Appréciation de l’Édit de Nantes. — Sa ratification par Louis XIII et Louis XIV. — Haine des anciens ligueurs. — Mécontentement des protestants. — Sentiment d’Agrippa d’Aubigné. — Synode de Gap. — Assemblée de Châtellerault. — Mort d’Henri IV. — Assemblée de Saumur. — Constitution définitive du parti réformé. — Consistoires et colloques. — Synodes provinciaux et Synodes nationaux. — Conseils provinciaux. — Assemblées de cercle. — Assemblées générales. — Députés généraux. — Soulèvement contre Louis XIII. — Traité de Loudun. — Édit de 1620. — Révolte du Béarn. — Assemblée illégale de La Rochelle. — Déclaration d’indépendance. — Siège de Montauban. — Paix de Montpellier. — Prise d’armes de 1615. — Médiation du roi d’Angleterre. — Pacification de 1626. — Prise de La Rochelle par Richelieu. — Traité d’Alais.
L’histoire du protestantisme en France, depuis la promulgation de l’édit de Nantes par Henri IV en 1598, jusqu’à la révocation de cet édit par Louis XIV en 1685, peut se diviser en trois périodes principales. Dans la première, qui s’étend depuis cette grande transaction religieuse qui marque la fin des guerres civiles du seizième siècle, jusqu’à la prise de La Rochelle en 1629, les protestants, mêlés tantôt par leur faute, tantôt par l’artifice des grands, aux troubles qui agitent la régence de Marie de Médicis et les premières années de la majorité de Louis XIII, se voient privés successivement de leurs places de sûreté, de leur organisation politique, et cessent enfin de former un État dans l’État. Dans la seconde période, qui s’étend depuis la prise de La Rochelle jusqu’aux premières persécutions de Louis XIV en 1662, les protestants ne forment plus qu’un parti religieux qui se voit délaissé peu à peu par ses chefs les plus puissants. Ils ne troublent plus la France, comme leurs ancêtres, par d’incessantes prises d’armes, mais ils l’enrichissent par leur industrie. Dans la troisième, qui comprend l’intervalle entre les premières persécutions et la révocation de l’édit de Nantes, ils sont exclus de toutes les charges publiques, frappés dans leurs droits religieux et civils, et réduits enfin à changer de religion ou à quitter leur patrie.
L’édit de Nantes n’était à proprement parler qu’une confirmation nouvelle des divers traités conclus entre les catholiques et les protestants, mais sans cesse enfreints par le parti vainqueur. Il commençait par un acte d’oubli de toutes les injures passées. Les sentences rendues contre les réformés, à l’occasion de la religion, furent annulées et rayées des registres des greffes des cours souveraines. Leurs enfants établis à l’étranger furent déclarés Français et invités à retourner dans le royaume. Leurs prisonniers, même ceux qui avaient envoyés aux galères, furent mis en liberté. Aux catholiques on permit de célébrer publiquement et solennellement leur culte dans toutes les provinces où il avait été interrompu. Aux protestants on reconnut une liberté de conscience illimitée ; mais l’exercice public de leur culte, interdit formellement à Paris, fut restreint aux villes où il était demeuré publiquement établi à l’époque de la promulgation de l’édit, et à celles où il avait été accordé par les conventions de Fleix et de Nérac, quoiqu’il y eût été supprimé depuis.
[Les réformés de Paris eurent d’abord un temple à Ablon. Mais en 1606, ayant représenté : 1° que la distance de ce lieu était cause que souvent les enfants mouraient en chemin avant le baptême ; 2° que les officiers qui servaient à la cour ne pouvaient s’acquitter le dimanche de ce qu’ils devaient à Dieu et au roi, ils furent autorisés, par lettres patentes du 1er août 1606, à transporter le lieu de leurs assemblées à Charenton.]
L’exercice public du culte fut accordé en outre à tous les gentilshommes ayant droit de haute justice. Ils étaient au nombre de trois mille cinq cents. On leur donna la faculté d’admettre les familles de leurs vassaux à ces réunions religieuses. Pour assurer aux protestants une justice impartiale, le roi créa dans le parlement de Paris, sous le nom de Chambre de l’Edit, un tribunal composé d’un président assisté de seize conseillers, et chargé spécialement de juger les procès de ceux de la religion dans le ressort des parlements de Paris, de Rennes et de Rouen. Une chambre mi-partie fut conservée à Castres pour le ressort du parlement de Toulouse, et deux autres furent établies dans ceux des parlements de Grenoble et de Bordeaux, pour connaître et juger les différends dans lesquels ils seraient parties principales. Ils reçurent enfin des places de sûreté pour quatre ans, et conservèrent l’organisation politique qu’ils s’étaient donnée pendant les guerres de religion.
Cet édit solennel, qui marquait pour la France la fin du moyen âge et le véritable commencement des temps modernes, fut scellé du grand sceau de cire verte, pour témoigner qu’il était perpétuel et irrévocable. Il fut vérifié dans les formes les plus authentiques par tous les parlements, et particulièrement par celui de Paris, juré par toutes les cours souveraines, les gouverneurs des provinces, les magistrats et même par tous les principaux habitants des villes du royaume.
