Sermons prêchés pendant la guerre

La mort de Jésus-Christ : Sacrifice de Dieu à l’homme

Dieu a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.

Jean 3.16

Je pense qu’en tout temps, mais particulièrement dans un temps comme le nôtre, la prédication de l’Evangile doit être actuelled. Il est donc inévitable qu’elle nous ramène constamment en face de cette guerre qui, depuis deux ans, domine toutes nos pensées et obsède tous nos cœurs. Mais il n’en résulte nullement que vos pasteurs soient appelés à vous entretenir essentiellement des émotions, des craintes et des espérances patriotiques que la guerre suscite, au point de laisser dans l’ombre les vérités fondamentales de l’Evangile. Au contraire, plus les calamités qui nous accablent sont grandes et inouïes, plus elles nous pressent d’aller droit au cœur de la vérité, c’est-à-dire au cœur de Dieu, en sorte que notre prédication sera d’autant plus actuelle qu’elle sera plus fidèle et qu’elle nous conduira au centre même de l’Evangile et du salut, qui est la croix de Jésus-Christ. C’est sous l’empire de cette pensée que je me propose de vous parler, dans deux prédications, de la mort du Sauveur. Jésus-Christ étant à la fois le Fils de Dieu et le Fils de l’homme, il nous paraît que l’Ecriture sainte nous présente sa mort sous deux aspects qui se complètent admirablement, à savoir : comme le sacrifice de Dieu à l’homme et comme le sacrifice de l’homme à Dieu. Sacrifice ! c’est le mot qui, entre tous, est à l’ordre du jour. Nous ne cessons pas de penser, avec une sympathie et une reconnaissance sans bornes, au sacrifice que nos chers soldats font pour la France. Ce sacrifice peut nous aider, en effet, à nous faire quelque idée de celui du Christ, à en mieux sentir le prix et la nécessité. Mais il importe que nous soyons attentifs aux différences, aux contrastes même, aussi bien qu’aux analogies, en sorte que le sacrifice du Sauveur resplendisse à nos yeux dans sa grandeur et dans sa beauté incomparables. Que tel soit, par la bénédiction de Dieu, l’effet de ces méditations, au sujet desquelles j’implore d’une manière toute spéciale, pour vous et pour moi, la lumière et le secours du Saint-Esprit.

d – Sermon lu au Petit-Temple, le 17 Septembre 1916.

I

Le sacrifice de Dieu ! quelle étonnante alliance de mots et d’idées ! A vrai dire, quand on y pense, le Sacrifice de Dieu paraît tout à la fois nécessaire et impossible. Il est nécessaire, parce qu’étant ce que nous sommes, un tel acte pourra seul vaincre notre égoïsme et nous rendre capables d’aimer Dieu. Sans doute, les cieux et la terre sont pleins des marques de sa bonté, pour lesquelles il est juste que nous éprouvions et que nous lui témoignions une sincère reconnaissance. Cependant, ni les beautés de la nature, ni les ressources, les avantages et les agréments sans nombre qu’elle nous offre, ni même les joies de la famille et les bienfaits de la société humaine ne suffisent à faire naître dans nos cœurs un vivant amour pour Dieu. Nous sommes tentés de l’assimiler à un homme inépuisablement riche, qui répandrait sur une population indigente ses libéralités, sans pouvoir jamais s’appauvrir. On lui en saurait gré sans doute, mais on ne serait que médiocrement touché de sa facile bonté ; car, dirait-on, il est si riche ! Ce qui nous émeut, c’est la charité du pauvre, c’est le dévouement du malade qui soigne un autre malade, du blessé qui rassemble ses forces défaillantes pour porter secours à un autre blessé, du soldat qui donne, sa vie pour la patrie ; c’est en un mot le renoncement à soi-même ou le sacrifice. Mais peut-on attendre de Dieu rien de pareil ? Puisque Dieu est le Dieu bienheureux, puisqu’il a tout, puisqu’il est tout, n’est-il pas inadmissible qu’il se prive de quoi que ce soit, qu’il fasse un sacrifice quelconque ? L’Evangile répond : oui, cela est possible, et cela est vrai ; tel est le paradoxe, telle est la folie de la croix. Une fois qu’il existe, vis-à-vis de Dieu, des êtres qui peuvent lui résister et qui lui résistent en effet (nous ne savons que trop que cela est vrai), Dieu ne peut leur venir en aide qu’en sortant de lui-même, qu’en leur tendant la main, qu’en s’abaissant jusqu’à eux, qu’en renonçant à faire valoir contre eux les droits de sa justice ; il y a un élément de sacrifice dans tout vrai pardon, soit de la part de Dieu, soit même de la part de l’homme. Que d’autres se représentent, qu’ils exaltent, si cela leur plaît, un Dieu impassible dont la majesté n’est pas affectée et dont la félicité n’est pas troublée par nos misères. Le Dieu de Jésus-Christ est le Père qui est ému de compassion envers ses enfants et qui, dépouillé par son fils prodigue, lui ouvre les bras et le serre sur son cœur, dès que ce fils revient à Lui ; c’est le bon Berger qui ne prend pas son parti de l’absence de sa brebis perdue, mais qui la cherche jusqu’à ce qu’il l’ait trouvée. C’est, en un mot, le Dieu qui aime ; car aimer n’est pas moins que cela : c’est se mettre à la place de celui qu’on aime, c’est porter son fardeau, c’est saigner de ses blessures. Si l’amour de Dieu faisait exception, s’il excluait le sacrifice, l’amour de l’homme serait plus grand que celui de Dieu.

