Messieurs !
On entend parfois opposer, dans la recherche de la vérité, ce qu’on appelle une expérience positive, à ce qui aurait été présenté comme une expérience de conscience.
A-t-on réellement le droit de statuer une semblable opposition ?
Et d’abord, qu’est-ce que cette expérience positive, dont on met ainsi la réalité en face de ce qui ne serait, dit-on, qu’une expérience de conscience ?
Une expérience positive, — c’est ainsi qu’on la présente, — est celle que l’on aurait eue d’un fait « objectif ; » c’est-à-dire d’un fait à l’égard duquel on aura le droit d’affirmer, qu’il subsiste indépendamment de l’expérience dont il aurait été l’occasion.
Rien de plus légitime, sans doute, que de revendiquer ce caractère pour tout objet d’expérience. D’où vient cependant que, dès qu’on l’attribue à l’objet d’une expérience de conscience, il est des esprits qui protestent, ou du moins qui hésitent à se prononcer clairement à cet égard ?
Ce n’est pas que l’on ne regarde l’expérience de conscience comme un fait de première importance.
Toute doctrine philosophique, en effet, je dis plus ! toute croyance religieuse, repose en fin de compte sur une expérience semblable. Sans doute, c’est de la négation de ce que nous disons là que l’école positiviste a fait son drapeau ; comme c’est l’hésitation sur ce point spécial qui s’oppose encore, ici et là, à une franche admission du « surnaturel. »
Il n’en est pas moins vrai que l’expérience à laquelle seule on donne le nom d’expérience positive, — que l’expérience par le moyen des sens, — est elle-même si loin de pouvoir être mise en contraste avec le fait de conscience, qu’elle implique bien plutôt elle-même nécessairement un fait semblable. Et ce qui est tout aussi vrai, c’est qu’on ne saurait vouloir affirmer que toute expérience, ou impression, de conscience, n’ait pas nécessairement impliqué un fait objectif à celui chez qui cette expérience aurait eu lieu.
Il serait superflu de nous arrêter à démontrer la première de ces assertions. Personne ne niera que l’impression matérielle par le moyen des sens n’exige, pour parvenir jusqu’à notre pensée réfléchie, un acte de la conscience que nous avons de nous-mêmes. Nous convenons tous que la beauté d’une fleur, ou que les charmes d’une mélodie, demeureront pour nous comme s’ils n’étaient pas, aussi longtemps que « nous n’en aurons pas eu conscience. »
Aussi bien désiré-je m’appliquer surtout ici à exposer les faits qui me semblent établir la seconde de ces assertions, — savoir cette proposition : que toute perception, ou expérience, de conscience, implique nécessairement l’existence d’un fait positif ; et, qui plus est, d’un fait qui, bien que ressortissant au monde intérieur de celui qui fait cette expérience, y demeure objectif à cette expérience ; de telle sorte que tout fait de conscience demeure ce qu’il est, indépendamment et de la perception qu’on en aurait, et de l’idée qu’on arriverait à s’en faire à l’occasion de cette perception. De plus, comme c’est un intérêt moral et religieux qui me porte à aborder avec vous cette étude, j’aurai surtout en vue dans mon analyse, cette activité spéciale de la conscience, à laquelle on a donné le nom de la conscience morale, ou de la conscience de l’obligation morale.
Ma première tâche sera donc de définir le phénomène de vie intérieure auquel on donne ce nom, et d’en revendiquer l’objectivité essentielle.
Je chercherai ensuite à préciser ce qui découle de la définition à laquelle je me serai arrêté, soit à l’égard de la vérité sur l’homme, soit à l’endroit de la doctrine de Dieu.
Enfin, dans une troisième étude, j’examinerai le rapport qui subsiste entre les lumières résultant ainsi du fait de la conscience morale, et celles qui proviennent pour nous soit de la vue de l’univers que nous habitons, soit des faits dont témoignent les Ecritures.