Voici, j’enverrai mon messager ; il préparera le chemin devant moi…
Il ramènera le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères.
Un jour, au milieu d’une foule qui venait de voir ses miracles, Jésus se mit à parler de Jean-Baptiste. Il commença par lui appliquer la prédiction que nous avons inscrite en tête de ce chapitre. « C’est, dit-il, celui dont il est écrit : Voici, j’envoie mon messager devant ta face. » Puis il continua : « Parmi ceux qui sont nés de femmes, il n’est point de plus grand prophète que Jeana. »
a – Luc 7.24-28.
Un pareil témoignage suffirait, certes, à nous faire choisir un tel homme pour objet de nos études. Une autre raison nous y pousse également.
Suivant le plan de Dieu, Jean-Baptiste a eu la mission glorieuse d’introduire Jésus-Christ dans le monde. Il a été non pas seulement son prédécesseur, mais son précurseur. Tandis que tous les autres prophètes avaient dit du Christ : Voici, il vient ! seul le Baptiste a pu dire : Le voici, il est là ! Rien ne nous prouve, cependant, qu’il ait été plus capable ou plus distingué que les autres. Ésaïe eut peut-être plus de dons que lui, et Zacharie posséda probablement plus d’imagination. Mais Jean a été par excellence le prédicateur de la repentance, et par conséquent de la loi. Avec moins de poésie que David, avec moins de larmes que Jérémie, il a fait pénétrer plus avant qu’eux le glaive de la justice divine dans la conscience de ses contemporains. Homme du devoir, il a crié, jusqu’à ce que sa voix fût étouffée : Tu dois ! ou : Tu ne dois pas ! Il a fait ainsi naître dans les cœurs une soif de pardon que l’on connaissait peu avant lui. Alors Jésus est venu, prêchant la grâce. Il n’aurait pas pu la prêcher avant : il fallait que le chemin fût préparé.
Or, mes amis, notre époque est en train d’oublier, volontairement ou non, que cette préparation-là n’a pas cessé d’être la bonne, l’unique.
On parle beaucoup de la grâce, aujourd’hui ; on a mille fois raison. On la présente avec des accents vibrants, avec une insistance qui ne se lasse point : c’est un bien, un grand bien. Mais on a parfois négligé le seul moyen sûr de la faire accepter. On ne s’est pas toujours assez préoccupé d’éveiller le besoin de la grâce. On l’apportait toute faite à qui ne l’avait point demandée ni cherchée. On saturait de pardons des coupables qui n’avaient encore ni souffert, ni gémi de leurs fautes, et qui ne tremblaient pas devant la justice de Dieu.
Les chrétiens, d’ailleurs excellents, qui ont suivi quelque temps cette méthode d’évangélisation, s’étonnent aujourd’hui des résultats obtenus. Ce ne sont pas des conversions solides. Il fallait pourtant s’y attendre. On ne respire pas à pleins poumons l’air pur des sommets, sans avoir supporté les fatigues de l’ascension, et c’est l’ascension elle-même qui ne se faisait plus. Pour ceindre la couronne, il faut commencer par combattre. Or le combat était rendu si doux, qu’il en était presque supprimé. En outre, le Sauveur commençait à perdre de sa sainteté, tant on souhaitait de l’entourer d’attraits. – « Figure-toi, disait récemment à son amie une jeune fille qui s’était permis un mensonge, – figure-toi que maman s’est mise à pleurer et m’a fait toute une scène. Certainement, pour si peu, Jésus n’aurait pas fait tant d’affaires ! » Mes amis, ce Jésus-là n’est pas celui du Nouveau Testament. Ce n’est pas à lui que Jean-Baptiste a conduit ses propres disciples. Je crois que, pour revenir au Jésus vrai, à celui qui nous a sauvés en mourant pour nos péchés, nous avons besoin de passer par le Précurseur. Il le faut à notre jeunesse. Il lui est nécessaire d’entendre l’austère prédication du devoir, pour comprendre celle du pardon. C’est un spectacle bienfaisant que la vie d’un homme qui n’a jamais pactisé avec les coupables exigences du monde et qui, sachant qu’il jouait sa vie, n’a pas atténué, même pour un monarque, les sévérités du Décalogue. Je crains beaucoup ce christianisme édulcoré dont notre fin de siècle aimerait faire sa religion. Je voudrais vous aider à le craindre, à vous défier des réconciliations à bon marché avec notre Dieu, à vous éloigner d’une miséricorde qui ne réclamerait ni confession ni abandon du péché. Nous ne pouvons pas nous passer d’un christianisme viril. Si notre foi se perd dans les extases et ne se traduit pas en obéissance, elle est pire que l’incrédulité.
Peu d’histoires sont plus propres que celle de Jean-Baptiste à nous inspirer cette conviction. Étudions-la d’après les données des Évangiles ; nous n’en possédons pas d’autres de certaines. L’auteur sacré consacre à la famille du Précurseur un récit relativement long. Cela aussi nous révèle l’importance du rôle que son héros jouera.
Entrons, sans plus tarder, dans cet intérieur où Jean devait naître.
Nous sommes « au temps d’Hérode, roi de Judée. » Si Luc débute par ces mots, ce n’est pas seulement par amour de l’exactitude historique. C’est aussi pour nous faire comprendre, par un seul trait, au sein de quelles ténèbres la lumière d’En-haut allait briller.
Quatre siècles au moins ont passé depuis que les voix prophétiques se sont éteintes en Israël. Le vieil arbre théocratique semble mort ; ses branches ne portent plus de fruits apparents,
L’arche sainte est muette et ne rend plus d’oracles.
Le peuple élu n’a pas seulement perdu ses conducteurs spirituels. Il est dépouillé de son indépendance. Un pouvoir étranger, par conséquent païen, s’est établi dans la Judée. Les légions romaines promènent leurs aigles par les pays soumis autrefois au sceptre de David. Elles ont donné aux Juifs, il est vrai, un roi qui peut leur faire illusion sur leur servitude. Mais quel roi ! Un Hérode ; c’est-à-dire un Iduméen, un représentant de cette race qui n’avait jamais cessé de détester les Juifs et qui, contrainte par la force d’adopter la circoncision et les rites mosaïques, n’en était pas moins restée foncièrement idolâtre. Depuis trente-sept années, Hérode est monté sur le trône, grâce à la faveur du triumvir Antoine. Mais il sait bien que, sans l’appui de Rome, sa fragile couronne tomberait vite. Les membres du sanhédrin l’ont averti, dès son avènement, qu’ils ne reconnaissaient point un prince issu d’entre les gentils, et plusieurs ont payé de leur tête cette déclaration courageuse. Alors le nouveau roi a donné libre carrière à ses instincts féroces. Il a fait périr Marianne son épouse, son beau-frère, sa belle-mère, les deux fils qu’il avait eus de Marianne, bien d’autres encore. Il est vrai qu’il a tâché de gagner ses sujets, en dépensant des sommes énormes pour l’embellissement du temple, à Jérusalem. Ses flatteurs lui ont décerné le titre de « grand. » Mais c’est une grandeur odieuse, et qui disparaîtra bientôt dans une mort effrayante.
C’est sous le règne de cet Hérode que la délivrance, la vraie, devait luire pour Israël et pour toute l’humanité. Luc ne nous parle pas de l’oppresseur ; il lui suffit de le nommer, pour préciser l’époque. Il a hâte de s’occuper du libérateur.