Louis XIII et Louis XIV lui-même confirmèrent solennellement l’édit d’Henri IV. Le 22 mai 1610, la régente Marie de Médicis déclara, au nom du roi mineur, qu’il reconnaissait que l’observation de cet édit avait mis un repos assuré entre ses sujets. « C’est pourquoi, faisait-on dire au nouveau monarque, encore que cet édit soit perpétuel et irrévocable, et par ce moyen n’ait besoin d’être confirmé par nouvelle déclaration, néanmoins, afin que nosdits sujets soient assurés de notre bienveillance, savoir faisons, disons et ordonnons que ledit édit de Nantes, en tous ses points et articles, sera entretenu et gardé inviolablement. » Devenu majeur, Louis XIII confirma cette déclaration dans un lit de justice tenu le 1er octobre 1614, avec cette clause formelle que les contrevenants seraient punis comme perturbateurs du repos public. L’année suivante, quand on proposa aux états généraux, dans la chambre de la noblesse, de supplier le roi de conserver la religion catholique suivant le serment prêté à son sacre, qui était de chasser des terres de sa sujétion tous les hérétiques dénoncés par l’Église, Louis XIII donna, le 12 mars 1615, une déclaration qui est un des plus beaux monuments de la justice de ce prince. Après avoir protesté que son intention était de garder inviolablement les édits, il ajoutait, « qu’il éprouvait un très grand déplaisir de la contention advenue entre les députés, catholiques de la chambre de la noblesse… que tous les députés lui avaient déclaré séparément, et après tous ensemble, qu’ils désiraient l’observation de la paix établie par les édits. » Mais ce qu’il y eut de plus remarquable dans cet acte de Louis XIII, c’est qu’il condamnait toute violence en matière de religion, « étant persuadé, disait-il, par l’expérience du passé, que ces moyens n’ont servi qu’à accroître le nombre de ceux qui sont sortis de l’Église, au lieu de leur enseigner le chemin d’y rentrer. » Une déclaration semblable fut rendue le 20 juillet 1616 pour confirmer l’édit d’Henri IV, et pour défendre d’appliquer à l’avenir aux réformés la qualification d’hérétiques. Cette défense était absolument nécessaire, pour que le serment que les rois prêtaient à leur sacre, et par lequel ils s’engageaient à détruire les hérétiques, ne fût pas en contradiction formelle avec les nouvelles lois du royaume.
Anne d’Autriche imita l’exemple de Louis XIII. Sa déclaration du 8 juillet 1643, rendue au nom du roi mineur, portait que Louis XIV, après avoir pris l’avis de la reine, sa mère, du duc d’Orléans, du prince de Condé, ordonnait que ses sujets de la religion prétendue réformée jouiraient de l’exercice libre et entier de leur religion, conformément aux édits. Des déclarations semblables furent publiées à diverses reprises jusqu’en 1682. La plus importante est celle du 21 mai 1652, et dont l’honneur revient à Mazarin. Le roi, rappelant ses propres engagements et l’exemple de ses prédécesseurs, confirma solennellement les édits, « d’autant, disait-il, que lesdits sujets lui ont donné des preuves certaines de leur affection et fidélité, notamment dans les occasions présentes dont il demeure très-satisfaita. »
a – Mémoire sur l’état de la religion réformée en France. La Haye, 1712. British Museum.
En signant l’édit de Nantes, Henri IV rompait d’une manière éclatante avec la tradition du moyen âge. Il ne voulait rien moins qu’accorder aux réformés tous les droits civils et religieux qui leur étaient contestés par l’intolérance de leurs adversaires, et les placer sur le pied d’une entière égalité avec le parti dominant. Pour la première fois, le pouvoir civil en France s’élevait hardiment au-dessus des partis religieux, et posait les limites qu’il ne leur était plus permis de franchir, sans violer la loi de l’État.
Une politique si nouvelle ne pouvait manquer d’exciter les clameurs des hommes extrêmes, et de provoquer les haines des factions qui ne croient jamais rien avoir quand elles ne possèdent tout. Le souvenir de quarante ans de guerres civiles n’était pas effacé. La paix matérielle était rétablie, mais les esprits restaient remplis de défiance. Les anciens ligueurs, les catholiques à gros grainsb, ne croyaient pas à la sincérité d’Henri IV. Ils attribuaient les concessions qu’il venait de faire aux protestants à l’attachement secret qu’il conservait pour leur doctrine. Assurer une existence légale et donner des garanties à des hérétiques, à des excommuniés, à des hommes damnés dans cette vie et dans l’autre, et les placer sur une même ligne avec des orthodoxes ! C’étaient là des actes qu’ils ne pouvaient approuver, et qui n’étaient à leurs yeux que des preuves d’une trahison manifeste ou du moins d’une indifférence, coupable. Mais, à défaut du fanatisme religieux, l’intérêt aurait suffi pour soulever le parti catholique contre l’édit d’Henri IV. Le clergé craignait la diminution de ses revenus et l’affaiblissement de son autorité, si la nouvelle doctrine était reconnue par l’État et continuait à faire des progrès. Les parlements, de leur côté, se plaignaient de l’édit comme portant atteinte à leurs droits. Ils refusèrent longtemps de le reconnaître, et ne cédèrent que devant la volonté formelle du souverain. « J’ai fait l’édit, dit Henri IV aux membres du parlement de Paris ; je veux qu’il s’observe. Ma volonté devrait servir de raison. On ne la demande jamais au prince dans un État obéissant. Je suis roi, je vous parle en roi, je veux être obéi. » A l’assemblée du clergé qui l’exhortait à remplir son devoir, il répondit qu’il en fît autant de son côté, ajoutant avec sa feinte bonhomie gasconne : « Mes prédécesseurs vous ont donné de belles paroles ; mais moi, avec ma jaquette grise, je vous donnerai de bons effets. Je suis tout gris au dehors, mais je suis tout d’or au dedansc. »
b – C’était le nom que l’on donnait aux catholiques les plus ardents.
c – Le gouvernement de Louis XIV, de 1683 à 1689, par M. Pierre Clément, p. 91.