II

Une fois que Dieu fait un sacrifice, ce sacrifice ne saurait être médiocre ; il ne peut être qu’infini et digne de Dieu. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique ». C’est assurément le plus grand sacrifice qui se puisse concevoir. Abraham avait consenti à offrir sur l’autel son fils unique pour obéir à Dieu. Dieu livre réellement (car cette fois l’immolation s’accomplit et s’achève) son Fils unique à la mort de la croix pour sauver l’homme.

Bornons-nous à recueillir, au sujet de ce mystère, le témoignage de Jésus-Christ lui-même et celui de ses apôtres. Il y avait auprès de Dieu comme un autre lui-même, distinct de lui et pourtant un avec lui, sa Parole éternelle, son image parfaite, son Fils unique. Tout ce que nous suggère, au sujet de la relation d’un père avec son fils, ce qu’il y a de meilleur et de plus beau ici-bas, ne peut nous donner qu’une idée très élémentaire de l’amour de Dieu pour son Fils. Voilà celui que Dieu a donné, dont il a fait le sacrifice : « Dieu, dit saint Paul, n’a pas épargné son propre Fils », c’est-à-dire qu’il n’en a pas fait l’épargne ou l’économie, qu’il ne l’a pas retenu ou réservé comme un bien trop précieux. Il l’a donné, c’est-à-dire qu’il l’a éloigné de lui, puisqu’il l’a envoyé sur la terre ; dans un sens réel, le Père a été privé de la présence du Fils et le Fils de la présence du Père. Il l’a donné, c’est-à-dire qu’il l’a envoyé ici-bas pour qu’il y apportât les richesses du ciel et pour qu’il connût les misères et la pauvreté de la vie terrestre. Il l’a donné, c’est-à-dire qu’il l’a laissé endurer la méchanceté des hommes et les tentations du démon, souffrir et mourir. Dieu a même ordonné ce sacrifice infiniment douloureux pour le Saint et pour le Juste. Jésus a tout accepté, sans doute avec une obéissance parfaite, mais non sans frémir jusqu’au fond de l’âme, non sans une humble protestation, sans un appel à la bonté et à la grâce du Père. Il a dit : « Père, s’il est possible, que la coupe s’éloigne de moi ! » Et pour la première fois, Dieu ne lui a pas accordé l’exaucement immédiat et visible ; Dieu a trouvé bon que son Fils vidât la coupe jusqu’à la lie. Jésus a dit ensuite : « Le Père pourrait envoyer douze légions d’anges pour me délivrer » ; et Dieu a retenu ses anges, qui sans doute ne demandaient qu’à voler au secours de leur Roi céleste. Quand, tandis que Jésus endurait l’agonie de la croix, ses implacables ennemis l’ont défié d’en descendre, Dieu n’est pas intervenu ; on pourrait dire qu’il a retenu du geste son Fils cloué à la croix. Quand le mourant s’est écrié du fond de l’abîme : « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné ? », Dieu ne s’est pas hâté de répondre à ce pourquoi ni de dissiper ces ténèbres. Comment ne pas penser, comment ne pas dire qu’il a dû en coûter singulièrement à Dieu de prendre et de garder une telle attitude vis-à-vis de son Fils unique, de le livrer à une telle souffrance et à une telle mort ? C’est là, sans doute, un langage humain, trop humain ; mais que voulez-vous ? nous ne pouvons exprimer les choses de Dieu que dans la langue des hommes ; et nous sentons que, sous ces expressions imparfaites, se cache la plus profonde et la plus sublime des vérités. Le sacrifice de Golgotha n’est pas seulement celui du Fils de Dieu, c’est celui de Dieu aussi ; car, en donnant son Fils, Dieu se donne lui-même. Je l’ai déjà dit et je le répète, tant la pensée me paraît juste et le fait admirable : à l’homme innocent, Dieu avait donné le monde ; il se donne lui-même à l’homme pécheur. Voilà bien le sacrifice infini et digne de Dieu que nous réclamions tout à l’heure, puisque Dieu en est tout à la fois l’auteur et l’objet.