Pour nous le faire connaître, il nous transporte dans une famille de prêtre, dont la résidence ordinaire doit se chercher au milieu des montagnes de Judab : nous tâcherons de la déterminer plus tard. Le chef se nomme Zacharie, et ce nom, qui veut dire « l’Éternel s’est souvenu, » nous apparaît comme intentionnellement symbolique. Rien ne prouve qu’il ait été grand sacrificateur, ainsi qu’on l’a prétendu ; le texte ne lui attribue pas autre chose que les fonctions sacerdotales ordinaires. Il avait pour femme Elisabeth, – « celle à qui Dieu a juré ; » littéralement : « serment de Dieu, » – descendante en ligne directe d’Aaron. Un fort beau témoignage est rendu à ces deux époux. Ils étaient justes devant Dieu, dont ils observaient les commandements d’une façon irréprochable. Pour exprimer ce caractère de leur piété, le texte emploie un terme en quelque sorte typique, familier à l’Écriture. Il affirme que l’un et l’autre marchaient dans toutes les ordonnances de Dieu. Ils marchaient ! Ce n’est pas seulement la vie humaine en général, c’est encore et surtout celle des enfants de Dieu qui doit être une marche. Rester en place ne suffit point ; il faut avancer. Savoir est peu ; il faut marcher ! Ainsi marchaient, dans leur obéissance et dans leur intégrité, Hénoc, Noé, Job. Ainsi de même Elisabeth et Zacharie, en attendant que leur fils marchât avec l’esprit et la puissance d’Éliec. Cela ne veut pas dire que tous deux fussent parvenus au but. Il n’y avait pas de reproches à adresser au vieux prêtre dans l’accomplissement de son service. Il faisait des commandements de l’Éternel sa méditation journalière. Mieux que cela : il obéissait. Et pourtant, dans sa marche, il lui arrivait de broncher. Un jour, dans une circonstance capitale, il manqua de foi. Nous aurons tout à l’heure à le constater.
b – Luc 1.39.
c – Luc 1.17.
Un gros chagrin assombrissait ce foyer honnête et pieux. Point d’enfants. Et point d’espérance d’en avoir ; les deux époux étaient avancés en âge. Chez les Israélites, c’était plus qu’une tristesse que de n’avoir pas de famille ; c’était un châtiment, presque une malédiction. Nous ne sommes pas éloignés de penser comme eux. Pas de berceau, pas de tête blonde à caresser, pas de ces jolis petits bruits qui nous agacent parfois, mais nous manquent terriblement quand nous ne les entendons pas,… en tout cas c’est bien une épreuve. Elle affligeait depuis des années le cœur de Zacharie et celui d’Elisabeth. Je ne sais pas s’ils en avaient pris leur parti. A juger d’après ce qui suit, je ne le pense guère. Nous savons seulement que les regrets du prêtre ne l’avaient pas détourné d’accomplir ses devoirs. Ceci est à noter. Zacharie avait compris, semble-t-il, que nos douleurs n’ont pas pour but de nous exempter du travail, mais plutôt de nous y rendre plus actifs et plus sanctifiés. Son âge, son chagrin auraient pu l’engager à demander sa retraite. Il n’en fait rien. Il continue, en son rang, à exercer consciencieusement ses fonctions sacerdotales.
En son rang, disons-nous. Luc nous apprend, que c’était celui d’Abia ; et si nous lisons le vingt-quatrième chapitre du premier livre des Chroniques, nous verrons que ce rang était le huitièmed parmi les vingt-quatre classes de prêtres entre lesquelles David avait réparti le service du temple. Des essais ingénieux, mais peut-être un peu aventureux, ont été faits pour tirer de cette donnée un moyen de déterminer chronologiquement la naissance de Jean-Baptiste, et par conséquent celle de Jésus. On a dit, par exemple, que la première des vingt-quatre classes était de service au jour de la destruction du temple par Titus, c’est-à-dire le 4 août 70. En remontant jusqu’à l’an I, ne serait-il pas possible de savoir exactement à quel mois et à quelle semaine le service fut confié à la huitième classe ? Peut-être. Nous croyons cependant que ce calcul n’est pas certain. Pour qu’il eût une base solide, il faudrait pouvoir prouver que de David à Titus, à travers les longues années de l’exil et après les réformes d’Esdras, les vingt-quatre éphéméries n’ont pas cessé de se suivre dans le même ordre. Or, c’est là, précisément, ce qu’on ne saurait affirmer.
d – 1 Chroniques 24.10.
Nous savons mieux, grâce à notre historien, quelles fonctions spéciales étaient échues à Zacharie. On les tirait toutes au sort entre les différents prêtres de chaque classe. Il eut, pour sa part, la plus enviée de toutes, celle d’offrir le parfum. On le brûlait sur l’autel d’or, trois fois par jour : à neuf heures du matin, à midi et à trois heures, et il est bien difficile d’établir auquel de ces trois moments notre récit nous place. Mais un détail du tableau est particulièrement intéressant. En nous montrant la part que le peuple prenait de loin à cet acte, qu’il ne pouvait pas directement contempler, il sert aussi à nous en expliquer le sens symbolique. Pendant que le prêtre, dans le temple, offre l’encens, le peuple, dans le parvis, prie. Le parfum s’élève vers le ciel ; la prière monte vers Dieu. Le premier est l’image de la seconde. Ce n’est pas seulement le poète qui
Fait monter jusqu’à Dieu le saint parfum du soir ; c’est l’Écriture elle-même qui veut qu’il en soit ainsi. David demande à l’Éternel que sa prière soit devant sa face comme l’encense Saint Jean voit les coupes d’or des vieillards « remplies de parfums qui sont les prières des saintsf. »
e – Psaumes 141.2.
f – Apocalypse 5.8 ; comparez 8.3-4.
Et vous, mes amis, voyez-vous aussi, par le regard de la foi, vos prières monter, monter toujours au-dessus de notre terre et de ses sensations, pour ne s’arrêter que devant le trône où votre Père céleste est assis ? Il ne les repousse point. Il les recherche, au contraire, et il les apprécie, comme nous aimons un parfum. Il les soigne, dirais-je ; il les met à part, ainsi que nous conservons jalousement un encens précieux. Et nous qui avons peur, quelquefois, d’ennuyer Dieu par nos prières ! Savez-vous quand nous l’ennuyons ? C’est quand nous ne le prions pas. Son temple alors manque de majesté et son autel de parfums. Vous ne savez pas prier ? Eh bien ! dites-le lui. Ce simple aveu sera déjà devant lui un grain d’encens d’agréable odeur. Ainsi l’avait compris Vinet par sa propre expérience :
Je disais : Dicte ma prière !
Et tu m’avais, ô tendre Père,
Déjà dicté ce premier vœu.
