condition qu’elle ne sera pas une foi d’autorité. » C’est ici que nous nous divisons. Je soutiens, au contraire, que la foi peut être personnelle tout en commençant par la soumission à une autorité extérieure, si cette autorité est celle de Dieu ; et j’ajoute qu’il est inhérent à la notion de foi qu’elle commence de cette manière. Pour commencer par cette dernière pensée, qui est ici le point vital, qu’est-ce que la foi ? « La foi est substance des choses espérées, démonstration des choses non vues » (Hébreux 11.1 ; version littérale). Croire, c’est admettre une chose future comme si on la tenait, une chose invisible comme si on la voyait ; mais l’admettre, sur quel fondement ? Sur le témoignage de Dieu, reçu comme principe suprême de la vérité, et, en cas de conflit, comme juge souverain des controverses, de telle sorte que l’ultima ratio du croyant pour croire ce qu’il croit, c’est que Dieu l’a dit. Voilà la foi, la foi en Dieu, la foi telle que l’entendent l’Écriture, les prophètes, les apôtres, Jésus-Christ. Que si vous admettez le futur et l’invisible sur le témoignage de votre sentiment intérieur ; si vous faites de ce sentiment intérieur le principe ou le critère suprême de la vérité, et, en cas de conflit, le juge suprême des controverses ; si votre ultima ratio, pour croire ce que vous croyez, c’est que vous le trouvez écrit en vous-même, votre foi est la foi en vous, non en Dieu ; c’est une foi qui n’est pas la foi selon l’Écriture, ni selon Jésus-Christ. Si cela n’était pas clair de soi-même, les preuves abondent dans l’Écriture. Prenons l’exemple de foi qu’elle cite le plus fréquemment : celui d’Abraham. Abraham croit que Sara lui donnera un fils : pourquoi ? Trouvez, si vous le pouvez, une autre raison à Abraham pour attendre son Isaac, que celle qui est indiquée par saint Paul : Dieu l’a dit : Dieu l’a promis (Romains 4.20-21). Eh bien ! c’est le même genre de foi que nous devons appliquer, selon le même apôtre, dans le même endroit, pour croire à la vertu salutaire de la mort de Jésus-Christ et de sa résurrection. Nous croyons que l’une garantit notre pardon et l’autre notre justification, parce que Dieu l’a dit par son Fils ou par l’Écriture, peu importe, pourvu que nous soyons assurés que Dieu a parlé. L’erreur de l’Église romaine n’est pas en ce qu’elle réclame une foi de soumission à l’autorité : elle est en ce qu’elle substitue à l’autorité divine, qui a seule droit à notre foi, une autorité humaine, celle de l’Église, qui n’a pas droit à notre foi, parce que Dieu ne l’a instituée nulle part dépositaire infaillible de sa vérité. C’est une erreur de fait, non de principe ; nous maintenons le principe en l’appliquant à un fait vrai, Jésus-Christ et l’Écriture, choisis de Dieu pour dépositaires infaillibles de la vérité. Que si l’on demande comment une foi de soumission à l’autorité peut être une foi personnelle, nous répondons qu’elle le peut si l’autorité à laquelle on se soumet est celle de Dieu. Car alors celui auquel nous rendons « l’obéissance de la foi, » comme l’appelle significativement saint Paul (Romains 1.5), est aussi celui qui peut opérer dans nos cœurs pour tourner le témoignage extérieur en sentiment intérieur et la soumission en conviction ; et le Saint-Esprit qui parle par Jésus-Christ ou dans le livre, est le même Saint-Esprit qui nous assimile et nous approprie ce que nous avons commencé par recevoir sur leur témoignage ; nous l’assimile et nous l’approprie d’autant mieux, que nous l’avons reçu, sur ce témoignage, avec une confiance plus simple et plus enfantine. Quand j’ai cru, sur le témoignage du Saint-Esprit, que la mort de Jésus est acceptée de Dieu en sacrifice pour mes péchés, le Saint-Esprit me donne une intelligence spirituelle et une assurance intérieure de ma rédemption telle, que je ne puis pas plus douter que ma paix ne soit faite avec Dieu par Jésus-Christ, que je ne puis douter de mon existence. Rien de semblable pour ceux qui acceptent l’autorité de l’Église romaine ; parce que Dieu, n’ayant pas institué cette autorité, n’en scelle pas les décisions dans le cœur par le Saint-Esprit ; d’où il suit que Rome, dépourvue de cette action sur les cœurs, qui est propre au Saint-Esprit, ne saurait jamais inspirer une foi personnelle, au vrai sens du mot, même à ses adeptes les plus sincères, les plus persuadés. Le pape peut bien exiger de Fénelon qu’il brûle son livre ; mais il ne peut pas changer, par une influence directe, sa persuasion intérieure. — En résumé, nous répondons au philosophe, sur ce premier point, que notre foi, soumise au témoignage du Saint-Esprit dans le livre et appliquée personnellement par le témoignage du Saint-Esprit dans les cœurs, est la seule foi qui mérite son nom, et un hommage dû par l’intelligence de la créature à l’intelligence du Créateur.