Les protestants n’étaient guère plus satisfaits. Lorsque les Espagnols surprirent Amiens, plusieurs de leurs chefs montrèrent peu d’empressement à prendre les armes. Ils boudaient le roi depuis sa conversion. Duplessis-Mornay ne paraissait plus à la cour. Quelques jours après la tentative de Châtel, le roi recevait dans son palais son ancien compagnon d’armes, Agrippa d’Aubigné, qu’il ne voyait plus qu’à de rares intervalles, et comme il lui montrait sa lèvre percée par le poignard de l’assassin, le gentilhomme huguenot ne put contenir sa langue satirique : « Sire, lui dit-il, jusqu’ici vous n’avez renié Dieu que des lèvres, et Dieu s’est contenté de percer vos lèvres ; mais quand vous le renierez du cœur, alors Dieu percera votre cœur. » Les assemblées des protestants retentissaient de plaintes et de récriminations contre le monarque apostat. Les plus ardents parlaient de reprendre les armes. Henri IV était informé de leurs menées. « Je ne vous ai point encore discouru de vos assemblées, dit-il un jour à d’Aubigné, où vous avez pensé tout gâter, car vous y alliez de bonne foi… J’avais mis les plus grosses têtes du parti dans mes intérêts, et vous étiez peu qui travailliez à la cause commune. La meilleure partie de vos gens pensait à ses avantages particuliers, et à gagner mes bonnes grâces à vos dépens. Cela est si vrai que je me puis vanter qu’un homme d’entre vous, des meilleures maisons de France, ne m’a coûté que cinq cents écus pour me servir d’espion parmi vous et vous trahird. »
d – Mémoires d’Agrippa d’Aubigné, t. 1er, p. 149-150. Édition d’Amsterdam, 1731.
Plusieurs des principaux chefs de la noblesse avaient abandonné le parti calviniste. Les ministres qui leur succédaient et qui allaient être désormais ses représentants les plus énergiques, apportaient dans leurs délibérations cette âpreté théologique dont les prêtres de toutes les religions ont tant de peine à se défendre. Dans un synode tenu à Gap en 1603, après d’inutiles efforts pour opérer une fusion entre les partisans de Luther et de Calvin, ils ne tombèrent d’accord que pour déclarer solennellement que le pape était l’antéchrist, et cette déclaration fut ajoutée à la confession de foi du parti protestant. C’était blesser inutilement les catholiques au milieu desquels ils vivaient, et rendre plus pénible la mission du roi qui les protégeait contre eux. Henri IV n’en maintint pas moins leurs assemblées religieuses et leurs assemblées politiques. Il les jugeait nécessaires pour leur sûreté ; mais il en écartait à tout prix les chefs de la noblesse, les Rohan, les Bouillon, les La Trémouille, les Lesdiguières, les La Force, les Châtillon, dont il redoutait les menées ambitieuses. Les forteresses qu’il laissait entre leurs mains lui inspiraient moins d’ombrage. Il n’hésita pas à accorder à l’assemblée de Châtellerault, réunie en 1605, une prolongation de quatre ans du terme fixé pour la restitution des villes dans lesquelles ils entretenaient garnison. Grâce à ces ménagements habiles, la paix fut maintenue dans le royaume. L’honneur en revenait tout entier à Henri IV. Les protestants finirent par se rapprocher d’un prince qui leur assurait au moins là liberté religieuse. Dans son Histoire universelle, dédiée à la postérité, d’Aubigné rendit justice au grand roi qu’il avait offensé plus d’une fois par ses brusques reparties : « Nous tirons, dit-il, un prince du berceau encourtiné d’épines, d’elles armé et picqué tout ensemble, comme une fleur qui a langui longtemps dans un hallier d’orties et de serpents. Son matin n’a vu le soleil qu’entre les nues qui l’ont noyée en l’espanouissant. Son midi a été effroyable de tonnerres et d’orages sans repos. Sa soirée plus douce nous a donné loisir de pendre nos habillements mouillés devant l’autel du Dieu de paix. Quant à la nuit qui lui a fermé les yeux d’une façon aussi peu commune que sa vie, nous la laissons sous le rideau, jusqu’à l’heure d’en parler. » (Préface)
L’assassinat d’Henri IV jeta l’alarme parmi les protestants. Peu satisfaits de la confirmation de l’édit de Nantes par Marie de Médicis, ils demandèrent et obtinrent l’autorisation de convoquer à Châtellerault leur assemblée générale. Les ducs de Rohan, de Soubise, de Sully, de La Trémouille, les seigneurs de Châtillon, les La Force, les Duplessis-Mornay, se rendirent à cette assemblée qui fut bientôt transférée à Saumur. Mais l’ambition et l’esprit d’intrigue l’emportaient chez la plupart des chefs de la noblesse sur le zèle pour la réforme. Le duc de Bouillon voulait entrer au ministère. Dans ce but, il s’efforçait de donner à la cour la plus haute idée de la puissance des réformés. En même temps il voulait paraître leur chef en se faisant nommer président de leur assemblée. Mais on devina ses vues intéressées, et Duplessis fut élu. Alors, changeant de tactique, il essaya de persuader à ceux de son parti de se dessaisir de toutes les places de sûreté, pour se remettre entièrement à la discrétion de la régente. Il concluait par des louanges affectées de la gloire qu’ils acquerraient en s’exposant ainsi volontairement à souffrir le martyre. « Oui, monsieur, répliqua d’Aubigné, la gloire du martyre ne se peut célébrer par trop de louanges. Bienheureux sans mesure qui endure pour Christ ! s’exposer au martyre, c’est le caractère d’un véritable et bon chrétien ; mais d’y exposer ses frères et de leur en faciliter les voies, c’est le caractère d’un traître et d’un bourreaue. »
e – Mémoires d’Agrippa d’Aubigné, t. 1, p. 168-169. Édition d’Amsterdam, 1731.
