Discours prononcé au temple du Saint-Esprit
le 4 septembre 1870
Le jour où ce discours fut prononcé, la France passait en quelques heures du régime impérial à la forme républicaine. Cette révolution s’accomplit, grâces à Dieu, sans effusion de sang.
La veille, les désastreuses nouvelles du théâtre de la guerre avaient transpiré dans le public à travers les réticences embarrassées du gouvernement et les coupables illusions dont il n’avait cessé de bercer notre pays. Ces nouvelles avaient été confirmées au Corps législatif dans une courte séance de nuit, et, dès les premières heures du 4 septembre, Paris consterné lisait sur les affiches qui couvraient ses murs la catastrophe de Sedan ! Il apprenait que l’empereur s’était constitué prisonnier de guerre, avait rendu son épée au roi de Prusse, et imposé une capitulation sans nom à une armée de 100 000 hommes qui allait prendre, humiliée et frémissante, le chemin de l’exil, tandis que les forces ennemies étaient libres de se jeter sur la route de Paris.
La douleur, l’indignation, la honte remplissaient les âmes. Pendant la célébration du culte, le reflet de ces impressions désolées était visible sur tous les visages, et l’auditoire le retrouvait sans doute dans la voix altérée et sur le front pâli du prédicateur.
Après le service, en nous promenant à travers Paris, nous trouvâmes son aspect modifié depuis le matin. Le bruit d’un changement de gouvernement commençait à se répandre, et les cœurs soulagés se rouvraient à l’espoir. Vers quatre heures, des groupes nombreux se forment, de longs cortèges défilent sur les boulevards. On y voit, au milieu d’une foule immense, des gardes nationaux portant des bouquets au bout de leur fusil, et l’on entend sortir de ces rangs pressés, mais s’avançant en bon ordre, le cri joyeux de : Vive la République !
En effet, elle venait de reparaître pour la troisième fois dans notre histoire, cette forme de gouvernement qui, faisant appel à toutes les forces vives d’une nation, se présente et s’impose comme d’elle-même à l’heure des grandes crises. Le 4 septembre elle était l’irrésistible expression d’une réaction unanime contre le pouvoir personnel, et, en rappelant les campagnes de 1792, elle semblait assurer à la France l’expulsion de l’étranger. Nous n’avons point à nous prononcer ici sur la manière dont elle fut proclamée. A cinq heures elle était un fait accompli et un nouveau gouvernement, qui prit le nom de Gouvernement de la défense nationale, était installé à l’Hôtel-de-Ville. « Le peuple, lisons-nous dans la première proclamation qui fut affichée sur les murs de Paris, le peuple a devancé la Chambre, qui hésitait. Pour sauver la patrie en danger, il a demandé la République. Il a mis ses représentants non au pouvoir, mais au péril. »
Vers cinq heures et demie, je me dirigeai vers le jardin des Tuileries que je trouvai presque désert. Je m’avançai jusqu’au palais qui était entouré par une population nombreuse mais paisible, et gardé par de simples citoyens. L’impératrice venait de quitter ces lieux témoins de tant de splendeurs, mais aussi de tant de déceptions et de larmes. Quelle que fût mon indignation contre un régime qui avait amené ma patrie à ce degré d’humiliation et de douleur, je ne pus me défendre de cette émotion profonde et attendrie qui saisit toujours l’âme humaine à la vue d’une grande infortune, et je demandai ardemment à Dieu de bénir l’ère nouvelle qui se levait sur la France.
Pendant la soirée et pendant une partie de la nuit, des groupes nombreux parcoururent la grande ville, mais sans désordre et sans tumulte ; et Paris s’endormit dans cette double pensée : le pouvoir impérial est tombé, l’élan national sauvera la France. Ces deux idées s’associaient dans tous les esprits ; mais tout homme sérieux se disait à lui-même que la chute d’un trône était plus facile que le relèvement d’une nation ; car pour renverser un pouvoir il suffit de quelques heures, tandis que pour sauver un peuple du double péril de l’invasion et d’une formidable crise intérieure, il faut l’effort héroïque des armées, les vertus de tous les citoyens et une insigne bénédiction de Dieu.