III

Portons maintenant notre attention sur quelques-uns des caractères de ce sacrifice de Dieu qui nous occupe aujourd’hui. Ce sera le moyen de nous rendre compte qu’il dépasse de toute la hauteur des cieux les dévouements humains que nous admirons le plus. Je pense surtout à ceux de nos soldats et de leurs familles. Il faut bien reconnaître qu’ils sont dictés avant tout par l’obligation légale. Nous nous y conformons avec plus ou moins d’empressement et d’enthousiasme, selon les cas ou les personnes ; mais enfin c’est une obligation. Nos fils ne sont pas toujours libres de ne pas marcher pour la défense de la patrie ; nous ne sommes pas libres de les lui refuser, de les garder près de nous et loin du péril. Que ferions-nous, si nous étions libres ? – Dieu le sait. Le sacrifice de Dieu est absolument spontané et gratuit. Il aime, parce qu’il est amour ; il donne, parce qu’il aime ; il fait un don infini, parce que son amour est infini. Il met sa gloire et sa joie à faire le bonheur de ses créatures, à enrichir les pauvres, à relever ceux qui sont tombés, à sauver ceux qui sont perdus.

C’est dire que l’amour de Dieu éclate et que le don de Dieu manifeste sa beauté et sa générosité dans l’imperfection, ou plutôt dans l’indignité de ceux qui en recueillent le bénéfice. Il n’en est pas ainsi de nos dévouements humains. Nos soldats donnent leur vie pour la patrie et pour leurs familles, c’est-à-dire pour ce qu’ils ont de plus cher, pour ce qui mérite le mieux leur affection. Ils aiment parce qu’ils ont été aimés. Dieu, le Dieu saint, a aimé le monde, le monde coupable. Qui mesurera la distance qui existe entre ces deux termes, entre celui qui aime et celui qui est aimé ? Pourtant, Dieu aime le monde. Sa compassion dépasse la misère et le péché de l’homme, elle descend jusqu’au fond de l’abîme où il s’est plongé ; elle trouve, dans l’excès de la haine, l’occasion de manifester un excès d’amour. Elle se sert du plus grand crime que le monde ait commis, le meurtre du Christ, pour faire de la mort de la sainte victime la propitiation pour les péchés du monde. Voilà bien un amour et un sacrifice dont l’homme n’aurait jamais eu l’idée, de telle sorte que ; quand ils lui sont offerts de la part de Dieu, la plupart du temps il refuse d’y croire. Le dévouement de chacun de nos soldats n’est pas isolé. Ils se soutiennent, ils s’encouragent les uns les autres, ils sont liés les uns aux autres par l’honneur et par le devoir professionnel. Ils sont aidés, ils sont portés par la sympathie, la reconnaissance et l’admiration de la nation entière. Chacun s’emploie à l’envi à rendre leur tâche moins pénible ; lorsqu’ils sont blessés, on n’épargne rien pour soulager leurs souffrances et pour les disputer à la mort. – Jésus-Christ, dans sa Passion, a été entouré non d’honneur, mais de mépris et de haine ; il a été traité comme le plus grand des criminels ; il a été seul, absolument seul, abandonné par ses disciples, poursuivi et tourmenté dans son agonie par les railleries et les blasphèmes de ses ennemis. Sur sa croix, il n’a pas entendu une bonne parole, une parole de foi et d’amour, excepté celle du brigand repentant. Dieu même un moment lui a caché sa face : y eut-il jamais une douleur comparable à cette douleur, un amour comparable à cet amour ?

