L’Abbé Favien à Lucile
La peine de vous répondre ! Ah ! Madame, ne parlez point ainsi. La lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire est la plus agréable que je pusse recevoir. Qu’y a-t-il de plus satisfaisant pour un ministre de Jésus-Christ que de voir une personne qui cherche la vérité avec autant de bonne foi que vous le faites ? Et quelle occupation plus conforme tout ensemble à mes goûts et à mon devoir, que de vous aider dans cette recherche, selon mes faibles lumières, mais de toute l’ardeur de mon zèle ? Dieu a commencé de vous éclairer ; il achèvera, n’en doutez point. Il est vrai que vous prenez un chemin différent de celui que les âmes fidèles ont coutume de suivre. On débute le plus souvent par croire à l’Église, et puis, sur la foi de l’Église, on croit à la sainte Bible dont l’Église nous garantit l’inspiration. Mais vous, au contraire, vous semblez vouloir aller de la Bible à l’Église. Cela ne laisserait pas que de me donner quelque sollicitude, si je n’avais la conviction que vous ne tarderez pas à rentrer dans la voie accoutumée, qui est sans contredit la plus simple et la plus sûre. Vous reconnaîtrez bientôt, Madame, qu’il n’y a de tranquillité bien établie que pour celui qui s’en remet entièrement à l’Église, comme un enfant à une bonne mère, du soin de le conduire à Dieu. La prière, l’expérience, l’étude de votre propre cœur, les difficultés même que vous rencontrez déjà sur votre route vous feront sentir cela bien mieux que ne le pourraient faire mes avertissements, et finiront d’arracher de votre esprit ce reste de protestantisme qui vous a fait renverser l’ordre de la conversion.
Vous voulez que je vous expose les preuves qui démontrent l’origine divine de notre sainte religion. Cela serait bien plus facile, ou plutôt ce soin serait superflu si vous eussiez suivi la marche que je viens de vous expliquer, et appris dès l’abord à vous soumettre en toute chose à la décision de l’Église. Alors j’aurais tout dit en quatre mots : La Bible est un livre inspiré de Dieu, car ainsi l’enseigne l’Église qui ne peut nous égarer. Mais au point où vous en êtes, je vois trop que cette réponse ne vous contenterait pas. Je ne me refuserai donc point à vous en faire une plus conforme à votre désir, pour ne pas vous donner lieu de soupçonner une défaite dans mon silence. Dieu me préserve de rien faire qui pût scandaliser votre foi naissante ! Mais, Madame, le sujet sur lequel vous me consultez est trop considérable pour une lettre. Je m’expliquerai mieux là-dessus dans un entretien où vous pourriez me proposer sur le moment vos difficultés et vos doutes. Je dois faire un voyage à ***, la semaine prochaine. Le temps ne me permettra pas de m’arrêter en y allant ; mais en revenant, j’aurai l’honneur de descendre au château, et nous pourrons conférer à loisir sur une matière qui vous intéresse tant et à si juste titre.