Interprétation. Le catholique romain vient à son tour et dit : « Vous avez beau faire, vous n’échappez pas plus que nous à ce que vous appelez l’autorité humaine. En accordant que l’Écriture, à la différence de l’Église, soit revêtue d’une autorité divine, cette Écriture veut être interprétée, et l’expérience prouve qu’elle peut l’être en sens divers. Or, cette interprétation étant donnée par des hommes faillibles, selon vous, le témoignage de Dieu sur lequel votre foi repose, risque d’être faussé, et ne peut vous prêter un appui sûr et solide. » Cette objection est spécieuse, mais elle n’est rien de plus. Maniée par un adversaire habile et qui ne cherche qu’à nous embarrasser, elle a de quoi nous embarrasser en effet, je ne fais aucune difficulté de le reconnaître ; mais présentée par un esprit sincère et qui n’aspire qu’à la vérité, elle tombera devant une distinction toute simple et devant l’évidence des faits. Comme il y a dans le corps humain certaines parties si essentielles à la vie, qu’un homme ne saurait en être privé sans mourir, telles que la tête ou le cœur, tandis qu’il y en a d’autres, telles qu’une jambe ou un bras, qui peuvent être retranchées sans que la vie ni la santé même en soit compromise, il y a aussi dans la foi chrétienne des articles fondamentaux, en dehors desquels il n’y a pas de christianisme possible, et des articles accessoires, que l’on peut admettre ou rejeter sans que la vie éternelle ou la vie spirituelle soit engagée dans le débat. Il ne faut pas m’opposer que toute vérité est importante et que toutes les vérités se tiennent. Cela est parfaitement vrai ; mais autre chose est que toutes les vérités soient importantes, autre chose qu’elles le soient toutes également ; autre chose est aussi que toutes les vérités se tiennent, autre chose est que le lien par lequel elles sont unies nous soit parfaitement connu. Aussi tout le monde, dans la pratique, fait la distinction des points fondamentaux et des points accessoires, à commencer par ceux qui la nient en théorie. Et cette distinction existant devant Dieu comme devant les hommes, voici ce qui est arrivé et ce que l’on devait attendre de la fidélité de Dieu : sur les articles fondamentaux, la Parole de Dieu a répandu une lumière vive et abondante qui les rend accessibles à tous, même aux plus petits et aux plus simples, je devrais dire peut-être surtout à ceux-là ; et ce n’est que sur les articles accessoires qu’elle a laissé subsister des voiles, que Dieu lèvera dans son temps, et au travers desquels tous les yeux ne découvrent pas exactement les mêmes objets, dirai-je ? ou les mêmes contours. Dès lors, la difficulté d’interprétation, difficulté très réelle, s’applique aux seconds, mais ne s’applique pas aux premiers. Qu’il s’agisse de savoir ou ce que signifie le fameux passage de 1 Pierre 3.18-21, ou quelle place respective les diacres, les anciens et les pasteurs doivent occuper dans l’Église, ou même qui entre le mieux dans l’esprit de l’institution du baptême, ceux qui l’administrent aux enfants des croyants ou ceux qui le réservent aux adultes devenus croyants : ce sont des questions d’interprétation, qui pourront être résolues en sens opposés par des esprits également droits, par des cœurs également soumis ; d’où naîtra une diversité de vues qui, tout en exerçant la charité et l’humilité des individus, entrera à sa manière dans la place et dans la mission que Dieu a voulu faire aux Églises. Mais quand il s’agira de savoir si nous avons mérité la condamnation par nos œuvres mauvaises, ou si Jésus-Christ est Dieu venu en chair pour nous sauver, ou si nous pouvons être régénérés autrement que par le Saint-Esprit, non, ce n’est pas une question d’interprétation ; c’est une question de droiture d’esprit, de soumission de cœur ; et qui dit accepter l’Écriture pour la Parole de Dieu et n’y voit pas l’homme perdu, Jésus-Christ Dieu rédempteur, le Saint-Esprit régénérateur, nous n’avons pas à le juger, mais il est en contradiction palpable avec lui-même, disant et ne disant pas, croyant et ne croyant pas, recevant ce qu’il rejette et rejetant ce qu’il reçoit. Si donc on veut s’engager dans les questions nombreuses et curieuses de la