Nos sacrifices ont une portée à tous égards limitée. Ils nous ont été imposés à l’improviste, il y a deux ans, alors que nous étions loin de nous attendre à rien de pareil. Ils ont pour objet le salut de la France, et nous avons le droit d’ajouter : le triomphe de la justice et de l’humanité. Ils nous obligent toutefois à nous armer contre d’autres hommes, à leur faire le plus de mal possible, à nous réjouir quand ils succombent ; c’est la malédiction de la guerre. – Le sacrifice de Jésus-Christ est éternel et universel. Il est éternel en ce sens qu’il a été voulu de toute éternité, que Dieu n’a créé le monde que parce qu’il avait formé le dessein de le réconcilier avec Lui, que la croix est le centre des voies divines. Et le sacrifice du Christ est universel, en ce sens qu’il a en vue le salut du monde entier ; que Dieu a livré son Fils à la mort pour nous tous, pour toutes les nations, pour tous les hommes. A ce point de vue encore, il n’y a pas d’assimilation possible, il n’existe même pas d’analogie entre le plus beau des sacrifices consentis et accomplis par des hommes pécheurs et le sacrifice de Jésus-Christ.

Nos chers soldats font le sacrifice de leur vie ; certes, ce sacrifice est digne d’admiration. Jésus lui-même déclare que c’est la plus grande preuve d’amour qu’un homme puisse donner à son semblable. Lorsque, en relisant les lettres de ceux que nous avons perdus, nous constatons combien la vie leur était chère, comment ils appréciaient d’autant plus leur bonheur de famille qu’ils le voyaient plus menacé, et en même temps comment ils ont tout subordonné à la patrie et au devoir, nous sommes émus jusqu’aux larmes. Pour Jésus-Christ, le sacrifice même de la vie corporelle devait être plus douloureux que pour tout autre, car sa nature humaine pure et immaculée répugnait à la mort, protestait contre la mort, tandis que nous, en entrant dans le monde, nous y apportons le germe de la mort en même temps que celui du péché. Mais Jésus n’a pas souffert seulement dans son corps. Le prophète déclare qu’il a mis son âme en oblation pour le péché. Les apôtres enseignent qu’il a porté nos péchés, qu’il a été fait péché et malédiction pour nous. Ce langage mystérieux et paradoxal signifie que le Fils de Dieu s’est fait un avec nous par son amour rédempteur au point de sentir le poids, de goûter l’amertume de l’indignation de Dieu contre le mal et de la condamnation que nos péchés ont méritée. Tel est sans doute le dernier fond du sacrifice de Jésus-Christ et de celui que Dieu a fait en nous donnant son Fils unique. Aucune expérience humaine ne l’atteint, aucune pensée humaine ne le mesure. Nous ne pouvons que l’entrevoir à travers les ténèbres et l’adorer.