L’assemblée n’obéit pas aux conseils insidieux du duc de Bouillon. Elle s’efforça de ramener la concorde parmi les chefs du parti, et Mornay dressa le fameux acte de réconciliation qui fut signé par tous les seigneurs accourus à Saumur, et même par Lesdiguières et Bouillon. L’union rétablie, l’assemblée organisa la défense commune en partageant la France protestante en huit cercles, dont chacun eut son conseil particulier. Ces conseils devaient correspondre entre eux, de manière qu’il fût facile désormais d’imprimer à tous une même direction.
L’organisation religieuse et politique des calvinistes était antérieure à l’édit de Nantes, qui ne la modifia qu’imparfaitement ; l’assemblée de Saumur lui donna son dernier développement, et établit bien réellement une république représentative au sein de la monarchie absolue.
La constitution religieuse des réformés reposait sur les consistoires, les colloques, les synodes provinciaux et les synodes nationaux.
Chaque église formait un consistoire, c’est-à-dire un petit conseil démocratique composé de ministres, de diacres et d’anciens. Il se réunissait toutes les semaines. On y délibérait sur la répartition des aumônes recueillies dans l’assemblée des fidèles. On y dénonçait les fautes commises par les membres de l’Église, particulièrement celles qui étaient contraires à la discipline ecclésiastique. On examinait si les coupables se trouvaient dans le cas de l’exhortation particulière ou dans celui de l’excommunication publique. En cas de désobéissance, on déférait le délinquant au colloque.
Les colloques s’assemblaient tous les trois mois. Ils se composaient de deux députés de chaque consistoire d’un certain district. On y décidait les affaires que le premier conseil n’avait pu terminer. On y réglait les sommes qui devaient être envoyées aux protestants persécutés pour cause de religion. On y censurait les anciens, les diacres, les proposants, les ministres qui s’étaient écartés de leurs devoirs. On y cassait tous les membres d’un consistoire coupable de prévarication.
Les synodes provinciaux s’assemblaient tous les ans. Chaque colloque y était représenté par deux députés. On y traitait de toutes les affaires de la province. On y faisait l’examen des proposants qui voulaient être promus au ministère. On y arrêtait l’état des appointements des pasteurs d’après celui des sommes qu’on avait recueillies dans la collecte générale faite par les consistoires. On y assignait à chaque paroisse son ministre, et l’on y statuait sur le choix des professeurs de théologie.
Les synodes généraux ou nationaux étaient convoqués tous les trois ans ; mais les circonstances politiques les empêchèrent souvent de se réunir. Ces assemblées se composaient des députés laïques et des députés ecclésiastiques de toutes les provinces du royaume. On y élisait le modérateur, ou président, à la pluralité des suffrages. On y jugeait tous les appels des synodes provinciaux. On y décidait en dernier ressort toutes les questions de dogme et de discipline, et les statuts que l’on y rendait avaient force de loi dans toutes les églisesf.
f – Manuscrits français de la Bibliothèque nationale. Affaires du calvinisme depuis 1669 jusqu’en 1788. Vol. III. Mémoire de La Beaumette. Toulouse, 1759.
Le gouvernement de l’Église réformée était, on le voit, disposé tout entier d’après le système représentatif, car il se composait d’assemblées subordonnées les unes aux autres, et formées toutes par voie d’élection. Les consistoires ressortissaient aux colloques, les colloques aux synodes provinciaux, les synodes provinciaux au synode national. Les plus bas degrés de cette hiérarchie étaient en contact immédiat avec le peuple. Les consistoires étaient composés de pasteurs et d’anciens nommés par lui, ou du moins admis dans ces assemblées avec son adhésion publiquement exprimée. Les colloques étaient formés de députés nommés par les consistoires ; les synodes provinciaux, de députés nommés par les colloques ; les synodes nationaux, de représentants désignés par les synodes provinciaux. Aux mains d’une minorité trop souvent opprimée, un tel gouvernement avait nécessairement une grande vigueur. La discipline était maintenue comme un moyen d’union pour tous les adhérents de la réforme, comme un moyen de défense contre une Église dominante et jalouse. La surveillance était mutuelle, et les mesures adoptées efficaces et rapides, parce qu’elles étaient instantanément exécutoires, et toujours conformes à l’intérêt général du parti.