Pendant que Zacharie s’acquitte de sa tâche, et que la fumée bleuâtre s’élève vers les voûtes du temple, un ange soudain lui apparaîtg. Le narrateur a soin d’observer que le messager céleste se tient à la droite de l’autel. C’est donc, dans les conceptions d’alors comme aussi, plus ou moins, dans celles de nos jours, un signe favorable. Le sacrificateur cependant est enrayé, troublé. Pourquoi ? Il est assez versé dans l’histoire des révélations de Dieu pour savoir le rôle que les angélophanies y ont joué fréquemment. Ignore-t-il, d’ailleurs, – lui qui marche dans les commandements du Seigneur, par conséquent dans sa communion habituelle, – ignore-t-il que les temps de la nouvelle alliance sont venus ? Et si les apparitions d’anges avaient leur place marquée, naturelle dirons-nous, bien que surnaturelle, au début de l’Ancien Testament, l’auraient-elles moins à l’entrée du Nouveau ? Des anges ont scellé, en quelque sorte, la foi d’Abraham. La loi donnée à Moïse a été promulguée par le ministère des angesh. Quoi d’étonnant si « ces esprits destinés à servir » se montrent de nouveau et agissent à l’heure où l’alliance de la grâce va faire entendre ses premiers accents ?
g – Au dire de Joseph, une révélation du même genre aurait été accordée, dans les mêmes conditions, au prêtre Hyrcan, (Antiq. XIII, 10, 3.)
h – Galates 3.19.
C’est vrai. Pour nous qui savons, pour nous qui avons vu, rien de plus simple. Il n’y avait pas lieu de s’effrayer, à peine de s’étonner. Sommes-nous bien sûrs, néanmoins, que la peur ne nous eût pas saisis de même que Zacharie, malgré tout ce que nous avons vu de plus que lui ? Mis tout d’un coup en présence d’un envoyé du Dieu saint, l’homme pécheur sent parler sa conscience, et cette conscience le secoue, le trouble, l’épouvante, Marie fut inquiète dans sa chambre de Nazareth, quand Gabriel vint lui annoncer qu’elle serait la mère du Sauveur. Les bergers de Bethléhem furent, quelques mois plus tard, « saisis d’une grande frayeur, » quand l’ange du Seigneur leur apparut. Zacharie n’échappe point à cette loi commune. Il a beau être un sacrificateur, c’est peut-être pour cela même qu’il sent mieux que d’autres sa souillure ; il a peur.
Il faut donc que l’ange le rassure. « Ne crains point ! » lui dit-il. Parole d’or, qui devait retentir par trois fois à l’aurore des temps evangéliquesi, pour éclater à nouveau, avec plus de puissance peut-être, au matin de Pâques, au moment où les saintes femmes arrivent auprès du tombeau vide. « Ne craignez pas, leur dit l’ange, car je sais que vous cherchez Jésus !j Au surplus, Zacharie apprend immédiatement pourquoi il doit chasser la crainte. C’est que sa prière est exaucée. Quelle prière ? Celle qui demandait un fils ? Non, répondent plusieurs commentateurs. L’âge avancé du prêtre, la sainteté du lieu où il se trouvait, la solennité des fonctions exercées devaient lui interdire une requête si personnelle et, après tout, si secondaire. Il ne pouvait s’agir que d’une aspiration bien plus haute, et d’un désir plus saint ; de ces supplications constantes par lesquelles Zacharie s’associait aux quelques fidèles qui attendaient la délivrance d’Israël, et la demandait avec eux… Oh ! savants de cabinets, hommes à systèmes inflexibles, expliquez-nous donc pourquoi l’une de ces prières n’aurait pas pu s’associer à l’autre. Dans le sanctuaire de l’Éternel, Zacharie devait penser surtout au peuple de l’Éternel et adresser des supplications pour lui ? D’accord, et je ne doute pas qu’il ne l’ait fait très consciencieusement. Mais lui était-il interdit d’espérer qu’en ayant pitié d’Israël Dieu aurait aussi pitié de lui-même, lui enlèverait son opprobre et lui accorderait un fils ? Il faut peu connaître le cœur de l’homme, pour supposer que cet espoir fût éteint chez un sacrificateur nourri de l’Ancien Testament et connaissant fort bien l’histoire de Manoa et celle d’Elkana, pour ne pas parler de celle d’Abraham. La théologie de l’ange était moins anxieuse que celle de nos commentateurs. Ce n’est pas de l’attente générale du peuple qu’il parle tout d’adord ; c’est de l’attente particulière de Zacharie. « Ta femme Elisabeth t’enfantera un fils. » Voilà la prière qui sera exaucée. Cela n’enlèvera rien à l’exaucement des autres. Au contraire. Ces grâces et ces dons seront étroitement unis. A la naissance de l’enfant sera bien vite associée la délivrance du peuple… si du moins Israël veut accepter d’être délivré comme son Dieu l’entendra. Et c’est même ce que marquera le nom de ce nouveau-né. Ses parents n’auront point à le choisir ; seulement à le recevoir de la bouche de Dieu qui a bien voulu le choisir pour eux. L’enfant s’appellera Jean, ce qui veut dire en hébreu : l’Éternel a eu pitié. Pitié de qui ? De Zacharie, sans doute, et de sa compagne, de leur foyer désert, de leur vieillesse désolée, de leur douloureuse attente, de leurs espérances longtemps trompées et toujours persistantes. Pitié de leur famille, aussi, qui partageait leur angoisse et plus ou moins leur honte. Pitié des tribus dispersées et opprimées qui soupiraient après l’avènement d’un Sauveur… N’est-ce pas, Zacharie, ta prière a bien été exaucée ?
i – Luc 1.13, 30 ; 2.10.
j – Matthieu 28.5.
L’ordre relatif au nom de l’enfant n’est pas le seul que l’ange fasse entendre. Il en donne un second relatif à son éducation. Dès sa naissance, le petit Jean devra être soumis aux prescriptions du naziréat. C’est du moins ce que nous pouvons conclure avec certitude des paroles prononcées : « Il ne boira ni vin ni liqueur enivrante. » Quand même il n’est rien dit au sujet de la chevelure, que les naziréens ne devaient point couper, nous ne voyons guère qu’il puisse être ici question d’un autre vœu. Cette abstinence totale à l’égard des boissons fermentées en était un signe caractéristique, autant au moins que le fait de porter les cheveux longs. Et, bien que les vœux n’aient jamais été que l’exception, non la règle, nous pouvons noter ici qu’ils n’ont point été supprimés dans la nouvelle alliance. Il suffira de rappeler celui que Paul paraît avoir fait volontairement à Corinthe, pour s’en délier ensuite à Cenchrée, et celui qu’il accepta plus tard sur le conseil de Jacquesk ?
k – Actes 18.18 ; 21.24. Pour les prescriptions spéciales du naziréat, voyez Nombres, chapitre 6.
Cela dit, hâtons-nous de l’ajouter : les promesses dépassent de beaucoup les ordres, dans la prophétie relative à l’enfant qui va naître. C’est, vous le savez peut-être déjà, la façon ordinaire d’agir de notre Dieu. Il connaît très bien nos faiblesses. Il ne nous impose pas un seul commandement sans nous avoir préparé d’abondantes ressources pour nous rendre l’obéissance possible. Ces ressources, ce sont tantôt des grâces que nous possédions sans nous en douter, et dont il nous révèle tout à coup l’existence ; tantôt des dons nouveaux, reçus au moment même et se multipliant au fur et à mesure du besoin ; tantôt, comme ici, des promesses qui sont, à le bien prendre, de véritables dons. Comptez ; vous n’en trouverez pas moins de cinq, successivement énoncées par le messager céleste.