théologie, il sera juste de se souvenir qu’il y a des interprétations diverses, de respecter cette diversité consciencieuse et d’éviter, dans ces matières, le ton de l’affirmation absolue : sur ce terrain donc on ne trouvera pas un appui parfaitement sûr et solide. Mais aussi, sur ce terrain, cet appui n’est pas indispensable, parce que ce n’est pas le terrain qui sert de base au salut et à la vie de nos âmes. Mais si l’on se borne à décider les questions, ou plutôt, car à le bien prendre, il n’y en a qu’une, la question de la foi, on pourra hardiment affirmer que Dieu, a parlé et qu’il a dit telle et telle chose, sans se préoccuper d’interprétations divergentes et sans encourir le reproche de se reposer sur une autorité humaine, attendu que là il y a lieu à croire, non à interpréter. La difficulté est dans le cœur et le Saint-Esprit la lève. En voulez-vous la preuve dans un fait historique ? Au seizième siècle, quand l’Esprit de Dieu a rappelé la chrétienté égarée aux sources primitives et pures de sa foi, et qu’il s’est formé presque à la fois plusieurs Églises nouvelles qui y sont venues puiser à l’envi, mais sans concert, mais séparées de lieu, d’intérêt, de conduite, qu’y ont-elles trouvé ? des résultats à quelques égards divers pour l’exégèse, pour la discipline, pour la doctrine même du baptême ou de la Cène ; — mais pour l’homme perdu, pour Dieu Sauveur par grâce, pour Jésus-Christ Dieu rédempteur, pour le Saint-Esprit régénérateur, toutes, toutes les mêmes choses, si bien que qui en entend une seule les a toutes entendues. Voilà ce que je réponds, ce que l’histoire répond, ce que Dieu répond au catholicisme romain qui prétend nous ramener de l’autorité divine à l’autorité humaine, par la nécessité d’interpréter.
Mais l’objection la plus vulgaire reste encore, celle du protestant : Libre examen. « Par ce contrôle de la raison propre sur l’enseignement de l’Écriture, que vous nous reprochez au nom de la foi due à la Parole de Dieu, que faisons-nous autre chose que d’appliquer le principe du libre examen, conquis et proclamé par les réformateurs ? Si nous recevions, d’autorité, le témoignage de l’Écriture, sans le soumettre à notre intelligence personnelle ; si, par cela seul que cela est écrit dans le livre, nous admettions, écrit ou non dans nos cœurs, que le juste a souffert pour le coupable ou que le péché sera puni d’une peine éternelle, serions-nous encore protestants ? » Assurément, et c’est alors que vous vous montreriez protestants en réalité. Vous faites ici une confusion étrange, pour avoir pris un même terme dans deux acceptions différentes. Autre est la liberté d’examen réclamée par les réformateurs, autre la liberté d’examen que vous exercez sur la foi de certains docteurs modernes. Entre ces deux libertés il n’y a de commun que le nom : les choses sont toutes différentes, elles sont toutes contraires. Les réformateurs disaient : Examinez librement ; n’accordez pas aux papes et aux conciles une soumission que vous ne devez qu’à Dieu ; ne mettez aucun homme entre sa Parole et vous ; lisez et croyez. Les novateurs disent : Examinez librement, n’accordez pas à l’Écriture une soumission que vous ne devez qu’à votre intelligence personnelle ; ne suivez son enseignement qu’après l’avoir reconnu conforme à celui de votre propre esprit ; lisez et jugez. Les réformateurs n’entendaient, vous déclarer libres qu’à l’égard des influences humaines, et c’était pour vous assujettir sans réserve aucune aux décisions de la sainte Écriture ; les novateurs vous déclarent libres à l’égard de la Parole de Dieu, et c’est pour vous renvoyer sans appel à votre jugement personnel. Par la liberté d’examen des réformateurs, on passait de l’autorité humaine à l’autorité divine ; par la liberté d’examen des novateurs, on revient de l’autorité divine à l’autorité humaine, avec cette seule différence que l’autorité humaine secouée par les réformateurs, était celle des évêques, et que l’autorité humaine rétablie par les novateurs est celle de la raison individuelle. Mais cette différence importe peu : que l’autorité humaine siège au dehors ou au dedans, on substitue toujours l’homme à Dieu ; on invoque la Réforme et l’on fait une