Dans la première moitié du dix-septième siècle, on comptait en France huit cent six églises divisées en seize provinces et en soixante-deux colloques. [Nous empruntons cette évaluation au catalogue qui fut produit dans le synode national tenu à Alençon en 1637. Voyez Aymon, Synodes nationaux des églises réformées de France, t. 1, p. 291-306. La Haye, 1710. ]
La première province, qui comprenait le Berri, l’Orléanais, le Blaisois, le Nivernais et la haute Marche, renfermait trois colloques : ceux de Sancerre, du Blaisois, du Berri et du Bourbonnais. La seconde, qui était celle de Bretagne, n’avait qu’un seul colloque composé de dix églises. La troisième, dans laquelle étaient compris la Saintonge, l’Angoumois, l’Aunis et les Iles, était divisée en cinq colloques : ceux d’Aunis, de Saint-Jean-d’Angély, des îles, de Saintonge, et d’Angoumois. La quatrième, qui était celle de Bourgogne, contenait les quatre colloques de Gex, de Dijon, de Châlon et de Lyon. La cinquième, contenant le bas Languedoc, était divisée en trois colloques : ceux de Nîmes, d’Uzès et de Montpellier. La sixième, contenant le Poitou, renfermait les trois colloques du haut Languedoc, du moyen Poitou et du bas Poitou. La septième, contenant la Touraine, le Maine et l’Anjou, renfermait trois colloques désignés sous ces trois noms. La huitième, contenant le Vivarais, le Forez et le Vélay, n’avait qu’un seul colloque. La neuvième, contenant les églises du Béarn, était divisée en six colloques : ceux de Sauveterre, d’Orthez, de Pau, d’Oléron, de Nai et de Vibil. La dixième, contenant les églises de Provence, n’avait qu’un seul colloque. La onzième, contenant celles des Cévennes, était divisée en trois colloques : ceux d’Anduze, de Sauve et de Saint-Germain. La douzième, qui était celle de la basse Guienne, contenait les cinq colloques du bas Agénois, du Condomois, du haut Agénois, du Périgord et du Limousin. La treizième, qui était celle du Dauphiné, comprenait les huit colloques du Gapensois, du Diois, du Viennois, du Val-Luçon, du Grésivaudan, du Valentinois, des Baronies et de l’Embrunois. La quatorzième, qui était celle de Normandie, contenait six colloques : ceux de Rouen, de Caux, de Caen, du Cotentin, d’Alençon et de Falaise. La quinzième, qui était celle du haut Languedoc et de la basse Guienne, contenait sept colloques, ceux du bas Quercy, du haut Quercy, de l’Albigeois, d’Armagnac, du Rouergue, du Lauraguais et de Foix. La seizième, qui était celle de l’île de France, était divisée en quatre colloques : ceux de Paris, de Picardie, de Champagne et du pays Chartrain. Les synodes nationaux, qui furent les conciles généraux de l’Église calviniste, se réunirent vingt-neuf fois dans l’espace de cent ans. Le premier fut tenu à Paris, en 1559 ; le dernier, à Loudun, en 1659g.
g – Aymon, t. I, p.289.
La constitution politique des réformés était démocratique et représentative comme leur constitution religieuse. Elle reposait sur les conseils provinciaux, les assemblées de cercle et les assemblées générales.
Les conseils provinciaux étaient composés des notables de chaque province, chargés de veiller au maintien des droits et des privilèges concédés au parti. Ils examinaient les plaintes formulées par les religionnaires et en transmettaient l’exposé succinct aux députés généraux chargés de poursuivre auprès du roi le redressement de leurs griefs. Les conseils provinciaux étaient antérieurs à l’assemblée de Saumur, mais ils ne se réunirent régulièrement qu’à partir de cette époque, et subsistèrent, malgré l’opposition de la cour, jusqu’à la prise de La Rochelle. Les cercles établis par cette assemblée en 1611, à l’instar de ceux d’Allemagne, se composaient chacun de plusieurs provinces. On donnait le nom d’assemblée de cercle à la réunion des délégués des conseils provinciaux. Chacune des provinces du cercle avait le droit de la convoquer, lorsqu’un péril menaçait une ou plusieurs églises ou la généralité des églises de France et de Béarn. Si le danger devenait trop pressant, l’assemblée de cercle, empiétant sur la prérogative royale, prenait sur elle de convoquer une assemblée politique générale.
Les assemblées générales se tenaient d’une manière assez irrégulière. Elles étaient précédées et quelquefois suivies d’assemblées politiques provinciales. Dans le premier cas, celles-ci nommaient les députés de la future assemblée générale et rédigeaient les cahiers qui devaient être soumis à ses délibérations. Dans le second cas, elles se faisaient adresser un rapport sur les décisions adoptées. L’édit de Nantes permettait ces assemblées générales, mais à la condition expresse qu’elles seraient autorisées par le roi. Sans cette autorisation, elles perdaient leur caractère légal et étaient réputées séditieuses. Depuis la promulgation de l’édit de Henri IV jusqu’en 1629, on compte neuf assemblées générales. Celles convoquées sous le règne de Henri IV, à Sainte-Foy, en 1601 ; à Châtellerault, en 1605 ; à Jargeau, en 1608, furent licites et régulières. Il en fut de même de celle de Saumur sous Louis XIII. Mais celles de La Rochelle, en 1617, d’Orthez et de La Rochelle en 1618 et 1619, et surtout celle de La Rochelle en 1620, furent irrégulières et illégales. La dernière dégénéra en assemblée révolutionnaire, et donna le signal de la guerre civile, qui coûta aux réformés toutes leurs libertés politiques.