L’enfant, d’abord, sera un sujet de joie. Cela, pensez-vous, allait sans dire. Hélas ! pas toujours. Il y a des berceaux qui ont fait éclater pour quelques mois des chants d’allégresse, et qui sont vite devenus des sources inépuisables de sanglots. Il n’en sera pas ainsi pour celui de Jean. Car la joie qu’il procurera ne sera pas seulement pour sa famille. Elle se répandra aussi au dehors. « Plusieurs se réjouiront de sa naissance. » Et nous sommes, certes, au nombre de ces « plusieurs. » Et c’est par milliers et par millions qu’il les faut compter, ceux qui savent que la joie de Noël a sa racine, en quelque sorte, dans la maison de Zacharie et d’Elisabeth.
Cet enfant, ensuite, sera grand. Non pas de la grandeur humaine, qui n’est souvent qu’une petitesse déguisée et qui, dans tous les cas, ne peut pas prétendre à la durée. Mais de cette grandeur qui s’appuie sur le témoignage de Dieu même, et qui participe en quelque mesure à son éternité…..« Il sera grand devant le Seigneur… » Ne l’a-t-il pas été, en effet ? Les hommages terrestres ne devaient pas entourer longtemps sa personne. Il posséda, pendant un an peut-être, une des plus vastes influences qu’un orateur populaire puisse ambitionner. Puis, quand un monarque frivole et lâche l’eût fait jeter en prison, des foules qui accouraient pour l’entendre pas une voix ne s’éleva pour réclamer la justice, pas un défenseur ne se compromit pour lui. Pourtant, c’est alors qu’il a été le plus véritablement grand. Lorsqu’on voudra citer l’exemple d’un confesseur de la vérité, d’un prédicateur du devoir que les menaces ni les flatteries ne peuvent ébranler, c’est toujours, après le nom d’Élie, celui de Jean-Baptiste qui sera prononcé.
L’origine de sa grandeur nous en fait comprendre aisément l’étendue. Elle provient du Saint-Esprit, dont cet enfant sera rempli dès le sein de sa mère. C’est la troisième prophétie dite à son sujet, ou la troisième promesse qui doit réjouir le cœur de Zacharie. Il est étrange, mais non sans intérêt, de la voir étroitement associée à l’ordre du naziréat, c’est-à-dire à la défense expresse de boire des liqueurs fermentées. Cette association n’est pas unique dans le Nouveau Testament. « Ne vous enivrez pas de vin, écrit Paul aux Éphésiens… mais soyez remplis de l’Esprit.l » Rapprochement très instructif, et que les sociétés de tempérance ont bien fait de relever. Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir contre les effrayants ravages de l’ivrognerie, une barrière plus efficace que celle de l’Esprit de Dieu. Jean-Baptiste a dû en faire l’expérience, dans un temps où les tentations de la boisson, moindres peut-être que de nos jours, n’en étaient pas moins réelles, et très suffisantes, certes, pour ruiner un ministère. Notons-le bien, d’ailleurs. L’Esprit Saint ne vint pas le visiter seulement de temps à autre. Il en fut rempli. La parole de l’ange ne promettait pas moins. A mesure que ce vase sacré qui s’appelle une âme humaine s’élargissait et se développait, à mesure aussi l’Esprit en occupait toutes les parties. Il en fut rempli comme enfant, puis comme jeune homme ; et il le fut jusqu’au terme, comme homme et comme martyr.
l – Éphésiens 5.18.
C’est encore, vous n’en sauriez douter, la présence et l’action du Saint-Esprit dans le Précurseur qui le rendront capable de sa grande œuvre. La quatrième promesse nous le montre revêtu d’un des plus glorieux privilèges qu’un enfant de Dieu puisse ambitionner, celui de convertir un nombre considérable de ses compatriotes au Seigneur leur Dieu. Qui saura jamais, avant le jour du jugement, tous ceux que la prédication de cet homme a détournés du chemin de la mort et conduits dans la voie de la vie ? Toute la conversion est là. Le but premier et le but dernier du pastorat, c’est celui-là. Malheur à qui comprend autrement la carrière du ministre de l’Évangile, et qui la rabaisse à n’être plus qu’un métier. Mais, comprise ainsi, qu’elle est belle ! Que de joies y sont semées, au point d’en faire oublier les difficultés et les douleurs ! Quelques-uns de vous, mes amis, seront-ils saisis par la sainte ambition d’entrer et de marcher dans cette voie ? Que Dieu bénisse votre vœu ; qu’il vous en accorde la réalisation ! Je voudrais être à votre âge, et recommencer ce chemin. Pour être vrai, cependant, je me hâte d’ajouter qu’on peut, sans être pasteur, être ministre de Jésus-Christ et lui amener des âmes. C’est là votre tâche, votre devoir donc, qui que vous soyez, du moment que vous aimez votre Sauveur. Jean-Baptiste ne paraît pas avoir été étudiant en théologie. Cela ne l’a pas empêché de devenir un grand prophète.
La dernière promesse qui le concerne est d’une admirable envergure. Nous y trouvons caractérisées la nature et l’apparence extérieure de son influence ; en même temps, les résultats étendus qu’elle produira. « Il marchera (nous avons insisté déjà sur ce terme) devant Dieu, dans l’esprit et dans la puissance d’Élie. » Armé de cette vertu « il convertira (ou ramènera) les cœurs des pères du côté des enfants ; il tournera les rebelles vers la sagesse des justes ; il préparera au Seigneur un peuple bien disposé. »
Sa marche donc, comme sa grandeur, aura Dieu pour témoinm. La première est la condition de la seconde. Qui ne marche pas reste petit, devant Dieu et devant les hommes. Mais Jean-Baptiste a marché. Et la sphère dans laquelle ses progrès n’ont cessé de se marquer, c’est la même que celle où se mouvait, environ huit siècles avant lui, le prophète avec lequel il a eu le plus de ressemblances : Élie. Comme lui, le Thischbite a porté le classique manteau de poils de chameau, et la ceinture de cuir autour de ses reins : ce n’est là qu’une analogie extérieure, bien qu’elle signale aussi l’analogie de la charge. Tous les deux ont aimé la solitude des déserts. Mais tous les deux ont su en sortir. A une époque de profond abaissement politique et moral, ils ont paru, soudain, au milieu de leur peuple, sans être annoncés ni attendus, revêtus d’une puissance qui a éclaté dès la première heure, et qui a paru assez exceptionnelle pour être appelée « la puissance d’Élie, » en attendant qu’elle devînt celle de Jean-Baptiste. Tous les deux ils ont déployé un courage, une fermeté, que les faveurs populaires n’ont pas plus ébranlés que les persécutions. Tous les deux ils ont justifié, par la droiture de leur vie et la pureté de leur ministère, leur prétention de parler au nom du Seigneur. Tous les deux, ils ont eu le privilège d’entendre directement la voix de l’Éternel ; et la révélation accordée au premier, dans la caverne du mont Horeb, n’a vraiment pas été plus riche que celle dont le second fut honoré au bord du Jourdain, où il venait de baptiser le Messie.
m – Il est fort digne de remarque que l’ange dise ici : « Il marchera devant Dieu, » et non pas : « Il marchera devant le Messie. » Comment n’y pas voir l’indice qu’aux yeux du messager céleste le Messie est une manifestation parfaite du Dieu souverain, la plus complète des théophanies ?