Lorsque Jésus fut proche de la ville, en la voyant il pleura sur elle et dit : oh ! si tu avais reconnu, au moins en ce jour qui t’est donné, les choses qui appartiennent à ta paix ! Mais maintenant elles sont cachées à tes yeux. Car les jours viendront que tes ennemis t’environneront de tranchées et t’enfermeront et te serreront de toutes parts ; et ils te détruiront entièrement, toi et tes enfants qui sont au milieu de toi ; et ils ne te laisseront pierre sur pierre, parce que tu n’as point connu le temps de ta visitation. »
Jésus nous instruit jusque par ses larmes. Quand il pleure au sépulcre de Lazare, il nous apparaît comme éprouvant et consacrant les grandes douleurs de la vie. Dans ce deuil, il porte tous nos deuils ; dans cette tombe, il voit s’ouvrir toutes nos tombes et s’unit à nos adieux funèbres.
Quand il pleure sur Jérusalem, Jésus nous apparaît comme éprouvant et consacrant un autre ordre de douleurs, les douleurs patriotiques. Toutes les souffrances que causent à un citoyen l’oppression de l’étranger, l’humiliation de son peuple, les désastres du sol natal, trouvent un écho vibrant dans son cœur.
Mais il faut pénétrer jusqu’aux sources les plus profondes des larmes de Jésus. Près du sépulcre de Lazare, ce n’est pas seulement sur le deuil et la mort qu’il gémit, c’est sur le péché, cause première des douleurs humaines. En présence de Jérusalem vouée à la ruine, ce n’est pas seulement sur sa perte matérielle qu’il pleure, c’est sur sa perte morale ; et s’il laisse échapper cette plainte prophétique : Les jours viendront que tes ennemis t’environneront de tranchées et te serreront de toutes parts ; il ne s’écrie pas avec moins de tristesse : Oh ! si tu eusses reconnu, au moins en ce jour qui t’est donné, les choses qui appartiennent à ta paix !… Mais maintenant elles sont cachées à tes yeux.
Contemplons aujourd’hui cette double douleur de Jésus.
Si la parole de Dieu, toujours actuelle parce qu’elle est éternelle, a pu quelquefois retentir à nos esprits distraits comme une voix, étrangère, indirecte, lointaine… aujourd’hui, comme elle répond à nos préoccupations les plus vives ! comme elle va droit à nos cœurs angoissés ! La distance des temps et des lieux s’efface, dix-huit siècles s’évanouissent, et il semble que Jésus lui-même, présent au milieu de nous, prononce sur notre peuple et sur notre propre cité les paroles désolées qu’il prononça sur Jérusalem.
Notre Sauveur éprouve toutes les douleurs du patriotisme parce qu’il en éprouve toutes les affections. Celui qui était venu du ciel, mais né de la terre, devait connaître cet instinct sacré qui attache l’homme au sol natal. Son patriotisme était exempt d’étroitesse, de préjugés, de passion, d’injustice, dominé par la pensée de Dieu, agrandi par les horizons éternels, mais réel, profond, intense comme tous les sentiments purs de l’âme humaine. Aussi, lorsque de cette route de Béthanie à Jérusalem où la foule lui décerne un touchant mais passager triomphe, il voit tout d’un coup apparaître la colline de Sion, la cité Sainte et son temple magnifique, lui qui sait tout ce qui se cache de déchéance et d’infortune morale sous cette splendeur apparente, lui qui lit dans un avenir prochain la sentence de condamnation prononcée sur la ville rebelle, lui qui entend déjà comme les pas précipités des légions romaines et comme le vol des aigles s’assemblant autour de ce corps mort qui fut la race élue ! – il s’émeut d’une immense compassion pour cette patrie si ingrate mais si malheureuse, et, ne pouvant contenir le flot de douleur qui monte à son cœur d’Israélite, il le laisse s’épancher en un torrent de larmes !… Voici, les jours viennent que tes ennemis t’environneront de tranchées et te serreront de toutes parts… et ils ne te laisseront pierre sur pierre, parce que tu n’as pas connu le temps de ta visitation.
Mes frères, l’amour de la patrie est un instinct avant d’être un devoir. La vie de l’homme est étroitement liée au milieu dans lequel elle se développe. Qui dira tout l’empire que le sol natal, les premières impressions, les aspects particuliers de la terre et du ciel, la langue, les habitudes, les souvenirs exercent sur nous ? Qui dira tout ce que recèle de douceur et de force, de tendre poésie et de viriles inspirations ce mot magique : Patrie ! Et quand cette patrie est la France, avec son heureux climat, son ciel riant, ses campagnes riches et variées, ses villes opulentes, sa capitale incomparable ; – la France, avec son génie, ferme et lumineux, idéal et pratique, plein d’enthousiasme et de bon sens, avec ses formes attrayantes, son esprit aimable, son caractère généreux ; – la France avec sa brillante littérature, dont les chefs-d’œuvre s’imposent à l’admiration du monde, avec son histoire si étonnante et si héroïque, véritable épopée où les grandeurs succèdent aux misères et les délivrances aux accablements, – ah ! disons-le sans crainte, il est permis de l’aimer, cette noble France, d’un amour fier et passionné qui, aux jours du péril, prend un caractère d’exaltation proportionné à l’étendue de ses infortunes !