En principe, les assemblées générales n’avaient qu’un objet bien déterminé : c’était l’élection des députés généraux, et plus tard la désignation de six candidats à la députation générale, parmi lesquels le roi choisissait deux commissaires de la religion pour résider auprès de lui dans l’intervalle des sessions ; mais, en fait, leurs attributions s’étendaient à toutes les matières qui concernaient le parti. Tant que vécut Henri IV, elles n’étaient pas sorties du cercle restreint qui leur était tracé ; mais, sous le règne de Louis XIII, elles se constituèrent en assemblées souveraines, à l’exemple des états généraux de Hollande, et provoquèrent le trouble et la rébellionh.
h – Comparez les mémoires de Richelieu, de Rohan, de La Force et surtout de Duplessis-Mornay.
Telle fut l’organisation redoutable que l’assemblée de Saumur donna au parti protestant, et qui subsista jusqu’à la prise de La Rochelle.
Tant de hardiesse alarma la cour déjà liée par ses engagements envers l’Espagne, que les réformés considéraient comme une déviation coupable de la politique d’Henri IV. Le double mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche et du prince des Asturies avec une fille de France, n’était pas moins odieux au prince de Condé, qui aspirait à gouverner le royaume pendant la minorité du jeune roi. Il profita du mécontentement des réformés pour les entraîner à la révolte. Le mouvement eut d’abord un caractère plus féodal que religieux. Mais lorsque le duc de Rohan eut soulevé les populations ardentes des Cévennes, l’assemblée générale des députés de la religion se transporta de son propre mouvement de Grenoble, où Lesdiguières la tenait comme captive, à Nîmes, où elle n’hésita plus à se déclarer pour la guerre. Ainsi protestants et catholiques allaient se rencontrer de nouveau sur les champs de bataille, comme au temps d’Henri III et de Charles IX.
C’était l’époque où le jeune roi devait se rendre à Bordeaux pour épouser Anne d’Autriche. Il partit sous la protection d’une armée commandée par le duc de Guise, qu’on avait nommé lieutenant général du royaume. On revit alors le spectacle étrange d’un roi de France voyageant dans son royaume à la tête d’une armée, et faisant son entrée dans ses bonnes villes précédé de canons avec les mèches allumées. L’odieux en retomba sur les protestants, devenus sans nécessité les alliés d’une noblesse factieuse. On put les accuser avec raison d’être toujours prêts à seconder les ennemis de l’État, et, dès lors sans doute, on résolut leur ruine.
Mais, avant de les accabler, il fallait les diviser entre eux. L’union de leurs chefs n’était qu’apparente. Excepté Soubise et Rohan, ils s’occupaient plus de leurs intérêts particuliers que de ceux du parti. La régente profita de ces dispositions. Elle sema des jalousies parmi eux et les attira par l’appât des récompenses. La défection de Condé amena le traité de Loudun, et la France se trouva de nouveau pacifiée (1616).
Pendant les quatre années qui suivirent, le gouvernement, qui avait passé de Concini aux mains d’Albert de Luynes, se prépara à enlever aux protestants cette formidable organisation politique qui leur avait permis de braver impunément l’autorité royale. Tout le royaume retentit de prédications passionnées qui excitaient contre eux la bourgeoisie des villes et le peuple des campagnes. A Lyon, à Moulins, à Dijon, à Bourges, une multitude égarée envahit leurs cimetières, déterra leurs morts, brûla leurs temples, chassa leurs pasteurs, sans qu’il leur fût possible d’obtenir justice. Ce qui acheva de les aigrir, ce fut l’édit de 1620, qui réunissait le Béarn à la couronne, rétablissait la religion catholique dans l’ancien royaume de Jeanne d’Albret, et ordonnait la restitution des biens ecclésiastiques dont ils s’étaient emparés. Le parlement de Pau protesta vainement contre cet édit. Louis XIII déclara qu’il irait le faire enregistrer lui-même, et qu’il ne se laisserait arrêter ni par la saison avancée, ni par la pauvreté des Landes, ni par l’âpreté des montagnes. Il tint parole, et, après avoir changé entièrement l’organisation de cette province, qui avait été si longtemps le foyer du protestantisme dans le Midi, il revint à Paris, où le peuple salua son retour par des cris d’allégresse.