Après cela, quelles différences, n’est-ce pas ? à l’heure dernière, au moment du départ ! Ici, les chevaux de feu et le chariot de feu, la gloire du ciel illuminant la terre et faisant disparaître toutes les amertumes de la mort. Là, le silence humide du cachot, le bourreau décapitant le prophète, un cadavre emporté par quelques disciples effarés… Mais il n’en est pas moins vrai que Jean-Baptiste a marché, aussi longtemps que la marche lui fut possible, dans l’esprit et dans la puissance d’Élie.
Ainsi l’attendait la foi populaire, d’accord avec les paroles du prophète Malachie. Pas un croyant en Israël n’admettait qu’Élie ne dût pas revenir en personne, et rétablir à la fois le prophétisme et la royauté, ou tout au moins l’indépendance du peuple élu. Aussi les premières prédications du Précurseur ont-elles fait naître chez ses contemporains la pensée qu’il était un Elias redivivus, Élie revenu tout à coup au milieu des siens. On se trompait, sans doute. Nous l’entendrons déclarer aux envoyés du sanhédrin, venus pour l’interroger, qu’il n’est point Élien. Si, pourtant, nous demandons à Jésus comment il juge cette opinion populaire, nous verrons qu’il y reconnaît une grande part de vérité ; plus grande que les Juifs eux-mêmes ne s’en doutaient. Il fallait se donner quelque peine pour s’en rendre compte. « Si vous voulez le comprendre, dit-il une fois à la foule, c’est lui qui est Élie qui devait veniro. » Dans la masse du peuple, on s’inquiéta peu de faire ce rapprochement. Les disciples y mirent plus de sérieux ; et un jour que le Maître leur avait raconté qu’Élie, déjà revenu, avait été indignement traité par les siens, « ils comprirent qu’il leur parlait de Jean-Baptistep. » Ainsi revêtu de la puissance du Thischbite, Jean pourra ramener les cœurs des pères vers les enfants. » Que faut-il entendre par cette promesse ? Annonce-t-elle simplement que les rapports de famille, longtemps troublés, seront enfin rétablis tels qu’ils doivent être ? Qu’au lieu de jalousies et de soupçons, il n’y aura entre les parents et les enfants que bienveillance et confiance réciproques ? Ce serait déjà beaucoup. Mais il est probable qu’il y a plus encore. Un passage d’Ésaïe montre, dans un avenir indéterminé, Jacob entouré de ses enfants dont il n’a plus à rougir. La douleur que lui causaient leur impiété et leur conduite honteuse aura fait place à la joie, parce que tous ensemble « sanctifient le saint de Jacob et craignent le Dieu d’Israëlq. » Or, qui a prêché la sainteté, la crainte du nom de Dieu plus énergiquement que le Précurseur ? Qui a travaillé plus que lui à rendre les fils de Jacob dignes enfin de leur père ? « Abraham et Jacob, écrit ici M. Godet, rougissaient, dans le lieu de leur repos, à la vue de leurs coupables descendants, et ils détournaient d’eux leurs visages ; mais maintenant ils se retourneront avec satisfaction vers eux, par un effet du changement que le ministère de Jean produira chez ces derniersr. »
n – Jean 1.21.
o – Matthieu 11.14.
p – Matthieu 17.13.
q – Ésaïe 29.22-23.
r – Comment, sur l’Év. selon S. Luc, I, 37 et 38.
Un second effet, directement parallèle au premier, sera produit encore par cette mission du nouvel Élie. « Il ramènera les rebelles à la sagesse des justes. » Malachie, dont l’ange semble citer les paroles, avait dit : « Il ramènera le cœur des enfants à leurs pères. » Si les mots sont changés, je ne crois pas que le sens le soit. Qui peuvent être les « rebelles, » sinon ces enfants qui avaient longtemps vécu en révolte contre les lois et les coutumes paternelles ? Et qui sont donc les « justes, » sinon ces pères qui avaient essayé de transmettre intact à leurs descendants l’héritage que le Seigneur leur avait confié ? L’idée est assurément la même dans le texte de Malachie et dans l’interprétation que l’ange en donne.
Le dernier résultat de l’œuvre du Baptiste, le dernier terme des promesses qui lui sont faites avant sa naissance, sont donc amenés presque nécessairement par tout ce qui précède. Il préparera au Seigneur un peuple bien disposé. Oui, il préparera. Il ne pourra pas, si puissant qu’il soit, changer lui-même les vies ni réformer les consciences. Il pourra préparer. Il le fera par son exemple autant que par ses discours. Quand il quittera la terre, il laissera derrière lui un peuple moins indifférent qu’il ne l’avait trouvé. Israël, du moins, sera disposé à écouter le Messie. Avant que le tronc, achevant de se dessécher, doive être coupé et jeté au feu, quelques branches auront porté des fruits bienfaisants. Jean-Baptiste aura contribué plus que personne à les faire mûrir.
Vous en conviendrez, mes amis ; les promesses étaient assez nombreuses, assez glorieuses aussi, pour faire palpiter le cœur du prêtre d’une joie qu’il n’avait point encore connue. Non seulement un fils ; mais un Élie ! Un prophète qui rappellera le plus grand, peut-être, des hommes de Dieu dans l’ancienne alliance, Moïse excepté. Un restaurateur d’Israël, au moins dans le sens spirituel, qui est le plus beau de tous. Un réformateur, grâce auquel les ancêtres pourront enfin être fiers de leurs descendants. Tel sera l’enfant qui va naître à son foyer… Merci, mon Seigneur ! Tu as eu pitié de mes larmes et de mes soupirs. Oh ! qu’heureux sont tous ceux qui se confient en toi !…
Mais non. Zacharie ne se réjouit pas du tout. Il raisonne ; il hésite ; il doute. Il lui faut des preuves. A quoi connaîtrai-je, dit-il, la vérité de ce que tu m’as dit ?
Pour une telle incrédulité, n’est-ce pas ? vous réservez des jugements sévères. Vous pensez qu’à la place de ce sacrificateur, vous auriez eu tout aussitôt des élans d’actions de grâces et des chants de cantiques.
En êtes-vous bien sûrs ? Ne vous rappelez-vous pas une autre scène qui se passa, quarante-quatre ans plus tard, dans une maison de Jérusalem ? Un apôtre était alors en prison. A juger par ce qu’Hérode avait fait à Jacques, on avait droit de conclure qu’il ne serait pas plus clément pour Pierre, et l’on s’attendait à le voir mourir. Pourtant l’Église entière priait. Elle suppliait le Seigneur de lui conserver un pasteur dont il lui semblait impossible de se passer. Soudain la porte s’ouvre, au milieu de la réunion de prières. Une servante se précipite dans la chambre. – Pierre est là, crie-t-elle. – Allons donc ! ma pauvre Rose, tu es folle. – Et comme elle insiste : C’est son ange, concluent ces braves chrétiens, qui ne doutaient pourtant point de la puissance de Dieu. C’est un esprit céleste, un messager de l’autre monde, un revenant peut-être. Tout, plutôt que cet homme même, que nous avons supplié Dieu de nous rendres Voilà comment on croyait à la prière, en l’an 44 de notre ère, dans un cercle très pieux sans doute et très croyant. Zacharie est de la même école. Il a prié peut-être pendant un quart de siècle pour avoir un fils. Un ange, vrai celui-là, non pas supposé, lui est envoyé pour lui dire : Ta prière est exaucée ; tu auras un fils, et même un fils très distingué… Ah ! qu’en sais-je ? Je veux un signe.
s – Actes 12.13-15.