Il n’est pas étonnant que ce sacrifice absolument unique ait une efficacité qui n’appartient qu’à lui. Certes, celui de nos soldats a été offert pour un noble but et, sous la bénédiction de Dieu, il portera de beaux fruits. Si la France s’est arrêtée sur la pente de la décadence, si déjà elle est honorée et aimée parmi les nations, si elle conserve son indépendance et si elle recouvre ses anciennes frontières, c’est au dévouement de nos soldats, de nos chers morts en particulier, que nous le devrons. Nous comprenons mieux aujourd’hui qu’autrefois que rien de grand ne se fait dans le monde, si ce n’est par le sacrifice. Le grain de froment qui meurt dans le sol est le seul qui porte du fruit. Mais, quelle que soit l’efficacité des sacrifices faits par les hommes, que sont-ils auprès de celui du Sauveur ? « Dieu a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. »

« Ne périsse point ». Voyez ici la nécessité du sacrifice du Christ. Ne croyez pas qu’il soit venu seulement pour apporter à des créatures morales qui auraient déjà été en bonne voie, déjà à moitié sauvées en quelque sorte, quelques nouvelles lumières, quelques nouveaux bienfaits, un degré de plus de félicité et de gloire. Chacun de nous était sous le coup d’une, sentence de mort. Nous pouvons être embarrassés pour définir cette mort, mais nous savons qu’elle contient le plus grand des malheurs, la ruine définitive et irréparable de l’être fait à l’image de Dieu. C’est de cette mort que la croix de Jésus-Christ nous sauve. Si Dieu ne nous avait pas aimés jusqu’à donner pour nous son Fils unique, il vaudrait mieux pour chacun de nous n’être jamais né. Comment trouver des paroles, mais surtout comment trouver des sentiments et des actes capables de répondre à un tel amour, à un tel bienfait ?

Nous en comprendrons mieux encore la grandeur si, après avoir indiqué le résultat négatif du sacrifice de Jésus-Christ, nous en envisageons le résultat positif. « Dieu a donné son Fils unique », non seulement « afin que quiconque croit en Lui ne périsse point », mais afin qu’il « ait la vie éternelle ». La vie éternelle ! Qui la définira ? Qui nous expliquera ce nom du salut, le plus beau et le plus riche de tous ? C’est beaucoup plus, infiniment plus qu’une existence sans terme ; c’est la participation à la vie parfaite de Dieu, c’est le bonheur dans la sainteté, c’est la transformation de tout notre être à la ressemblance de Jésus-Christ, que nous verrons enfin tel qu’il est ; c’est la possession de la vérité, de la justice et de l’amour, c’est l’union absolue avec notre Père céleste et avec nos frères. Voilà ce que Jésus-Christ nous a acquis ; voilà ce qu’avait en vue le sacrifice du Dieu qui nous a donné son Fils unique. Comme on comprend que l’éternité soit en quelque sorte trop courte pour l’en bénir, et que les bienheureux ne se lassent pas de jeter leurs couronnes aux pieds de l’Agneau et de le célébrer par ce cantique toujours nouveau : « Tu as été mis à mort, tu nous as rachetés à Dieu par ton sang et tu nous as faits rois et sacrificateurs à Dieu ton Père » !

IV

Enfin (c’est notre dernière question), à quel prix ce bien excellent et infini, la vie éternelle, devient-il notre partage ? A quelles conditions recueillons-nous le bénéfice de l’amour et du don de Dieu, du sacrifice qu’il a fait pour nous ? S’agit-il de l’acheter, de le mériter, ou tout au moins, avant d’oser nous l’approprier, de nous en rendre moins indignes par nos efforts ? – Non, mes frères. « Nous sommes sauvés par grâce au moyen de la foi », dit saint Paul ; notre texte enseigne non moins clairement la même vérité : « Dieu a aimé, Dieu a donné ». Or, un don qui procède de l’amour, est nécessairement gratuit. Tel est l’amour de l’époux et de l’épouse, tel est le pardon d’un homme généreux que nous avons offensé. Ce serait l’offenser encore que prétendre acheter son bienfait. Tout ce qu’il demande, c’est que nous le recevions avec humilité, avec confiance et avec actions de grâces ; de tout notre cœur enfin, c’est là proprement la foi. Quiconque croit en Jésus-Christ, sera sauvé. Quoi de plus nécessaire, puisqu’il est impossible que nous soyons sauvés, c’est-à-dire transformés moralement, par un Sauveur auquel nous ne croirions pas ? Et quoi de plus juste, puisqu’il y aurait ingratitude et déraison à douter de l’amour du Dieu qui a donné pour nous son Fils unique ? Si ce don, si cet amour étaient une fiction, l’inventeur, pour rappeler un mot célèbre de J.-J. Rousseau, en serait plus étonnant que le héros ; l’homme qui aurait imaginé un tel amour serait plus grand que le Dieu qui ne l’aurait ni éprouvé, ni manifesté.