contre-réforme… Ce n’est pas ce que vous voulez : mais sachez, ce que vous faites ou plutôt ce qu’on fait de vous ; cessez enfin « de vous laisser emporter à tout vent de doctrine, par la tromperie des hommes, et par leur habileté à séduire artificieusement. » (Éphésiens 4.14). Voulez-vous répudier les principes de la Réformation prendre une autre règle de foi que l’Écriture, et vous abandonner sans défense à toutes les erreurs qui pourront monter dans votre esprit ? Vous n’avez qu’à continuer comme vous avez fait jusqu’ici. — Mais si vous voulez être protestants, protestants à la manière de Calvin et de Luther, souvenez-vous que si nul n’a été plus indépendant que ces grands hommes, de l’enseignement de l’homme, nul n’a été plus soumis que ces hommes de Dieu à l’enseignement de Dieu. Imitez-les en courbant la tête et en mettant la main sur la bouche, en croyant dès que Dieu a parlé. Autrement, c’est peu de déroger au nom protestant, « c’est en vain que vous honorez Dieu, enseignant des doctrines qui ne sont que des commandements d’hommes. »
Allez donc, mes chers frères, et serrez dans votre cœur l’avertissement que vous donne Jésus, condamnant les traditions des pharisiens. Cet avertissement, et tout mon discours revient à ce seul point : tenir la Parole de Dieu haut élevée, « pour que votre foi soit, non dans la sagesse des hommes, mais dans la puissance de Dieu » (1 Corinthiens 2.5). C’est ici le fondement de la vraie foi : croire Dieu ; et puisque Dieu nous a parlé, croire Dieu, c’est croire sa Parole ; et puisque sa Parole est déposée dans les Écritures, croire cette Parole, c’est croire les Écritures. Qu’elles règnent donc sur nous avec une autorité souveraine et sans partage ! Que tout se taise, que tout s’abaisse, que tout se ploie devant elles, et que nul enseignement d’homme ne présume se placer à côté d’elles ! Alors seulement vous serez entièrement exempts du levain du pharisaïsme et de l’esprit de tradition.
Eh bien ! mes chers frères, est-ce ainsi que vous recevez les Ecritures ? Inquiétez-vous de le savoir ; c’est une matière où l’illusion est facile et commune. Il est plus d’un maître qui trop aisément usurpe auprès de nous les droits de Dieu et de sa Parole. Il y en a quatre, qui résident partout, et dont la domination est d’autant plus pernicieuse qu’elle est moins aperçue ; leurs noms sont : Multitude, Église, Famille, Raison propre. Rentrez en vous-mêmes. Ce que vous croyez, pourquoi le croyez-vous ? Le croyez-vous parce que tout le monde le croit ? Vous avez pour maître la multitude, c’est en vain que vous honorez Dieu ! Le croyez-vous parce que vos pasteurs l’annoncent ? Vous avez pour maître l’Église, c’est en vain que vous honorez Dieu ! Le croyez-vous parce que vos pères vous l’ont transmis ? Vous avez pour maître la famille, c’est en vain que vous honorez Dieu ! Le croyez-vous parce que votre raison vous le dit ? Vous avez pour maître la raison propre, c’est en vain que vous honorez Dieu ! Vous tous, qui vous reconnaissez à ces traits, arrêtez-vous, rebroussez chemin, revenez aux Écritures pour revenir à Jésus-Christ !
Car, après tout, ce n’est pas les Écritures que nous prêchons : c’est Jésus-Christ par les Écritures. L’Écriture rend à Jésus-Christ le témoignage qu’elle reçoit de lui ; Jésus-Christ glorifie l’Écriture, et l’Écriture glorifie Jésus-Christ ; Jésus-Christ vous apprend à dire : L’Écriture seule, et l’Écriture vous apprend à dire : Jésus-Christ seul. — « Jésus-Christ seul, » dernière parole que l’on recueillit de la bouche mourante de Pomaré, le premier roi d’Otahiti converti à la foi chrétienne. Jésus-Christ seul : c’est aussi la dernière parole de ce discours, dans laquelle je veux que vous vous reposiez avec moi. Jésus-Christ seul : c’est ce que je veux, tout ce que je veux, pour vous comme pour moi-même. Seul, dans votre foi ; seul, dans vos œuvres ; seul, dans votre vie ; seul, dans votre mort ; pour qu’il soit seul aussi dans votre éternité, et que, dans ce jour sans lever et sans déclin, où toute lumière sera de Dieu et toute gloire à Dieu, les échos des voûtes célestes ne recueillent de votre bouche et ne se renvoient les uns aux autres d’autre nom que Jésus-Christ seul.