Ces jours sont arrivés, et notre patriotisme, comme celui de Jésus, doit se répandre tout entier en douleur.
Depuis cette guerre funeste dans laquelle nous avons été jetés par des pouvoirs et par des initiatives, par des desseins et par des paroles que nous n’avons pas à juger ici, mais, que Dieu et l’histoire jugeront… ; quelle série de revers et de souffrances ! Ces premiers chocs supportés avec tant de vaillance par nos soldats qui luttaient un contre dix ; ces provinces envahies, et déjà traitées en pays conquis ; une ville qui nous est deux fois chère subissant un siège conduit avec barbarie ; nos forces désorganisées cherchant à se rejoindre par une succession de combats malheureux qui devaient aboutir à un désastre sans exemple et à une capitulation sans nom…, et en perspective l’accomplissement littéral pour notre belle capitale de ces paroles de Jésus : Voici tes ennemis t’environneront de tranchées et te serreront de toutes parts ! – ah ! pleurons ! Quelle que soit l’espérance que nous avons au cœur, quelle que soit notre confiance en ce Dieu qui, lorsqu’il le voudra, nous enverra la délivrance, pleurons, pleurons encore ! Malheur à celui qui pourrait respirer à l’aise tant que le pied de l’étranger foule le sol de la patrie ! Malheur à celui qui ne se sentirait pas outragé par ce qui outrage la France, prisonnier avec ses captifs, gémissant avec ses blessés, mourant avec ses morts, en deuil avec ses familles en deuil ! Pleurs de Jésus, coulez de nos yeux ! Et pendant que nos soldats versent les flots de leur sang, nous, au moins, répandons sous les voûtes de ce temple toutes nos larmes de français et de chrétiens !
Mais ce n’est pas seulement sur les dévastations de sa patrie que Jésus pleure, c’est sur le désastre moral dont cette ruine est le châtiment. Oh ! si tu eusses connu, en ce jour qui t’est donné, les choses qui appartiennent à ta paix ! Mais maintenant elles sont cachées à tes yeux ! Ces choses qui appartiennent à la paix de Jérusalem et qu’elle n’a pas voulu connaître, ce sont les miséricordieux desseins de Dieu à son égard, qui se résument dans le don de son Fils. Recevoir Jésus-Christ, voilà la paix de Jérusalem : le rejeter, voilà sa perte. Tout, au sein du peuple Israélite, est dirigé de Dieu pour l’amener aux pieds de Jésus-Christ. La loi a pour but de tenir en éveil sa conscience, de le convaincre de péché et de le faire soupirer après un Rédempteur. La prophétie lui montre le Christ et rattache à sa venue le relèvement de Sion. Les institutions cérémonielles préfigurent dans leur ensemble et par mille détails la médiation souveraine qui doit réconcilier l’homme avec Dieu. L’histoire, par ses alternatives de succès et de revers, d’humiliations et de délivrances, est destinée à ne jamais laisser le peuple satisfait du présent et à porter ses regards sur l’avenir Messianique qui seul réalisera son infatigable espérance. Eh bien, il résiste à toutes ces lumières, il tourne en. dissolution toutes ces grâces. La loi, il l’amoindrit et l’abaisse, et à son tour elle l’endort dans une fausse sécurité, au lieu d’être pour lui un pressant aiguillon. La prophétie, dénaturée par ses rêves charnels, ne fait qu’exalter son orgueil. Son culte, plein de majestueux symboles, se pétrifie en un formalisme étroit et sans vie. L’histoire, avec ses déceptions cruelles, ne lui enseigne ni l’humilité, ni le retour à Dieu… Le Christ paraît ; il descend sur cette terre de Judée qui contemple sa gloire ; il parle sur la pente de ses montagnes ou sur le bord de ses lacs comme nul homme ne parla ; il y accomplit des œuvres que nul autre n’a faites ; il y brille de cette sainteté sans tache qui est comme le vêtement transparent de sa divinité… Mais les siens ne l’ont point reçu… Les Israélites entrent dans une lutte, sourde d’abord, puis ouverte avec celui qui leur apporte la paix ; ils ferment peu à peu leurs cœurs à cette vérité vivante,1 ils préfèrent leurs ténèbres à cette pure lumière, et s’enfonçant dans une incrédulité et une haine croissantes, ils rejettent enfin le Christ, et avec lui le salut et la vie !… Oh ! voyez-vous Jésus suivant dans le secret des cœurs le progrès de cet endurcissement et son terme nécessaire, la ruine ! Le voyez-vous contemplant la suprême catastrophe de Jérusalem et ne pouvant l’empêcher, malgré toutes ses compassions, car ce sont ses compassions mêmes que Jérusalem rejette, comme un malheureux englouti par les flots repousserait la main qui lui est tendue et périrait sous l’œil désolé de son libérateur ! Comprenez-vous maintenant toute l’amertume des larmes de Jésus ? comprenez-vous tout ce qu’il y a d’incompréhensible douleur dans cette parole : Oh ! si tu eusses connu, au moins en ce jour qui t’est donné, les choses qui appartiennent à ta paix… Mais maintenant elles sont cachées à tes yeux !