Mais la soumission du Béarn n’était qu’apparente. Le roi ne l’eut pas plutôt quitté, que le marquis de La Force, auquel il avait laissé le gouvernement de la province, encouragea ouvertement les réformés à reprendre leurs édifices sacrés et les biens ecclésiastiques qu’ils avaient sécularisés. En même temps la ville de La Rochelle appela dans ses murs une assemblée générale des députés de la religion. Cette réunion convoquée, sans l’assentiment du roi, était illégale. Les chefs les plus éminents du parti, le duc de Bouillon, Sully et surtout Duplessis, firent d’inutiles efforts pour engager les protestants à ne pas sortir des limites légales. « Si j’étais en état de me faire porter dans la salle du Louvre, s’écria le duc de Bouillon, alors malade à Sedan, je me traînerais, tout estropié que je suis, aux pieds du roi, et je lui demanderais pardon pour l’assemblée. » Ces sages conseils furent repoussés. Les bourgeois des villes et les ministres qui avaient pris la direction du parti se livraient aveuglément aux plus folles espérances. Plus ils se montraient violents, et plus ils étaient applaudis. Ils crurent à leur force, et l’assemblée osa publier, le 10 mai 1621, une déclaration d’indépendance qui rompait l’unité du royaume et donnait le signal de la guerre civile. Disposant à son gré d’hommes puissants, dont plusieurs n’étaient nullement disposés à lui obéir, elle attribua au duc de Bouillon le commandement des protestants en Normandie, en Ile de France et dans les autres provinces du nord du royaume. En même temps, comme premier maréchal de France, elle lui décernait le commandement général des réformés. Au vieux Lesdiguières, qui était sur le point d’abjurer, elle donna le commandement de la Bourgogne, de la Provence et du Dauphiné. Le duc de La Trémouille fut chargé de l’Angoumois, de la Saintonge et des Iles. Au marquis de Châtillon elle assigna le bas Languedoc, les Cévennes et le Gévaudan ; au vieux La Force la Guienne, à son fils aîné le Béarn. Le vicomte de Favas fut nommé amiral des mers pour la cause de la religion. Le seigneur de Saint-Blancard, Jacques de Gautier, reçut la dignité d’amiral du Levant, avec le commandement d’une petite escadre qui devait combattre celle d’Aigues-Mortes. Tous ces chefs étaient d’accord entre eux pour résister à l’autorité royale, tant qu’elle serait amoindrie entre les mains d’un favori ; mais il était facile de prévoir qu’ils ne persisteraient pas jusqu’au bout, quand la royauté aurait recouvré son ancien prestige. A vrai dire, l’assemblée ne trouva un dévouement absolu que dans les ducs de Rohan et de Soubise, dont le premier reçut le commandement de la haute Guienne et du haut Languedoc ; le second, de la Bretagne et du Poitoui. Pour subvenir aux frais de la guerre civile, elle ordonna de saisir tous les revenus ecclésiastiques, et d’arrêter les deniers royaux provenant des tailles, des aides et des gabelles. Elle confirma dans leurs charges les seuls officiers de justice et de finances qui faisaient profession de la religion, et assura le traitement des ministres sur le plus clair des revenus de l’Église. C’était proclamer ouvertement une république protestante, à l’instar de celle des Provinces-Unies, élever La Rochelle au rang d’une nouvelle Amsterdam, et donner le signal d’une guerre fatale, qui pouvait amener le démembrement du royaume, et que ne justifiait pas l’excès de l’oppression.
i – Mémoires pour servir à l’histoire des réfugiés français dans les États du Roi, par Erman et Réclam, t. 2, p.78-87. Berlin, 1784.
Toute la France fut indignée. Le roi, fort de l’assentiment populaire, résolut de prendre sur-le-champ les armes et de diriger la guerre en personne. Après avoir enlevé Saumur à Duplessis et reçu la soumission de toutes les villes du Poitou, il vint mettre le siège devant Saint-Jean-d’Angély, où s’était enfermé le duc de Soubise. La résistance se prolongea pendant vingt-deux jours, et la place ne se rendit que lorsque l’artillerie royale eut fait brèche aux remparts. Louis XIII en fit raser les fortifications, combler les fossés, et déclara les habitants déchus de tous leurs privilèges. Puis il se dirigea sur Montauban, où le marquis de La Force et le duc de Rohan avaient réuni les plus audacieux et les plus compromis d’entre les huguenots. Dès le commencement du siège, le duc de Mayenne fut frappé d’une balle qui le blessa mortellement. Cette nouvelle excita partout la douleur la plus vive ; les passions furieuses du temps de la ligue semblèrent se ranimer. A Paris, la populace alla brûler le temple de Charenton et massacrer les protestants qui revenaient du prêche. Montauban n’en résistait pas moins à toutes les attaques. Déjà l’hiver approchait ; des maladies éclaircissaient tous les jours les rangs de l’armée royale. Il fallut lever le siège et signer une trêve qui fut appelée la paix de Montpellier (1621). L’exercice de deux religions fut rétabli dans tous les lieux où il avait été interrompu ; mais les protestants durent renoncer à leurs assemblées politiques, se contenter de leurs assemblées religieuses, investies désormais du droit de désigner les députés généraux, et livrer toutes les places fortes, à l’exception de La Rochelle et de Montauban. Toutefois le roi promit de ne pas mettre de garnison à Montpellier, de ne point construire de citadelle pour brider la ville, et de faire démolir le fort Louis, bâti récemment aux portes de La Rochelle.
Ces dernières conditions ne furent pas exécutées. On augmenta la garnison de Montpellier et l’on jeta les fondements d’une citadelle. Le fort Louis, que le comte de Soissons avait bâti à mille pas de la porte de La Rochelle, était revêtu chaque jour d’ouvrages plus formidables. La défection de Lesdiguières ayant replacé le Dauphiné sous la main du monarque, il destitua tous les gouverneurs des places fortes qui étaient protestants, et les remplaça par des catholiques. Dans toutes les autres provinces, les réformés restèrent livrés à la haine des gouverneurs, des commandants militaires, des prêtres et de la populace. A toutes leurs réclamations on répondait avec dédain : Sa Majesté ne contracte point avec ses sujets, encore moins (avec des hérétiques et des rebelles.