Et vous, mes amis, êtes-vous certains de ne point appartenir à cette école ? Quand vous priez, croyez-vous vraiment à l’exaucement ? Ou ressemblez-vous à cet enfant d’une pauvre veuve qui manquait un jour de pain et ne savait où en prendre ? – Mère, dit-il, si je demandais à Dieu, ce soir, de me faire trouver un pain demain, à mon réveil, ne le pourrait-il pas ? – Assurément. – Et le jeune garçon de prier. – Au premier rayon du jour, il saute à bas de son lit, court au buffet. Rien ! Sur quoi, d’un air plus triomphant que déçu : « Mère, crie-t-il aussitôt, il n’y a point de pain. Au reste, j’en étais bien sûr !… Oui, oui ; il y a des gens qui prient comme cela ; en étant sûrs que Dieu n’exaucera pas, et en doutant fort qu’il entende. Si l’exaucement apparaît, alors ils demandent un signe. Et ils n’ont pas l’excuse, au moins relative, que Zacharie pouvait trouver dans son âge avancé et dans celui de sa femme.
Après cela, nous n’avons point la tâche de justifier ce vieux prêtre. Il a été trouvé coupable. Homme plus versé que d’autres dans l’histoire sainte, il devait se rappeler qu’Abraham n’était certainement pas plus âgé que lui, ni Sara plus vieille qu’Elisabeth lorsqu’Isaac leur fut accordé. Et il n’avait pas le droit de se défendre en racontant que le patriarche, et bien d’autres, avaient, comme lui, demandé des signes. Les circonstances étaient fort différentes. Quand, par exemple, Abram dit à l’Éternel : « Que me donneras-tut ? » Ce n’est point de la défiance qu’il exprime. Il croit que Dieu lui donnera la « récompense très grande » dont il vient de lui parler. En quoi consistera-t-elle ? C’est ce qu’il ne peut encore comprendre. Ne pas savoir, et l’avouer, ce n’est pas douter. Quand Gédéon, soudain invité par un ange à rassembler les forces éparses d’Israël pour marcher contre Madian, demande successivement trois signes avant de se mettre en campagneu, il ne fait en vérité que son devoir. C’était une terrible initiative que d’engager dans une telle aventure, non pas sa personne seulement, mais beaucoup d’hommes qui n’en reviendraient peut-être pas vivants. Il lui importait donc de dégager sa responsabilité. Il lui fallait être certain qu’il ne prenait pas pour ordre du Très-Haut un pur caprice de son imagination. Notons-le bien d’ailleurs. Gédéon n’a point prié pour être placé à la tête de son peuple. Il n’a jamais réclamé l’honneur qui lui est conféré. Il a donc le droit d’être surpris quand il le reçoit, et de se défier, non pas de Dieu, mais de lui-même.
t – Genèse 15.2.
u – Juges 6.17, 36-40.
Rien de pareil pour Zacharie. Il demande depuis longtemps une faveur. Il s’est adressé, pour l’obtenir, à celui-là seul qui peut l’accorder, c’est-à-dire à Dieu. Après une longue attente, Dieu prend la peine de lui envoyer tout exprès un de ses messagers, pour lui faire savoir qu’elle est accordée. Si Zacharie, alors, réclame un signe, s’il doute, car ce n’est pas autre chose, de qui voulez-vous que ce soit sinon de l’Éternel ? C’est là ce qui sera puni. Fils d’Abraham, lévite, prêtre, il n’a pas la foi absolue de ses pères aux paroles de l’Éternel. En écrivant son histoire, l’auteur de l’Épître aux Hébreux n’aurait su où la placer dans son chapitre onzième. Il ne pouvait pas écrire de lui : « C’est par la foi… »
Peut-être est-il permis de signaler dans cet éblouissement, momentané sans doute, de la piété de Zacharie, l’explication ou plutôt la source de celui que nous rencontrerons dans la carrière du Baptiste. Un jour il fut sur le point de douter du Christ. Il chargea deux disciples d’aller savoir s’il était celui qui devait venir. La foi s’hérite, mes amis. Les doutes aussi. Prenez garde, je vous en supplie, à ce que vous léguerez à vos enfants.
Zacharie, du reste, aura son signe, mais il le recevra tout autre qu’il ne l’avait souhaité. Ce signe consistera dans un châtiment. La réponse de l’ange est d’une majesté admirable et d’une simplicité effrayante.
D’abord l’énoncé de son nom : « Je suis Gabriel. » Pour un lecteur de Daniel – et nous pouvons admettre que Zacharie en était un – ces trois mots sont toute une révélation. Comment, Gabriel ? Celui dont le nom veut dire « héros de Dieu ? » Celui qui fit connaître jadis au prophète les desseins d’amour du Seigneur à l’égard de son peuple accablé ? Celui dont le mandat paraît avoir été surtout empreint de miséricorde ? Oui, précisément.
Ensuite l’énoncé de sa dignité : « Je me tiens devant Dieu ; » et celui de sa mission : « J’ai été envoyé pour t’annoncer ces heureuses nouvelles. » En vérité, vis-à-vis d’un tel messager et d’un pareil message, le doute est plus qu’une faiblesse : c’est un péché.
Enfin, conséquence nécessaire, l’annonce du châtiment. La promesse faite par Dieu, n’est point reprise. La prophétie s’accomplira ; l’enfant naîtra comme il a été dit. Mais le père, celui qui aurait dû être dès aujourd’hui l’heureux père, sera frappé. Il va devenir muet. Un ange est descendu pour lui parler. Il n’a pas cru ; il ne parlera plus, lui, jusqu’à ce que sa foi soit revenuev.
v – Le rapprochement dans le texte entre ces deux « parler » paraît absolument intentionnel, comme aux versets 18 et 19, celui entre : « Moi je suis vieux » et « Moi je suis Gabriel. »
Ah ! tu voulais un signe, Zacharie, le voilà ! Tu t’es servi de ta langue pour marquer ta défiance à l’égard de Dieu. Ta langue va demeurer attachée à ton palais, jusqu’au jour où l’accomplissement des paroles célestes éclatera à tous les yeux.
C’est que, voyez, les dons de Dieu que nous ne mettons pas à son service nous sont tôt ou tard enlevés. Qu’il s’agisse de ceux qui ornent l’intelligence ou de ceux qui font la force du corps. Le bras d’un roi profane et blasphémateur a été paralysé tout d’un coup, à l’instant où il en menaçait un ministre de l’Éternel qui n’avait eu d’autre tort que de lui dire la véritéw. Aujourd’hui, c’est la langue d’un prêtre qui est réduite au silence. Sera-ce demain, votre mémoire, votre cœur ou votre santé qui seront atteints d’atrophie, parce que vous les aurez livrés au monde en les refusant au Père céleste ? Le succès trompe. Nous croyons être maîtres de nos facultés ; nous acceptons les applaudissements qui en saluent quelquefois l’emploi. Mais ce n’est que l’apparence. Regardez. Voici venir la réalité, c’est-à-dire et la décrépitude de ces mêmes facultés. Elles seraient restées jeunes au service du Maître. Employées contre lui, ou sans lui, ce qui revient presque au même, elles sont frappées de stérilité et vouées à la mort. Nous n’avons, nous ne possédons réellement que ce que nous lui consacrons. Rappelez-vous quelquefois le prêtre muet.
w – 1 Rois 13.4-5.