Revenons à nous-mêmes, mes frères. En présence des grands événements qui s’accomplissent, le chrétien se recueille pour écouter la voix de Dieu. De la scène bruyante et agitée du monde extérieur, il porte ses regards sur le monde intérieur et se demande si ce n’est pas là qu’il faut chercher les causes secrètes des bouleversements dont il est témoin. Or quand il considère soit en lui, soit autour de lui l’état général des âmes, y voit-il régner l’ordre, la justice, l’harmonie, le bien, la volonté de Dieu ? Et n’entend-il pas la voix attristée de Jésus-Christ dire à cette génération : Oh ! si tu eusses connu les choses qui appartiennent à ta paix !…
Ces choses qui appartiennent à notre paix, ne sont-elles pas pour nous comme pour Israël, et avec une évidence plus pressante encore, celles qui se résument dans ce grand mot : l’Évangile, dans ce grand nom : Jésus-Christ ? Recevoir l’Évangile, recevoir Jésus-Christ, n’est-ce pas, après une expérience de dix-huit siècles, la paix de nos âmes, la paix de nos familles, la paix de notre peuple ? Que lui manquerait-il à ce peuple, s’il connaissait l’Évangile, s’il connaissait Jésus-Christ ?… Mais regardez où nous en sommes, avec tous nos signes extérieurs de christianisme. Quelle incrédulité, quel scepticisme, quelle ignorance, quelle indifférence, quel athéisme pratique ! Dieu et le ciel, ces réalités que le Christ rend vivantes, semblent se voiler et disparaître, et les âmes se courbent vers la terre. Où Dieu ne règne plus, le monde règne avec ses convoitises ; où les instincts supérieurs s’affaiblissent, les instincts inférieurs se renforcent, et l’homme s’asservit de plus en plus, à des degrés divers et sous des formes diverses, au culte de l’égoïsme et des intérêts matériels. De là, dans la vie publique, la faiblesse des convictions, la frayeur des responsabilités et des initiatives, l’acceptation docile du fait accompli, le désintéressement des grands devoirs patriotiques et du bien général, l’abdication insouciante aux mains du pouvoir qu’on sait bien critiquer mais non contrôler sérieusement, et auquel on laisse tout faire, pourvu qu’il garantisse notre repos, nos positions et nos biens ; et avec cela, une prodigieuse infatuation de nous-mêmes, une illusion permanente sur notre force nationale, un dédain de l’étranger qui n’est égalé que par notre ignorance. D’autre part, dans les mœurs privées, un relâchement qui frappe l’observateur le moins sévère. Où est l’antique simplicité ? où est l’antique bonne foi ? où est l’antique pudeur ? Le sentiment du devoir s’affaiblit, la conscience est molle et complaisante, les vertus de famille sont rares, les habitudes sobres et laborieuses se perdent, chacun veut gagner et jouir, la soif du luxe et du bien-être s’empare de toutes les âmes ; et la corruption à laquelle notre siècle offre des facilités inconnues, la corruption excitée par la littérature, par les arts, par les spectacles, va se propageant dans les provinces les plus reculées, et atteint dans les grandes villes, dans notre capitale surtout, ces proportions colossales qui appellent un jour ou l’autre, sur un pays les jugements de Dieu !