La lutte dans laquelle la France venait d’entrer avec l’Espagne parut aux ducs de Rohan et de Soubise une occasion favorable. Ils reprirent les armes dans l’espoir de rendre à leur parti ses assemblées politiques, ses villes de sûreté, son organisation militaire et tous les avantages qu’il avait perdus par la pacification de Montpellier. (1625) Tandis que Soubise se saisissait de l’île de Ré pour débloquer La Rochelle, Rohan convoqua à Castres une assemblée des églises du Languedoc, et se fit nommer général. C’était créer un embarras immense à Louis XIII dont les armes étaient alors triomphantes en Italie ; c’était fortifier la maison d’Autriche et causer un cruel préjudice à la cause du protestantisme en Allemagne ; c’était porter au comble la juste colère du roi et prêter un argument décisif à ceux qui poursuivaient l’anéantissement du parti réformé. Ce parti lui-même n’était pas décidé à recommencer sans nécessité une lutte inégale. Ses anciens chefs, plus prévoyants et plus habiles, Duplessis-Mornay et le duc de Bouillon, l’en auraient peut-être détourné, mais tous deux étaient morts à cette époque. Les La Force, les Châtillon, les La Trémouille, le nouveau duc de Bouillon, s’étaient rattachés à la cour. La plupart des villes du Midi faisaient déclarer à Rohan qu’elles ne prendraient point part à la révolte. Il fallut employer la force pour soulever Montauban, Nîmes, Béziers et les populations des Cévennes.
Cette fois encore la guerre civile couvrit la France de ruines. Elle se concentra d’abord autour de Castres et de Montauban, et tel fut l’acharnement des troupes royales que dans les alentours de ces deux villes il ne resta bientôt ni blés, ni arbres fruitiers, ni vignes, ni maisons. Tout était devenu la proie des flammes. En même temps Soubise tenait la mer avec une flotte formidable équipée par les Rochelois, débarquait sur les côtes de la Guienne et ravageait cette contrée avec la dernière barbarie. Ses cruautés firent éclater des soulèvements populaires à Toulouse et à Bordeaux. Tous les protestants que l’on put atteindre dans ces deux villes furent massacrés sans pitié. Louis XIII n’avait pas de flotte à opposer à celle de Soubise ; mais les Hollandais et les Anglais, ses alliés, lui fournirent des vaisseaux qui reçurent des équipages français. Attaqué dans la rade de Saint-Martin de Ré, Soubise perdit une partie de son escadre et s’enfuit avec le reste en Angleterre.
Cependant les Anglais manifestaient hautement leur aversion pour Charles Ier, qu’ils accusaient de fournir des armes à un roi catholique pour l’aider à opprimer ses sujets protestants. Les Hollandais témoignaient la même répugnance pour la politique de leur gouvernement. Richelieu, qui venait de donner à la France une impulsion à la fois si ferme et si nationale, en conçut un profond ressentiment contre les huguenots. Il leur reprochait d’avoir rendu service aux Espagnols, en même temps qu’ils avaient refroidi les Anglais et les Hollandais à son égard. Pour sortir d’embarras, il s’arrêta à un parti décisif : celui de traiter avec tous ses ennemis et de mettre la paix à profit pour achever leur ruine, sauf à reprendre ensuite l’accomplissement de ses projets contre la maison d’Autriche. Les protestants acceptèrent en effet un traité qui fut signé en 1626, sous la médiation du roi d’Angleterre. Ce prince détermina les Rochelois à recevoir les conditions qui leur étaient offertes, en déclarant qu’il en garantissait la fidèle observation. Tandis que Richelieu consentait ainsi à scandaliser le monde, et à se laisser appeler dans les satires du temps le cardinal de La Rochelle, le pontife des calvinistes et le patriarche des athées, il poursuivait activement ses négociations avec l’Espagne, et terminait la guerre de la Valteline par le traité de Monçon. La France recouvrait ainsi la libre disposition de toutes ses forces. Dès lors il n’hésita plus à se déclarer ouvertement contre les huguenots. La prise de Ré par le duc de Buckingham, que le roi d’Angleterre envoya au secours de La Rochelle, n’affaiblit pas sa résolution. Les préparatifs terminés, il se mit à la tête de son armée, et vint en personne, ayant le roi sous ses ordres, assiéger cette citadelle de la réforme. La France entière l’accompagnait de ses vœux. Quand Malherbe adressait ces vers à Louis XIII :
Donc un nouveau labeur à tes armes s’apprête ;
Prends ta foudre, Louis, et va comme un lion,
Donner le dernier coup à la dernière tête
De la rébellion ;
il exprimait bien réellement la pensée de toute la nation qui sentait, avec Richelieu, que l’anéantissement du parti protestant, comme parti politique, était nécessaire au salut de la France. La Rochelle tomba, malgré l’appui équivoque du roi d’Angleterre, dont la considération reçut de cet échec une atteinte irréparable. Le courage viril de la duchesse de Rohan, le dévouement du maire Guiton, l’héroïsme des habitants durent céder devant le génie du cardinal. Cette ville, qui depuis 1568 avait été véritablement une république indépendante et souveraine, fut replacée sous l’autorité du roi, et, quoique le siège eût coûté quarante millions, le ministre de Louis XIII ne crut pas sa victoire trop chèrement achetée, même à ce prix. Dès lors la guerre était terminée. Les protestants, il est vrai, n’étaient pas encore complètement subjugués ; le duc de Rohan continuait à se soutenir dans le Languedoc avec une petite armée ; mais il sentait lui-même qu’une lutte plus prolongée ne pourrait qu’amener l’entière ruine de son parti, et que la paix était désormais son unique refuge. Le traité d’Alais, conclu en 1629, termina définitivement les guerres de religion. Les calvinistes reçurent leur pardon à la seule condition de poser les armes et de jurer fidélité au roi. Richelieu garantit le libre exercice de leur culte, maintint leur organisation religieuse, leurs synodes, leurs députés généraux. Mais il démolit leurs places fortes, interdit pour toujours leurs assemblées politiques, et les réduisit à ne plus former un corps dans l’État.