Pendant l’entretien de Zacharie avec l’ange, le peuple, au dehors, attendait. Sa prière continuait. Peut-être, avant de se retirer, voulait-il recevoir de son pasteur la bénédiction. Sur ce point, son attente a été trompée. Zacharie sort enfin du temple. Mais il ne peut pas bénir, pas autrement du moins que par des gestes. Sa physionomie, son attitude à la fois étonnée et embarrassée, tout témoigne qu’il vient de se passer dans le lieu saint quelque chose d’extraordinaire. Une vision sans doute ? Oui ; seulement elle ne peut pas être racontée, et les signes faits par le sacrificateur sont bien insuffisants pour l’expliquer. Quel châtiment, déjà ! Il y aurait eu tant de joie, tant d’honneur aussi, à exposer à cette foule et l’apparition de Gabriel et la prophétie qu’il a prononcée. Cela ne se peut pas ; Zacharie est muet. Les assistants devineront, soupçonneront ce qu’ils voudront. Le prêtre passe silencieusement. Son cœur est plein, mais sa bouche est fermée.
Le châtiment continue, plus douloureux encore, au moment où Zacharie revient à son foyer. Il a dû, d’abord, achever sa semaine dans le temple : bienfaits ou punitions, rien ne saurait nous dispenser de l’accomplissement d’un devoir. Quelques jours durant, il a continué à offrir l’encens, le soir, le matin et à midi, ne pouvant joindre aucune prière articulée à ce symbole de la prière. Muet toujours. Puis il traverse les rues de Jérusalem, évitant les rencontres, sans doute, fuyant les questions, cherchant à se cacher, à l’heure où il aurait été si naturel de se mêler à ses amis et de les entretenir de son bonheur. Le doute, en vérité, entraîne de dures conséquences.
Zacharie rentre chez lui. Sa langue n’est point déliée. Qu’il doit souffrir, en ce moment ! Il avait tant à dire, tant à raconter, tant à chanter même. Mais il ne peut pas. Toujours muet. Les espérances qui ont fait battre son cœur dès le départ de l’ange et qui, certes, ont triomphé maintenant de son incrédulité, il est obligé de les refouler presque honteusement. Car est-ce les exprimer que de les écrire lentement sur des tablettes, ou de les indiquer vaguement par des gestes qui ne peuvent pas être tous compris ? Une maladie corporelle eût été, semble-t-il, moins aiguë que cette souffrance morale, à chaque instant aggravée par ce cri de la conscience : C’est ta faute !
Une consolation lui reste. Son châtiment a un terme précis. A l’heure où arriveront les choses prédites par Gabriel, Zacharie pourra de nouveau parler. Et maintenant qu’il croit à la parole de Dieu, il est sûr que sa langue sera déliée. Oh ! comme il s’en servira alors pour glorifier le Seigneur, et non plus pour lui demander des signes ! En attendant, il est, dans son mutisme, un symbole singulièrement instructif. Prêtre d’Israël, il représente, sans le savoir, ce sacerdoce lévitique qui va se taire aussi ; ces lois et ces ordonnances qui seront remplacées par la grâce, et dont son fils, tout en les prêchant encore, hâtera la disparition. L’alliance ancienne passe ; c’est à la nouvelle, à celle de la foi, que la parole sera donnée. Or cette foi n’est pas absente de la maison de Zacharie. Elle y possède au contraire un disciple très fidèle en la personne d’Elisabeth, la mère du futur Précurseur. Arrêtons-nous quelques instants auprès d’elle.
Elisabeth, assurément, prend place en bon rang à côté de ces saintes femmes dont l’Écriture a eu soin de nous conserver les types, voulant nous montrer à la fois ce que Dieu donne à la femme et ce qu’il attend d’elle. Comme son mari, elle observait tous les commandements du Seigneur. Comme lui, elle était sans reproches. Mais elle était plus avancée dans la piété. Elle avait l’habitude de croire sans discuter aux paroles de son Père céleste. Et comme cette foi était accompagnée d’une humilité très réelle, elle arrivait à de très grandes hauteurs. Nous en verrons bientôt la preuve.
D’après le verset trente-sixième de notre chapitre, on l’appelait communément dans son entourage « la stérile. » Il semble que ce terme était devenu un sobriquet qu’on lui appliquait depuis des années, avec cette ironie inconsciemment cruelle qu’on rencontre beaucoup entre voisins dans les petites villes. Elle portait donc ce poids si lourd et si dur que Rachel, une autre stérile, appelait « mon opprobrex Mais elle le portait avec foi, seule manière de n’en pas être écrasée.
x – Genèse 30.23.
Le même verset encore nous apprend que cette noble femme était parente de Marie, la mère du Sauveur. Nous ne savons pas à quel degré. Peut-être étaient-elles cousines germaines. Le fait que l’une appartenait à la tribu de Lévi et l’autre à celle de Juda ne s’y opposerait pas ; les mariages de tribu à tribu n’étaient point interdits. Quoiqu’il en soit, cette parenté fut suffisante pour amener chez Elisabeth la jeune fiancée de Joseph. C’est alors déjà que la couronne de la foi commença à briller sur sa tête blanchie. Dans toute sa longue carrière, elle n’avait pas reçu une visite plus significative, ni plus bienfaisante que celle-là.
Reprenons l’ordre des faits. Zacharie est revenu dans sa ville. Une variante du texte grec a fait donner à celle-ci le nom de Juta. On lirait ainsi au verset trente-neuvième : Marie s’en alla – non pas : dans une ville de Juda – mais : dans une ville [nommée] Jutay. C’est possible, quoique pas certain, et à peine probable. La tradition nomme Hébron comme la ville de Zacharie. Abondamment riche en souvenirs patriarcaux, elle avait été attribuée après la conquête aux descendants d’Aaronz. En sorte que, sur ce point, la tradition pourrait bien avoir raison.
y – Ce nom se trouve, Josué 15.55, dans l’héritage de Juda.
z – Josué 21.9-11.
Très vite après le retour de son mari, Elisabeth a voulu rester seule, cachée. Elle aura probablement quitté pour un temps sa demeure. Cette résolution, que l’évangéliste indique presque en passant, révèle tout ensemble l’intensité et la délicatesse de la foi que possédait cette noble femme. Longtemps elle a supporté « son opprobre. » Aux railleries à demi-couvertes de son entourage, elle n’a rien opposé. Que pouvait-elle ? Il fallait bien souffrir. Mais aujourd’hui, elle ne veut plus, elle ne doit plus rester exposée aux quolibets, car Dieu en a fait cesser la cause. Elle sait ; elle ne doute pas. Les moqueries de ses voisines seraient désormais des blasphèmes. Elle n’en tolérera point. Elle se retirera donc. Elle se cachera pendant cinq mois, et ne reparaîtra qu’au moment où il ne sera plus possible de la nommer la stérile.