Si ce jour ne venait pas, mes frères, si à certains moments de l’histoire, la puissance du mal n’apparaissait pas comme une puissance de malédiction, il n’y aurait point de limite à ses ravages et la perte morale d’une nation serait irréparable… Mais tout-à-coup Dieu se lève pour juger la terre. Il dit aux péchés des princes et aux péchés des peuples, aux péchés des familles et aux péchés des individus : portez vos fruits amers… et ils les portent, et nous sommes forcés de les savourer. Un fléau se déchaîne, la guerre, le plus terrible de tous parce qu’ici l’homme châtie l’homme avec tout l’acharnement de ses passions, avec toutes les ressources de son génie. Alors la fiction d’une fraternité universelle se dissipe en un instant, la civilisation la plus brillante se tourne en sanglante barbarie, le vice d’une politique énervante se révèle soudain, une grande nation se cherche elle-même et ne se trouve plus, l’édifice d’une prospérité factice s’écroule, la richesse tant convoitée fait place à une ruine rapide, le bien-être tant recherché se change en souffrance, et Babylone assoupie dans l’ivresse du plaisir se réveille dans le sang !
Humilions-nous donc sous la puissante main de Dieu et reconnaissons que dans ces campagnes ravagées, dans ces récoltes anéanties, dans ces villes assiégées, dans ces armées jonchant le sol, ou emmenées prisonnières, dans ces désastres consommés et dans ceux qui nous menacent encore, c’est Dieu qui frappe et qui châtie les péchés de notre politique, les péchés de notre littérature, les péchés de notre civilisation, les péchés de nos riches et de nos pauvres, les péchés de notre peuple, les péchés de nos Églises…. oui, les péchés de nos Églises, car nous tous qui avons une foi au cœur, nous n’avons pas été à la hauteur des devoirs qu’elle créait pour nous : nous n’avons pas été le sel de la terre, la lumière du monde ; nous avons été plus ou moins les complices de l’iniquité générale, si ce n’est par une participation directe, du moins par une participation indirecte, par « cette faiblesse du bien (une voix austère l’a dit au milieu de nous) plus redoutable que la puissance du mal » ! Ne nous distinguons donc pas de notre peuple humilié et châtié, mais plutôt mettons-nous à sa tête, pour jeter avec lui, du fond de l’abîme, ce cri de la détresse humaine à la pitié céleste « O Dieu, nous avons péché ! O Dieu aie pitié de nous ! »
Et Il aura pitié de nous, mes frères ! Ah ! malgré toutes nos misères, nous espérons que nous n’avons pas encore atteint ce degré d’endurcissement qui précède la ruine irréparable. Non, nous n’avons pas définitivement rejeté l’Évangile, nous n’avons pas repoussé, nous ne voulons pas repousser Jésus-Christ. Non, nous ne voulons pas méconnaître le jour de notre visitation. Non, les choses qui appartiennent à notre paix ne sont point cachées à nos yeux. Elles nous apparaissent, au contraire, avec plus de puissance que jamais à la lueur de ce terrible orage !
O France ! chère et belle patrie, aujourd’hui voilée de deuil, tu peux être éprouvée, mais le Dieu des miséricordes ne saurait t’anéantir. Tes ennemis peuvent se réjouir de ton abaissement, mais ils ne verront pas ta ruine. Terre des saint Louis et des saint Bernard, des Calvin et des Coligny, des Vincent de Paule et des Pascal, toi qui as été arrosée par le sang des martyrs des premiers siècles et par le sang des martyrs de la Réforme, toi qui comptes encore, sous des noms divers, tant de chrétiens fervents, tant d’âmes vaillantes, tu ne peux être effacée du rang des grands peuples, car il est encore là-haut des compassions pour toi, à cause des pères. Ouvre ton sein fécond aux semences de la Parole éternelle ; et si tu consens à associer dans tes destinées ces deux mots France et Evangile, ne crains point ! Tu pourras te relever dans ta dignité, car tu auras recouvré le secret d’unir à tes dons brillants, à tes qualités chevaleresques, à ton charme expansif, les efforts virils et les mâles vertus qui font les grands peuples. Alors, t’appuyant sur la double force de ton génie national et de tes fermes croyances, tu poursuivras à travers les siècles ta marche ascendante ; tu reprendras parmi les nations ta place glorieuse, et, après avoir étonné le monde par la grandeur de tes revers, tu l’étonneras par l’énergie de ton relèvement !