Mais ce n’est pas assez de tenir pour vrai que Dieu a donné son Fils au monde. Croyez qu’il l’a donné pour vous ; imitez le Réformateur qui aimait à citer notre texte en substituant aux mots : « Quiconque croit en lui », son nom propre et à dire ; « Dieu a tant aimé Martin Luther, qu’il a donné son Fils pour que Martin Luther, croyant en lui, ne périsse point. » Recevez Jésus-Christ comme votre Sauveur personnel ; comptez sur lui pour la satisfaction de tous les besoins de votre âme ; croyez que, puisque Dieu a fait, le plus, il fera le moins ; puisqu’il n’a pas fait l’économie de son propre Fils, il ne vous laissera manquer d’aucune grâce indispensable à votre salut. Dites : « O Dieu de toute grâce, tu ne me refuseras pas le pardon de mes péchés, puisque c’est pour me l’assurer que le sang de Jésus-Christ a coulé ; tu ne me refuseras pas la vie éternelle, puisqu’elle est le but et le prix de ton sacrifice ; tu ne me refuseras pas la force nécessaire pour vaincre le mal, puisque Jésus-Christ est venu pour ôter les péchés ; tu ne me refuseras pas le secours dans la détresse et l’espérance qui console, puisqu’ils font partie de son grand salut. » Grâce à cette foi, l’amour de Dieu, répandu dans vos cœurs par le Saint-Esprit, deviendra, en vous une source inépuisable et toujours nouvelle d’amour pour Dieu et pour vos frères. Au sacrifice de Dieu pour l’homme répondra, écho faible mais béni pourtant, le sacrifice de l’homme à Dieu et pour Dieu. Je trouve cette pensée exprimée d’une manière touchante dans un cantique dont, en terminant, je traduis à votre intention deux ou trois strophes :

« Amour, qui m’as fait à l’image de la divinité ; amour qui, avec tant de bonté, m’as relevé après la chute ; amour, je m’abandonne à toi, je t’appartiens pour l’éternité. »

« Amour, qui m’as élu avant que je fusse créé ; amour qui t’es fait homme et qui es devenu semblable à moi en toutes choses ; amour, je m’abandonne à toi, je t’appartiens pour l’éternité. »

« Amour qui, dans le temps, as souffert et qui es mort pour moi ; amour qui as tant lutté pour mon salut et pour mon bonheur ; amour, je m’abandonne à toi, je t’appartiens pour l’éternité. »

Serez-vous refroidis ; irrités peut-être, si je confesse que ce beau cantique est traduit de l’allemand ? Il est vrai qu’il est d’ancienne date. Il y eut un temps où beaucoup de chrétiens allemands sentaient et chantaient ainsi. Aujourd’hui l’Etat et les Eglises, hélas ! ont de concert égaré la grande masse de la nation et l’ont amenée à se prosterner devant l’idole prussienne d’un Dieu national et guerrier. Que beaucoup de chrétiens allemands reviennent au Dieu de l’Evangile, au Père céleste qui a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, ce sera une grande délivrance, non seulement pour l’Allemagne, mais pour l’humanité ; ce sera pour nous, chrétiens français, une victoire plus belle et plus décisive que toutes celles que nous espérons de l’héroïsme de nos soldats. En attendant, faisons en sorte que cette victoire de l’amour de Dieu soit dès aujourd’hui réelle et complète dans nos cœurs !

Amen.

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