Elle rentra dans sa demeure pour y servir en quelque sorte de signe à une jeune croyante qui n’en demandait point. Marie sa cousine a reçu, comme Zacharie, la visite d’un ange ; à elle aussi Gabriel est apparu. Il lui a promis une grâce et un honneur plus grands encore que ceux dont jouit Elisabeth. Mais il a confirmé ceux de Marie, précisément en lui faisant connaître ceux de sa cousine. « Le saint enfant que tu mettras au monde sera appelé Fils de Dieu. Et voici, Elisabeth ta parente a conçu, elle aussi, un fils en sa vieillessea » Alors Marie n’y tient plus. Un besoin intense, irréfléchi peut-être et cependant très sérieux, la pousse vers cette cousine qu’elle n’a probablement pas vue depuis des années. Une distance fort grande les sépare l’une de l’autre. N’importe, elle la franchira. Les voyages sont difficiles, dangereux même pour une jeune femme. Elle n’a point peur. Elle fait vite ses préparatifs ; elle se lève, elle part. Elle marche environ quatre jours ; elle ne peut s’arrêter, avant d’être entrée sous ce toit hospitalier et béni, où elle sent qu’elle sera si bien à l’abri… Ne trouvez-vous pas que cette visite de Marie nous laisse une haute idée du caractère d’Elisabeth, de la confiance et de l’affection qu’elle inspirait ? La jeune fiancée va droit à la maison du prêtre. Elle sait qu’elle y trouvera, non seulement un accueil empressé, mais surtout un cœur capable de comprendre le sien. Il ne lui en faut pas davantage.
a – Luc 1.36.
Marie a passé le seuil de la porte. Elle salue, sans doute à la façon orientale : La paix soit avec toi ! Et à peine cette salutation a-t-elle retenti qu’une sorte d’illumination céleste se produit. Le Saint-Esprit remplit Elisabeth. Pareille grâce n’avait point été accordée à son mari ; du moins nous n’en avons surpris jusqu’ici aucune trace. Mais la femme du prêtre est plus humble que lui, et c’est aux humbles avant tout que l’Éternel découvre ses secrets. Elle comprend donc immédiatement, sous l’influence de l’Esprit, qui est venue la visiter. Ce n’est pas seulement sa cousine, l’épouse de Joseph. Non c’est la mère de son Seigneur ; et la seule chose qu’elle ne comprenne pas bien encore, c’est la raison qui lui vaut un tel honneur : « D’où me vient que la mère de mon Seigneur se rende auprès de moi ? » Ce n’est point, au reste, la question du doute ; c’est celle de l’action de grâce et de l’adoration. Elle est très honorée, très heureuse. Qu’importe le pourquoi ? L’essentiel n’est-il pas de louer Dieu ?
Elle le loue, en effet, dans la personne de Marie, et dans des paroles inspirées, vraiment prophétiques. Elle donne d’abord à sa jeune parente le titre sous lequel nous avons le droit, et le devoir, de la connaître : « Bénie entre les femmes ! » Bénie ; non pas adorée ; non pas reine du ciel ; mais objet d’une bénédiction telle, que nulle autre femme n’en a jamais reçu et n’en recevra jamais de pareille. Béni aussi, béni bien plus encore, l’enfant auquel elle donnera le jour. C’est lui, ce n’est pas elle, qui sauvera son peuple de ses péchés. Pour elle, parce qu’elle a cru, elle sera bienheureuse, ou plutôt elle l’est déjà. C’est la première béatitude du Nouveau Testament, introduisant en quelque sorte celles qui ouvriront le sermon sur la montagne.
Puis, finissant comme elle a commencé, par un acte de foi, Elisabeth proclame que toutes les paroles dites à Marie par le Seigneur auront leur accomplissement. Les « peut-être » n’abordent pas cette sainte femme. Plus les mystères se multiplient, plus elle obéit et plus elle croit. Son inspiration est communicative. Marie à son tour loue et prophétise. « Mon âme, s’écrie-t-elle, magnifie le Seigneur ! »
Et Zacharie ? Nous ne le voyons pas même paraître pendant cette scène émouvante. Était-il présent ? Je ne sais pas. C’était à lui de prophétiser ; il se tait ; sa bouche est toujours fermée. C’était à lui de se montrer, d’accueillir sa parente, de lui faire part des révélations qu’il a reçues. Il ne peut pas. Il semble qu’il cherche à s’effacer. Il fait bien, du reste. S’il garde le silence, il a d’autant plus à écouter. Ses oreilles sont restées ouvertes. S’il profite de ce qu’il entend, bientôt sa femme pourra dire de lui : Bienheureux celui qui a cru !
Après avoir reproduit en entier le magnificat de Marie. Luc ajoute qu’elle passa chez sa cousine environ trois mois. Nous voudrions, n’est-ce pas ? avoir quelques détails sur ce séjour. L’évangéliste n’en raconte rien. Mais nous est-il interdit de supposer ? Pour moi, je l’avoue, j’aime à me représenter ces deux amies dans leurs entretiens. Je les vois ouvrant ensemble, avec respect, quelques-uns de ces rouleaux sacrés que le prêtre, sans doute, conservait dans sa demeure. La plus âgée explique à la plus jeune des passages des prophètes, qui font battre aujourd’hui leurs deux cœurs d’espérances absolument nouvelles. Elles voient en quelque sorte et ce rejeton d’Isaï sur lequel l’Esprit de l’Éternel doit reposer, et ce messager qui préparera le chemin devant lui : ils seront leurs enfants, leurs propres enfants ! Et tandis que la douce autorité de l’âge et de l’expérience mûrit les leçons d’Elisabeth, la virginale candeur et l’héroïque soumission de Marie ajoutent aux commentaires de sa compagne des leçons qu’on n’entend pas souvent tomber de la chaire des théologiens. Quelles instructions ! Quelles découvertes ! Quels accents rajeunis dans les cantiques le plus souvent chantés ! Quelle énergie dans les prières et dans les actions de grâces !
Et, tout en se livrant aux travaux que font toutes les mères, les voyez-vous se promener lentement sur les collines qui environnent Hébron, saluant, dans les rayons du soleil levant, cet « Orient d’En-haut » qui va bientôt paraître, et dont elles auront été les premières à se réjouir ? Certes, la justification par la foi n’est pas encore prêchée par saint Paul. N’entendez-vous pas déjà, néanmoins, les accents entraînants d’une autre prédication, celle du bonheur par la foi ? Mes amis, mes jeunes amies entre autres, voulez-vous prendre exemple sur Elisabeth et sur Marie ? Donnez à vos visites mutuelles un peu de ce caractère qui a marqué la leur. Donnez à vos conversations cette préoccupation de l’au-delà, mieux encore : cet esprit de prière et ce cachet biblique, dont furent marqués durant trois mois, dans Hébron, les entretiens de ces deux femmes. Si vous faites le compte des paroles futiles que vous échangez souvent, quand vous passez une heure, une seule heure, les unes chez les autres, vous en serez, je crois, effrayées. Anecdotes plus ou moins vraies et plus ou moins bienveillantes sur le compte du prochain ; graves discussions sur les sujets légers de la mode et de la toilette ; énumération complaisante des plaisirs déjà goûtés ou de ceux qui sont attendus… Au reste faut-il continuer ? Vous savez mieux que moi à quoi s’emploient volontiers, j’allais dire à quoi se perdent vos rendez-vous. Eh bien ! ne les perdez plus ; ils ont trop de valeur. Ne les gaspillez pas ; il vous en sera demandé compte. Faites en sorte qu’en vous voyant arriver, ou partir, chacune de vos compagnes soit poussée, comme naturellement, à dire de vous : Heureuse celle qui a cru !